Air : Donnez-vous la peine d’attendre (Air noté ♫)
D’un saint de paroisse en crédit,
Seul un soir je baisais la châsse.
Vient un bon vieillard qui me dit :
Veux-tu qu’il parle ? Oh ! oui, de grâce.
Oui, dis-je ; et me voilà béant ;
Voilà qu’il fait des croix magiques ;
Voilà le saint sur son séant,
Qui dit, d’un ton de mécréant :
« Dévots, baisez donc mes reliques ;
« Baisez, baisez donc mes reliques. »
Il rit, ce squelette incivil,
Il rit à s’en tenir les côtes.
« Depuis huit siècles, poursuit-il,
« Je grille en enfer pour mes fautes ;
« Mais un prêtre au nez bourgeonné,
« Pour mieux dîmer sur ses pratiques,
« Par un tour bien imaginé,
« Fit un saint des os d’un damné.
« Dévots, baisez donc mes reliques ;
« Baisez, baisez donc mes reliques.
« De mon temps, je fus bateleur,
« Ribaud, filou, témoin à gage.
« Puis, en grand m’étant fait voleur,
« J’eus d’un baron mœurs et langage.
« De leurs châsses, dans mes larcins,
« J’ai dépouillé des basiliques.
« Au feu, j’ai jeté de bons saints.
« Du ciel admirez les desseins.
« Dévots, baisez donc mes reliques ;
« Baisez, baisez donc mes reliques.
« Baisez, sous ce dais de velours,
« La sainte qu’on priera dimanche.
« C’est une Juive, mes amours,
« Dont l’œil fut noir et la peau blanche.
« Grâce à ses charmes réprouvés,
« Dix prélats sont morts hérétiques ;
« Vingt moines sont morts énervés.
« Trouvez mieux si vous le pouvez.
« Dévots, baisez donc ses reliques ;
« Baisez, baisez donc ses reliques.
« Près d’elle est un vieux crâne étroit ;
« Baisez ce saint d’une autre espèce.
« Jadis de larron maladroit,
« Il devint bourreau plein d’adresse.
« Nos rois, pour se bien divertir,
« L’occupaient aux fêtes publiques.
« Hélas ! je lui dois, sans mentir,
« L’honneur de passer pour martyr.
« Dévots, baisez donc ses reliques ;
« Baisez, baisez donc ses reliques.
« Sous les noms de pieux patrons,
« Ainsi nos corps, mis en spectacle,
« Font pleuvoir l’argent dans les troncs ;
« C’est là notre plus grand miracle.
« Mais du diable j’entends le cor.
« Bonsoir, messieurs les catholiques. »
Il se recouche, et vole encor
Sur l’autel un crucifix d’or.
Dévots, baisez donc des reliques !
Baisez, baisez donc des reliques !