Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Poésies diverses/L’Art d‘aimer

La bibliothèque libre.

FRAGMENS D’UN POÈME SUR L’ART D’AIMER.


....................
Flore met plus d’un jour à finir une rose.
Plus d’un jour fait l’ombrage où Palès se repose ;
Et plus d’un soleil dore, au penchant des coteaux,
Les grappes de Bacchus ces rivales des eaux.
Qu’ainsi ton doux projet en silence mûrisse,
Que sous tes pas certains la route s’aplanisse.
Qu’un œil sûr te dirige, et de loin avec art
Dispose ces ressorts que l’on nomme hasard.
Mais souvent un jeune boraine, aspirant à la gloire
De venir, voir et vaincre et prôner sa victoire,
Vole et hâte l’assaut qu’il eût dû préparer.
....................
L’imprudent a voulu cueillir avant l’automne
L’espoir à peine éclos d’une riche Pomone ;

Il a coupé ses bleds quand les jeunes moissons
Ne passaient point encor les timides gazons.


Si d’un mot échappé l’outrageuse rudesse
À pu blesser l’amour et sa délicatesse,
Immobile il gémit ; songe à fout expier.
Sans honte, sans réserve, il faut s’humilier ;
Églé, tombe à genoux, bien loin de te défendre
Tu le verras soudain plus amoureux, plus tendre,
Courir et t’arrêter, et lui-même à genoux
Accuser en pleurant son injuste courroux.
Mais souvent malgré toi, sans fiel ni sans injure,
Ta bouche d’un trait vif aiguise sa piqure ;
Le trait vole, tu veux le rappeler en vain ;
Ton amant consterné dévore son chagrin :
Ou bien d’un dur refus l’inflexible constance,
De ses feux tout un jour a trompé l’espérance.
Il boude : un peu d’aigreur, un mot même douteux
Peut tourner la querelle en débat sérieux.
Ô trop heureuse alors, si, pour fuir cet orage,
Les grâces t’ont donné leur divin badinage,
Cet air humble et soumis de n’oser s’approcher,
D’avoir peur de ses yeux et de t’aller cacher,
Et de mille autres jeux l’inévitable adresse,
De mille mots plaisans l’aimable gentillesse,
Enfin tous ces détours dont le charme ingénu
Force un rire amoureux vainement retenu.

Il t’embrasse, il te tient ; plus que jamais il t’aime ;
C’est ton tour maintenant de le bouder lui-même.
Loin de s’en effrayer, il rit ; et mes secrets
L’ont instruit des moyens de ramener la paix.


QUAND Junon sur l’Ida plut au maître du monde,
Nous l’avait tenue ait cristal de son onde ;
Et sur sa peau vermeille une savante main
Fit distiller la rose et les flots de jasmin.
Cultivez vos attraits ; la plus belle nature
Veut les soins délicats d’une aimable culture.
Mais si l’usage est doux, l’abus est odieux.
Des parfums entassés l’amas fastidieux,
De la triste laideur trop impuissantes armes,
À d’indignes soupçons exposeraient vos charmes.
Que dans vos vêtemens le goût seul consulté
N’étale qu’élégance et que simplicité.
L’or ni les diamans n’embellissent les belles ;
Le goût est leur richesse ; et tout puissant comme elles
Il sait créer de rien leurs plus beaux ornemens ;
Et tout est sous ses doigts l’or et les diamans.
J’aime un sein qui palpite et soulève une gaze.
L’heureuse volupté se plaît, dans son extase,
À fouler mollement ces habits radieux
Que déploie au Cathay le ver industrieux.
Le coton mol et souple, en une trame habile,
Sur les bords indiens, pour vous prépare et file


Ce tissu transparent, ce réseau de Vulcain,
Qui, perfide et propice à l’amant incertain,
Lui semble un voile d’air, un nuage liquide,
Oit Vénus se dérobe et fuit son œil avide,


Crains que l’ennui fatal dans son cœur introduit
Puisse compter les pas de l’heure qui s’enfuit.
Il est pour la tromper un aimable artifice ;
Amuse-là des jeux qu’invente le caprice,
Lasse sa patience à mille tours malins,
Ris et de sa faiblesse et de ses cris mutins.
Tu braves tant de fois sa menace éprouvée,
Elle vole ; tu fuis ; la main déjà levée
Elle te tient, te presse ; elle va te punir.
Mais vos bouches déjà ne cherchent qu’à s’unir,
Le ciel d’un feu plus beau luit après un orages
L’amour fait à Paphos naître plus d’un nuage,
Mais c’est le souffle pur qui rend l’éclat à l’or,
Et la peine en amour est un plaisir encor,
Le hasard à ton gré n’est pas toujours docile ?
Une belle est un bien si léger, si mobile !
Souvent tes doux projets, médités à loisir,
D’avance destinaient la journée au plaisir ;
Non, elle ne veut pas. D’autres soins occupée,
Tu vois avec douleur ton attente échappée,
Surtout point de contrainte. Espère un plus beau jour,
Imprudent qui fatigue et tourmente l’amour.


Essaye avec les pleurs, les tendres doléances,
De faire à ses desseins de douces violences.
Sinon, tu vas l’aigrir ; tu te perds. La beauté,
Je te l’ai fait entendre, aime sa volonté.
Son cœur impatient, que la contrainte blesse,
Se dépite : il est dur de n’être pas maîtresse.
Prends-y garde : une fois le ramier envolé,
Dans sa cage confuse est en vain rappelé.
Cède, assieds-toi près d’elle ; et soumis avec grâce,
D’un ton un peu plus froid, sans aigreur ni menace,
Dis-lui que de tes vœux son plaisir est la loi.
Va, tu n’y perdras rien, repose-toi sur moi.
Complaisance a toujours la victoire propice.
Souvent de tes désirs l’utile sacrifice,
Comme un jeune rameau planté dans la saison,
Te rendra de doux fruits une longue moisson.


