Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours préliminaire

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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


Mon dessein est d’examiner le système de Pope, de suivre le plan des quatre épitres qui forment son Essai sur l’Homme, de le comparer aux différents poëtes anciens et modernes qui se sont exercés dans des genres semblables, de donner quelques détails sur ses autres ouvrages, et de finir par de courtes réflexions sur l’art de traduire.

Dès que l’homme, ignorant et faible, jetant ses yeux autour de lui, eut observé cette vicissitude de biens et de maux qui se succèdent éternellement, il imagina bientôt que deux puissances ennemi esse disputaient la nature. Je ne sais pourquoi on attribue à Manès le dogme des deux principes, qui doit remonter au berceau du monde. Il se retrouve chez les hordes sauvages et chez les nations policées, parmi les habitants du Nord et du Midi, dans l’ancien et le nouveau continent. Il n’est point nécessaire, pour expliquer cette conformité frappante, de supposer l’existence d’un peuple détruit qui transmit ses opinions à tous les autres. On doit croire qu’une même cause a produit partout les mêmes effets. Il est des erreurs bornées à certains climats ; il est des erreurs propres au genre humain. Les premières peuvent céder quelquefois à la raison : les autres, nées avec la société, ne finiront qu’avec elle ; inhérentes à notre nature, toujours les mêmes en changeant de forme. elles se transmettent de race en race, et ne peuvent s’anéantir, parce qu’il est impossible que l’empire de la raison devienne universel : si elles sont chassées d’un pays qui s’éclaire, elles se retirent dans ceux où la lumière n’a point encore pénétré ; elles se cachent au-delà des mers, dans les montagnes, près des volcans ; et là, elles attendent le moment des grandes calamités, pour reparaître et régner avec plus de force sur les imaginations effrayées.

Telle est l’erreur des deux principes, qui fut celle des esprits les plus grossiers et les plus sublimes. Il n’appartenait qu’au législateur des Juifs d’expliquer l’origine du mal. Toutes les religions, hormis la sienne, défigurèrent ses traditions sacrées ; toutes débitèrent les mêmes fables. Partout l’homme est déchu d’un état de gloire ; partout des dieux rivaux le protègent et le tourmentent ; mais, comme le sentiment de l’effroi est plus fort que celui de l’amour, l’homme devient partout malheureux, féroce et pusillanime.

Au milieu de ces superstitions, non moins décourageantes pour l’humanité qu’injurieuses pour l’Être suprême, il est beau de voir s’élever un sage qui défend la Providence, et dit à l’univers : « Il n’existe qu’une seule cause souverainement bonne, souverainement intelligente : elle a créé le monde le plus parfait possible pour des êtres imparfaits. L’homme occupe dans l’univers la place qui lui convient. Loin de murmurer quand il souffre, il doit penser pour sa propre félicité, pour la gloire de son créateur, que tout est ce qu’il doit et ce qu’il peut être. Il faut donc se soumettre, et attendre en paix que la mort découvre et justifie tout le plan des lois éternelles. » Le sage qui, le premier, apporta une doctrine aussi consolante, naquit en Grèce, et mérita le nom de divin ; ce fut Platon : il n’en est pas sans doute l’inventeur[1] ; mais il se l’est appropriée, il l’a répandue, parce que son style était digne d’exprimer d’aussi grandes idées.

Je passe sous silence ses disciples plus ou moins fameux. Je franchis deux mille ans, et je rencontre un philosophe dont l’esprit étendu rassemblait toutes les connaissances, qui aurait régné sur vingt siècles, comme Platon, s’il en avait eu l’éloquence, et si lui-même, par ses efforts inutiles, n’avait décrédité pour jamais cette espèce de métaphysique qui veut expliquer les premières causes sans connaître les effets, veut redescendre, comme Dieu, de l’ensemble aux parties, au lieu de s’élever de faits en faits à quelques vérités particulières ; science funeste, qui, par ses séductions, a détourné plusieurs grands hommes des travaux utiles, et a privé le genre humain de plus d’un bienfait. Le philosophe dont je veux parler est le célèbre Leibnitz, cet illustre partisan de l’optimisme. Il est vrai qu’en défendant cette opinion, il en exagéra tous les principes et toutes les conséquences. Les monades et l’harmonie préétablie contredisent totalement la liberté de l’homme et de Dieu.

Mais les principes de Leibnitz ne sont point ceux de Pope. Celui-ci n’a pris le germe de ses idées que dans Platon ; et même, comme il l’a dit souvent, il n’avait jamais lu les ouvrages du philosophe de Leipsick. Leibnitz fait de Dieu un être absolument passif, qui, dans le nombre des mondes possibles, ne peut choisir que le monde existant. Pope en fait un être libre, dont la sagesse ordonna l’homme pour l’univers, et l’univers pour l’homme ; il soutient que l’auteur du bien n’est point l’auteur du mal ; que les désordres particuliers disparaissent dans l’ordre universel, ou qu’ils naissent de la corruption de l’homme créé libre, qui dénatura l’ouvrage de son Dieu[2]. Cette doctrine s’accorde parfaitement avec le christianisme : quand elle n’aurait pas une exactitude aussi orthodoxe, il ne faudrait pas encore accuser le poëte ; il doit laisser aux docteurs de l’Église le soin de démontrer les vérités de la religion ; il n’est fait que pour les persuader et les embellir.

Je ne chercherai point à réfuter les objections contre l’optimisme : il faudrait ramener ces questions agitées vainement d’âge en âge, et que la curiosité humaine doit pour jamais s’interdire. L’optimisme peut sans doute s’attaquer par les armes du raisonnement, et surtout par celles de la plaisanterie. L’homme universel qui, de nos jours, a saisi le ridicule des opinions, comme Molière avait saisi le ridicule des caractères, combattit gaiement, dans sa vieillesse, les philosophes optimistes, dont il avait d’abord été le partisan. Le conte de Candide est un des jeux les plus originaux de cette imagination toujours mobile, qui s’appropriait en un instant les sentiments les plus opposés, qui sortait sans effort des passions terribles et touchantes de la tragédie. pour se jouer dans ces productions légères, où respirent toutes les grâces de l’esprit, toute la verve de la gaieté, et qui se replaçait tout à coup au milieu des illusions dramatiques, ou des vastes tableaux de l’histoire. Cependant, il faut l’avouer, Candide est une des productions où Voltaire a le plus outragé la décence et la morale publiques. Il semble y peindre à plaisir toutes nos misères, pour mieux insulter l’homme et la Providence elle-même. Il prodigue la plaisanterie ; mais sa plaisanterie même a quelque chose d’amer, et laisse dans l’âme un sentiment de tristesse.

S’il est permis de rire un moment avec Pangloss et Martin, il est peut-être plus doux de s’élever et de s’attendrir avec Pope et Platon. Il me suffit de savoir que leur système honore la Providence et console l’homme, pour que je l’adopte avec transport, et que je remercie, comme des bienfaiteurs, ceux qui l’ont annoncé au monde. Puissent un jour tous les conseils de la politique, toute l’autorité de la religion, toutes les voix du génie, se réunir en faveur du genre humain, et lui persuader que l’utile et le vrai sont une seule et même chose !

