Œuvres complètes de Berquin – Tome 14 – Discours sur la Romance

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Œuvres complètes de Berquin – Tome XIV
Idylles, romances, et autres poésies de Berquin.
Discours sur la Romance



La première pièce de vers connue en notre langue, est la romance de Roland, que les soldats de Charlemagne avoient coutume de chanter en marchant au combat. Ce témoignage d’antiquité, porté en faveur de la Romance par toutes nos vieilles chroniques, nous montre en même temps quel fut sort premier caractère. Née au milieu d’un peuple qui ne respiroit que la guerre, elle vit son enfance toute consacrée aux chants guerriers. Le régime féodal, formant à nos grands vassaux de la couronne de petits états qu’ils s’efforçoient d’agrandir par des usurpations continuelles, lui conserva pendant quelque temps ce caractère belliqueux. Bientôt l’équilibre qui s’établit peu à peu entre les forces de ces petits souverains, à la place de la rivalité d’ambition, eu produisit une de plaisirs et de magnificence. Les châteaux ne furent plus seulement des forteresses ; ils devinrent des cours brillantes où l’institution de la chevalerie porta les délicatesses de la galanterie la plus raffinée. La Romance fut alors contrainte d’adoucir un peu son humeur martiale, et de prendre ce ton amoureux et poli qui régnoit dans toutes les sociétés. Ce fut le moment de son plus beau triomphe. Portée par les troubadours provençaux dans toutes les cours de l’Europe, elle en devint l’amusement favori. Les nobles amours des chevaliers, leurs prouesses dans les joutes et dans les combats ; les aventures des dames outragées qui réclamoient leurs secours, lui fournissoient un mélange heureux des peintures les plus intéressantes. Les poètes romanciers, voyageant de contrée en contrée comme les Arion, les Orphée et les Simonide, recevoient par-tout l’accueil le plus distingué. Leur passage dans les cours étoit signalé par des fêtes si brillantes, que les grands eux-mêmes devinrent jaloux des honneurs qu’ils leur rendoient. La plupart ne voulurent plus confier qu’à leurs propres talens le renom de leur bravoure, de la beauté de leurs maîtresses, et de la magnificence de leurs palais. Ce goût, une fois adopté par les princes, passa bientôt, selon l’usage aux derniers de leurs vassaux. La Romance fut insensiblement livrée à de vils jongleurs ; dégradation fatale qui lui porta le coup le plus-dangereux. Elle se soutint cependant par le fanatisme de religion que les croisades venoient d’enflammer, et dont elle sut tirer parti dans ses chants. La nouveauté des mœurs des Orientaux, le goût des fictions qu’elle prit dans leur commerce, flattant l’imagination et nourrissant la curiosité, la retinrent encore sur le penchant de sa décadence. Mais nos guerres sanglantes contre les Anglois, le discrédit où tomba la chevalerie à la mort de Bayard, son dernier appui, avancèrent tellement sa ruine, que le vaudeville n’eut qu’à paroître pour achever de la détruire dans tous les esprits.

Muette dans toute la durée du règne de son vainqueur, la Romance n’a osé reprendre sa voix qu’en le voyant lui-même abandonné à son tour par notre goût volage. Les efforts qu’elle a hasardés vers le milieu de ce siècle, ont fait concevoir à ses partisans les espérances les plus flatteuses. Hé ! Comment les romances de Comminges, de Gabriel de Vergi, d’Alexis et de la comtesse de Saulx, n’inspireroient-elles pas le plus vif desir de voir revivre un genre de poésie si gracieux et si intéressant ? Tous nos voisins semblent d’ailleurs nous inviter à former avec eux une confédération en sa faveur. Le recueil donné il y a quelques années, en Suisse, des chantres d’amour allemands, les anciennes ballades publiées depuis peu en Angleterre, les éditions du romancier général multipliées tous les jours en Espagne, les recherches ; faites en Italie pour le même objet, la traduction angloise des sublimes romances d’Ossian, celle qu’une main habile se prépare à nous en donner dans notre langue ; tout cela n’annonce-t-il pas les dispositions les plus propres à favoriser son retour ? Et qu’on ne dise pas que, dans la corruption de nos mœurs et de nos goûts, un poëme aussi simple ne peut être accueilli. Quoi donc ! sur nos théâtres et dans nos romans, n’accueille-t-on pas tous les jours les moindres traits de naturel et de vérité ? Et quel genre en est plus susceptible ? Les femmes, disoit un homme d’esprit, sont si rassasiées de jolies phrases, qu’il ne reste plus d’autre moyen de réussir auprès d’elles, que de parler à leur raison. Après tous les genres faux et bizarres imaginés de nos jours pour réveiller la satiété du public,un genre aussi vrai et aussi naïf n’est-il pas la seule nouveauté qui reste à lui présenter ?