FLORE a pour les amans ses corbeilles fertiles ;
Et les fleurs, dans leurs jeux, ne sont pas inutiles.
Les fleurs vengent souvent un amant courroucé,
Qui feint sur un seul mot de paraître offensé.
Il poursuit son espiègle ; il la tient, il la presse ;
Et, fixant de ses flancs l’indocile souplesse,
D’un faisceau de bouquets en cachette apporté
Châtie, en badinant, sa coupable beauté ;
La fait taire et la gronde, et d’un maître sévère
Imite, avec amour, la plainte et la colère ;


Et négligeant ses cris, sa lutte, ses transports,
Arme le fouet léger de rapides efforts, :
Frappe et frappe sans cesse, et s’irrite et menace
Et force enfin sa bouche : à lui demander grâce.
Telle Vénus souvent, aux genoux d’Adonis,
Vit des taches de rose empreintes sur ses lis.
Tel l’amour, enchanté d’un si doux badinage,
Loin des yeux de sa mère, en un charmant rivage,
Caressait sa Psyché dans leurs jeux enfantins,
Et de lacets dorée chargeait ses belles mains.

Fontenay ! lieu qu’amour fit naître avec la rose,
J’irai (sur cet espoir mon ame se repose),
J’irai te voir, et Flore et le ciel qui te luit.
Là je contemple enfin (ma déesse m’y suit)
Sur un lit que je cueille en tes rians asiles,
Ses appas, sa pudeur, et ses fuites agiles,
Et dans la rose en feu l’albâtre confondu,
Comme un ruisseau de lait sur la pourpre étendu.


Offrons tout ce qu’on doit d’encens, d’honneurs suprêmes
Aux dieux, à la beauté plus divine qu’eux-mêmes.
Puisse aux vallons d’Hémus, ou les rocs et les bois
Admirèrent d’Orphée et suivirent la voix,
L’Hèbre ne m’avoir pas en vain donné naissance !
Les Muses avec moi vont connaître Byzance.
Et si le ciel se prête à mes efforts heureux,

De la Grèce oubliée enfant plus généreux,
Sur ses rives jadis si noblement fécondes,
Du Permesse égaré je ramène les ondes.
Pour la première fois de sa honte étonné,
Le farouche turban, jaloux et consterné,
D’un sérail oppresseur, noir séjour des alarmes,
Entendra nos accens et l’amour et vos charmes.
C’est là, non loin des flots dont l’amère rigueur
Osa ravir Sestos au nocturne nageur ;
Qu’en des jardins chéris des eaux et du zéphire,
Pour vous, rayonnant d’or, de jaspe, de porphire,
Un temple par mes mains doit s’élever un jour.
Sous vos lois j’y rassemble une superbe cour
Où de toits les climats brillent toutes les belles :
Elles règnent sur tout, et vous régnez sur elles.
Là des filles d’Indus l’essaim noble et pompeux,
Les vierges de Tamise, au cœur tendre, aux yeux bleus,
De Tibre et d’Éridan les flatteuses sirènes,
Et du blond Eurotas les touchantes Hélènes,
Et celles de Colchos, jeune et riche trésor,
Plus beau que la toison étincelante d’or,
Et celles qui du Rhin l’ornement et la gloire
Vont dans ces froids torrens baigner leurs pieds d’ivoire,
Toutes enfin ; ce bard sera tout l’univers.



L’Amour croit par l’exemple, et vit d’illusions.
Belles, étudiez ces tendres fictions
Que les poëtes saints, en leurs douces ivresses,
Inventent dans la joie aux bras de leurs maîtresses.
De tout aimable objet Jupiter enflammé ;
Et le dieu des combats par Vénus désarmé,
Quand la tête en son sein, mollement étendue,
Aux lèvres de Vénus son ame est suspendue ;
Et dans ses yeux divins oubliant les hasards,
Nourrit d’un long amour ses avides regards ;
Quels appas trop chéris mirent Pergame en cendre ;
Quelles trois déités un berger vit descendre
Qui, pour, briguer la pomme abandonnant les cieux,
De leurs charmes rivaux enivrèrent ses yeux ;
Et le sang d’Adonis, et la blanche Hyacinthe
Dont la feuille, respire une amoureuse plainte ;
Et la triste Syrinx aux mobiles roseaux,
Et Daphné de lauriers peuplant le bord des eaux ;
Herminie aux forêts révélant ses blessures,
Les grottes, de Médor confidentes parjures,
Et les ruses d’Armide, et l’amoureux repos
Oû, sur des lits de fleurs, languissent les héros ;
Et le myrte vivant aux bocages d’Alcine.
Les Grâces dont les soins ont élevé Racine
Aiment à répéter ses écrits enchanteurs,
Tendres comme leurs yeux, doux comme leurs faveurs.

Belles, ces chants divins sent nés pour voire bouche.
La lyre de Le Brun qui vous plaît et vous touche,
Tantôt de l’élégie exhale les soupirs
Tantôt au lit d’amour éveille les plaisirs.
Suivez de sa Psyché la gloire et les alarmes ;
Elle-même voulut qu’il célébrât ses charmes
Qu’amour vînt pour l’entendre ; et dans ces chants heureux
Il la trouva plus belle et redoubla ses feux.
Mon berceau n’a point vu luire un même génie :
Ma Lycoris pourtant ne sera point bannie.
Comme eux, aux traits d’amour j’abandonnai mon cœur
Et mon vers a peut-être aussi quelque douceur.