Œuvres complètes de Berquin – Tome 14 – Idylles – Préface

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de Berquin – Tome XIV
Idylles, romances, et autres poésies de Berquin.
Préface


◄   Idylle première. L’Incendie.   ►


Le fonds peu intéressant de la plupart des anciennes poésies bucoliques, le ton précieux et les fadeurs mêlés dans nos églogues modernes, à un petit nombre de traits fins et délicats, avoient prévenu depuis long-temps notre goût dédaigneux contre les muses pastorales. L’Aminte du Tasse et les Amours de Daphnis et Chloé, étoient presque les seuls ouvrages qu’il eût exceptés de ses proscriptions, lorsque la traduction des poêmes de Gessner vint ramener heureusement nos regards sur la scène champêtre. Égal, en simplicité, au Berger de Sicile, dont il a su, imitateur judicieux, éviter la rusticité ; un peu moins poète que le chantre de Mantoue, mais ayant d’ailleurs toutes ses graces ; sensible et affectueux comme Racan et d’Urfé, sans que ses expressions tendres deviennent jamais langoureuses ; doué, tout-à-la-fois, de la molle douceur de Segrais, et d’une touche plus originale ; presque aussi fin dans son air de négligence que Fontenelle dans ses traits les plus étudiés ; plus naturel et non moins ingénieux que Lamotte dans le choix de ses sujets ; à la naïveté piquante de Longus et à la délicieuse aménité du Tasse, Gessner avoit su allier plus de variété, de Chaleur et de philosophie. L’amour, la jalousie, l’orgueil de la prééminence dans la flûte ou le chant, ne furent plus les seules passions qui nous intéressèrent dans les personnages de l’idylle. La tendresse paternelle et la piété filiale, l’amour de la vertu et l’horreur du vice, le respect pour les dieux et la bienfaisance envers les hommes, ces sentimens si précieux à l’humanité et à la poésie, se trouvèrent développés, dans ses idylles, d’une manière toujours vraie et profonde, et toujours liés à une action vive et intéressante.

Il n’est pas étonnant qu’un genre si gracieux et devenu si neuf, ait pu faire une révolution dans les idées d’un peuple chez qui, malgré toutes les variations de la mode, le bon goût a toujours conservé son empire. Aussi les poésies pastorales de Gessner obtinrent-elles, parmi nous, le succès le plus flatteur. Tous nos journaux furent inondés de traductions de ses Idylles, foibles la plupart, mais dont le nombre du moins et la concurrence prouvoient à quel excès l’original avait su nous plaire.

Léonard fut le premier qu’on distingua dans la foule de ses imitateurs. La ressemblance de son ame douce, honnête et sensible, avec l’ame de Gessner, lui fit prendre sans effort, le ton de son modèle. Il est peu de beautés chez le poète allemand qu’il n’ait fait passer avec succès dans ses Idylles françoises ; et je craindrai peu d’être désavoué par les gens de lettres, en avançant que son idylle du Ruban est, après l’idylle de l’Enfant bien corrigé, la meilleure que l’on connoisse peut-être dans aucune langue. M. Blin de Sainmore, qui le suivit dans la même carrière, plus exercé dans l’art enchanteur de la versification, mit encore plus d’harmonie, d’élégance et de poésie, dans les trois Essais auxquels il s’est borné, et qui font regretter qu’il n’ait pas suivi une entreprise si heureusement commencée.

Les moissons de ces deux poètes n’ont pas épuisé les vastes champs de Gessner. J’y ai trouvé, après eux, une abondante récolte à m’approprier ; et si le Public continue de me pardonner ces larcins innocens, je crois y avoir laissé d’assez riches épis pour glaner encore après moi-même, jusqu’à ce que le temps et la culture aient pu mûrir les fruits de mon propre héritage.

Les 2, 3, 6, 8, 9, 11, 13, 16, 18, 19, 20, 21 et 22es Idylles de ce recueil sont imitées de Gessner ; la 5e, de Gerstemberg ; la 11e, d’une Barcarolle italienne ; la 13e, de Wieland ; les 15 et 17e, de Métastase.