Œuvres complètes (M. de Fontanes)/La Bible

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Œuvres de M. de FontanesL. Hachettetome 1 (p. 43-46).


LA BIBLE[1].


 Qui n’a relu souvent, qui n’a point admiré
Ce livre par le ciel aux Hébreux inspiré ?
Il charmait à la fois Bossuet et Racine.
L’un, éloquent vengeur de la cause divine,
Semblait, en foudroyant des dogmes criminels,
Du haut du Sinaï tonner sur les mortels ;
L’autre, de traits plus fiers ornant la tragédie,
Portait Jérusalem sur la scène agrandie.
Rousseau saisit encor la harpe de Sion,
Et son rhythme pompeux, sa noble expression
S’éleva quelquefois jusqu’au ton des prophètes.

 Imitez cet exemple, orateurs et poètes.
L’enthousiasme habite aux rives du Jourdain,
Aux sommets du Liban, sous les berceaux d’Éden.
Là, du monde naissant vous suivez les vestiges,
Et vous errez sans cesse au milieu des prodiges.
Dieu parle, l’homme nait ; après un court sommeil,

Sa modeste compagne enchante son réveil.
Déjà fuit son bonheur avec son innocence :
Le premier juste expire ; ô terreur ! ô vengeance !
Un déluge engloutit le monde criminel.
Seule, et se confiants l’œil de l’Éternel,
L’Arche domine en paix les flots du gouffre immense,
Et d’un monde nouveau conserve l’espérance.

 Patriarches fameux, chefs du peuple chéri,
Abraham et Jacob, mon regard attendri
Se plait à s’égarer sous vos paisibles tentes :
L’Orient montre encor vos traces éclatantes,
Et garde de vos mœurs la simple majesté.
Au tombeau de Rachel je m’arrête attristé,
Et tout-à-coup son fils vers l’Égypte m’appelle.
Toi qu’en vain poursuivit la haine fraternelle,
Ô Joseph, que de fois se couvrit de nos pleurs
La page attendrissante où vivent tes malheurs !
Tu n’es plus. Ô revers ! près du Nil amenées,
Les fidèles tribus gémissent enchaînées.
Jéhovah les protège, il finira leurs maux.
Quel est ce jeune enfant qui flotte sur les eaux ?
C’est lui qui des Hébreux brisera l’esclavage.
Fille des Pharaons, courez sur le rivage,
Préparez un abri, loin d’un père cruel,
À ce berceau chargé des destins d’Israël.
La mer s’ouvre : Israël chante sa délivrance.
C’est sur ce haut sommet qu’en un jour d’alliance,
Descendit avec pompe, en des torrents de feu,

Le nuage tonnant qui renfermait un Dieu.
Dirai-je la colonne et lumineuse et sombre,
Et le désert témoin des merveilles sans nombre ?
Aux murs de Gabaon le soleil arrêté ?
Ruth, Samson, Débora, la fille de Jepbté
Qui s’apprête à la mort, et parmi ses compagnes
Vierge encor, va deux mois pleurer sur les montagnes ?

 Mais les Juifs aveuglés veulent changer leurs lois ;
Le ciel, pour les punir, leur accorde des rois ;
Saül règne ; il n’est plus ; un berger le remplace :
L’espoir des nations doit sortir de sa race.
Le plus vaillant des rois du plus sage est suivi.
Accourez, accourez, descendants de Lévi !
Et du temple éternel venez marquer l’enceinte.

 Cependant dix tribus ont fui la Cité sainte.
Je renverse, en passant, les autels des faux dieux ;
Je suis le char d’Élie emporté dans les cieux ;
Tobie et Raguel m’invitent à leur table :
J’entends ces hommes saints dont la voix redoutable,
Ainsi que le passé, racontait l’avenir.
Je vois, au jour marqué, les empires finir.
Sidon, reine des eaux, tu n’es donc plus que cendre !…
Vers l’Euphrate étonné, quels cris se font entendre ?
Toi qui pleurais assis près d’un fleuve étranger,
Console-toi, Juda, tes destins vont changer.
Regarde cette main, vengeresse du crime,
Qui désigne à la mort le tyran qui t’opprime.

Bientôt Jérusalem reverra ses enfants ;
Esdras et Machabée, et ses fils triomphants,
Raniment de Sion la lumière obscurcie.
Ma course enfin s’arréte au berceau du Messie.

  1. Ce morceau, maintefois publié sous le titre de La Bible, ou les Livres Saints, ne devait être dans la pensée de M. de Fontanes que le prologue, élégamment concis, d’une imitation en vers du Livre de Job.