Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des animaux/Chapitre XI

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Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome IV, Histoire naturelle des animauxp. 347-377).

CHAPITRE XI

DU DÉVELOPPEMENT ET DE L’ACCROISSEMENT DU FŒTUS, DE L’ACCOUCHEMENT, ETC.

On doit distinguer, dans le développement du fœtus, des degrés différents d’accroissement dans de certaines parties qui font, pour ainsi dire, des espèces différentes de développement. Le premier développement qui succède immédiatement à la formation du fœtus n’est pas un accroissement proportionnel de toutes les parties qui le composent ; plus on s’éloigne du temps de la formation, plus cet accroissement est proportionnel dans toutes les parties, et ce n’est qu’après être sorti du sein de la mère que l’accroissement de toutes les parties du corps se fait à peu près dans la même proportion. Il ne faut donc pas s’imaginer que le fœtus au moment de sa formation soit un homme infiniment petit, duquel la figure et la forme soient absolument semblables à celles de l’homme adulte ; il est vrai que le petit embryon contient réellement toutes les parties qui doivent composer l’homme, mais ces parties se développent successivement et différemment les unes des autres.

Dans un corps organisé comme l’est celui d’un animal, on peut croire qu’il y a des parties plus essentielles les unes que les autres ; et sans vouloir dire qu’il pourrait y en avoir d’inutiles ou de superflues, on peut soupçonner que toutes ne sont pas d’une nécessité également absolue, et qu’il y en a quelques-unes dont les autres semblent dépendre pour leur développement et leur disposition. On pourrait dire qu’il y a des parties fondamentales sans lesquelles l’animal ne peut se développer, d’autres qui sont plus accessoires et plus extérieures, qui paraissent tirer leur origine des premières, et qui semblent être faites autant pour l’ornement, la symétrie et la perfection extérieure de l’animal, que pour la nécessité de son existence et l’exercice des fonctions essentielles à la vie. Ces deux espèces de parties différentes se développent successivement, et sont déjà toutes presque également apparentes lorsque le fœtus sort du sein de la mère ; mais il y a encore d’autres parties, comme les dents, que la nature semble mettre en réserve pour ne les faire paraître qu’au bout de plusieurs années ; il y en a, comme les corps glanduleux des testicules des femelles, la barbe des mâles, etc., qui ne se montrent que quand le temps de produire son semblable est arrivé, etc.

Il me paraît que, pour reconnaître les parties fondamentales et essentielles du corps de l’animal, il faut faire attention au nombre, à la situation et à la nature de toutes les parties : celles qui sont simples, celles dont la position est invariable, celles dont la nature est telle que l’animal ne peut exister sans elles, seront certainement les parties essentielles ; celles au contraire qui sont doubles, ou en plus grand nombre, celles dont la grandeur et la position varient, et enfin celles qu’on peut retrancher de l’animal sans le blesser, ou même sans le faire périr, peuvent être regardées comme moins nécessaires et plus accessoires à la machine animale. Aristote a dit que les seules parties qui fussent essentielles à tout animal étaient celle avec laquelle il prend la nourriture, celle dans laquelle il la digère et celle par laquelle il en rend le superflu ; la bouche et le conduit intestinal, depuis la bouche jusqu’à l’anus, sont en effet des parties simples, et qu’aucune autre ne peut suppléer. La tête et l’épine du dos sont aussi des parties simples, dont la position est invariable ; l’épine du dos sert de fondement à la charpente du corps, et c’est de la moelle allongée qu’elle contient que dépendent les mouvements et l’action de la plupart des membres et des organes ; c’est aussi cette partie qui paraît une des premières dans l’embryon : on pourrait même dire qu’elle paraît la première, car la première chose qu’on voit dans la cicatricule de l’œuf est une masse allongée dont l’extrémité qui forme la tête ne diffère du total de la masse que par une espèce de forme contournée et un peu plus renflée que le reste. Or, ces parties simples et qui paraissent les premières sont toutes essentielles à l’existence, à la forme et à la vie de l’animal.

Il y a beaucoup plus de parties doubles dans le corps de l’animal que de parties simples, et ces parties doubles semblent avoir été produites symétriquement de chaque côté des parties simples, par une espèce de végétation, car ces parties doubles sont semblables par la forme, et différentes par la position. La main gauche, par exemple, ressemble à la main droite, parce qu’elle est composée du même nombre de parties, lesquelles étant prises séparément, et étant comparées une à une et plusieurs à plusieurs, n’ont aucune différence ; cependant, si la main gauche se trouvait à la place de la droite, on ne pourrait pas s’en servir aux mêmes usages, et on aurait raison de la regarder comme un membre très différent de la main droite. Il en est de même de toutes les autres parties doubles ; elles sont semblables pour la forme, et différentes pour la position : cette position se rapporte au corps de l’animal, et en imaginant une ligne qui partage le corps du haut en bas en deux parties égales, on peut rapporter à cette ligne, comme à un axe, la position de toutes ces parties semblables.

La moelle allongée, à la prendre depuis le cerveau jusqu’à son extrémité inférieure, et les vertèbres qui la contiennent, paraissent être l’axe réel auquel on doit rapporter toutes les parties doubles du corps animal : elles semblent en tirer leur origine et n’être que les rameaux symétriques qui partent de ce tronc ou de cette base commune ; car on voit sortir les côtes de chaque côté des vertèbres dans le petit poulet, et le développement de ces parties doubles et symétriques se fait par une espèce de végétation, comme celle de plusieurs rameaux qui partiraient de plusieurs boutons disposés régulièrement des deux côtés d’une branche principale. Dans tous les embryons, les parties du milieu de la tête et des vertèbres paraissent les premières ; ensuite on voit aux deux côtés d’une vésicule qui fait le milieu de la tête deux autres vésicules qui paraissent sortir de la première ; ces deux vésicules contiennent les yeux et les autres parties doubles de la tête : de même on voit de petites éminences sortir en nombre égal de chaque côté des vertèbres, s’étendre, prendre de l’accroissement et former les côtes et les autres parties doubles du tronc ; ensuite, à côté de ce tronc déjà formé, on voit paraître de petites éminences pareilles aux premières, qui se développent, croissent insensiblement et forment les extrémités supérieures et inférieures, c’est-à-dire les bras et les jambes. Ce premier développement est fort différent de celui qui se fait dans la suite ; c’est une production de parties qui semblent naître et qui paraissent pour la première fois ; l’autre, qui lui succède, n’est qu’un accroissement de toutes les parties déjà nées et formées en petit, à peu près comme elles doivent l’être en grand.

Cet ordre symétrique de toutes les parties doubles se trouve dans tous les animaux ; la régularité de la position de ces parties doubles, l’égalité de leur extension et de leur accroissement, tant en masse qu’en volume, leur parfaite ressemblance entre elles, tant pour le total que pour le détail des parties qui les composent, semblent indiquer qu’elles tirent réellement leur origine des parties simples ; qu’il doit résider dans ces parties simples une force qui agit également de chaque côté, ou, ce qui revient au même, que les parties simples sont les points d’appui contre lesquels s’exerce l’action des forces qui produisent le développement des parties doubles ; que l’action de la force par laquelle s’opère le développement de la partie droite est égale à l’action de la force par laquelle se fait le développement de la partie gauche, et que, par conséquent, elle est contre-balancée par cette réaction.