Je ne me suis point aveuglé sur les obstacles que je dois craindre dans cette entreprise. Si, malgré le secours de ses armes aiguës, le vaudeville n’a pu se garantir des usurpations de l’ariette, comment la Romance pourra-t-elle se défendre contre cette dangereuse étrangère, n’ayant à lui opposer que sa candeur et sa timidité ? L’ariette, flattant l’orgueil des gens du monde, doit, je l’avoue, offrir à leurs yeux des charmes plus piquans que ceux de la Romance. Celle-ci, simple et populaire, leur fait craindre de compromettre leur dignité. Celle-là, brillante et recherchée comme leurs vêtemens, superbe et fastueuse comme leurs manières, semble offrir à leur vanité un luxe nouveau, et les distinguer autant du peuple que leurs équipages et leurs palais.

Le ton de légèreté, le goût des jeux frivoles qui règnent aujourd’hui dans nos cercles, y assurent à l’ariette un nouveau triomphe dans la concurrence. La multitude et la variété des plaisirs que la société rassemble autour d’elle, nous portant à croire qu’on ne peut être heureux que par des jouissances brusques et passagères, on ne veut s’arrêter qu’un instant sur chaque objet, pour en parcourir un plus grand nombre ; et l’ariette, vive et rapide, se prête merveilleusement à cette légèreté : aussi n’est-ce point au milieu de ce fracas et de ces tourbillons que la Romance doit espérer d’établir son empire. Bienfaisante même envers ceux qui dédaignent de l’introduire dans leurs cercles brillans, c’est dans ce moment où, abandonnés à eux-mêmes, ils deviendroient la proie de l’ennui, qu’elle leur offre ses généreux secours. Quel avantage elle prend alors sur sa rivale ! Le calme et la solitude disposant l’aine à une douce mélancolie, avec quel charme elle s’empare de toute notre sensibilité ! Comme sa physionomie expressive et touchante, comme ses accens plaintifs nous émeuvent ! Combien l’attendrissement où elle nous plonge laisse dans nos cœurs d’aimables impressions ! L’ariette est une de ces personnes dont les discours brillans nous amusent dans la société, mais pour qui rien ne nous intéresse, et qui dans le tête-à-tête, nous deviendroient importunes. La Romance est un ami qu’on retrouve toujours avec une satisfaction inexprimable, et dont la solitude nous fait, encore mieux goûter les épanchemens affectueux.

Indépendamment des obstacles que la concurrence dangereuse de l’ariette peut opposer au succès de la Romance, il faut convenir que le genre offre en soi des difficultés bien pénibles à vaincre. Dans un poëme où le récit, la description et le dramatique s’entremêlent à chaque instant, on sent combien il faut d’adresse pour que ces parties, qui demandent chacune un style particulier, ne se heurtent point entre elles, et puissent également se soumettre à un même caractère de chant. D’ailleurs la Romance a une double destination. En s’occupant des facilités qu’il doit donner au musicien, le poète songe aussi à son lecteur, auprès duquel personne ne vient lui disputer, comme dans le chant, la moitié de sa gloire. Si le premier lui demande des chutes de distiques égales, une coupe de vers uniforme, peu d’inversions dans ses tours, c’est précisément tout le contraire que le second attend de lui. Quelle flexibilité de goût et de génie n’exigent donc pas ces prétentions opposées, pour que chacun puisse se vanter en secret d’avoir été l’objet particulier des complaisances du poète ?

