Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Les Embellissements de Paris

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LES

EMBELLISSEMENTS DE PARIS.


ODE.


1812.


Fille du ciel, ô Mnémosine,
Qui, dans les lieux inhabités,
Te plais à chercher la ruine
Et des palais et des cités ;
Seule, parmi de vieux décombres
De grands tombeaux, d’illustres ombres,
On te voit errer tout en pleurs ;
Et là, sur des cendres muettes,
Tu dictas souvent aux poëtes
Un chant de gloire et de douleurs.

Ô toi, dont la vaste pensée
Embrasse un si long souvenir,
Pourquoi d’une grandeur passée
Veux-tu toujours t’entretenir ?

Regrette moins ces cités fières
Qui, sous le sable et les bruyères,
Cachent leurs monuments épars ;
Console-toi ! déjà la France
A vu renaître l’espérance
D’un second règne pour les arts.

Eh quoi ! des merveilles lointaines
Le voyageur toujours épris,
À grands ffais, de Thèbe et d’Athènes
Visite les doctes débris ;
Il part, et sa ville natale
Près des chefs-d’œuvre qu’elle étale
N’a pas le droit de l’arrêter !
Beaux Arts ! il cherche vos vestiges,
Et nous qu’entourent vos prodiges,
Nous oublirions de les chanter !

Près d’un fleuve aux ondes fertiles
Assise depuis deux mille ans,
Lutèce régnait sur les villes
Par les mœurs et par les talents :
De ses murs que l’Europe admire,
Memphis, Babylone et Palmire,
N’égalent point l’immensité ;
Toutefois, l’œil qui les embrasse
Y reconnaît encor la trace
De leur grossière antiquité.


Jardins, palais, nobles portiques,
Vous rougissiez depuis longtemps
Qu’un amas de huttes gothiques
Cachât vos aspects éclatants ;
Vieux temple qui touche les nues,
Que de plus larges avenues
Montrent au loin tes doubles tours ;
Reparais, façade élégante,
Colonne où la feuille d’acanthe
S’égare en flexibles contours !

Des monuments qui rajeunissent
L’œil voit mieux l’antique beauté ;
Le quai s’étend ; des ponts unissent
Les détours du fleuve dompté ;
Ces lions, aux gueules béantes,
Versent en cascades bruyantes
L’eau qui rafraîchit nos remparts ;
Et les Naïades généreuses,
Penchant des urnes plus nombreuses
Ont accouru de toutes parts.

L’aqueduc aux savantes voûtes
Abreuve la vaste cité ;
De longs canaux par mille routes
Promènent la fécondité ;
Tel, dans une enceinte profonde,
Un grand lac, merveille du monde,

Errait aux plaines d’Osiris ;
Tel, du fond des plaines latines,
Jusqu’au sommet des sept collines
Arrivait le fleuve surpris.

Suis-je en ces temps que peint Virgile,
Alors que la fière Didon,
Encourage un peuple docile
À construire une autre Sidon ?
Dans les airs un temple s’achève ;
De la terre un palais s’élève ;
Là, se creuse un port spacieux ;
Et de Tyr la riche héritière,
En menaçant l’Afrique entière,
Porte sa tête dans les cieux.

Dressez les portes triomphales,
Taillez les marbres de Paros,
Artistes ! que vos mains rivales
Y gravent les traits d’un héros.
L’airain conquis fond et bouillonne,
Déjà s’érige la colonne
Qui redit nos travaux guerriers ;
Cédez, obélisques de Rome,
Et qu’à l’aspect d’un plus grand homme
Trajan abaisse ses lauriers !


Sont-ce là ces places désertes
Que de leurs débris entassés
Naguère encore avaient couvertes
L’airain, les marbres fracassés ?
Un peuple ingrat, en ces lieux mêmes,
Des sceptres et des diadêmes
Foulait aux pieds l’honneur flétri ;
À mes yeux sa fureur grossière
Osa traîner dans la poussière
L’image même de Henri.

Ô douleur ! le sujet fidèle
Déplore en vain ces attentats ;
Si quelque larme le décèle,
Des brigands jurent son trépas ;
Seul, à leur troupe sacrilège
Il vient, quand l’ombre le protége,
Dérober ces restes pieux,
Et les porte au toit solitaire,
Où vit le culte héréditaire
Des bons rois chers à ses aïeux.

Enfin de ce règne barbare
Loin de nous l’opprobre s’enfuit,
La main d’un grand homme répare
Ce que le crime avait détruit ;
Vainqueur des tempêtes civiles,
Il rend les pompes à nos villes,

Aux lois leur glaive tout-puissant,
Et, sous le poids de ses trophées,
De nos discordes étouffées
L’hydre se tait en frémissant.

La Victoire en habits de fête
Au bruit de l’hymne martial,
Le montre au peuple, et sur sa tête
Attache le bandeau royal ;
Les Arts épris de ses merveilles,
Sous un dais parsemé d’abeilles,
Couronnent son iront triomphant ;
Revenez, Muses et frayées,
Son aigle, aux ailes déployées,
Et vous protége et vous défend.

À sa voix marchent vers nos rives
Nos invincibles légions,
Traînant les dépouilles captives
Et l’or de trente nations.
On t’apporte, France immortelle,
Ces dieux, enfants de Praxitèle,
Le premier prix de tant d’exploits,
Et tous ces trésors du génie
Qui passeront de l’Ausonie
Chez un nouveau peuple de Rois.


Agrandis-toi, superbe Louvre,
Reçois ces dons victorieux ;
De la ruine qui te couvre
Sors et renais plus glorieux ;
De tes murs, orgueil de la Seine,
Dix rois n’ont ébauché qu’à peine
Les créneaux déjà vieillissants ;
Et, pour la gloire de notre âge,
Un seul finit ce long ouvrage
Qu’ils commencèrent trois cents ans.

Malheur à ces chantres profanes,
À ces flatteurs qui trop souvent
Des rois morts insultent les mânes
Pour louer un prince vivant !
Aux yeux de Napoléon même,
J’honorerai ton diadême,
Monarque illustre ! Ô grand Louis !
Ta gloire encor nous environne,
Et les rayons de ta couronne
Soixante ans nous ont éblouis.

Mais, si ton trône est le partage
D’un héros craint de toutes parts,
Qui joignît à ton héritage
Des Martels les sceptres épars ;
Si, changeant à son gré l’Europe,
De l’Elbe aux mers de Parthénope,

Ce héros étendit sa loi ;
Sans accuser ton ombre auguste,
Louis, permets que je sois juste
Pour un guerrier plus grand que toi.

Heureux si les muses divines
Sous lui reprenaient leur essor ;
Si des Boileaux et des Racines
À sa cour habitaient encor !
Hélas ! on a perdu leur trace ;
Des Pradons qui tiennent leur place
L’orgueil stupide s’est accru ;
Homère chantait les Achilles ;
Et nous n’avons que des Chériles,
Quand Alexandre a reparu.