De là on doit inférer que s’il y a quelque défaut, quelque excès ou quelque vice dans la matière qui doit servir à former les parties doubles, comme la force qui les pousse de chaque côté de leur base commune est toujours égale, le défaut, l’excès ou le vice se doit trouver à gauche comme à droite ; et que, par exemple, si par un défaut de matière un homme se trouve n’avoir que deux doigts au lieu de cinq à la main droite, il n’aura non plus que deux doigts à la main gauche ; ou bien que, si par un excès de matière organique il se trouve avoir six doigts à l’une des mains, il aura de même six doigts à l’autre ; ou si, par quelque vice, la matière qui doit servir à la formation de ces parties doubles se trouve altérée, il y aura la même altération à la partie droite qu’à la partie gauche. C’est aussi ce qui arrive assez souvent : la plupart des monstres le sont avec symétrie, le dérangement des parties paraît s’être fait avec ordre, et l’on voit par les erreurs même de la nature qu’elle se méprend toujours le moins qu’il est possible.

Cette harmonie de position, qui se trouve dans les parties doubles des animaux, se trouve aussi dans les végétaux : les branches poussent des boutons de chaque côté, les nervures des feuilles sont également disposées de chaque côté de la nervure principale ; et quoique l’ordre symétrique paraisse moins exact dans les végétaux que dans les animaux, c’est seulement parce qu’il y est plus varié ; les limites de la symétrie y sont plus étendues et moins précises ; mais on peut cependant y reconnaître aisément cet ordre et distinguer les parties simples et essentielles de celles qui sont doubles, et qu’on doit regarder comme tirant leur origine des premières. On verra, dans notre Discours sur les végétaux, quelles sont les parties simples et essentielles du végétal, et de quelle manière se fait le premier développement des parties doubles dont la plupart ne sont qu’accessoires.

Il n’est guère possible de déterminer sous quelle forme existent les parties doubles avant leur développement, de quelle façon elles sont pliées les unes sur les autres, et quelle est alors la figure qui résulte de leur position par rapport aux parties simples ; le corps de l’animal, dans l’instant de sa formation, contient certainement toutes les parties qui doivent le composer mais la position relative de ces parties doit être bien différente alors de ce qu’elle le devient dans la suite : il en est de même de toutes les parties de l’animal ou du végétal, prises séparément ; qu’on observe seulement le développement d’une petite feuille naissante, on verra qu’elle est pliée des deux côtés de la nervure principale, que ces parties latérales sont comme superposées, et que sa figure ne ressemble point du tout dans ce temps à celle qu’elle doit acquérir dans la suite. Lorsque l’on s’amuse à plier du papier pour former ensuite, au moyen d’un certain développement, des formes régulières et symétriques, comme des espèces de couronnes, de coffres, de bateaux, etc., on peut observer que les différentes plicatures que l’on fait au papier semblent n’avoir rien de commun avec la forme qui doit en résulter par le développement ; on voit seulement que ces plicatures se font dans un ordre toujours symétrique, et que l’on fait d’un côté ce que l’on vient de faire de l’autre ; mais ce serait un problème au-dessus de la géométrie connue que de déterminer les figures qui peuvent résulter de tous les développements d’un certain nombre de plicatures données. Tout ce qui a immédiatement rapport à la position manque absolument à nos sciences mathématiques ; cet art, que Leibniz appelait analysis situs, n’est pas encore né, et cependant cet art, qui nous ferait connaître les rapports de position entre les choses, serait aussi utile, et peut-être plus nécessaire aux sciences naturelles, que l’art qui n’a que la grandeur des choses pour objet ; car on a plus souvent besoin de connaître la forme que la matière. Nous ne pouvons donc pas, lorsqu’on nous présente une forme développée, reconnaître ce qu’elle était avant son développement ; et de même, lorsqu’on nous fait voir une forme enveloppée, c’est-à-dire une forme dont les parties sont repliées les unes sur les autres, nous ne pouvons pas juger de ce qu’elle doit produire par tel ou tel développement ; n’est-il donc pas évident que nous ne pouvons juger en aucune façon de la position relative de ces parties repliées qui sont comprises dans un tout qui doit changer de figure en se développant ?

Dans le développement des productions de la nature, non seulement les parties pliées et superposées, comme dans les plicatures dont nous avons parlé, prennent de nouvelles positions, mais elles acquièrent en même temps de l’étendue et de la solidité : puisque nous ne pouvons donc pas même déterminer au juste le résultat du développement simple d’une forme enveloppée, dans lequel, comme dans le morceau de papier plié, il n’y a qu’un changement de position entre les parties, sans aucune augmentation ni diminution du volume ou de la masse de la matière, comment nous serait-il possible de juger du développement composé du corps d’un animal dans lequel la position relative des parties change aussi bien que le volume et la masse de ces mêmes parties ? Nous ne pouvons donc raisonner sur cela qu’en tirant quelques inductions de l’examen de la chose même dans les différents temps du développement, et en nous aidant des observations qu’on a faites sur le poulet dans l’œuf, et sur les fœtus nouvellement formés, que les accidents et les fausses couches ont souvent donné lieu d’observer.

On voit, à la vérité, le poulet dans l’œuf avant qu’il ait été couvé ; il est dans une liqueur transparente qui est contenue dans une petite bourse formée par une membrane très fine au centre de la cicatricule ; mais ce poulet n’est encore qu’un point de matière inanimée, dans lequel on ne distingue aucune organisation sensible, aucune figure bien déterminée[NdÉ 1] ; on juge seulement par la forme extérieure que l’une des extrémités est la tête, et que le reste est l’épine du dos ; le tout n’est qu’une gelée transparente qui n’a presque point de consistance. Il paraît que c’est là le premier produit de la fécondation, et que cette forme est le premier résultat du mélange qui s’est fait dans la cicatricule de la semence du mâle et de celle de la femelle ; cependant, avant que de l’assurer, il y a plusieurs choses auxquelles il faut faire attention : lorsque la poule a habité pendant quelques jours avec le coq et qu’on l’en sépare ensuite, les œufs qu’elle produit après cette séparation ne laissent pas d’être féconds comme ceux qu’elle a produits dans le temps de son habitation avec le mâle. L’œuf que la poule pond vingt jours après avoir été séparée du coq produit un poulet comme celui qu’elle aura pondu vingt jours auparavant ; peut-être même que ce terme est beaucoup plus long, et que cette fécondité communiquée aux œufs de la poule par le coq s’étend à ceux qu’elle ne doit pondre qu’au bout d’un mois ou davantage : les œufs qui ne sortent qu’après ce terme de vingt jours ou d’un mois, et qui sont féconds comme les premiers, se développent dans le même temps ; il ne faut que vingt et un jours de chaleur aux uns comme aux autres pour faire éclore le poulet ; ces derniers œufs sont donc composés comme les premiers, et l’embryon y est aussi avancé, aussi formé. Dès lors on pourrait penser que cette forme, sous laquelle nous paraît le poulet dans la cicatricule de l’œuf avant qu’il ait été couvé, n’est pas la forme qui résulte immédiatement du mélange des deux liqueurs, et il y aurait quelque fondement à soupçonner qu’elle a été précédée d’autres formes pendant le temps que l’œuf a séjourné dans le corps de la mère ; car lorsque l’embryon a la forme que nous lui voyons dans l’œuf qui n’a pas encore été couvé, il ne lui faut plus que de la chaleur pour le développer et le faire éclore ; or, s’il avait eu cette forme vingt jours ou un mois auparavant, lorsqu’il a été fécondé, pourquoi la chaleur de l’intérieur du corps de la poule, qui est certainement assez grande pour le développer, ne l’a-t-elle pas développé en effet ? Et pourquoi ne trouve-t-on pas le poulet tout formé et prêt à éclore dans ces œufs qui ont été fécondés vingt et un jours auparavant, et que la poule ne pond qu’au bout de ce temps ?