Après avoir cherché l’origine, exposé les principes de ce système, voyons le plan du poëte qui l’a chanté. Il considère l’homme par rapport à l’univers, par rapport à lui-même, par rapport à la société, par rapport au bonheur. Cette division ne peut être plus méthodique. Je vais marquer la chaîne des idées qui en composent les quatre parties.

L’homme se plaint, il désire un meilleur état : cet état est-il possible ? Je ne vois rien que par mes sens, et leur jugement ne s’étend point au-delà des objets connus. Dieu, par une seule loi, produit une multitude d’effets que j’ignore. L’homme, roi du globe qu’il habite, n’est peut-être que l’acteur secondaire de quelque sphère éloignée : sa grande erreur est de croire l’univers fait pour lui seul, quand il n’est fait que pour l’univers. Il doit être soumis à des maux relatifs, qui ne sont rien dans le tout, puisque Dieu ne le pouvait rendre aussi parfait que lui-même. Ce Dieu donne à l’homme les facultés propres à sa nature, à ses besoins, à ses rapports. Ici, dans un tableau rapide, l’auteur trace les diverses propriétés des animaux : il emprunte à Platon l’idée plus sublime que vraie de l’échelle des êtres ; idée qu’ont admise et rejetée tour à tour les physiciens, mais que les poëtes doivent adopter, puisqu’elle agrandit l’imagination. Ce tableau se termine par une magnifique description de l’être intelligent, âme de cette nature aveugle dont il unit tous les anneaux.

Cette première épitre offre les plus grands objets : elle est remarquable par l’élévation des pensées, la rapidité des mouvements, l’éclat et la magnificence du style ; mais les raisonnements en paraissent quelquefois vagues et faux. Quand le poëte est pressé par des objections difficiles, il s’indigne contre l’orgueilleuse ignorance de l’homme, il couvre la faiblesse de ses réponses d’injures harmonieuses. On peut croire que Pope n’a point voulu d’abord effaroucher, par une marche d’idées trop précises et trop fortes, ceux qui ne voient dans un ouvrage en vers qu’un jeu plus ou moins agréable, et qui ont oublié que la poésie fut destinée, dans sa naissance, à retracer les vérités de la morale et les tableaux de la nature. Les ornements, semés en foule dans cette première partie de l’Essai sur l’Homme, attirent le lecteur vers la suivante, où des beautés plus graves demandent une attention plus recueillie.

L’homme, après avoir considéré ses rapports avec l’univers, doit rentrer en lui-même, et se connaître. Quels sont les principes qui le composent ? Il voit bientôt qu’il est un être mixte. Deux forces l’agitent en sens contraire : l’une s’appelle raison, et l’autre amour-propre. Les passions naissent de l’amour-propre ; leur combat est utile et nécessaire : il en est une toujours dominante dans notre cœur ; elle soumet toutes les autres, et la raison elle-même, qui, ne pouvant la détruire, se détermine à lui obéir. Dieu, pour empêcher les funestes ravages de cette passion, fonde sur elle nos meilleurs penchants ; il tourne à notre avantage nos propres défauts : ces défauts forment nos premiers rapports avec nos semblables. Les hommes s’unisse ut, parce qu’ils sont faibles : les différents intérêts de chaque individu se confondent dans l’intérêt général ; ils changent avec l’âge, et nos plaisirs avec eux. Notre but seulement est toujours le même : ce but est le bonheur. L’orgueil et l’espérance nous suivent jusqu’à la mort, en appelant les plaisirs, en écartant les maux. Ainsi notre félicité nait de notre faiblesse ; ainsi la sagesse de Dieu se fait reconnaître jusque dans les folies de l’homme.

Cette épitre est d’un genre sévère ; elle n’a pas le même éclat que la précédente : on y trouve, je crois, plus de justesse et de profondeur. La poésie se cache dans ces expressions savantes heureusement alliées, qu’on doit à l’art aidé de la méditation, et que trouve quelquefois l’instinct subit du génie. Cette poésie, qui dérobe d’abord une moitié de ses richesses, et ne les découvre que par degrés, n’est pas celle qui charme le plus tous les esprits : elle a même quelque obscurité pour ceux qui n’ont pas l’habitude de penser et de franchir les idées intermédiaires ; mais elle fait les délices des lecteurs exercés ; et, toujours observée par le goût, elle lui donne toujours de nouveaux plaisirs. Il est peu de juges capables de pénétrer dans tous les mystères de ce style, qu’ont surtout possédé Horace et Virgile chez les anciens, Racine et Boileau parmi nous, et Pope chez les Anglais. Les écrivains qui ont ce genre de mérite s’agrandissent continuellement dans la postérité ; ils ne craignent point le calme de l’observation : c’est de l’observation même que nait pour eux l’enthousiasme, ce sentiment si peu durable qui devance la réflexion. Cette espèce de beautés était la plus nécessaire à l’Essai sur l’Homme, qui contient les premiers principes de la morale et de la métaphysique, et qui souvent doit renfermer les développements d’un long système dans un seul vers.

En traduisant cette seconde épître, j’y ai remarqué avec étonnement plusieurs passages de Pascal, cet homme extraordinaire, qui remplit une vie si courte de tant de prodiges. Sans parler de sa gloire dans les sciences, sans répéter l’éloge de ce chef-d’œuvre des Provinciales, pour qui la frivolité du sujet n’a point affaibli l’admiration, n’a-t-il pas marqué toute sa force dans les pages détachées de l’ouvrage qu’il préparait, et dont Pope a su recueillir les grands traits épars ? Où se retrouve, où se retrouvera jamais le secret de ce style qui, rapide comme la pensée, nous la montre si naturelle et si vivante, qu’il semble former avec elle un tout indestructible et nécessaire ? L’expression de Pascal est à la fois audacieuse et simple, pleine et précise, sublime et naïve. Ne semble-t-il pas choisir à dessein les termes les plus familiers, bien sur de les élever jusqu’à lui, et de leur imprimer toute la majesté de son génie ? Quel est ce raisonnement vigoureux qui poursuit une idée jusque dans ses derniers résultats, et ne l’abandonne qu’après l’avoir forcée de donner tout ce qu’elle contient ? On conçoit l’éloquence de Bossuet, empruntant à la poésie de riches images, et ce ton de l’homme inspiré qui, placé entre le ciel et la terre, veut émouvoir un grand peuple. Quelques orateurs ont osé suivre de loin, imiter Bossuet : qui tentera d’imiter Pascal ? Son style ne ressemble à celui d’aucun écrivain ancien ou moderne ; et, chose étonnante, il est peut-être le seul génie original que le goût n’ait presque jamais le droit de reprendre : non qu’il semble chercher la correction et la pureté ; mais ses idées lui obéissent si bien, qu’elles se manifestent nécessairement sous les formes qui leur conviennent le mieux.

Les chapitres tant admirés de la grandeur, de la faiblesse, de la vanité de l’homme, se retrouvent dans les vers de Pope ; mais il arrive à des conséquences bien différentes de son modèle. Le solitaire de Port-Royal ne veut qu’attrister et terrasser l’homme ; il n’est propre qu’à former des misanthropes et des cénobites. Le poëte anglais, en dirigeant les mêmes idées vers un autre but, nous console et nous rapproche de nos semblables : il semble qu’il se soit servi du génie de Pascal avec l’âme de Fénelon. Les conséquences de l’épître que je viens d’analyser se développent encore d’une manière plus touchante et plus utile dans la troisième, où l’homme est envisagé comme un être social.

