Œuvres complètes de Béranger/Les Fous

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LES FOUS


Air : Ce magistrat irréprochable (Air noté )


Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous,
Si des rangs sortent quelques hommes,
Tous nous crions : À bas les fous !
On les persécute, on les tue ;
Sauf, après un lent examen,
À leur dresser une statue,
Pour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux !
Les sots la traitent d’insensée ;
Le sage lui dit : Cachez-vous.
Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain,
L’épouse ; elle devient féconde
Pour le bonheur du genre humain.

J’ai vu Saint-Simon le prophète m*,
Riche d’abord, puis endetté,
Qui des fondements jusqu’au faîte
Refaisait la société.
Plein de son œuvre commencée,
Vieux, pour elle il tendait la main,

Sûr qu’il embrassait la pensée
Qui doit sauver le genre humain.

Fourier n* nous dit : Sors de la fange,
Peuple en proie aux déceptions !
Travaille, groupé par phalange,
Dans un cercle d’attractions.
La terre, après tant de désastres,
Forme avec le ciel un hymen,
Et la loi qui régit les astres
Donne la paix au genre humain !

Enfantin affranchit la femme,
L’appelle à partager nos droits.
Fi ! dites-vous ; sous l’épigramme
Ces fous rêveurs tombent tous trois.
Messieurs, lorsqu’en vain notre sphère
Du bonheur cherche le chemin,
Honneur au fou qui ferait faire
Un rêve heureux au genre humain !

Qui découvrit un nouveau monde ?
Un fou qu’on raillait en tout lieu.
Sur la croix que son sang inonde
Un fou qui meurt nous lègue un Dieu.
Si demain, oubliant d’éclore,
Le jour manquait, eh bien ! demain,
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain.




m*. J’ai vu Saint-Simon le prophète,

Le comte Henri de Saint-Simon naquit au château de Berny, à quelques lieues de Péronne. Il fit partie des jeunes Français qui, à l’imitation de Lafayette, coururent en Amérique prendre part à la guerre de l’indépendance. Rentré en France, il prit du service, mais s’en dégoûta bientôt. La Révolution le remplit d’enthousiasme. Ayant obtenu quelques bénéfices par des acquisitions de bien nationaux, il consacra sa nouvelle fortune aux sciences, qu’il se mit à étudier avec toute l’ardeur d’un jeune homme. Il fit plus pour elles, car il prodigua à des capacités naissantes les secours nécessaires à leur développement. Sa bourse fut bien vite épuisée ; il se vit obligé, sous l’empire, d’accepter pour vivre le plus mince emploi dans une administration publique. La réforme sociale ne l’en occupait pas moins, et il publia différents essais remplis d’idées originales qui toutes attestent son amour de l’humanité. La publication de sa Parabole, admirable résumé d’un système nouveau d’ordre social, l’exposa, sous la restauration, à des poursuites judiciaires, qui ne servirent qu’à prouver la force de sa conviction. Il échappa à la condamnation, qu’il eût pu désirer.

En lutte continuelle avec la pauvreté, déçu dans les espérances que lui avaient données ceux dont le concours était nécessaire au triomphe de ses doctrines, le dégoût s’empara de son âme, et il tenta de se donner la mort. Le coup de pistolet qu’il se tira lui creva un œil, et ne fit qu’ajouter de nouvelles souffrances à celles dont il était déjà accablé. Ses pensées acquirent alors une tendance religieuse, et il publia son Nouveau Christianisme en 1825.

Saint-Simon mourut l’année suivante entre les bras de M. Rodrigues, dont les soins ont seuls préservé sa fin de toutes les horreurs de la misère.

Il nous manque une histoire consciencieusement faite de ce philosophe, dont le nom a eu après sa mort un retentissement qu’il n’avait sans doute pas prévu.

n*. Fourier nous dit : Sors de la fange.

M. Charles Fourier, auteur du Nouveau monde industriel, de la Théorie des mouvements et de la découverte du Procédé d’industrie sociétaire.

Le système de l’association n’a jamais été exploré avec plus de puissance que par ce philosophe théoricien, qui fait de l’attraction passionnée la base de son code social. M. Jules Lechevalier, dans un cours public, a expliqué et propagé les idées de M. C. Fourier, et sans lui peut-être ne saurions-nous pas bien encore ce que l’inventeur avait entendu par phalanstère, groupe, fonctions attrayantes, etc.

M. Baudet du Lary tente une application partielle de ce système dans le département de Seine-et-Oise.



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LES FOUS.

Air : Ce magistrat irréprochable.
No 304.



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  c b~ b4 r8 g g g 
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Vieux sol -- dats de plomb que nous som -- mes
Au cor -- deau nous a -- li -- gnant tous
Si des rangs sor -- tent quel -- ques hom -- mes
Tous nous cri -- ons à bas les fous
Tous nous cri -- ons à bas les fous
On les per -- sé -- cute on les tu -- e
Sauf a -- près un lent e -- xa -- men
À leur dres -- ser u -- ne sta -- tu -- e
Pour la gloi -- re du genre hu -- main
À leur dres -- ser u -- ne sta -- tu -- e
Pour la gloi -- re du genre hu -- main
Pour la gloi -- re du genre hu -- main.
}

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