Cette difficulté n’est cependant pas aussi grande qu’elle le paraît, car on doit concevoir que dans le temps de l’habitation du coq avec la poule chaque œuf reçoit dans sa cicatricule une petite portion de la semence du mâle ; cette cicatricule contenait déjà celle de la femelle : l’œuf attaché à l’ovaire est dans les femelles ovipares ce qu’est le corps glanduleux dans les testicules des femelles vivipares ; la cicatricule de l’œuf sera, si l’on veut, la cavité de ce corps glanduleux dans lequel réside la liqueur séminale de la femelle, celle du mâle vient s’y mêler et la pénétrer ; il doit donc résulter de ce mélange un embryon qui se forme dans l’instant même de la pénétration des deux liqueurs : aussi le premier œuf que la poule pond immédiatement après la communication qu’elle vient d’avoir avec le coq se trouve fécondé et produit un poulet ; ceux qu’elle pond dans la suite ont été fécondés de la même façon et dans le même instant, mais comme il manque encore à ces œufs des parties essentielles dont la production est indépendante de la semence du mâle, qu’ils n’ont encore ni blanc, ni membranes, ni coquille, le petit embryon contenu dans la cicatricule ne peut se développer dans cet œuf imparfait, quoiqu’il y soit contenu réellement et que son développement soit aidé de la chaleur de l’intérieur du corps de la mère. Il demeure donc dans la cicatricule dans l’état où il a été formé, jusqu’à ce que l’œuf ait acquis par son accroissement toutes les parties qui sont nécessaires à l’action et au développement du poulet ; et ce n’est que quand l’œuf est arrivé à sa perfection que cet embryon peut commencer à naître et à se développer. Ce développement se fait au dehors par l’incubation, mais il est certain qu’il pourrait se faire au dedans, et peut-être qu’en serrant ou cousant l’orifice de la poule pour l’empêcher de pondre, et pour retenir l’œuf dans l’intérieur de son corps, il pourrait arriver que le poulet s’y développerait comme il se développe au dehors[NdÉ 2], et que si la poule pouvait vivre vingt et un jours après cette opération, on lui verrait produire le poulet vivant, à moins que la trop grande chaleur de l’intérieur du corps de l’animal ne fît corrompre l’œuf ; car on sait que les limites du degré de chaleur nécessaire pour faire éclore des poulets ne sont pas fort étendues, et que le défaut ou l’excès de chaleur au delà de ces limites est également nuisible à leur développement. Les derniers œufs que la poule pond, et dans lesquels l’état de l’embryon est le même que dans les premiers, ne prouvent donc rien autre chose, sinon qu’il est nécessaire que l’œuf ait acquis toute sa perfection pour que l’embryon puisse se développer, et que, quoiqu’il ait été formé dans ces œufs longtemps auparavant, il est demeuré dans le même état où il était au moment de la fécondation, par le défaut de blanc et des autres parties nécessaires à son développement, qui n’étaient pas encore formées, comme il reste aussi dans le même état dans les œufs parfaits par le défaut de la chaleur nécessaire à ce même développement, puisqu’on garde souvent des œufs pendant un temps considérable avant que de les faire couver, ce qui n’empêche point du tout le développement du poulet qu’ils contiennent.

Il paraît donc que l’état dans lequel est l’embryon dans l’œuf lorsqu’il sort de la poule est le premier état qui succède immédiatement à la fécondation ; que la forme sous laquelle nous le voyons est la première forme résultante du mélange intime et de la pénétration des deux liqueurs séminales ; qu’il n’y a pas eu d’autres formes intermédiaires, d’autres développements antérieurs à celui qui va s’exécuter ; et que par conséquent, en suivant, comme l’a fait Malpighi, ce développement heure par heure, on en saura tout ce qu’il est possible d’en savoir, à moins que de trouver quelque moyen qui pût nous mettre à portée de remonter encore plus haut, et de voir les deux liqueurs se mêler sous nos yeux, pour reconnaître comment se fait le premier arrangement des parties qui produisent la forme que nous voyons à l’embryon dans l’œuf avant qu’il ait été couvé.

Si l’on réfléchit sur cette fécondation qui se fait, dans le même moment, de ces œufs qui ne doivent cependant paraître que successivement et longtemps les uns après les autres, on en tirera un nouvel argument contre l’existence des œufs dans les vivipares ; car si les femelles des animaux vivipares contiennent des œufs comme les poules, pourquoi n’y en a-t-il pas plusieurs de fécondés en même temps, dont les uns produiraient des fœtus au bout de neuf mois, et les autres quelque temps après ? et lorsque les femmes font deux ou trois enfants, pourquoi viennent-ils au monde tous dans le même temps ? Si ces fœtus se produisaient au moyen des œufs, ne viendraient-ils pas successivement les uns après les autres, selon qu’ils auraient été formés ou excités par la semence du mâle dans des œufs plus ou moins avancés, ou plus ou moins parfaits ? et les superfétations ne seraient-elles pas aussi fréquentes qu’elles sont rares, aussi naturelles qu’elles paraissent être accidentelles[NdÉ 3] ?

On ne peut pas suivre le développement du fœtus humain dans la matrice, comme on suit celui du poulet dans l’œuf ; les occasions d’observer sont rares, et nous ne pouvons en savoir que ce que les anatomistes, les chirurgiens et les accoucheurs en ont écrit : c’est en rassemblant toutes les observations particulières qu’ils ont faites, et en comparant leurs remarques et leurs descriptions, que nous allons faire l’histoire abrégée du fœtus humain.

Il y a grande apparence qu’immédiatement après le mélange des deux liqueurs séminales, tout l’ouvrage de la génération est dans la matrice sous la forme d’un petit globe ; puisque l’on sait par les observations des anatomistes que, trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale qui a au moins six lignes sur son grand diamètre et quatre lignes sur le petit ; cette bulle est formée par une membrane extrêmement fine qui renferme une liqueur limpide et assez semblable à du blanc d’œuf. On peut déjà apercevoir dans cette liqueur quelques petites fibres réunies, qui sont les premières ébauches du fœtus ; on voit ramper sur la surface de la bulle un lacis de petites fibres qui occupe la moitié de la superficie de cet ovoïde depuis l’une des extrémités du grand axe jusqu’au milieu, c’est-à-dire jusqu’au cercle formé par la révolution du petit axe : ce sont là les premiers vestiges du placenta.