Elle commence par un tableau général de la nature, qui, variant toujours ses formes avec la même matière, veut que tous les êtres inanimés et vivants se transmettent une existence empruntée, reçoivent et rendent des secours mutuels. Tout sert, tout est servi : voilà le grand ordre du monde physique et du monde moral. L’instinct parmi les animaux, l’instinct et la raison dans l’homme, forment des liaisons durables ou passagères. Les liaisons formées par le seul instinct finissent entre les premiers, sitôt que les petits n’ont plus besoin du secours des pères et des mères. L’enfance de l’homme est plus longue ; et c’est à la faiblesse, aux infirmités du premier âge, que sont dus les charmes de la société, dont les liens se resserrent encore par la réflexion et la reconnaissance. Cette philosophie, puisée dans la nature même, est bien préférable à tous les paradoxes éloquents du Discours sur l’inégalité des conditions : tant il est vrai que les ouvrages des grands poëtes renferment souvent plus d’idées utiles et saines que ceux des grands philosophes ! La raison en est simple : les premiers ne saisissent dans les objets que ces impressions universelles dont tous les hommes sensibles doivent être frappés ; obligés de peindre leurs pensées, ils parlent toujours aux sens, ces juges les plus sûrs de l’erreur et de la vérité. Aussi les systèmes changent de siècle en siècle, et se précipitent les uns sur les autres : le temps amène sans cesse de nouvelles découvertes et de nouvelles opinions dans l’empire des sciences : mais il ne peut ébranler la puissance du poëte qui sut réveiller des sentiments vrais, émouvoir l’imagination et le cœur ; car le fond de l’homme ne peut jamais changer.

L’auteur anglais continue de suivre les progrès de la société : il décrit les mœurs du genre humain naissant. Les arts se forment ; au gouvernement domestique succède le gouvernement d’un seul, que suit bientôt la tyrannie. Les principes se confondent ; l’amour-propre désordonné vent tout envahir. Les excès de la corruption ramènent aux premières lois de la morale. Chacun fait le sacrifice d’une partie de sa liberté pour conserver l’autre. L’amour-propre, jugeant qu’il ne peut être heureux seul, cherche son bonheur dans le bonheur d’autrui. L’amour social naît donc de l’amour-propre ; et ces deux amours s’unissent pour le bonheur du monde.

Il me semble que le plan de cette épitre est le plus heureux : les pensées, les sentiments et les images s’y succèdent et s’y mêlent habilement : ce n’est que par le choix et la variété des tableaux, par la perfection des détails, et surtout par le secret si peu connu de renfermer dans un cadre étroit une multitude d’idées et de sensations, qu’on peut suppléer au défaut d’action du poème didactique. Il faut souvent animer la monotonie de la marche par des mouvements imprévus et pourtant naturels, qu’il ne faut pas confondre avec ces apostrophes entassées sans choix et sans mesure, ces secousses fatigantes, ces passages brusques d’un ton à un autre, ces cris exagérés d’un homme en délire, dont les mauvais écrivains couvrent leur impuissance. L’auteur peut jeter, à travers les descriptions et les préceptes, quelques scènes dramatiques, en inventant d’heureux épisodes, en personnifiant des êtres inanimés, en se plaçant lui-même avec réserve au milieu de ces tableaux. Quoique ce genre d’ouvrage n’exige pas les grandes créations nécessaires à l’épopée et à la tragédie, c’est peut-être celui de tous qui demande le plus de perfection dans le talent. On ne saurait le bien traiter qu’à cet âge où l’expérience et le travail ont fécondé les dons de la nature, où l’on peut étendre et ramasser ses forces à son gré, où l’on domine enfin tout son génie. Cependant Pope a commencé sa carrière par un poème didactique du premier ordre, l’Essai sur la Critique, qu’il fit paraitre à vingt-cinq ans. Il approfondissait dans la jeunesse les principes du goût, et destinait à l’âge mûr l’étude de la morale : noble et digne emploi de la vie ! Cet homme illustre a nourri son âme de tout ce qu’il y a de bon et de beau ; il ne s’est presque occupé qu’à peindre le charme des arts et de la vertu.

Nous avons vu que l’homme est né pour la société. Quel genre de bonheur peut-il y trouver ? C’est le sujet de la quatrième épître.

Dieu est juste : il doit avoir préparé un bonheur égal pour tous les individus. Les dignités, les talents, les richesses diffèrent ; ce n’est donc point dans ces avantages extérieurs qu’il est placé ; il doit se trouver au dedans de nous et dans la seule vertu.

Ce fond ne présente peut-être, au premier coup d’œil, que des déclamations et des lieux communs : Pope a su les éviter ; il rajeunit avec art ces maximes philosophiques, tant de fois employées par les bons et les mauvais écrivains, sur la fortune, la noblesse et la renommée. Jamais il n’a mieux montré cet art dont a depuis hérité le plus grand poëte de notre siècle, l’art d’allier tous les tons, de briller par le contraste ingénieux, le rapprochement inattendu des idées qui semblent le plus s’éloigner. On le voit passer tour à tour de la grandeur à la familiarité, de l’énergie à la douceur, de l’enjouement à la sensibilité. Pope laisse échapper dans cette épître, en parcourant les diverses conditions de la vie humaine, des traits énergiques ou légers de ce talent qu’il avait reçu pour la satire ; arme utile et honorable, quand on la dirige contre des préjugés nuisibles et les ridicules généraux de la société. Mais bientôt, fatigué du spectacle des travers et des vices, il rentre dans son âme pour y chercher les sources des vraies jouissances et les règles des mœurs. Il répand dans son style des couleurs plus douces et plus aimables ; il rappelle le souvenir de sa mère et de ses amis. On aime à croire qu’en chantant le bonheur, il trouvait le sien dans l’espoir d’immortaliser les noms qu’il chérissait. C’est là que Pope a jeté cette belle maxime, développée par J.-J. Rousseau : « Le mal est l’ouvrage du méchant, et non celui du Créateur. » Mais elle est plus ancienne que l’Émile et l’Essai sur l’Homme. On lit, dans un hymne grec, attribué au philosophe Cléanthe : « Jupiter, tout émane de toi, hormis le mal qui sort du cœur du méchant. » Si l’Être suprême est sensible à nos hommages, jamais les temples que lui a consacrés l’univers ne l’ont honoré comme cette sublime pensée.