C’est une loi commune à toute espèce de poëme en action, que cette action, engagée avec intérêt, se développe avec aisance, et marche avec rapidité ; que les situations qu’elle amène se succèdent, heureusement, assez distinctes pour ne pas se confondre, assez rapprochées pour soutenir l’une par l’autre leurs impressions ; que les réflexions et les sentimens jetés dans les intervalles ne servent qu’à animer davantage les peintures, sans embarrasser la conduite, ni refroidir l’intérêt. Or ces conditions, si difficiles à remplir dans tout poëme, non-seulement le deviennent davantage dans la Romance par la mesure précise de ses couplets, mais encore elles laissent bien moins de ressources au poète pour déguiser sa négligence à les observer, ou son impuissance d’y réussir. Dans un récit affranchi du rythme périodique, le lecteur, à qui vous laissez entrevoir confusément le but auquel vous voulez le mener, sans lui marquer les pas qu’il lui faudra faire pour y parvenir, s’abandonne aveuglément à votre conduite. Si la route que vous lui ouvrez, lui promet du plaisir, il vous suit, occupé uniquement à recueillir les fleurs que vous jetez sur son passage. Quelques écarts légers, les inégalités même de votre marche ne le rebutent point. Comme vous le tenez continuellement en haleine, en allant devant lui et en lui présentant une amorce qui l’attire, la crainte de vous perdre, s’il s’arrête un moment, l’engage à régler ses pas sur les vôtres, à les presser ou à les ralentir sans murmure. Parvenu une fois au terme, et content du voyage, il ne s’avise point de revenir sur ses traces pour remarquer les endroits où peut-être lui avez-vous fait éprouver quelque légère fatigue. Il est arrivé ; sa route, en général, a été gracieuse : il ne vous doit que des remercîmens. Il en est tout autrement du poëme partagé par mesures égales. Comme le lecteur apperçoit de distance en distance des repos marqués, où il pourra s’arrêter à sa fantaisie, et vous retenir vous-même aussi long-temps qu’il lui plaira ; cette espèce d’empire que vous lui laissez prendre sur son guide, le rend plus difficile sur les agrémens de la route. La fin de chaque couplet est comme une borne sur laquelle il va s’asseoir pour jeter un coup-d’œil sur le dernier espace qu’il a parcouru ; prêt à se plaindre d’un seul pas détourné ou d’un mouvement tant soit peu brusque que vous lui aurez fait faire. Il faut donc le conduire si uniment et par une route si agréable, qu’il n’ait pas besoin de s’arrêter à ces lieux de repos, ou lui donner d’abord une secousse si forte, qu’il les franchisse sans les appercevoir, et se précipite de couplet en couplet jusqu’à l’événement.

Si j’ai fait remarquer les difficultés attachées au rythmé périodique, c’est moins pour m’applaudir de les avoir vaincues, que pour me ménager une excuse lorsque j’aurai été contraint d’y céder. Mais quel fruit ne retireroit pas de son triomphe le génie heureux qui les auroit surmontées ? L’avantage qu’un bon vers a sur la prose, un bon couplet l’obtient sur la marche libre des vers. Le cercle étroit dans lequel l’un et l’autre se resserrent, la proscription qu’ils exercent également sur le mot oisif et sur le trait inutile, donnent à l’image, à la pensée ou à l’action, bien plus de vie, de justesse ou de rapidité ; l’harmonie y prend une cadence bien plus marquée ; la phrase, des formes bien plus nombreuses et bien plus arrondies, et l’expression un caractère ou bien plus mâle, ou bien plus gracieux.