Sept jours après la conception, l’on peut distinguer à l’œil simple les premiers linéaments du fœtus[NdÉ 4] ; cependant ils sont encore informes : on voit seulement au bout de ces sept jours ce qu’on voit dans l’œuf au bout de vingt-quatre heures, une masse d’une gelée presque transparente qui a déjà quelque solidité, et dans laquelle on reconnaît la tête et le tronc, parce que cette masse est d’une forme allongée, que la partie supérieure qui représente le tronc est plus déliée et plus longue : on voit aussi quelques petites fibres en forme d’aigrette, qui sortent du milieu du corps du fœtus et qui aboutissent à la membrane dans laquelle il est renfermé aussi bien que la liqueur qui l’environne ; ces fibres doivent former dans la suite le cordon ombilical.

Quinze jours après la conception l’on commence à bien distinguer la tête et à reconnaître les traits les plus apparents du visage ; le nez n’est encore qu’un petit filet proéminent et perpendiculaire à une ligne qui indique la séparation des lèvres ; on voit deux petits points noirs à la place des yeux et deux petits trous à celle des oreilles : le corps du fœtus a aussi pris de l’accroissement ; on voit, aux deux côtés de la partie supérieure du tronc et au bas de la partie inférieure, de petites protubérances qui sont les premières ébauches des bras et des jambes ; la longueur du corps entier est alors à peu près de cinq lignes.

Huit jours après, c’est-à-dire au bout de trois semaines, le corps du fœtus n’a augmenté que d’environ une ligne, mais les bras et les jambes, les mains et les pieds sont apparents ; l’accroissement des bras est plus prompt que celui des jambes, et les doigts des mains se séparent plus tôt que ceux des pieds ; dans ce même temps l’organisation intérieure du fœtus commence à être sensible, les os sont marqués par de petits filets aussi fins que des cheveux ; on reconnaît les côtes, elles ne sont encore que des filets disposés régulièrement des deux côtés de l’épine ; les bras, les jambes et les doigts des pieds et des mains sont aussi représentés par de pareils filets.

À un mois le fœtus a plus d’un pouce de longueur ; il est un peu courbé dans la situation qu’il prend naturellement au milieu de la liqueur qui l’environne ; les membranes qui contiennent le tout se sont augmentées en étendue et en épaisseur ; toute la masse est toujours de figure ovoïde, et elle est alors d’environ un pouce et demi sur le grand diamètre et d’un pouce et un quart sur le petit diamètre. La figure humaine n’est plus équivoque dans le fœtus, toutes les parties de la face sont déjà reconnaissables ; le corps est dessiné, les hanches et le ventre sont élevés, les membres sont formés, les doigts des pieds et des mains sont séparés les uns des autres, la peau est extrêmement mince et transparente, les viscères sont déjà marqués par des fibres pelotonnées, les vaisseaux sont menus comme des fils et les membranes extrêmement déliées ; les os sont encore mous, et ce n’est qu’en quelques endroits qu’ils commencent à prendre un peu de solidité ; les vaisseaux qui doivent composer le cordon ombilical sont encore en ligne droite les uns à côté des autres ; le placenta n’occupe plus que le tiers de la masse totale, au lieu que dans les premiers jours il en occupait la moitié ; il paraît donc que son accroissement en étendue superficielle n’a pas été aussi grand que celui du fœtus et du reste de la masse, mais il a beaucoup augmenté en solidité ; son épaisseur est devenue plus grande à proportion de celle de l’enveloppe du fœtus, et on peut déjà distinguer les deux membranes dont cette enveloppe est composée.

Selon Hippocrate, le fœtus mâle se développe plus promptement que le fœtus femelle ; il prétend qu’au bout de trente jours toutes les parties du corps du mâle sont apparentes et que celles du fœtus femelle ne le sont qu’au bout de quarante-deux jours.

À six semaines le fœtus a près de deux pouces de longueur ; la figure humaine commence à se perfectionner, la tête est seulement beaucoup plus grosse à proportion que les autres parties du corps ; on aperçoit le mouvement du cœur à peu près dans ce temps : on l’a vu battre dans un fœtus de cinquante jours, et même continuer de battre assez longtemps après que le fœtus fut tiré hors du sein de la mère.

À deux mois le fœtus a plus de deux pouces de longueur ; l’ossification est sensible au milieu du bras, de l’avant-bras, de la cuisse et de la jambe, et dans la pointe de la mâchoire inférieure, qui est alors fort avancée au delà de la mâchoire supérieure. Ce ne sont encore, pour ainsi dire, que des points osseux ; mais, par l’effet d’un développement plus prompt, les clavicules sont déjà ossifiées en entier, le cordon ombilical est formé, les vaisseaux qui le composent commencent à se tourner et à se tordre, à peu près comme les fils qui composent une corde ; mais ce cordon est encore fort court en comparaison de ce qu’il doit être dans la suite.

À trois mois le fœtus a près de trois pouces, il pèse environ trois onces. Hippocrate dit que c’est dans ce temps que les mouvements du fœtus mâle commencent à être sensibles pour la mère, et il assure que le fœtus femelle ne se fait sentir ordinairement qu’après le quatrième mois ; cependant il y a des femmes qui disent avoir senti dès le commencement du second mois le mouvement de leur enfant : il est assez difficile d’avoir sur cela quelque chose de certain, la sensation que les mouvements du fœtus excitent dépendant peut-être plus, dans ces commencements, de la sensibilité de la mère que de la force du fœtus.

Quatre mois et demi après la conception, la longueur du fœtus est de six à sept pouces ; toutes les parties de son corps sont si fort augmentées qu’on les distingue parfaitement les unes des autres ; les ongles mêmes paraissent aux doigts des pieds et des mains. Les testicules des mâles sont enfermés dans le ventre au-dessus des reins ; l’estomac est remplie d’une humeur un peu épaisse et assez semblable à celle que renferme l’amnios ; on trouve dans les petits boyaux une matière laiteuse, et dans les gros une matière noire et liquide ; il y a un peu de bile dans la vésicule du fiel et un peu d’urine dans la vessie. Comme le fœtus flotte librement dans le liquide qui l’environne, il y a toujours de l’espace entre son corps et les membranes qui l’enveloppent ; ces enveloppes croissent d’abord plus que le fœtus, mais après un certain temps c’est tout le contraire ; le fœtus croît à proportion plus que ces enveloppes, il peut y toucher par les extrémités de son corps, et on croirait qu’il est obligé de les plier. Avant la fin du troisième mois la tête est courbée en avant, le menton pose sur la poitrine, les genoux sont relevés, les jambes repliées en arrière ; souvent elles sont croisées, et la pointe du pied est tournée en haut et appliquée contre la cuisse, de sorte que les deux talons sont fort près l’un de l’autre : quelquefois les genoux s’élèvent si haut qu’ils touchent presque aux joues, les jambes sont pliées sous les cuisses, et la plante du pied est toujours en arrière ; les bras sont abaissés et repliés sur la poitrine : l’une des mains, souvent toutes les deux, touchent le visage ; quelquefois elles sont fermées, quelquefois aussi les bras sont pendants à côté du corps. Le fœtus prend ensuite des situations différentes de celle-ci ; lorsqu’il est prêt à sortir de la matrice, et même longtemps auparavant, il a ordinairement la tête en bas et la face tournée en arrière ; et il est naturel d’imaginer qu’il peut changer de situation à chaque instant. Des personnes expérimentées dans l’art des accouchements ont prétendu s’être assurées qu’il en changeait en effet beaucoup plus souvent qu’on ne le croit vulgairement. On peut le prouver par plusieurs observations : 1o on trouve souvent le cordon ombilical tortillé et passé autour du corps et des membres de l’enfant, d’une manière qui suppose nécessairement que le fœtus ait fait des mouvements dans tous les sens et qu’il ait pris des positions successives très différentes entre elles ; 2o les mères sentent les mouvements du fœtus tantôt d’un côté de la matrice et tantôt d’un autre côté, il frappe également en plusieurs endroits différents, ce qui suppose qu’il prend des situations différentes ; 3o comme il nage dans un liquide qui l’environne de tous côtés, il peut très aisément se tourner, s’étendre, se plier par ses propres forces, et il doit aussi prendre des situations différentes, suivant les différentes attitudes du corps de la mère ; par exemple, lorsqu’elle est couchée, le fœtus doit être dans une autre situation que quand elle est debout.