Après l’analyse détaillée que je viens de faire de l’Essai sur l’Homme, je me crois dispensé de l’embrasser sous un coup d’œil plus général. Le lecteur, que j’ai conduit pas à pas sur les traces de Pope, peut juger son ouvrage et son talent. Jamais la poésie ne fit une alliance plus utile et plus honorable avec la philosophie. Ce serait peut-être ici le lieu d’examiner si, dans ce commerce, elle a perdu quelques-uns de ses charmes, remplacé la grâce par la roideur, et les images par la sécheresse. C’est du moins le reproche que lui ont fait certains critiques dans ces derniers temps. Il est aisé de leur répondre que la philosophie étroite et bornée des esprits froids. qui usurpent mal à propos le nom d’esprits justes, doit nécessairement détruire l’éloquence et l’art des vers ; mais que la grande, la véritable philosophie, celle qui embrasse les rapports de l’homme avec la nature et ses semblables, doit étendre et féconder l’imagination et la sensibilité. Cette philosophie appartint à tous les poëtes qui en méritèrent le litre, depuis Homère jusqu’à Pope ; et, si j’ose le dire, elle ne fut pas connue de plusieurs philosophes modernes. On ne peut être qu’un frivole versificateur, si on ne réunit une tête pensante En une âme sensible ; et de même on n’est qu’un médiocre philosophe, sans imagination : car les idées primitives, dans les arts et dans les sciences, ne se révèlent qu’à l’enthousiasme.

Que la philosophie et la poésie, loin de se combattre, se réunissent donc pour se fortifier et s’embellir, comme dans l’Essai sur l’Homme ! On n’accusera point Pope d’avoir sacrifié l’une à l’autre : elles se prêtent dans ses vers des beautés mutuelles. C’est là qu’il a su réunir des qualités qui souvent se repoussent ; la rapidité des mouvements poétiques à la marche exacte du raisonnement, et l’éclat du style à la simplicité de ces grandes vues, saisies par un esprit vaste qui sait tout généraliser. Je ne dissimulerai point les défauts de cette manière qui a tant d’avantages. Le poëte, en se pressant de franchir les détails, et de n’offrir que des résultats, néglige quelquefois de se faire entendre aux esprits vulgaires : il est des moments où l’attention se fatigue à développer l’étendue des idées qu’il resserre et qu’il entasse. Occupé continuellement à charger son expression de tous les trésors de sa pensée, il laisse apercevoir le travail ; et son style, toujours fort et brillant, n’est pas toujours facile et naturel : il emploie trop souvent la symétrie des antithèses, l’effet des contrastes ; il répète les mêmes mouvements, les mêmes formes. Il faut que le génie, comme la nature, cache les moyens qui font naître ses prodiges, et Pope ne dérobe point assez les ressorts de sa composition. Quoi qu’il en soit, son Essai sur l’Homme, malgré ses imperfections, est le plus beau traité de morale qui existe encore. Pour mieux le juger, voyons ce qu’on avait essayé avant lui dans la poésie philosophique.

Les Grecs ne nous ont rien laissé dans ce genre. Le poëme d’Aratus[3] n’est point venu jusqu’à nous : le fragment que nous en a transmis Longin ne fait pas regretter la perte de ce poëte, qui était faible et boursouflé ; défauts souvent réunis. Empédocle était plus célèbre : Lucrèce lui a donné des éloges ; nous devons en croire ce témoignage. Lucrèce est le premier poëte ancien qu’on puisse comparer à Pope : quoique l’un ait écrit sur la physique, et l’autre sur la morale, on les a si souvent rapprochés, que je ne puis me refuser à ce parallèle. M. de La Harpe n’a fait que l’indiquer dans un extrait des œuvres de Pope. qui parut il y a quelques années[4]. Je tâcherai de suppléer à tout ce qu’eùû dit mieux que moi ce grand critique, qu’on peut appeler le Quintilien français. Je m’étendrai sur les beautés de Lucrèce, parce qu’elles me paraissent trop peu estimées de quelques écrivains célèbres[5].

Lucrèce, comme presque tous les athées fameux. naquit dans un siècle d’orages et de malheurs ; témoin des guerres civiles de Marius et de Sylla, n’osant attribuer à des dieux justes et sages les désordres de sa patrie, il voulut détrôner une Providence qui semblait abandonner le monde aux passions de quelques tyrans ambitieux. Il emprunta sa philosophie aux écoles d’Épicure ; et, maniant un idiome rebelle, qui, né parmi les pâtres du Latium, s’était élevé peu à peu jusqu’à la dignité républicaine, il montra dans ses écrits plus de force que d’élégance, plus de grandeur que de goût. Ce n’est pas que ce dernier mérite lui soit absolument étranger ; il n’exagère jamais les sentiments ou les idées, comme Lucain ; il ne tombe point dans l’affectation, comme Ovide : ces défauts, les pires de tous, ne sont point ceux de l’époque où il écrivait ; les siens sont plus excusables. Il n’a point connu cet art, qui fut celui des écrivains du siècle d’Auguste ; cet art difficile d’offrir une succession de beautés variées, de réveiller, dans un seul trait, un grand nombre d’impressions, et de ne les épuiser jamais en les prolongeant : il ne connut point enfin cette rapidité de style, qui abrége et développe en même temps.

Mais si nous examinons ses beautés, que de formes heureuses, d’expressions créées, lui emprunta l’auteur des Géorgiques ! Quoiqu’on retrouve dans plusieurs de ses vers l’âpreté des sons étrusques, ne fait-il pas entendre souvent une harmonie digne de Virgile lui-même ? Peu de poëtes ont réuni à un plus haut degré ces deux forces dont se compose le génie, la méditation qui pénètre jusqu’au fond des sentiments ou des idées, dont elle s’enrichit lentement, et cette inspiration qui s’éveille à la présence des grands objets. En général, on ne connait guère de son poëme que l’invocation à Vénus, la prosopopée de la Nature sur la Mort, la peinture énergique de l’amour et celle de la peste. Ces morceaux, qui sont les plus cités, ne peuvent donner une idée de tout son talent. Qu’on lise son cinquième chant sur la formation de la société, et qu’on juge si la poésie offrit jamais un plus riche tableau. M. de Buffon en développe un semblable dans la septième des Époques de la nature. Le physicien et le poëte sont dignes d’être comparés : l’un et l’autre remontent au-delà de toutes les traditions ; et, malgré ces fables universelles, dont l’obscurité cache le berceau du monde, ils cherchent l’origine de nos arts, de nos religions et de nos lois : ils écrivent l’histoire du genre humain avant que la mémoire en ait conservé des monuments : des analogies, des vraisemblances les guident dans ces ténèbres ; mais on s’instruit plus en conjecturant avec eux, qu’en parcourant les annales des nations. Le temps, dans ses vicissitudes connues, ne montre point de plus magnifiques spectacles que ce temps inconnu dont leur seule imagination a créé tous les événements.

J’oublie trop longtemps que je dois comparer Lucrèce à Pope : cette comparaison est difficile. Le genre des épitres de Pope admet tous les tons : le ton de Lucrèce est toujours élevé. L’un converse de philosophie avec son ami ; l’autre interrompt souvent la méthode didactique pour s’abandonner à son enthousiasme. La profondeur, la marche, l’enchainement des idées, l’utilité du système, voilà le mérite de Pope : il manque presque totalement à Lucrèce ; mais celui-ci, dans quelques descriptions, dans quelques morceaux de morale qu’on peut rapprocher de l’auteur moderne, montre une âme plus forte, une imagination plus abondante, une disposition plus naturelle aux mouvements de la haute poésie. Pope est un de ces esprits excellents, qui s’enrichissent de tous les préceptes, de tous les exemples ; qui, aux dons naturels, ajoutent sans cesse les observations de l’étude ; qui savent fortifier cet instinct, guide invisible du talent, par des poétiques réfléchies ; et qui, mesurant leur marche, évitent enfin le mélange monstrueux des beautés et des défauts, caractère du génie brut, abandonné sans règle à lui-même. Lucrèce est un de ces hommes rares, que la nature ne semble avoir fait naître que pour observer et célébrer ses merveilles : on voit que partout où elle aurait déployé à ses yeux de grands spectacles, sans autre modèle qu’elle-même, il aurait chanté malgré lui.

