Œuvres complètes de Béranger/Chant funéraire sur la mort de mon ami Quénescourt
Pour les autres éditions de ce texte, voir Chant funéraire sur la mort de mon ami Quénescourt.
CHANT FUNÉRAIRE
Quoi ! sourd aux cris d’un long Miserere,
Sous ce drap noir, que j’asperge en silence ;
Quoi ! ce cercueil, de cierges entouré,
C’est mon ami, c’est mon ami d’enfance !
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix |
bis. |
Descendu là, sans s’appuyer sur vous,
Dans l’autre vie, il entre exempt d’alarmes.
Qu’est-il besoin que votre Dieu jaloux,
De son enfer vienne effrayer nos larmes ?
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Son âme, hélas ! trop tôt prenant l’essor,
Tel un fruit mûr qu’un jeune enfant dérobe,
Nous est ravie. Un ange aux ailes d’or
L’emporte au ciel dans le pan de sa robe.
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Modeste et bon, cet homme vertueux,
Privé des biens que l’opulence affiche,
A semblé pauvre au riche fastueux,
Et par ses dons au pauvre a semblé riche.
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Las, sur les flots, d’aller rasant le bord,
Je saluai sa demeure ignorée.
Entre, et, chez moi, dit-il, comme en un port,
Raccommodons ta voile déchirée.
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Proclamé roi de ses festins joyeux,
À son foyer je fais sécher ma lyre.
J’y vois pour moi se dérider les cieux
Et mon pays daigne enfin me sourire.
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
À mes chansons que sa joie applaudit !
Sur mes succès son cœur s’en fait accroire,
Et s’enivrant des fleurs qu’il me prédit,
Prend leur parfum pour un encens de gloire.
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Au peu d’éclat dont je brille à présent,
Ah ! qu’il ait part, et puisse à ma lumière,
Comme au flambeau que porte un ver luisant,
Long-temps son nom se lire sur la pierre b* !
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
Des hymnes saints cessez le triste accord :
Il est parti, mais pour un meilleur monde.
À mes chansons s’il peut rester encor
Dans ce cercueil un écho qui réponde,
Cessez vos chants, prêtres ; c’est à ma voix
De le bénir pour la dernière fois.
b*. Longtemps son nom se lira sur la pierre !
François Quénescourt, né à Péronne, où j’ai passé six ans de ma jeunesse, est mort à Nanterre, près Paris. J’ai reçu de lui les preuves de l’amitié la plus tendre et la plus constante. Cette chanson n’exprime qu’imparfaitement tous les services que cet ami m’a rendus. Voici l’épitaphe que je lui ai composée : qui n’a pas connu cet homme d’un extérieur si simple, d’un ton si modeste, mais dont l’esprit était si élevé, le cœur si parfait, ne peut apprécier le peu qu’il y a de mérite dans ces quatre vers où j’ai tâché de le peindre.
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Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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