La plupart des anatomistes ont dit que le fœtus est contraint de courber son corps et de plier ses membres, parce qu’il est trop gêné dans son enveloppe ; mais cette opinion ne me paraît pas fondée, car il y a, surtout dans les cinq ou six premiers mois de la grossesse, beaucoup plus d’espace qu’il n’en faut pour que le fœtus puisse s’étendre, et cependant il est dans ce même temps courbé et replié : on voit aussi que le poulet est courbé dans la liqueur que contient l’amnios, dans le temps même que cette membrane est assez étendue et cette liqueur assez abondante pour contenir un corps cinq ou six fois plus gros que le poulet ; ainsi on peut croire que cette forme courbée et repliée que prend le corps du fœtus est naturelle et point du tout forcée ; je serais volontiers de l’avis d’Harvey, qui prétend que le fœtus ne prend cette attitude que parce qu’elle est la plus favorable au repos et au sommeil, car tous les animaux mettent leur corps dans cette position pour se reposer et pour dormir ; et comme le fœtus dort presque toujours dans le sein de la mère, il prend naturellement la situation la plus avantageuse : « Certè, dit ce fameux anatomiste, animalia omnia, dum quiescunt et dormiunt, membra sua ut plurimùm adducunt et complicant, figuramque ovalem ac conglobatam quærunt : ita pariter embryones qui ætatem suam maxime somno transigunt, membra sua positione eà quà plasmantur (tanquàm naturalissimà ac maximè indolenti quietique aptissimà) componunt. » (Voyez Harvey, de Generat., p. 257.)

La matrice prend, comme nous l’avons dit, un assez prompt accroissement dans les premiers temps de la grossesse, elle continue aussi à augmenter à mesure que le fœtus augmente ; mais l’accroissement du fœtus devenant ensuite plus grand que celui de la matrice, surtout dans les derniers temps, on pourrait croire qu’il s’y trouve trop serré et que, quand le temps d’en sortir est arrivé, il s’agite par des mouvements réitérés ; il fait alors, en effet, successivement et à diverses reprises des efforts violents ; la mère en ressent vivement l’impression ; l’on désigne ces sensations douloureuses et leur retour périodique, quand on parle des heures du travail de l’enfantement ; plus le fœtus a de force pour dilater la capacité de la matrice, plus il trouve de résistance ; le ressort naturel de cette partie tend à la resserrer et en augmente la réaction : dès lors tout l’effort tombe sur son orifice ; cet orifice a déjà été agrandi peu à peu dans les derniers mois de la grossesse ; la tête du fœtus porte depuis longtemps sur les bords de cette ouverture et la dilate par une pression continuelle ; dans le moment de l’accouchement le fœtus, en réunissant ses propres forces à celles de la mère[NdÉ 5], ouvre enfin col orifice autant qu’il est nécessaire pour se faire passage et sortir de la matrice.

Ce qui peut faire croire que ces douleurs, qu’on désigne par le nom d’heures du travail, ne proviennent que de la dilatation de l’orifice de la matrice, c’est que cette dilatation est le plus sûr moyen pour reconnaître si les douleurs que ressent une femme grosse sont, en effet, les douleurs de l’enfantement : il arrive assez souvent que les femmes éprouvent dans la grossesse des douleurs très vives, et qui ne sont cependant pas celles qui doivent précéder l’accouchement ; pour distinguer ces fausses douleurs des vraies, Deventer conseille à l’accoucheur de toucher l’orifice de la matrice, et il assure que si ce sont en effet les douleurs vraies, la dilatation de cet orifice augmentera toujours par l’effet de ces douleurs ; et qu’au contraire, si ce ne sont que de fausses douleurs, c’est-à-dire des douleurs qui proviennent de quelque autre cause que de celle d’un enfantement prochain, l’orifice de la matrice se rétrécira plutôt qu’il ne se dilatera, ou du moins qu’il ne continuera pas à se dilater ; dès lors on est assez fondé à imaginer que ces douleurs ne proviennent que de la dilatation forcée de cet orifice : la seule chose qui soit embarrassante est cette alternative de repos et de souffrance qu’éprouve la mère ; lorsque la première douleur est passée, il s’écoule un temps considérable avant que la seconde se fasse sentir ; et de même il y a des intervalles, souvent très longs, entre la seconde et la troisième, entre la troisième et la quatrième douleur, etc. Cette circonstance de l’effet ne s’accorde pas parfaitement avec la cause que nous venons d’indiquer, car la dilatation d’une ouverture qui se fait peu à peu, et d’une manière continue, devrait produire une douleur constante et continue, et non pas des douleurs par accès ; je ne sais donc si on ne pourrait pas les attribuer à une autre cause qui me paraît plus convenable à l’effet, cette cause serait la séparation du placenta : on sait qu’il tient à la matrice par un certain nombre de mamelons qui pénètrent dans les petites lacunes ou cavités de ce viscère ; dès lors ne peut-on pas supposer que ces mamelons ne sortent pas de leurs cavités tous en même temps ? Le premier mamelon qui se séparera de la matrice produira la première douleur, un autre mamelon qui se séparera quelque temps après produira une autre douleur, etc. L’effet répond ici parfaitement à la cause, et on peut appuyer cette conjecture par une autre observation : c’est qu’immédiatement avant l’accouchement il sort une liqueur blanchâtre et visqueuse, semblable à celle que rendent les mamelons du placenta lorsqu’on les tire hors des lacunes où ils ont leur insertion, ce qui doit faire penser que cette liqueur, qui sort alors de la matrice, est en effet produite par la séparation de quelques mamelons du placenta.