Il ne faut pas quitter Rome sans parler d’Horace. Quoiqu’il n’ait point écrit de poème sur la philosophie, il en a tant répandu dans ses odes et dans ses épitres, qu’on ne peut le passer sous silence. Qui mieux que lui, pour me servir de l’expression pittoresque de Montaigne, sut presser la sentence au pied nombreux de la poésie ? Ceux qui ont paru croire que le goût rendait le talent timide, auraient dû se détromper en lisant les odes d’Horace. La justesse et l’audace se réunissent dans son expression ; et quand l’oreille est remplie de son rhythme harmonieux, l’imagination ébranlée par ses figures hardies, la raison, en décomposant les beautés de ce poëte, prouve qu’elle en a toujours suivi les écarts et gouverné le délire : mais tous les esprits n’aiment pas également la poésie lyrique ; quelques-uns préfèrent l’élégante familiarité, les grâces faciles, et la philosophie consolante, dont Horace a rempli ses belles épîtres. Elles instruisent tous les états, elles hâtent l’expérience de tous les âges : elles apprennent au jeune homme, au vieillard, à jouir sagement de la vie, à se consoler de la mort, à réunir la volupté avec la décence, la raison avec la gaieté. L’homme de lettres y trouve les préceptes du goût ; l’homme de bien, ceux de la vertu. Elles font rire l’habitant de la ville des travers qu’il a sous les yeux ; elles retracent au solitaire le charme de sa retraite : dans la joie et dans la douleur, dans l’indigence et dans les richesses, elles donnent des plaisirs ou des leçons ; elles tiennent lieu d’un ami ; et quand on a le bonheur d’en posséder un, elles font mieux sentir le charme de l’amitié.

Montesquieu a dit que l’esprit de modération était celui de la monarchie : Horace semble l’avoir senti ; il cherche à fixer le caractère inquiet et farouche des républicains, dans les jouissances douces d’une vie toujours égale. Sa philosophie consiste à fuir tous les excès ; principe également fécond pour le goût et pour le bonheur.

On sent bien que les beautés d’Horace, qui appartiennent à l’esprit, au talent cultivé, se rapprochent plus de celles de Pope, que les beautés originales de Lucrèce.

L’Italie moderne n’offre aucun poème fameux sur la philosophie. Tous les arts s’y sont efforcés de séduire ; ils ont craint d’éclairer : l’imagination seule s’en est emparée, et n’a point permis à la vérité de s’associer avec elle ; ou du moins, elle l’a enveloppée d’allégories aussi obscures que l’ignorance même.

C”est en France que Pope à deux rivaux dignes de lui, Despréaux et Voltaire.

Quand le premier parut, la poésie retrouva ce style qu’elle avait perdu depuis les beaux jours de Rome[6] ; ce style, toujours clair, toujours exact, qui n’exagère ni n’affaiblit, n’omet rien de nécessaire, n’ajoute rien de superflu, va droit à l’effet qu’il veut produire, ne s’embellit que d’ornements accessoires puisés dans le sujet, sacrifie l’éclat à la véritable richesse, joint l’art au naturel, et le travail à la facilité ; qui, pour plaire toujours davantage, s’allie toujours de plus près au bon sens, et s’occupe moins de surprendre les applaudissements que de les justifier ; qui fait sentir enfin et prouve à chaque instant cet axiome éternel : Rien n’est beau que le vrai.

La réunion de ces qualités si rares prouve que Despréaux avait plus d’étendue dans l’esprit que ne l’ont cru des juges sévères. On s’est plaint de ne point trouver dans ses écrits l’expression du sentiment : mais était-elle nécessaire aux genres qu’il a choisis ? Il mérite de nouveaux éloges pour s’être renfermé dans les bornes de son talent : tant de bons écrivains ont eu la faiblesse d’en sortir ! Il emploie toujours le degré de verve nécessaire à son sujet. Pourquoi donc l’a-t-on accusé de froideur ? Les jeunes gens. qui aiment l’exagération, lui ont fait souvent ce reproche. Plusieurs ont il expier des jugements précipités sur ce législateur du goût : heureux ceux qui se désabusent de bonne heure ! Despréaux n’a pas sans doute la philosophie de l’auteur anglais, qu’il égale au moins par le style. On ne peut guère exiger qu’il s’élevât au-dessus des idées de son siècle ; les siennes ne sont point inférieures à celles des moralistes ses contemporains, si l’on excepte La Fontaine et Molière. Combien de vers des épîtres à Lamoignon, à Guilleragues, à Seignelay, sont devenus proverbes, et se répètent tous les jours ! Il faut bien qu’ils n’expriment pas des vérités triviales. L’épître au grand Arnauld n’a-t-elle pas un but très moral, malgré les réflexions critiques d’un littérateur très distingué[7] ? Pour se convaincre de l’utilité de ce sujet, qu’on ouvre les Confessions de Jean-Jacques Rousseau : toutes les fautes dont il s’accuse naissent de la mauvaise honte. Que d’hommes trouveraient le même résultat, en interrogeant leur conduite ! Cependant, il faut avouer que Despréaux n’a pas traité les sujets de morale avec la même profondeur que le poëte anglais. Il avait moins d’élévation dans les idées ; mais il compense bien ce désavantage par l’excellence de son goût et la justesse de son esprit.

J’arrive enfin au second rival de Pope, à Voltaire, qu’on rencontre dans tous les genres, ou comme modèle, ou comme imitateur. Cet homme extraordinaire voulut réunir aux riches dons qu’il avait reçus de la nature, tous ceux qu’elle avait dispensés aux différents génies anciens ou modernes ; il s’élança, pour les envahir, dans tous les arts et dans toutes les littératures. Après avoir emprunté avec goût quelques beautés tragiques au barbare génie de Shakespeare, il voulut enlever aux Anglais leur supériorité dans la poésie morale ; il fondit une partie de l’Essai sur l’Homme, et surtout la quatrième épître, dans ses Discours moraux.

