Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Adresse à l’Empereur, 1807

La bibliothèque libre.


LE CORPS LÉGISLATIF


À SA MAJESTÉ


L’EMPEREUR ET ROI,


Le 23 août 1807.




Sire,


Le Corps législatif vient déposer aux pieds du trône de votre Majesté l’adresse de remerciement qu’il a votée d’une voix unanime, bien moins pour le conquérant que pour le pacificateur de l’Europe. Et qu’avez vous besoin qu’on célèbre la gloire de vos armes ? Les peuples, frappés d’admiration, avouent d’un commun accord que vous n’avez plus de rivaux dans les plus grands capitaines des siècles anciens et des siècles modernes. Un tel éloge serait donc aujourd’hui faible et vulgaire. Qu’on s’efforce de retracer dignement, s’il est possible, les merveilles de votre dernière campagne, et ces triomphes, d’abord si rapides, qui renversent une grande monarchie, et cette constance, plus héroïque encore, qui sait attendre et préparer le jour de la victoire, au milieu de tant d’obstacles qu’opposent les lieux, les saisons et les hommes ; qu’on nous montre ces soldats infatigables comme leur chef, campés six mois avec lui dans les glaces du Nord, et bravant les hivers de la Pologne, comme les étés de la Syrie ; qu’on peigne enfin ce repos toujours menaçant, qui doit finir par un éclat terrible, et surtout le moment décisif annoncé d’avance par vous-même, où ces âpres climats, devenus moins rigoureux, permettent à votre génie d’achever le triomphe et de contraindre les vaincus à la paix ; ce n’est point nous qui devons redire tant de travaux et tant d’exploits : quelque admirables qu’ils soient, ils ont coûté des larmes, ils ont inspiré même au vainqueur des regrets qui l’ont fait chérir davantage.

Nous cherchons des spectacles plus consolants ; nous aimons mieux vous suivre aux bords de ce fleuve où, sans appareil guerrier, deux barques portent deux Empereurs, et avec eux les destinées du monde. Jour mémorable ! jour unique dans tous les âges ! Ces deux armées en présence, qui bordent les deux rives du Niémen, contemplent avec étonnement une entrevue si pacifique, après des combats si meurtriers ; et tout à coup quatre cent mille soldats, Italiens et Bataves, Scythes et Sarmates, Germains et Français, laissent tomber leurs armes, quand les deux plus grands souverains de la terre s’avancent au milieu du fleuve, pour régler eux-mêmes le sort de tant d’États, et se donnent la main en signe de réconciliation. Alexandre et Napoléon se rapprochent, la guerre cesse, et cent millions d’hommes sont en repos.

Les intérêts même de l’avenir dépendront peut-être de ces augustes conférences dont le jeune héritier des Czars était si digne. Il a pu recevoir d’un seul homme plus d’exemples et de leçons sur l’art de régner, que n’en trouva jadis Pierre le Grand, lorsqu’il voulut s’instruire dans ses longs voyages, en parcourant toutes les cours des rois ses contemporains. Le traité de Tilsitt ne laisse plus de prétextes à la guerre continentale. C’est dans ce grand jour que les royaumes et les peuples, les anciens pouvoirs et les pouvoirs nouveaux ont pris leur place déterminée. C’est là que tout est devenu stable et certain.

La nation, Sire, peut désormais espérer que votre présence ne lui sera plus si longtemps ravie, et que sa prospérité intérieure s’accroîtra sous vos regards paternels. Cette nation a bien mérité vos soins et votre amour ; on la vit à toutes les époques de votre règne. et particulièrement dans celle-ci, égaler en quelque sorte la grandeur de vos actions par celle de ses sacrifices et de son dévouement. Nous sommes sûrs de plaire à Votre Majesté, en mêlant aux hommages que nous lui devons l’éloge de ce bon et grand peuple ; c’est ainsi que vous le nommez si justement.

Tous nos cœurs se sont émus au témoignage de votre affection pour les Français. Les paroles bienfaisantes. que vous avez fait entendre du haut du trône, ont déjà réjoui les hameaux. Un jour, on dira, en parlant de vous, et ce sera le plus beau trait d’une histoire si merveilleuse, on dira que la destinée du pauvre occupait celui qui fait la destinée de tant de rois, et qu’à la fin d’une longue guerre, vous avez diminué les charges publiques, tandis que vos mains victorieuses distribuaient avec tant de magnificence des couronnes à vos lieutenants.

Notre premier devoir est de vous rappeler cette magnanime promesse qui ne sera point trompée.

Quand vous créez autour de vous des dignités nouvelles, et ces rangs intermédiaires, attributs de la monarchie dont ils vont augmenter les splendeurs, nous aurons soin de tenir encore de plus près à ce peuple dont nous sommes les organes. C’est là que nous trouverons une dignité qui, pour être moins brillante, n’en est pas moins respectable. Nous jurons, Sire, de ne jamais démentir ces sentiments que vous approuvez, devant ce trône affermi sur tant de trophées, et qui domine l’Europe entière.

Et comment n’accueilleriez-vous pas ce langage aussi éloigné de la servitude qu’il le fut de l’anarchie, vous, Sire, qui avez fait servir le droit de conquête à l’affranchissement des vaincus, et qui, sur les bords de la Vistule, venez de rétablir l’humanité dans ses privilèges ? Le Corps législatif secondera de tout son zèle les grands projets d’amélioration que vous méditez. Bientôt on verra se perfectionner sous l’œil de votre génie nos institutions civiles et politiques. Vous leur donnerez ce caractère de grandeur et de stabilité qui se répand sur vos autres créations ; et, pour compléter votre gloire, la vraie liberté, qui n’existe qu’avec la vraie monarchie, s’affermira de plus en plus sous un prince tout-puissant.