Il arrive quelquefois que le fœtus sort de la matrice sans déchirer les membranes qui l’enveloppent, et par conséquent sans que la liqueur qu’elles contiennent se soit écoulée : cet accouchement paraît être le plus naturel et ressemble à celui de presque tous les animaux ; cependant le fœtus humain perce ordinairement ses membranes à l’endroit qui se trouve sur l’orifice de la matrice, par l’effort qu’il fait contre cette ouverture ; et il arrive assez souvent que l’amnios, qui est fort mince, ou même le chorion, se déchirent sur les bords de l’orifice de la matrice, et qu’il en reste une partie sur la tête de l’enfant en forme de calotte ; c’est ce qu’on appelle naître coiffé. Dès que cette membrane est percée ou déchirée, la liqueur qu’elle contient s’écoule : on appelle cet écoulement le bain ou les eaux de la mère ; les bords de l’orifice de la matrice et les parois du vagin en étant humectés se prêtent plus facilement au passage de l’enfant ; après l’écoulement de cette liqueur, il reste dans la capacité de la matrice un vide dont les accoucheurs intelligents savent profiter pour retourner le fœtus, s’il est dans une position désavantageuse pour l’accouchement, ou pour le débarrasser des entraves du cordon ombilical, qui l’empêchent quelquefois d’avancer. Lorsque le fœtus est sorti, l’accouchement n’est pas encore fini ; il reste dans la matrice le placenta et les membranes ; l’enfant nouveau-né y est attaché par le cordon ombilical : la main de l’accoucheur, ou seulement le poids du corps de l’enfant, les tire au dehors par le moyen de ce cordon, c’est ce qu’on appelle délivrer la femme, et on donne alors au placenta et aux membranes le nom de délivrance. Ces organes, qui étaient nécessaires à la vie du fœtus, deviennent inutiles et même nuisibles à celle du nouveau-né ; on les sépare tout de suite du corps de l’enfant en nouant le cordon à un doigt de distance du nombril, et on le coupe à un doigt au-dessus de la ligature ; ce reste du cordon se dessèche peu à peu et se sépare de lui-même à l’endroit du nombril, ordinairement au sixième ou septième jour.

En examinant le fœtus dans le temps qui précède la naissance, l’on peut prendre quelque idée du mécanisme de ses fonctions naturelles ; il a des organes qui lui sont nécessaires dans le sein de sa mère, mais qui lui deviennent inutiles dès qu’il en est sorti. Pour mieux entendre le mécanisme des fonctions du fœtus, il faut expliquer un peu plus en détail ce qui a rapport à ses parties accessoires, qui sont le cordon, les enveloppes, la liqueur qu’elles contiennent, et enfin le placenta : le cordon qui est attaché au corps du fœtus, à l’endroit du nombril, est composé de deux artères et d’une veine qui prolongent le cours de la circulation du sang ; la veine est plus grosse que les artères : à l’extrémité de ce cordon, chacun de ces vaisseaux se divise en une infinité de ramifications qui s’étendent entre deux membranes et qui s’écartent également du tronc commun, de sorte que le composé de ces ramifications est plat et arrondi ; on l’appelle placenta, parce qu’il ressemble, en quelque façon, à un gâteau ; la partie du centre en est plus épaisse que celle des bords ; l’épaisseur moyenne est d’environ un pouce, et le diamètre de huit ou neuf pouces et quelquefois davantage ; la face extérieure qui est appliquée contre la matrice est convexe, la face intérieure est concave ; le sang du fœtus circule dans le cordon et dans le placenta ; les deux artères du cordon sortent de deux grosses artères du fœtus et en reçoivent du sang qu’elles portent dans les ramifications artérielles du placenta, au sortir desquelles il passe dans les ramifications veineuses qui le rapportent dans la veine ombilicale ; cette veine communique avec une veine du fœtus dans laquelle elle le verse.

La face concave du placenta est revêtue par le chorion ; l’autre face est aussi recouverte par une sorte de membrane molle et facile à déchirer, qui semble être une continuation du chorion, et le fœtus est renfermé sous la double enveloppe du chorion et de l’amnios ; la forme du tout est globuleuse, parce que les intervalles qui se trouvent entre les enveloppes et le fœtus sont remplis par une liqueur transparente qui environne le fœtus. Cette liqueur est contenue par l’amnios, qui est la membrane intérieure de l’enveloppe commune ; cette membrane est mince et transparente, elle se replie sur le cordon ombilical à l’endroit de son insertion dans le placenta, et le revêt sur toute sa longueur jusqu’au nombril du fœtus : le chorion est la membrane extérieure, elle est épaisse et spongieuse, parsemée de vaisseaux sanguins, et composée de plusieurs lames dont on croit que l’extérieur tapisse la face convexe du placenta ; elle en suit les inégalités, elle s’élève pour recouvrir les petits mamelons qui sortent du placenta et qui sont reçus dans les cavités qui se trouvent dans le fond de la matrice et que l’on appelle lacunes ; le fœtus ne tient à la matrice que par cette seule insertion de quelques points de son enveloppe extérieure dans les petites cavités ou sinuosités de ce viscère.

Quelques anatomistes ont cru que le fœtus humain avait, comme ceux de certains animaux quadrupèdes, une membrane appelée allantoïde[NdÉ 6], qui formait une capacité destinée à recevoir l’urine, et ils ont prétendu l’avoir trouvée entre le chorion et l’amnios, ou au milieu du placenta à la racine du cordon ombilical, sous la forme d’une vessie assez grosse, dans laquelle l’urine entrait par un long tuyau qui faisait partie du cordon, et qui allait s’ouvrir d’un côté dans la vessie et de l’autre dans cette membrane allantoïde ; c’était, selon eux, l’ouraque tel que nous le connaissons dans quelques animaux. Ceux qui ont cru avoir fait cette découverte de l’ouraque dans le fœtus humain avouent qu’il n’était pas, à beaucoup près, si gros que dans les quadrupèdes, mais qu’il était partagé en plusieurs filets si petits qu’à peine pouvait-on les apercevoir ; que cependant ces filets étaient creux, et que l’urine passait dans la cavité intérieure de ces filets, comme dans autant de canaux.

L’expérience et les observations du plus grand nombre des anatomistes sont contraires à ces faits ; on ne trouve ordinairement aucuns vestiges de l’allantoïde entre l’amnios et le chorion ou dans le placenta, ni de l’ouraque dans le cordon ; il y a seulement une sorte de ligament qui tient d’un bout à la face extérieure du fond de la vessie, et de l’autre au nombril, mais il devient si délié en entrant dans le cordon qu’il y est réduit à rien ; pour l’ordinaire, ce ligament n’est pas creux, et on ne voit point d’ouverture dans le fond de la vessie qui y réponde.

Le fœtus n’a aucune communication avec l’air libre, et les expériences que l’on a faites sur ses poumons ont prouvé qu’ils n’avaient pas reçu l’air comme ceux de l’enfant nouveau-né, car ils vont à fond dans l’eau, au lieu que ceux de l’enfant qui a respiré surnagent ; le fœtus ne respire donc pas dans le sein de la mère, par conséquent il ne peut former aucun son par l’organe de la voix, et il semble qu’on doit regarder comme des fables les histoires qu’on débite sur les gémissements et les cris des enfants avant leur naissance. Cependant il peut arriver après l’écoulement des eaux que l’air entre dans la capacité de la matrice et que l’enfant commence à respirer avant que d’en être sorti ; dans ce cas il pourra crier, comme le petit poulet crie avant même que d’avoir cassé la coquille de l’œuf qui le renferme, parce qu’il y a de l’air dans la cavité qui est entre la membrane extérieure et la coquille, comme on peut s’en assurer sur les œufs dans lesquels le poulet est déjà fort avancé, ou seulement sur ceux qu’on a gardés pendant quelque temps et dont le petit-lait s’est évaporé à travers les pores de la coquille ; car en cassant ces œufs on trouve une cavité considérable dans le bout supérieur de l’œuf entre la membrane et la coquille, et cette membrane est dans un état de fermeté et de tension, ce qui ne pourrait être si cette cavité était absolument vide, car, dans ce cas, le poids du reste de la matière de l’œuf casserait cette membrane, et le poids de l’atmosphère briserait la coquille à l’endroit de cette cavité ; il est donc certain qu’elle est remplie d’air et que c’est par le moyen de cet air que le poulet commence à respirer avant que d’avoir cassé la coquille ; et si l’on demande d’où peut venir cet air qui est renfermé dans cette cavité, il est aisé de répondre qu’il est produit par la fermentation intérieure des matières contenues dans l’œuf[NdÉ 7], comme l’on sait que toutes les matières en fermentation en produisent. (Voyez la Statique des végétaux, chap. vi.)

