Œuvres complètes de Béranger/La Pauvre Femme
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LA PAUVRE FEMME
Il neige, il neige, et là, devant l’église,
Une vieille prie à genoux.
Sous ses haillons où s’engouffre la bise,
C’est du pain qu’elle attend de nous.
Seule, à tâtons, au parvis Notre-Dame,
Elle vient hiver comme été.
Elle est aveugle, hélas ! la pauvre femme.
Ah ! faisons-lui la charité.
Savez-vous bien ce que fut cette vieille
Au teint hâve, aux traits amaigris ?
D’un grand spectacle, autrefois la merveille,
Ses chants ravissaient tout Paris.
Les jeunes gens, dans le rire ou les larmes,
S’exaltaient devant sa beauté.
Tous, ils ont dû des rêves à ses charmes.
Ah ! faisons-lui la charité.
Combien de fois, s’éloignant du théâtre,
Au pas pressé de ses chevaux,
Elle entendit une foule idolâtre
La poursuivre de ses bravos !
Pour l’enlever au char qui la transporte.
Pour la rendre à la volupté,
Que de rivaux l’attendent à sa porte !
Ah ! faisons-lui la charité.
Quand tous les arts lui tressaient des couronnes,
Qu’elle avait un pompeux séjour !
Que de cristaux, de bronzes, de colonnes !
Tributs de l’amour à l’amour.
Dans ses banquets, que de muses fidèles
Au vin de sa prospérité !
Tous les palais ont leurs nids d’hirondelles.
Ah ! faisons-lui la charité.
Revers affreux ! un jour la maladie
Éteint ses yeux, brise sa voix ;
Et bientôt seule et pauvre, elle mendie
Où, depuis vingt ans, je la vois.
Aucune main n’eut mieux l’art de répandre
Plus d’or, avec plus de bonté,
Que cette main qu’elle hésite à nous tendre.
Ah ! faisons-lui la charité.
Le froid redouble, ô douleur ! ô misère !
Tous ses membres sont engourdis.
Ses doigts ont peine à tenir le rosaire
Qui l’eût fait sourire jadis.
Sous tant de maux, si son cœur tendre encore
Peut se nourrir de piété ;
Pour qu’il ait foi dans le ciel qu’elle implore,
Ah ! faisons-lui la charité.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
LA PAUVRE FEMME.
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