Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Le Rétablissement de la Statue de Henri IV

La bibliothèque libre.


LE RÉTABLISSEMENT

DE LA STATUE DE HENRI IV


ODE.


1818.


Descendez, Ombres immortelles,
Antiques Preux qui, dans Ivry,
Attachiez vos regards fidèles
Sur le panache de Henri !
Quand nos mains relèvent l’image
Où, d’un prince aimé d’âge en âge
Revivront les traits glorieux,
Partagez l’ivresse unanime ;
Venez : ce peuple magnanime
Est digne encor de ses aïeux.

Du char qui porte sa statue
Lui-même il a traîné le poids ;
Des factions l’hydre abattue
N’ose plus élever sa voix ;

Un air joyeux, cher à la France,
Redit le nom et la vaillance
Du plus aimable des héros ;
Toutes les Nymphes de la Seine,
Au Béarnais qu’on leur ramène,
Ont applaudi du sein des flots.

Son nom seul remplit ces portiques,
Ces larges ponts, ces hautes tours.
Ces palais, ces ombres antiques,
Que le fleuve admire en son cours ;
En son nom, tous les cœurs s’unissent ;
Cent mille voix qui le bénissent
Jusqu’à lui montent dans les airs,
Et de Henri l’âme charmée,
Jouissant de sa renommée,
Tressaille au bruit de nos concerts.

Dans un nuage qui le couvre,
Du haut des célestes lambris,
Son œil s’abaisse vers le Louvre :
Aux bords heureux qu’il a chéris ;
Planant de la voûte éternelle
Sur cette pompe solennelle
Que lui consacre un peuple entier,
Il prête une oreille attendrie
Au vœu que forme la Patrie
Pour sa race et son héritier.


Sur une pierre inébranlable,
Plus dure que le diamant,
Au sein d’une ombre inviolable
Dieu plaça l’autel du serment :
C’est là que sa main toujours sûre
Prête à confondre le parjure
Dont le cœur démentit la voix,
Sur une table vengeresse
À jamais grave la promesse
Que les sujets font à leurs rois.

Si l’intérêt ou le faux zèle
Affecte un langage imposteur,
Alors la Justice immortelle
Prend son glaive exterminateur ;
Des lois la barrière est franchie,
Tous les fléaux de l’anarchie
Frappent un peuple épouvanté ;
Les rois n’ont plus de privilège,
Et la révolte sacrilège
Abat leur trône ensanglanté.

Mais où va s’égarer ma lyre ?
Ô Muse ! crains de retracer
Des temps d’opprobre et de délire
Que ce beau jour doit effacer ;
Laisse dans leur ignominie
Tomber ces tyrans sans génie

Repoussés du monde et du ciel ;
Leurs noms, voués à l’anathême,
Exciteraient le dédain même
Des satellites de Cromwell.

Chante par quel heureux prodige
Les Lis, à des astres plus doux
Confiant leur royale tige,
Ont triomphé des vents jaloux ;
Un trône antique et tutélaire,
De la licence populaire
À ses pieds brise le torrent ;
L’humanité s’est rassurée,
Et la paix du monde est jurée
Dès que Louis en est garant.

Henri ! de ton âme sublime
L’Europe a rempli les souhaits ;
Emportant le code du crime
Machiavel fuit pour jamais :
La Liberté, moins imprudente,
Par une foule trop ardente
Ne voit plus son nom profané ;
Mais, prenant des rois pour arbitres,
Sans crainte elle a porté ses titres
Devant un Sénat couronné.


Partout la guerre est assoupie,
Son glaive tombe de ses mains ;
Périsse enfin l’éclat impie
De ses triomphes inhumains !
Que, sur la colonne pompeuse,
Gravant une gloire trompeuse,
Les Arts, complices de l’orgueil,
Au pieds de la Victoire altière
Ne trainent plus dans la poussière
Les rois et les peuples en deuil.

Un plus doux spectacle m’appelle :
D’une touchante majesté
La main d’un nouveau Praxitèle
Empreint ce bronze respecté ;
De la Paix gravons-y l’emblême,
Le soc fécond de Triptolème,
Des gerbes jointes en faisceaux ;
Et que Vénus, calmant la terre,
En secret, au dieu de la guerre,
Montre le nid de ses oiseaux.

Sous un pacifique trophée,
Au bas du noble monument,
Je peins la Discorde étouffée
Qui tombe et meurt en blasphémant ;
Au-dessus, par un triple hommage,
Je couronne l’auguste image

De laurier, d’olive et de fleurs ;
Héros ! voilà votre modèle :
Ce grand homme aima Gabrielle,
Et fut aimé des laboureurs.

Et vous, la honte de notre âge,
Vils Tribuns, dont l’orgueil jaloux
Des Seize a surpassé la rage,
Voyez ce bronze et cachez-vous !
Bourbon vengé reprend sa place ;
Et, si des princes de sa race
Vos cris insultent les bienfaits,
Par cet hommage qu’on lui voue,
La France entière désavoue
Et vos clameurs et vos forfaits !

Autrefois le docte Malherbe,
Fidèle au plus grand des Henris,
Des tons de sa lyre superbe
Enchanta ce fleuve surpris ;
Bientôt en des routes nouvelles
Nos muses, déployant leurs ailes,
Par lui volèrent jusqu’aux cieux ;
Horace et Pindare applaudirent,
Et de leur tombe ils répondirent
À leur rival harmonieux.

Hélas ! des Cygnes de la Seine
Qui rendra la gloire à ses bords ?
Ni le Méandre ni l’Ismène
N’ouïrent plus nobles accords.
Oh ! si leur voix jeune et féconde
Pouvait encor charmer le monde !…
Vain appel ! regrets superflus !
Les arts, les talents disparaissent ;
De Henri les beaux jours renaissent.
Et les Malherbes ne sont plus[1] !

  1. C’est ici la dernière en date des odes de Fontanes ; et nous terminons par là cette série d’odes, stances, ou petits poëmes, qui commence à la Forêt de Navarre. On remarquera combien l’unité de certains sentiments est fidèlement gardée. Le Henri IV de la Forêt de Navarre répond d’avance à cette ode finale sur la statue du bon Roi. Le sentiment exprimé dans les dernières strophes, ce doute de l’avenir littéraire, ces présages redoublés d’un déclin presque inévitable, étaient familiers à Fontanes : il y revient en plus d’un endroit, et ici en finissant, il en laisse échapper une dernière plainte. À travers ce qu’elle a d’un peu absolu et de trop rigoureux dans l’expression, cette plainte est touchante encore et fait harmonie avec le reste. Malgré ce qu’on y peut trouver d’inexactement prophétique, elle ne laisse pas d’avoir sa justesse relative de pressentiment. C’est qu’en effet Fontanes était le dernier d’une famille poétique qui se sentait finir. — On donnera maintenant les poëmes plus considérables d’étendue, et qui n’auraient pu trouver place, à leur date, dans la série des petits poëmes et des odes, sans en interrompre le fil qu’on tenait à montrer.