Œuvres complètes de Béranger/Les Esclaves gaulois
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LES ESCLAVES GAULOIS
D’anciens Gaulois, pauvres esclaves,
Un soir qu’autour d’eux tout dormait,
Levaient la dîme sur les caves
Du maître qui les opprimait.
Leur gaîté s’éveille :
« Ah ! dit l’un d’eux, nous faisons des jaloux.
« L’esclave est roi quand le maître sommeille.
« Enivrons-nous ! (4 fois.)
« Amis, ce vin par notre maître
« Fut confisqué sur des Gaulois
« Bannis du sol qui les vit naître
« Le jour même où mouraient nos lois.
« Sur nos fers qu’il rouille
« Le Temps écrit l’âge d’un vin si doux.
« Des malheureux partageons la dépouille.
« Enivrons-nous !
« Savez-vous où gît l’humble pierre
« Des guerriers morts de notre temps ?
« Là plus d’épouses en prière,
« Là plus de fleurs, même au printemps.
« La lyre attendrie
« Ne redit plus leurs noms effacés tous.
« Nargue du sot qui meurt pour la patrie !
« Enivrons-nous !
« La Liberté conspire encore
« Avec des restes de vertu ;
« Elle nous dit : Voici l’aurore ;
« Peuple, toujours dormiras-tu ?
« Déité qu’on vante,
« Recrute ailleurs des martyrs et des fous.
« L’or te corrompt, la gloire t’épouvante.
« Enivrons-nous !
« Oui, toute espérance est bannie ;
« Ne comptons plus les maux soufferts.
« Le marteau de la tyrannie
« Sur les autels rive nos fers.
« Au monde en tutèle,
« Dieux tout-puissants, quel exemple offrez-vous !
« Au char des rois un prêtre vous attelle.
« Enivrons-nous !
« Rions des dieux, sifflons les sages,
« Flattons nos maîtres absolus.
« Donnons-leur nos fils pour otages :
« On vit de honte, on n’en meurt plus.
« Le Plaisir nous venge ;
« Sur nous du Sort il fait glisser les coups.
« Traînons gaîment nos chaînes dans la fange.
« Enivrons-nous ! »
Le maître entend leurs chants d’ivresse ;
Il crie à des valets : « Courez !
« Qu’un fouet dissipe l’allégresse
« De ces Gaulois dégénérés. »
Du tyran qui gronde
Prêts à subir la sentence à genoux,
Pauvres Gaulois, sous qui trembla le monde,
Enivrons-nous !
ENVOI.
Cher Manuel, dans un autre âge
Aurais-je peint nos tristes jours ?
Ton éloquence et ton courage
Nous ont trouvés ingrats et sourds ;
Mais pour la patrie
Ta vertu brave et périls et dégoûts,
Et plaint encor l’insensé qui s’écrie :
Enivrons-nous !
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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