Œuvres complètes de Béranger/Le Juge de Charenton
Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Juge de Charenton.
LE JUGE DE CHARENTON[1]
Un maître fou qui, dit-on,
Fit jadis mainte fredaine,
Des loges de Charenton
S’est enfui l’autre semaine.
Chez un juge qui griffonnait,
Il arrive et prend simarre et bonnet,
Puis à l’audience, hors d’haleine,
Il entre et soudain dit : Préchi ! Précha !
Et patati, et patata.
Prêtons bien l’oreille à ce discours-là.
« L’Esprit saint soutient ma voix,
« Et les accusés vont rire ;
« Moi, l’interprète des lois,
« J’en viens faire la satire.
« Nous les tenons d’un impudent
« Qui, pour s’amuser, me fit président.
« J’ai long-temps vanté son empire,
« Mais j’étais alors payé pour cela. »
Et patati, et patata.
Pouvait-on s’attendre à ce discours-là ?
« Le drame et Galimafré
« Corrompent nos cuisinières.
« En frac on voit un curé,
« Et nos enfants ont trois pères.
« Le mariage est un loyer :
« On entre en octobre, on sort en janvier.
« Les cachemires adultères
« Nous donnent la peste, et ma femme en a. »
Et patati, et patata.
Il a mis de tout dans ce discours-là.
« Pour débaucher un mari
« Que les filles ont d’adresse !
« Sous Madame Dubarri
« Elles allaient à confesse.
« Ah ! Qu’enfin (et le terme est clair),
« L’épouse et l’époux ne soient qu’une chair ;
« Et vous, qui nous tentez sans cesse,
« Filles, respectez l’habit que voilà. »
Et patati, et patata.
Rien n’est plus moral que ce discours-là.
« Mais triste effet du typhus,
« Au lieu d’église on élève
« Le temple du dieu Plutus,
« Qui sera beau s’il s’achève.
« Partout règnent les intrigants,
« On n’interdit plus les extravagants :
« Ce dernier point n’est pas un rêve,
« Puisqu’en robe ici je dis tout cela. »
Et patati, et patata.
On trouve du bon dans ce discours-là.
Il poursuivait sur ce ton,
Quand deux bisets, sous les armes,
Ramènent à Charenton
Cet orateur plein de charmes.
Néanmoins l’avocat Bêlant
S’écrie : Ah ! les fous ont bien du talent !
J’ai fait rire et verser des larmes ;
Mais je n’ai rien dit qui valût cela.
Et patati, et patata.
C’est moi qu’on sifflait sans ce discours-là.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut
- ↑ Il n’y a point de mauvais discours que ne puisse faire oublier une action généreuse ; et rien n’est plus honorable, selon moi, que la protection accordée à des infortunés placés sous le poids d’une accusation capitale. Aussi je n’aurais pas reproduit ici cette chanson, sans l’espèce de scandale que, lors de son apparition, elle causa jusque dans les deux Chambres. Mais je ne puis m’empêcher d’avouer que, si j’avais pu la condamner à l’oubli, qu’elle mérite sans doute, j’en aurais toujours regretté le dernier couplet. (Note de 1821.*)
* À l’époque où cette note fut publiée, M. Bellart était encore procureur général.