Le poumon du fœtus étant sans aucun mouvement, il n’entre dans ce viscère qu’autant de sang qu’il en faut pour le nourrir et le faire croître, et il y a une autre voie ouverte pour le cours de la circulation : le sang, qui est dans l’oreillette droite du cœur, au lieu de passer dans l’artère pulmonaire et de revenir, après avoir parcouru le poumon, dans l’oreillette gauche par la veine pulmonaire, passe immédiatement de l’oreillette droite du cœur dans la gauche par une ouverture nommée le trou ovale, qui est dans la cloison du cœur entre les deux oreillettes ; il entre ensuite dans l’aorte, qui le distribue dans toutes les parties du corps par toutes ses ramifications artérielles, au sortir desquelles les ramifications veineuses le reçoivent et le rapportent au cœur en se réunissant toutes dans la veine-cave qui aboutit a l’oreillette droite du cœur ; le sang que contient cette oreillette, au lieu de passer en entier par le trou ovale, peut s’échapper en partie dans l’artère pulmonaire, mais il n’entre pas pour cela dans le corps des poumons, parce qu’il y a une communication entre l’artère pulmonaire et l’aorte par un canal artériel qui va immédiatement de l’une à l’autre ; c’est par ces voies que le sang du fœtus circule sans entrer dans le poumon, comme il y entre dans les enfants, les adultes et dans tous les animaux qui respirent.

On a cru que le sang de la mère passait dans le corps du fœtus par le moyen du placenta et du cordon ombilical : on supposait que les vaisseaux sanguins de la matrice étaient ouverts dans les lacunes et ceux du placenta dans les mamelons, et qu’ils s’abouchaient les uns avec les autres, mais l’expérience est contraire à cette opinion[NdÉ 8] : on a injecté les artères du cordon, la liqueur est revenue en entier par les veines, et il ne s’en est échappé aucune partie à l’extérieur ; d’ailleurs on peut tirer les mamelons des lacunes où il sont logés, sans qu’il sorte du sang ni de la matrice, ni du placenta ; il suinte seulement de l’une et de l’autre une liqueur laiteuse. C’est, comme nous l’avons dit, cette liqueur qui sert de nourriture au fœtus ; il semble qu’elle entre dans les veines du placenta, comme le chyle entre dans la veine sous-clavière, et peut-être le placenta fait-il en grande partie l’office du poumon pour la sanguification[NdÉ 9]. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le sang paraît bien plus tôt dans le placenta que dans le fœtus, et j’ai souvent observé dans les œufs couvés pendant un jour ou deux que le sang paraît d’abord dans les membranes et que les vaisseaux sanguins y sont fort gros et en très grand nombre, tandis qu’à l’exception du point auquel ils aboutissent, le corps entier du petit poulet n’est qu’une matière blanche et presque transparente, dans laquelle il n’y a encore aucun vaisseau sanguin.

On pourrait croire que la liqueur de l’amnios est une nourriture que le fœtus reçoit par la bouche ; quelques observateurs prétendent avoir reconnu cette liqueur dans son estomac et avoir vu quelques fœtus auxquels le cordon ombilical manquait entièrement, et d’autres qui n’en avaient qu’une très petite portion qui ne tenait point au placenta ; mais, dans ce cas, la liqueur de l’amnios ne pourrait-elle pas entrer dans le corps du fœtus par la petite portion du cordon ombilical, ou par l’ombilic même ? D’ailleurs, on peut opposer à ces observations d’autres observations. On a trouvé quelquefois des fœtus qui avaient la bouche fermée et dont les lèvres n’étaient pas séparées ; on en a vu aussi dont l’œsophage n’avait aucune ouverture : pour concilier tous ces faits, il s’est trouvé des anatomistes qui ont cru que les aliments passaient au fœtus en partie par le cordon ombilical et en partie par la bouche. Il me paraît qu’aucune de ces opinions n’est fondée ; il n’est pas question d’examiner le seul accroissement du fœtus et de chercher d’où et par où il tire sa nourriture ; il s’agit de savoir comment se fait l’accroissement du tout, car le placenta, la liqueur et les enveloppes croissent et augmentent aussi bien que le fœtus, et par conséquent ces instruments, ces canaux, employés à recevoir ou à porter cette nourriture au fœtus, ont eux-mêmes une espèce de vie. Le développement ou l’accroissement du placenta et des enveloppes est aussi difficile à concevoir que celui du fœtus, et on pourrait également dire, comme je l’ai déjà insinué, que le fœtus nourrit le placenta, comme l’on dit que le placenta nourrit le fœtus. Le tout est, comme l’on sait, flottant dans la matrice et sans aucune adhérence dans les commencements de cet accroissement : ainsi il ne peut se faire que par une intussusception de la matière laiteuse qui est contenue dans la matrice ; le placenta paraît tirer le premier cette nourriture, convertir ce lait en sang et le porter au fœtus par des veines ; la liqueur de l’amnios ne paraît être que cette même liqueur laiteuse dépurée, dont la quantité augmente par une pareille intussusception, à mesure que cette membrane prend de l’accroissement, et le fœtus peut tirer de cette liqueur, par la même voie d’intussusception, la nourriture nécessaire à son développement, car on doit observer que dans les premiers temps, et même jusqu’à deux et trois mois, le corps du fœtus ne contient que très peu de sang ; il est blanc comme de l’ivoire, et ne paraît être composé que de lymphe qui a pris de la solidité ; et comme la peau est transparente et que toutes les parties sont très molles, on peut aisément concevoir que la liqueur dans laquelle le fœtus nage peut les pénétrer immédiatement et fournir ainsi la matière nécessaire à sa nutrition et à son développement. Seulement on peut croire que dans les derniers temps il prend de la nourriture par la bouche[NdÉ 10], puisqu’on trouve dans son estomac une liqueur semblable à celle que contient l’amnios, de l’urine dans la vessie et des excréments dans les intestins ; et comme on ne trouve ni urine, ni meconium, c’est le nom de ces excréments, dans la capacité de l’amnios, il y a tout lieu de croire que le fœtus ne rend point d’excréments[NdÉ 11], d’autant plus qu’on en a vu naître sans avoir l’anus percé, et sans qu’il y eût pour cela une plus grande quantité de meconium dans les intestins.

