Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Ode : Où vas-tu, jeune beauté ?

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ODE.


Où vas-tu, jeune Beauté ?
Bientôt Vesper va descendre ;
Dans cet asile écarté
La nuit pourra te surprendre ;
Du haut d’un tertre lointain,
J’ai vu ton pied clandestin
Se glisser sous la bruyère :
Souvent ton œil incertain
Se détournait en arrière.

Mais ton pas s’est ralenti,
Il s’arrête, et tu chancelles ;
Un bruit sourd a retenti,
Tu sens des craintes nouvelles :
Est-ce un faon qui te fait peur ?
Est-ce la voix de ta sœur
Qui t’appelle à la veillée ?
Est-ce un faune ravisseur
Qui soulève la feuillée ?

Dieux ! un jeune homme paraît,
Dans ces bois il suit ta route,
T’appelant d’un doigt discret
Au plus épais de leur voûte ;

Il s’approche, et tu souris ;
Diane sous ces abris
Dérobe son front modeste :
Un doux baiser t’est surpris,
Les bois m’ont caché le reste.

Pan, et la Terre, et Sylvain,
En ont pu voir davantage ;
Jamais ne s’égare en vain
Une nymphe de ton âge ;
Les zéphirs ont murmuré,
Philomèle a soupiré
Sa chanson mélodieuse ;
Le ciel est plus azuré,
Vénus est plus radieuse.

Nymphe aimable, ah ! ne crains pas
Que mon indiscrète lyre
Ose flétrir tes appas
En publiant ton délire ;
J’aimai : j’excuse l’amour ;
Pars sans bruit : qu’à ton retour
Nul écho ne te décèle,
Et que jusqu’au dernier jour
Ton amant te soit fidèle !

Si, perfide à ses serments,
Hélas ! il devient volage,

Du cœur je sais les tourments,
Et ma lyre les soulage ;
Je chanterai dans ces lieux :
Des pleurs mouilleront tes yeux
Au souvenir du parjure,
Mais ces pleurs délicieux
D’amour calment la blessure.