On trouve, entre ces discours et l’Essai sur l’Homme, la même différence qu’entre les nations des deux poëtes. Les Anglais, dont le caractère pensif se plait dans la solitude, portent dans leurs ouvrages une sensibilité réfléchissante et les trésors d’une lente méditation : la profondeur, l’énergie et l’originalité restent donc à Pope. Mais Voltaire développe une philosophie plus aimable, plus claire, quelquefois même plus vraie, qui se proportionne mieux à toutes les intelligences. Ses contrastes ont plus d’effet de choix et de goût. Sa richesse a plus d’élégance, ses mouvements plus de grâce, et son style un abandon plus heureux. Peut-être sa raison n’est pas toujours aussi forte que juste. On voudrait qu’il eût mêlé plus souvent à l’éclat de ses images, quelques teintes de cette mélancolie qui nous attache aux poésies anglaises ; mais ses projets et son caractère le portaient vers d’autres beautés : il voulait surtout être le philosophe des gens du monde, qu’il ne fallait pas effaroucher par trop de vigueur dans les idées, et trop de hardiesse dans l’expression. Sa sensibilité, plus vive que douce, qui se passionnait rapidement pour tous les objets, s’alliait peu à la mélancolie, qui se recueille dans elle-même, et se plait à reposer sur les mêmes impressions. Voltaire, en général, n’est pas le poëte de l’homme solitaire ; il veut être lu dans le fracas des grandes villes, dans la pompe des cours, au milieu de toutes les décorations de la société perfectionnée et corrompue[8]. Ne voyez-vous pas comme il court sur les objets, comme il craint de lasser l’attention ? Cette rapidité entraînante est un des plus grands charmes qui ramènent toujours à ses ouvrages : elle fait pardonner ses négligences, attribut nécessaire d’un génie impétueux et facile qui précipite sa marche, et ne regarde point derrière lui. Ceux qui les condamnent, en vantant la perfection de Racine, devraient plutôt jouir de la variété qui les distingue tous deux, et songer que les plus grandes qualités sont voisines de quelques défauts.

Parlerai-je du poëme sur la Loi naturelle, après les Discours moraux ? Il porte sans doute l’empreinte du même talent ; le sujet est beau ; mais ce sujet est-il rempli ? fallait-il en défigurer la gravité par ce ton satirique et railleur dont Voltaire abuse trop de fois dans ses compositions les plus sérieuses ? L’auteur d’Émile n’a-t-il pas exposé les mêmes preuves avec plus d’éloquence et de sensibilité ? La conversation d’un homme simple, du Vicaire savoyard, est plus poétique que les vers de Voltaire, écrivant Frédéric. Le poëme sur le Désastre de Lisbonne est bien supérieur, pour l’intérêt et le sentiment, à celui de la Loi naturelle. On y trouve encore des traits d’une bouffonnerie déplacée. On y peut critiquer des vers faibles, et relever quelques négligences de style ; mais ce poëme est une élégie quelquefois sublime sur les malheurs du genre humain. On voit que l’auteur y veut réfuter le système de l’Essai sur l’Homme, quoiqu’il s’en défende dans ses notes. Il ne faut pas avoir le génie de Voltaire pour tirer de funestes arguments contre l’optimisme, des tremblements de terre, des inondations, de toutes les calamités générales et particulières. Cette objection s’était présentée à Pope ; il y a répondu dans sa première épître.

Le plaisir qu’on éprouve à lire Voltaire ou à parler de lui m’entraîne malgré moi. Qu’on me permette encore quelques réflexions sur ces épîtres nombreuses de ses dernières années, à Horace, à Boileau, à l’empereur de la Chine, au roi de Danemarck, à la czarine ; sur tant de pièces charmantes, telles que les Systèmes, les Cabales, etc. Si on n’y rencontre pas le même goût et la même élégance que dans ses Discours moraux, n’y montre-t-il pas un esprit plus indépendant, plus varié, plus étendu ? C’est là que se déploie librement toute la franchise de sa gaieté ; c’est là qu’il manie avec autorité l’arme du ridicule, qu’il unit dans le même trait le plaisant et le sublime. Le lecteur, étonné des sentiments divers qu’il éprouve, sent, rit et pense à la fois ; il est surpris de voir l’imagination la plus brillante et la plus jeune jeter, dans ses rapides saillies, une foule de ces vers pleins de sens, qui renferment l’expérience d’un long âge et le fruit d’une étude immense. Ce n’est pas que dans ses productions légères, qu’il multipliait vers la fin de sa vie, Voltaire n’ait violé plus d’une fois toutes les bienséances sociales. Il avait pris sur son siècle, à cette époque, un ascendant presque universel ; il ne rencontrait dans l’Europe aucune gloire égale à la sienne ; et, ne donnant plus le frein aux écarts de son imagination, il se jouait de tout avec une licence inexcusable. La religion et les lois s’indignaient en vain de son audace ; il était protégé par sa vieillesse et l’enthousiasme de ses nombreux partisans. Un des avantages qui ont le plus servi ce grand poëte, c’est la durée de sa vie. Pope, au contraire, est mort à cinquante-trois ans : sa gloire redouble encore après l’examen de Lucrèce, d’Horace, de Despréaux et de Voltaire : les trois premiers ne lui avaient point donné le modèle de l’Essai sur l’Homme, et le dernier n’a fait tout au plus que l’égaler. Pope reste donc créateur de ce genre.

Je ne citerai point quelques poèmes allemands imités de l’Essai sur l’Homme : celui sur l’origine du mal, de Haller, est au-dessous du médiocre. Les Allemands ont plus excellé dans la poésie champêtre que dans les autres genres ; ils ont des Théocrite et des Thompson : ils n’ont pas encore des Pope, des Molière et des Racine.

Il est temps de jeter un coup d’œil, comme je l’ai promis, sur le reste des ouvrages que Pope nous a laissés.

Un des plus distingués, après l’Essai sur l’Homme, c’est l’Essai sur la Critique, qu’on a mis quelquefois en parallèle avec l’Art poétique d’Horace et de Boileau. Pope, qui s’était nourri de leurs principes, ajoute de nouvelles leçons à celles qu’ils avaient déjà données. Boileau a plus de méthode ; il a mieux distribué les préceptes et les ornements ; mais il aurait retrouvé la sagesse de ses principes et la solidité de son jugement dans l’Essai sur la Critique. il nous apprend, dans une préface de la satire sur l’Équivoque, qu’il avait voulu traiter le même sujet. Jamais l’exécution n’en fut plus nécessaire que dans ce moment, où les bons juges en littérature sont aussi rares que les bons écrivains.

Les épîtres morales et les satires de Pope sont, pour la plupart, les développements des Essais sur la Critique ou sur l’Homme. Celles sur l’avarice, sur l’emploi des richesses, offrent des idées tour à tour ingénieuses et fortes, à travers quelques-unes de bizarres. Sa satire sur les femmes me parait avoir bien plus de grâce, d’éclat et de mouvement, que la satire de Boileau : cette dernière, malgré ses beaux détails, tombe souvent dans les déclamations exagérées de Juvénal, ne laisse point apercevoir un esprit assez agréable, et se traîne trop longuement par des transitions lourdes et monotones[9].

