Lorsqu’un patriarche, en dormant,
Vit la plus longue des échelles,
Où, de crainte d’user leurs ailes,
Les anges montaient lestement
Jusqu’aux portes du firmament ;
Il vit ses fils, quelqu’un l’assure,
Sur l’échelle aussi se hisser,
Croyant qu’au ciel on fait l’usure.
Grand dieu ! le pied va leur glisser !
De ce cri du fils d’Isaac
Sa race ne tient aucun compte.
À l’échelle chaque Hébreu monte,
Fraudant eau-de-vie et tabac,
Des écus rognés dans un sac.
Chargés de bijoux et de traites,
Ils vont d’abord, pour commercer,
Aux anges vendre des lorgnettes.
Grand dieu ! le pied va leur glisser !
Mais Jacob en voit deux ou trois
Dont nos désastres font la gloire.
Un page leur tient l’écritoire ;
Ils ont des titres, et, je crois,
Des crachats et même des croix.
Riches de l’or de cent provinces,
Sur leur coffre ils ont fait tracer :
« Mont-de-piété pour les princes. »
Grand dieu ! le pied va leur glisser !
« Ah ! dit Jacob, des fils si chers
« Prouvent que Dieu tient sa promesse.
« Seuls ils font la hausse et la baisse,
« Ont seuls tous les emprunts ouverts ;
« Mes fils règnent sur l’univers.
« C’est la peste à qui rien n’échappe ;
« Voyez dix rois les caresser.
« Ils se font bénir par le pape g.
« Grand dieu ! le pied va leur glisser !
« Qui les suit ? c’est un cordon bleu
« Qu’en frère chacun d’eux embrasse.
« Cet homme est-il bien de ma race ?
« Son trois pour cent le prouve un peu,
« Mais sandis ! n’est pas de l’hébreu h.
« À mes fils comme il se cramponne !
« Quoi ! pour voir le Jourdain hausser
« Ils ont assuré la Garonne !
« Grand dieu ! le pied va leur glisser ! »
Tandis qu’il les voit à grands pas
Sur l’échelle élever leur course,
Vient Satan qui crie : « À la Bourse !
« Messieurs, on craint de grands débats. »
Bien vite ils regardent en bas.
La tête tourne à la séquelle
Dont l’orgueil est si haut placé :
Le diable a secoué l’échelle.
Grand dieu ! le pied leur a glissé !