Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Idylles/L’Oaristys
L’OARISTYS,
HÉLÈNE daigna suivre un berger ravisseur
Berger comme Pâris, j’embrasse mon Hélène.
C’est trop t’énorgueillir d’une faveur si vaine.
Ah ! ces baisers si vains ne sont pas sans douceur.
Tiens ; ma bouche essuyée en a perdu la trace.
Eh bien ! d’autres baisers en vont prendre la place,
Adresse ailleurs ces vœux dont l’ardeur me poursuit :
Va, respecte une vierge.
Imprudente bergère,
Ta jeunesse te flatte ; ah ! n’en sois point si fière :
Comme un songe insensible elle s’évanouit.
Chaque âge a ses honneurs, et la saison dernière
Aux fleurs de l’oranger fait succéder son fruit.
Viens sous ces oliviers ; j’ai beaucoup à te dire.
Non ; déjà tes discours ont voulu me tenter.
Suis-moi sous ces ormeaux ; viens de grâce écouter
Les sons harmonieux que ma flûte respire :
J’ai fait pour toi des airs, je te les veux chanter ;
Déjà tout le vallon aime à les répéter.
Va, tes airs langoureux ne sauraient me séduire.
Eh quoi ! seule à Vénus penses-tu résister ?
Je suis chère à Diane ; elle me favorise.
Vénus a des liens qu’aucun pouvoir ne brise.
Diane saura bien me les faire éviter.
Berger, retiens ta main…; berger, crains ma colère.
Quoi ! tu veux fuir l’amour ! l’amour à qui jamais
Le cœur d’une beauté ne pourra se soustraire ?
Oui, je veux le braver… Ah !… si je te suis chère…
Berger…, retiens ta main…, laisse mon voile en paix.
Toi-même, hélas ! bientôt livreras ces attraits
À quelque autre berger bien moins digne de plaire.
Beaucoup m’ont demandée, et leurs désirs confus
N’obtinrent, avant toi, qu’un refus pour salaire.
Et je ne dois comme eux attendre qu’un refus.
Hélas ! l’hymen aussi n’est qu’une loi de peine ;
il n’apporte, dit-on, qu’ennuis et que douleurs.
On ne te l’a dépeint que de fausses couleurs :
Les danses et les jeux, voilà ce qu’il amène.
Une femme est esclave.
Ah ! plutôt elle est reine.
Tremble près d’un époux et n’ose lui parler.
Eh ! devant qui ton sexe est-il fait pour trembler ?
À des travaux affreux Lucine nous condamne.
Il est bien doux alors d’être chère à Diane.
Quelle beauté survit à ces rudes combats ?
Une mère y recueille une beauté nouvelle :
Des enfans adorés feront tous tes appas ;
Tu brilleras en eux d’une splendeur plus belle.
Mais, tes vœux écoutés, quel en serait le prix ?
Tout : mes troupeaux, mes bois et ma belle prairie ;
Un jardin grand et riche, une maison jolie,
Un bercail spacieux pour tes chères brebis ;
Enfin, tu me diras ce qui pourra te plaire ;
Je jure de quitter tout pour te satisfaire :
Tout pour toi sera fait aussitôt qu’entrepris.
Mon père…
Oh ! s’il n’est plus que lui qui te retienne,
Il approuvera tout dès qu’il saura mon nom.
Quelquefois il suffit que le nom seul prévienne :
Quel est ton nom ?
Daphnis ; mon père est Palémon.
Il est vrai : ta famille est égale à la mienne.
Rien n’éloigne donc plus cette douce union.
Montre-les moi ces bois qui seront mon partage.
Viens ; c’est à ces cyprès de leurs fleurs couronnés.
Restez chères brebis ; restez sous cet ombrage.
Taureaux, paissez en paix ; à celle qui m’engage
Je vais montrer les biens qui lui sont destinés.
Satvre, que fais-tu ? Quoi ! ta main ose encore…
Eh ! laisse-moi toucher ces fruits délicieux…
Et ce jeune duvet…
Berger…, au nom des dieux…
Ah :… je tremble…
Et pourquoi ? que crains-tu ? Je t’adore.
Viens.
Non ; arrête… Vois, cet humide gazon
Va souiller ma tunique, et je serais perdue ;
Mon père le verrait.
Sur la terre étendue
Saura te garantir cette épaisse toison.
Dieux ! quel est ton dessein ? Tu m’ôtes ma ceinture.
C’est un don pour Vénus ; vois, son astre nous luit.
Attends… ; si quelqu’un vient… Ah dieux ! j’entends du bruit.
C’est ce bois qui de joie et s’agite et murmure.
Tu déchires mon voile !… Où me cacher ! Hélas !
Me voilà nue ! où fuir !
À ton amant unie,
De plus riches habits couvriront tes appas.
Tu promets maintenant… Tu préviens mon envie ;
Bientôt à mes regrets tu m’abandonneras.
Oh non ! jamais… Pourquoi, grands dieux ! ne puis-je pas
Te donner et mon sang, et mon ame, et ma vie.
Ah… Daphnis ! je me meurs… Apaise ton courroux,
Diane.
Que crains-tu ? L’amour sera pour nous.
Ah ! méchant, qu’as-tu fait ?
J’ai signé ma promesse.
J’entrai fille en ce bois, et chère à ma déesse.
Tu vas en sortir femme, et chère à ton époux.
FRAGMENT.
Accours, jeune Chromis, je t’aime, et je suis belle ;
Blanche comme Diane et légère comme elle,
Comme elle grande et fière ; et les bergers, le soir,
Lorsque, les yeux baissés, je passe sans les voir,
Doutent si je ne suis qu’une simple mortelle,
Et me suivant des yeux, disent ; « Comme elle est belle !
» Néere, ne vas point te confier aux flots
» De peur d’être déesse ; et que les matelots
» N’invoquent, au milieu de la tourmente amère,
» La blanche Galathée et la blanche Néere. »