J’avoue que je répugne à m’étendre sur les satires de Pope : il ne serait que plus grand, s’il avait dédaigné la bassesse de ses ennemis. On peut louer pourtant, et sans mêler des reproches à l’éloge, la satire adressée au docteur Arbuthnot. Pope s’y défend avec dignité contre ses calomniateurs ; ses plaisanteries sont pleines de verve, de sel et de raison ; il se venge noblement d’Adisson, qui avait été son ami dans la vie privée, et qui était devenu son persécuteur dans le ministère ; exemple renouvelé plus d’une fois ! Il rend justice à ses talents, à ses qualités estimables ; mais comme il révèle habilement la faiblesse d’un grand homme qui craint de perdre ou de partager la première place ! Pourquoi ne s’est-il pas toujours renfermé dans ces justes bornes ? Pourquoi publia-t-il la Dunciade, ce monument de haine et de mauvais goût, dont les allégories obscures ne peuvent être saisies et goûtées que par les Anglais ? Il est vrai qu’il n’exécuta ce poème qu’après avoir supporté quinze ans tous les emportements de la plus basse jalousie[10] : encore céda-t-il aux sollicitations du docteur Swift, qui compose les notes. Il n’en est pas moins répréhensible. Il s’est trop livré sans doute aux mouvements de sa sensibilité irritée. C’est un nouveau trait de ressemblance que Voltaire eut avec lui. La malignité, qui ne pardonne rien au génie, triomphe quand elle peut saisir des faiblesses dans les objets de l’admiration publique. Eh quoi ! ces hommes, qui ne sont grands que par la perfection de leurs organes, peuvent-ils devenir impassibles, lorsque l’envie leur dispute le repos et la gloire ? On vante, avec raison, le silence philosophique de Fontenelle, qui vécut en paix quarante ans, au milieu de toutes les brochures écrites contre lui, sans avoir la fantaisie de les ouvrir : mais ce Fontenelle, qui, mieux que toutes les définitions, marque le point où se touchent et se séparent l’esprit et le génie, était né sans les deux mobiles qui produisent les grandes actions et les grandes fautes : je veux dire l’imagination et la sensibilité.

Il ne faut pas croire Pope méchant, parce qu’il a porté trop loin le plaisir de la vengeance : ses lettres, dont les éditeurs auraient dû faire un choix, au lieu de les recueillir en si grand nombre, prouvent qu’il possédait toutes les vertus sociales ; celles d’un bon fils, d’un bon ami, d’un bon citoyen. Il fut chéri des hommes les plus illustres et les plus estimables de l’Angleterre ; jamais, dans ses confidences familières, il n’expose une philosophie contraire à celle de l’Essai sur l’Homme. Ses principes sont invariables : on voit q’il ne faisait consister le vrai bonheur que dans le repos et dans les plaisirs domestiques. Celui de tous ses ouvrages dont il s’applaudissait le plus, était un jardin champêtre, qu’il avait embelli lui-même : c’est là qu’il venait oublier les illusions de la gloire et les tourments de la célébrité sous des arbres plantés de ses mains, et près d’une fontaine décorée de quelques vers simples adressés au Sommeil. Les trois dernières années de sa vie ne furent qu’une longue souffrance : il s’occupa de tous les apprêts de sa mort avec le calme d’un homme de bien. Il n’oublia dans son testament aucune des personnes dont l’attachement lui était connu. Ainsi, peu content de léguer sa renommée à la postérité, il eut l’ambition plus douce de vivre dans le cœur de ses amis.

Sa Boucle de Cheveux enlevée atteste sa galanterie et les grâces de son imagination ; mais il ne faut pas la comparer au Lutrin, ce chef-d’œuvre de la versification française. Pope semble avoir manqué de cette invention qui conduit la machine d’un poème ou une action dramatique : il a laissé une comédie indigne de lui.

L’épitre d’Héloïse est assez connue par la version de Colardeau, qui n’a pas égale l’original, quoiqu’il ait mis dans ses vers la mélodie la plus douce et le sentiment le plus aimable. Cette épître est peut-être supérieure à toutes les héroïdes de l’ingénieux Ovide : il est vrai que l’antiquité ne pouvait lui fournir ce spectacle si touchant des combats de la religion et de l’amour. Les personnages de la mythologie, dont il fait parler les feintes douleurs, sont bien froids auprès d’Héloïse. Toutes les illusions poétiques qui les environnent ne peuvent égaler le charme attaché au souvenir de cette femme célèbre, qui nous a transmis, dans des lettres authentiques, sa tendresse et ses infortunes : jamais l’ivresse de l’amour ne fut mieux peinte que dans ces lettres et dans les belles pages de la Nouvelle Héloïse. Aussi n’est-il point d’amant, né avec quelque imagination, qui ne donne à sa maîtresse le nom d’Héloïse ou de Julie.

Les églogues sur les quatre saisons ne sont que de faibles copies de Théocrite et de Virgile. Le poëme de la Forêt de Windsor présente une grande variété de tableaux descriptifs, où respire un amour vrai de la campagne : il a d’ailleurs un grand mérite pour les Anglais, c’est de peindre les beautés du site, et de retracer les faits célèbres dont il fut le théâtre. Windsor est environné de châteaux riants et d’habitations champêtres, où les riches propriétaires de Londres viennent reposer loin du tumulte des affaires. Pope est relu tous les printemps sous la même forêt qu’il a chantée.

Le Temple de la Renommée, dont le plan est vague, offre des images brillantes et poétiques. L’ode sur sainte Cécile, qui renferme des strophes harmonieuses, n’est point comparable à celle de Dryden.

Les morceaux traduits d’Horace, de Virgile, d’Ovide, de Lucain, méritent d’être lus : ils donnent un exemple utile aux jeunes gens, celui d’un grand poëte qui s’essaie et se perfectionné dans l’étude des modèles antiques.

La traduction d’Homère exige de plus longues remarques. Ce fut l’ouvrage qui lui procura le plus de renommée, de fortune et de persécution. Le discours qui le précède a reçu des éloges ; il renferme des réflexions judicieuses : mais sont-elles assez profondes ? ne se perdent-elles pas sous, un entassement de métaphores et de figures peu convenables au genre d’une dissertation ? Ne vaut-il pas mieux exprimer un jugement précis dans une prose claire et sage, que de multiplier ces comparaisons qui cachent souvent le vide ou la fausseté des idées ? Si pourtant il est permis de prodiguer les images, c’est en écrivant sur Homère, cet inventeur des belles fictions. Son génie règne depuis plus de deux mille ans sur la littérature de tous les peuples polis. Ses plus illustres rivaux n’ont osé s’élever un trône qu’à l’ombre du sien. Il nous fait communiquer avec les âges les plus reculés : il en est le peintre le plus fidèle ; car le tableau des mœurs qu’il trace avec tant de vérité, nous instruit mieux que les récits douteux les historiens du premier âge. Son poème est une des grandes époques de l’antiquité. L’obscurité des temps qui le précèdent sert encore sa gloire, en persuadant à l’imagination qu’il a créé les plus beaux des arts, fiers de le citer pour leur premier modèle. Chacun de ses vers a produit des volumes de commentaires. Ses détracteurs et ses enthousiastes ont prodigué les blasphèmes et les cris d’admiration. Cependant il serait possible qu’Homère, qui occupa pendant vingt siècles toutes les voix de la renommée, ne fût pas encore jugé. Les questions souvent ramenées dans la littérature ne sont pas toujours celles sur qui l’on a rassemblé le plus de lumières ; elles attendent un bon critique pour les examiner et les résoudre..

Quoi qu’il en soit, Pope, en traduisant Homère, l’a fait mieux connaître que toutes les discussions ; il l’égale dans la partie descriptive : il ne reproduit pas : aussi bien les beautés naïves du père de la poésie. L’esprit de Pope, formé de l’esprit des siècles éclairés, n’était pas disposé peut-être à rendre facilement la simplicité des temps antiques. Je crois qu’il eût encore mieux lutté contre Virgile que contre Homère. Ce n’est pas que le poëte romain ne soit aussi près de la nature ; mais ses beautés sont plus savantes, et son style laisse plus apercevoir les combinaisons du travail et de l’art. S’il était possible qu’un philosophe ignorât tous les événements écoulés entre Homère et Virgile, et qu’il lût pour la première fois l’Iliade et l’Énéide, il remarquerait sans peine, de l’un à l’autre, la différence des époques et les progrès de la société.