Un autre avantage du couplet, c’est que chaque partie de l’action présentée dans un tableau séparé, forme elle-même une action particulière, qui, sans nuite à l’impression totale du sujet, répand sur soi un intérêt plus attachant. Qu’un peintre me représente sur la même toile tous les détails de l’histoire de Geneviève, ma vue sera d’abord frappée de l’aspect général de ces divers incidens réunis. Mais bientôt, embarrassé par la confusion des peintures qui s’offriront tout-à-la-fois à mes regards, ou je m’attacherai uniquement à l’image la plus frappante, ne portant qu’une vue dédaigneuse sur celles qui l’environnent, ou, si aucune d’elles ne tranche sur les autres, un coup-d’œil rapide sur ce grouppe monotone et fatigant, sera le seul hommage que le peintre obtiendra de ma curiosité rebutée. Qu’il peigne au contraire les divers traits de la vie de son héroïne dans une suite de tableaux ; alors la liberté qu’il aura de rendre chaque situation de ses personnages dans un cadre isolé, m’y fera porter une attention plus vive et moins distraite. S’il a eu l’adresse de saisir l’instant où l’action, non-seulement inspire pour elle-même le plus grand intérêt, mais aussi me pénètre d’une inquiète ardeur d’apprendre les suites qu’elle doit produire, l’œil encore attaché sur ce tableau, je passe à celui qui le suit, bien mieux disposé à saisir tout son effet. Par-là, j’ai le double plaisir d’être toujours plein à-la-fois, et de l’action qui vient de me frapper, et de celle dont j’attends l’impression. Toujours impatient et toujours satisfait, j’arrive à la dernière catastrophe, et j’emporte dans ma mémoire des traces profondes et distinctes de tous les événemens.

Enfin le troisième avantage du couplet, est le secours que, par son moyen, la Romance emprunte du chant. Quoique j’aie mis, à choisir et à travailler mes sujets, autant de soin que si tout leur effet eût dû être attaché à la simple lecture, je ne laisse pas de réclamer pour eux le charme qu’une voix douce et tendre peut leur prêter. Qu’il me soit permis d’exposer ici le tableau que j’ai osé quelquefois m’en former dans mes rêveries.

Avec quel transport je me représentois une famille rassemblée autour de son foyer, dans une soirée d’hiver ! Le père, qui n’a d’autres joies que celles de sa femme et de ses enfans, cherche un plaisir qu’ils puissent tous partager avec lui. La Romance de Geneviève lui revient dans la mémoire ; il propose à sa fille Agathe de la chanter. Agathe, pour qui l’occasion de s’abandonner à la sensibilité qui domine son jeune cœur est une volupté céleste, cède avec joie à cette douce invitation. Elle commence avec une grace qui dispose toute l’assemblée au recueillement. A mesure qu’elle s’engage dans le sujet, sa voix, qui n’étoit d’abord que flexible et mélodieuse, prend par degrés les sons les plus touchans, les inflexions les plus tendres et les plus pathétiques. Animée par la variété des situations et des sentimens qu’elle a à peindre, et par la douceur de se livrer au mouvement voluptueux qui l’agite sans alarmer sa pudeur, elle se pénètre encore de l’impression d’attendrissement qu’elle a répandue sur tout ce qui l’entoure. Ses traits délicats, où toutes les émotions de son ame se réfléchissent ; l’éclat de ses yeux, un peu obscurci par les larmes dont ils sont baignés ; tout en elle s’allie aux modulations plaintives de sa voix. Un silence profond régnoit dans l’assemblée ; il est bientôt rompu par des soupirs étouffés. Les infortunes de Geneviève ne sont encore qu’à moitié peintes, et la pitié n déjà pris un tribut de pleurs. Heureux l’étranger admis à cette fête délicieuse ! Plus heureux mille fois le poète qui pourroit recueillir ce fruit de ses chants ! Dans quel ravissement il verroit ces parens enchantés embrasser leur fille chérie ! Avec quelle ivresse il oseroit prendre lui-même sous leurs yeux un baiser aussi enflammé qu’innocent ! Et qui sait si les plaisirs de cette soirée ne seront pas pour l’heureuse famille la source d’une plus longue félicité ! Qui sait si ces bons parens, retirés dans leur couche, et se félicitant, dans leurs chastes embrassemens, d’avoir donné le jour à une fille si digne de leur tendresse, ne s’occuperont pas avec plus d’ardeur de son établissement, s’ils ne s’animeront pas d’un nouveau zèle pour rendre leurs autres enfans également dignes de leur amour ! L’un se proposera de redoubler d’activité et de vigilance dans ses affaires ; l’autre songera à mettre plus d’arrangement et d’économie dans son ménage. Agathe, de son côté, émue encore d’une agitation profonde, éprouvant, malgré la frivolité des pensées de son âge, que les plaisirs de famille sont les plus vrais et les plus doux, voudra porter ce goût dans l’union prochaine qu’elle doit former, La tendresse de Geneviève, sa fidélité inébranlable, sa patience dans les malheurs, allumeront dans son ame l’enthousiasme des mêmes vertus. Quelles épreuves lui sembleroient maintenant trop rudes pour se conserver à l’époux que son cœur a choisi, et que sa famille lui a destiné ? Voilà comment la Romance, entretenant dans les familles une douce correspondance de plaisirs entre les époux et les pères et les enfans, peut y conserver le goût de l’innocence et de la simplicité, et y ouvrir une retraite sacrée aux bonnes mœurs contre les poursuites du luxe et du libertinage.

