Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Élégie, XXV

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ÉLÉGIE XXV.


REINE de mes banquets que Lycoris y vienne ;
Que des fleurs de sa tête elle pare la mienne.
Pour enivrer mes sens, que le feu de ses yeux
S’unisse à la vapeur des vins délicieux.
Hâtons-nous ; l’heure fuit. Un jour inexorable,
Vénus, qui pour les dieux fit le bonheur durable,
À nos cheveux blanchis refusera des fleurs,
Et le printemps pour nous n’aura plus de couleurs.
Qu’un sein voluptueux, des lèvres demi-closes,
Respirent près de nous leur haleine de roses ;
Que Phryné sans réserve abandonne à nos yeux
De ses charmes secrets les contours gracieux.

Quand l’âge aura sur nous mis sa main flétrissante
Que pourra la beauté quoique toute-puissante ?

Nos cœurs en la voyant ne palpiteront plus.
....................
C’est alors, qu’exilé dans mon champêtre asile,
De l’antique sagesse admirateur tranquille,
Du mobile univers interrogeant la voix,
rirai de la nature étudier les lois.
Par quelle main sur soi la terre suspendue
Voit mugir autour d’elle Amphitrite étendue ;
Quel Titan foudroyé respire avec effort,
Des cavernes d’Ætna la ruine et la mort ;
Quel bras guide les cieux ; à quel ordre enchaînée,
Le soleil bienfaisant nous ramène l’année.
Quel signe aux ports lointains arrête l’étranger ;
Quel autre sur la mer conduit le passager,
Quand sa patrie absente et long-temps appelée
Lui fait tenter l’Euripe et les flots de Malée ;
Et quel, de l’abondance heureux avant-coureur,
Arme d’un aiguillon la main du laboureur.
Cependant, jouissons ; l’âge nous y convie.
Avant de la quitter, il faut user la vie :
le moment d’être sage est voisin du tombeau.

Allons, jeune homme, allons, marche ; prends ce flambeau ;
Marche, allons. Mène-moi chez ma belle maîtresse.
J’ai pour, elle aujourd’hui mille fois plus d’ivresse.
Je veux que des baisers plus doux, plus dévorans,
N’aient jamais vers le ciel tourné ses yeux mourans.