Œuvres complètes de Béranger/Le Cardinal et le Chansonnier
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LE CARDINAL
ET LE CHANSONNIER
Quel beau mandement vous nous faites g !
Prélat, il me comble d’honneur !
Vous lisez donc mes chansonnettes ?
Ah ! je vous y prends, Monseigneur. (bis.)
Entre deux vins, souvent ma muse
Perdit son bandeau virginal.
Petit péché, si son ivresse amuse.
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
Çà, que vous semble de Lisette
Qui dicta mes chants les plus doux ?
Vous vous signez sous la barrette !
Lise a vieilli ; rassurez-vous.
Des jésuites elle raffole h ;
Et priant Dieu tant bien que mal,
Pour leurs enfants Lise tient une école.
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
À chaque vers patriotique i,
Je vous vois me faire un procès.
Tout prélat se croit hérétique
Qui chez nous a le cœur français.
Sans y moissonner, moi, pauvre homme,
J’aime avant tout le sol natal,
J’y tiens autant que vous tenez à Rome.
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
Puisque vous fredonnez mes rimes,
Vous grand lévite ultramontain,
N’y trouvez-vous pas des maximes
Dignes du bon Samaritain j ?
D’huile et de baume les mains pleines,
Il eût rougi d’aigrir le mal.
Ah ! d’un captif il n’eût vu que les chaînes.
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
Enfin, avouez qu’en mon livre
Dieu brille à travers ma gaîté.
Je crois qu’il nous regarde vivre ;
Qu’il a béni ma pauvreté.
Sous les verroux, sa voix m’inspire
Un appel à son tribunal.
Des grands du monde elle m’enseigne à rire.
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
Au fond vous avez l’âme bonne.
Pardonnez à l’homme de bien,
Monseigneur, pour qu’il vous pardonne
Votre mandement peu chrétien.
Mais au Conclave on met la nappe k,
Partez pour Rome à ce signal.
Le Saint-Esprit fasse de vous un pape !
Qu’en dites-vous, monsieur le Cardinal ?
g. Quel beau mandement vous nous faites !
En mars 1829, M. de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, publia un mandement pour le carême, où, dans une attaque aux lumières du siècle, il faisait une longue sortie contre moi et mes chansons, en félicitant toutefois les juges du châtiment qu’ils m’avaient infligé. C’est à la Force que j’ai eu le plaisir de lire ce morceau d’éloquence très catholique, mais peu chrétienne.
En répondant à cette Éminence, morte depuis, ne j’ai oublié ni son grand âge ni sa position sociale.
M. de Clermont-Tonnerre n’est pas le seul évêque qui m’ait honoré de son charitable souvenir ; celui de Meaux, dans un mandement de même date, a lancé aussi contre moi les foudres de son éloquence, qui heureusement n’est pas celle de Bossuet.
h. Des jésuites elle raffole.
On sait combien M. de Clermont-Tonnerre tenait aux jésuites, et l’on connaît ses protestations contre les ordonnances relatives à l’instruction publique.
i. À chaque vers patriotique.
Le titre de poète national, qu’on veut bien me donner quelquefois, choquait particulièrement le prince de l’Église romaine.
j. Dignes du bon Samaritain ?
Dans l’évangile du bon Samaritain, un prêtre et un lévite passent d’abord auprès de l’homme expirant, sans lui porter secours. Pourtant Jésus-Christ ne dit point qu’ils insultent à son malheur. Mais c’est un hérétique qui lave et panse les blessures du moribond.
k. Mais au conclave on met la nappe.
Léon XII venait de mourir, le conclave s’assemblait, et l’archevêque de Toulouse se mettait en route pour Rome.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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