C’est en portant cette vue d’utilité sur la Romance, que j’ai songé à l’étendre un jour à deux classes de personnes trop négligées jusqu’ici par nos poètes : je veux dire les jeunes filles et les enfans. Un choix d’aventures propres à faire éclore dans leurs ames les vertus de leur âge, ou à fortifier le germe des vertus d’un âge plus avancé, me paroît un de ces projets qu’un homme, après les avoir confus, ne peut négliger sans devenir traître à l’humanité. Aussi, en exposant celui-ci, ai-je moins pensé à contracter avec le public un engagernent superflu, qu’à me féliciter d’en avoir le premier parmi nous imaginé l’idée. Oh ! combien la résolution de l’exécuter est immuablement arrêtée dans mon ame ! Indépendamment du devoir de citoyen que j’y attache, quel travail plus satisfaisant puis-je me proposer ? Le philosophe qui fait de l’homme l’objet de ses méditations, effrayé du spectacle affreux que ses vices lui présentent, ne risque qu’en tremblant sa confiance dans les vertus même qu’il apperçoit. Et moi, dans les sujets que j’ai choisis, tout me présente d’aimables idées et de flatteuses espérances. Ces défauts naissans, l’éducation, mes chants même peuvent les transformer en qualités heureuses ; ils peuvent porter jusqu’à l’héroïsme ces jeunes vertus. Si, par une illusion enchanteresse de son imagination, le poète a toujours sous ses yeux les personnages qu’il introduit dans ses chants ; si j’ai fait surtout cette sensible expérience en suivant mon maître Gessner dans les vallons de la Thessalie, au milieu de ses innocens bergers, ici je rassemble autour de moi les objets les plus doux, les plus intéressans de toute la nature. O Dieu ! ne plus rencontrer dans ses promenades une jeune fille ou un enfant, sans se dire : Mes vers vont bientôt habiter sur ces lèvres ingénues et vermeilles : mon nom n’y sera prononcé qu’avec un sourire de bienveillance. Toute cette génération qui s’élève, toutes celles qui vont la suivre, seront pour moi des générations d’amis ! Lorsque l’âge, amortissant un peu cette fureur de travail qui me dévore, me rendra le commerce de la société plus nécessaire, je ne m’y trouverai point étranger. J’y aurai formé de loin les liaisons les plus tendres. Quelques lieux que j’habite, je me verrai avec des personnes accoutumées à me chérir. Dans ces heures délicieuses de la matinée, où la fraîcheur de l’air, le calme des sens, le baume que le sommeil a laissé dans nos veines, nous font trouver dans la moindre impression qui nous flatte, une source de volupté et de béatitude, quel plaisir de se figurer, ici, une mère tendre qui instruit à chanter ma Romance le jeune enfant assis sur ses genoux ; là, un vieillard qui a voulu aussi l’apprendre pour en devenir plus utile et plus cher à ses petits neveux ! Peut-être m’arrivera-t-il quelquefois d’être témoin de ces scènes touchantes, et je ne mourrai point sans avoir vu, dans le cœur et dans la mémoire de tous ceux qui m’entourent, les gages de la plus précieuse immortalité.