Pope a traduit Homère avec la confiance d’un homme supérieur, sûr d’embellir ou d’égaler son auteur par des corrections ou des changements. Je n’avais pas les mêmes raisons de me permettre les mêmes licences. J’ai donc copié l’Essai sur l’Homme avec l’exactitude la plus scrupuleuse. Je dois rendre compte des principes que j’ai suivis.

l’ai cherché d’abord quels avaient été ceux de Pope : j’ai vu qu’il s’efforçait de réunir la plus grande étendue de pensée à la plus grande brièveté d’expression. L’allonger, c’était le défigurer entièrement. Mais s’il fallait conserver la précision, il fallait surtout suivre la marche des idées. L’enchaînement des principes de Pope ressemble, en quelque sorte, au système qu’il établit dans l’univers, quand il dit qu’un seul anneau brisé entraînerait la ruine universelle. J’ai donc marqué toutes les liaisons, imité toutes les formes, saisi tous les mouvements. Ceux qui entendent la langue de Pope verront que, si son talent disparaît dans mes vers, le caractère de sa philosophie s’y retrace fidèlement.

J’ai déjà parlé de son style : d’après les défauts que je lui ai reprochés, on sent que j’ai essayé d’y répandre de la mollesse et de la facilité. Presque tous ses couplets se terminent par une harmonie symétrique, et des sons toujours réguliers ramènent des sens toujours complets. J’ai tenté de varier le rhythme, de suspendre, de réunir et de détacher les vers tour à tour. Les termes techniques consacrés aux objets de la philosophie reviennent souvent dans l’Essai sur l’Homme : un semblable poème en permet l’usage, et non l’abus. Je n’ai pu me donner à cet égard la liberté des poëtes anglais, qui bravent toutes les lois ; persuadé, comme je le suis, qu’on ne peut trop orner les idées abstraites d’expressions sensibles et lumineuses.

La version de l’abbé du Resnel obtint, quand elle parut, une réputation qui ne s’est pas soutenue chez les véritables gens de lettres. La force resserrée de Pope y disparaît trop souvent sous la faiblesse diffuse[11]. Cependant, l’abbé du Resnel a quelquefois de l’élégance ; on trouve des morceaux estimables dans son ouvrage : j’en ai cité quelques vers dans les notes qui accompagnent chaque épitre. On voit qu’il n’écrivait point encore à l’époque de la corruption. Il a mieux réussi dans l’Essai sur la Critique : les vers sur l’harmonie imitative, et quelques autres, sont restés dans la mémoire des amateurs.

Il existe une autre traduction manuscrite de l’Essai sur l’Homme : je veux parler de celle de M. l’abbé Delille. Ce n’est point pour lutter contre lui que j’ai pris le même modèle. J’avais commencé quelques chants d’un poëme dans le genre de Lucrèce et de Pope. Je fis le projet de traduire l’un ou l’autre, pour essayer mon faible talent. Pope, moins long, était plus adapté au goût de mon siècle et de ma nation : je fus bientôt décidé. La malignité peut-être cherchera d’autres raisons de ce choix : je désavoue d’avance toutes celles qu’elle me prêtera.

Je ne connais point la traduction de M. l’abbé Delille : je n’ai jamais eu que le plaisir d’entendre quelques vers de sa troisième épître, au Collège royal, et une cinquantaine de sa première chez un ami commun. Je lus aussi les mêmes passages devant plusieurs personnes, et je n’eus pas l’avantage de me rencontrer une seule fois avec lui.

Plusieurs critiques, sans doute, croiront flatter M. l’abbé Delille, en s’empressant de rabaisser mon travail : je suis convaincu d’avance qu’il est loin de les approuver. Si sa traduction paraît, je serai le premier à lui rendre justice. Je souhaite, pour la gloire de Pope, qu’il ait un interprète digne de lui.


fin du discours préliminaire.
  1. On sait que Platon n’a fait souvent que copier les prêtres d’Égypte et les philosophes grecs qui l’avaient précédé.
  2. Cette dernière idée, très conforme au dogme de la chute de l’homme, se trouve dans la quatrième épître. Au reste, le docteur Warburton a si bien justifié la doctrine de Pope, que j’y renvoie mes lecteurs.
  3. Aratus avait écrit sur l’astronomie et sur quelques parties de la morale.
  4. Voyez les Mercures de 1779.
  5. Entre autres, M. d’Alembert. Voyez ses Mélanges de Littérature et de Philosophie.
  6. On me dira sans doute que j’oublie les auteurs du Roland et de la Jérusalem délivrée : mais l’Arioste et le Tasse, que le mérite de l’invention met au-dessus de ce grand satirique, et qui donnèrent à la poésie tant de séduction et de charme, ne sont pas des modèles de style, comme Horace et Boileau, Virgile et Racine.
  7. Voyez la Poétique de M. Marmontel.
  8. Il n’est pas inutile d’avertir qu’on ne saisit que les principaux traits de son génie, sans s’arrêter à un petit nombre d’exceptions.
  9. Comme il ne faut critiquer les grands maîtres qu’avec circonspection, j’avertis que Voltaire, dans ses Questions encyclopédiques, porte le même jugement. La meilleure satire de Boileau est la neuvième, et c’est peut-être le chef-d’œuvre du genre.
  10. Les ennemis de Pope se portèrent aux plus grands excès contre lui. Milady Montagu, dont il avait blessé légèrement l’amour-propre, ne dédaigna pas de les encourager ; elle publia même à cette occasion un libelle odieux : elle y perd tout le charme de son esprit, toutes les grâces de son sexe, toute espèce de bienséance et de jugement ; le plus vil journaliste, dans les feuilles les plus méprisées, n’a jamais vomi des injures plus atroces et plus dégoûtantes. Les femmes, extrêmes en tout, ne mesurent point assez leur vengeance pour la faire pardonner. Un pair d’Angleterre écrivit en même temps à Pope ; il crut lui enlever tout son mérite, en lui reprochant d’être bossu. L’homme de lettres, dans une réponse pleine de finesse et d’enjouement, couvrit le grand seigneur d’un ridicule immortel. Enfin la haine fabriqua le récit d’un flagellation ignominieuse, qu’on prétendait avoir fait subir à Pope. Cette plate facétie, réimprimée trop souvent, amusa quelques jours l’envie et l’oisiveté. Il serait si facile à quelques portefaix vigoureux d’insulter de la même manière César ou Turenne au sortir d’une victoire, que ce fait même, s’il était réel, ne servirait qu’à couvrir de honte les lâches scélérats qui auraient abusé de la faiblesse de Pope, toujours infirme ou valétudinaire.
  11. La traduction en prose de Silhoüette fait bien mieux connaître l’Essai sur l’Homme que les vers de l’abbé du Resnel, elle manque d’élégance ; mais elle est exacte.