Quoique le fœtus ne tienne pas immédiatement à la matrice, qu’il n’y soit attaché que par de petits mamelons extérieurs à ses enveloppes, qu’il n’y ait aucune communication du sang de la mère avec le sien[NdÉ 12], qu’en un mot il soit à plusieurs égards aussi indépendant de la mère qui le porte que l’œuf l’est de la poule qui le couve, on a prétendu que tout ce qui affectait la mère affectait aussi le fœtus ; que les impressions de l’une agissaient sur le cerveau de l’autre, et on a attribué à cette influence imaginaire les ressemblances, les monstruosités, et surtout les taches qu’on voit sur la peau. J’ai examiné plusieurs de ces marques, et je n’ai jamais aperçu que des taches qui m’ont paru causées par un dérangement dans le tissu de la peau. Toute tache doit nécessairement avoir une figure qui ressemblera, si l’on veut, à quelque chose, mais je crois que la ressemblance que l’on trouve dans celles-ci dépend plutôt de l’imagination de ceux qui les voient que de celle de la mère. On a poussé sur ce sujet le merveilleux aussi loin qu’il pouvait aller : non seulement on a voulu que le fœtus portât les représentations réelles des appétits de sa mère, mais on a encore prétendu que par une sympathie singulière les taches qui représentaient des fruits, par exemple, des fraises, des cerises, des mûres, que la mère avait désiré de manger, changeaient de couleur ; que leur couleur devenait plus foncée dans la saison où ces fruits entraient en maturité. Avec un peu plus d’attention et moins de prévention, l’on pourrait voir cette couleur des taches de la peau changer bien plus souvent ; ces changements doivent arriver toutes les fois que le mouvement du sang est accéléré, et cet effet est tout ordinaire dans le temps où la chaleur de l’été fait mûrir les fruits. Ces taches sont toujours ou jaunes, ou rouges, ou noires, parce que le sang donne ces teintes de couleur à la peau lorsqu’il entre en trop grande quantité dans les vaisseaux dont elle est parsemée : si ces taches ont pour cause l’appétit de la mère, pourquoi n’ont-elles pas des formes et des couleurs aussi variées que les objets de ces appétits ? Que de figures singulières on verrait si les vains désirs de la mère étaient écrits sur la peau de l’enfant !

Comme nos sensations ne ressemblent point aux objets qui les causent, il est impossible que le désir, la frayeur, l’horreur, qu’aucune passion en un mot, aucune émotion intérieure, puissent produire des représentations réelles de ces mêmes objets ; et l’enfant étant à cet égard aussi indépendant de la mère qui le porte que l’œuf l’est de la poule qui le couve, je croirai tout aussi volontiers, ou tout aussi peu, que l’imagination d’une poule qui voit tordre le cou à un coq produira, dans les œufs qu’elle ne fait qu’échauffer, des poulets qui auront le cou tordu, que je croirais l’histoire de la force de l’imagination de cette femme qui, ayant vu rompre les membres à un criminel, mit au monde un enfant dont les membres étaient rompus.

Mais supposons pour un instant que ce fait fût avéré, je soutiendrais toujours que l’imagination de la mère n’a pu produire cet effet ; car quel est l’effet du saisissement et de l’horreur ? un mouvement intérieur, une convulsion, si l’on veut, dans le corps de la mère, qui aura secoué, ébranlé comprimé, resserré, relâché, agité la matrice ; que peut-il résulter de cette commotion ? rien de semblable à la cause, car si cette commotion est très violente, on conçoit que le fœtus peut recevoir un coup qui le tuera, qui le blessera, ou qui rendra difformes quelques-unes des parties qui auront été frappées avec plus de force que les autres ; mais comment concevra-t-on que ce mouvement, cette commotion communiquée à la matrice, puisse produire dans le fœtus quelque chose de semblable à la pensée de la mère, a moins que de dire, comme Harvey, que la matrice a la faculté de concevoir des idées et de les réaliser sur le fœtus ?

Mais, me dira-t-on, comment donc expliquer le fait ? Si ce n’est pas l’imagination de la mère qui a agi sur le fœtus, pourquoi est-il venu au monde avec les membres rompus ? À cela je réponds que quelque témérité qu’il y ait à vouloir expliquer un fait lorsqu’il est en même temps extraordinaire et incertain, quelque désavantage qu’on ait à vouloir rendre raison de ce même fait supposé comme vrai, lorsqu’on en ignore les circonstances, il me paraît cependant qu’on peut répondre d’une manière satisfaisante à cette espèce de question, de laquelle on n’est pas en droit d’exiger une solution directe. Les choses les plus extraordinaires, et qui arrivent le plus rarement, arrivent cependant aussi nécessairement que les choses ordinaires et qui arrivent très souvent ; dans le nombre infini de combinaisons que peut prendre la matière, les arrangements les plus extraordinaires doivent se trouver, et se trouvent en effet, mais beaucoup plus rarement que les autres ; dès lors on peut parier, et peut-être avec avantage, que sur un million, ou, si l’on veut, mille millions d’enfants qui viennent au monde, il en naîtra un avec deux têtes, ou avec quatre jambes, ou avec des membres rompus, ou avec telle difformité ou monstruosité particulière qu’on voudra supposer. Il se peut donc naturellement, et sans que l’imagination de la mère y ait eu part, qu’il soit né un enfant dont les membres étaient rompus ; il se peut même que cela soit arrivé plus d’une fois, et il se peut enfin encore plus naturellement qu’une femme qui devait accoucher de cet enfant ait été au spectacle de la roue, et qu’on ait attribué à ce qu’elle y avait vu et à son imagination frappée, le défaut de conformation de son enfant. Mais indépendamment de cette réponse générale qui ne satisfera guère que certaines gens, ne peut-on pas en donner une particulière, et qui aille plus directement à l’explication de ce fait ? Le fœtus n’a, comme nous l’avons dit, rien de commun avec la mère ; ses fonctions en sont indépendantes, il a ses organes, son sang, ses mouvements, et tout cela lui est propre et particulier : la seule chose qu’il tire de sa mère est cette liqueur ou lymphe nourricière que filtre la matrice ; si cette lymphe est altérée, si elle est envenimée du virus vénérien, l’enfant devient malade de la même maladie, et on peut penser que toutes les maladies qui viennent du vice ou de l’altération des humeurs peuvent se communiquer de la mère au fœtus ; on sait en particulier que la vérole se communique, et l’on n’a que trop d’exemples d’enfants qui sont, même en naissant, les victimes de la débauche de leurs parents. Le virus vénérien attaque les parties les plus solides des os, et il paraît même agir avec plus de force et se déterminer plus abondamment vers ces parties les plus solides qui sont toujours celles du milieu de la longueur des os, car on sait que l’ossification commence par cette partie du milieu, qui se durcit la première et s’ossifie longtemps avant les extrémités de l’os. Je conçois donc que si l’enfant dont il est question a été, comme il est très possible, attaqué de cette maladie dans le sein de sa mère, il a pu se faire très naturellement qu’il soit venu au monde avec les os rompus dans leur milieu, parce qu’ils l’auront en effet été dans cette partie par le virus vénérien.

Le rachitisme peut aussi produire le même effet ; il y a au Cabinet du Roi un squelette d’enfant rachitique, dont les os des bras et des jambes ont tous des calus dans le milieu de leur longueur ; à l’inspection de ce squelette on ne peut guère douter que cet enfant n’ait eu les os des quatre membres rompus dans le temps que la mère le portait, ensuite les os se sont réunis et ont formé ces calus.

Mais c’est assez nous arrêter sur un fait que la seule crédulité a rendu merveilleux ; malgré toutes nos raisons et malgré la philosophie, ce fait, comme beaucoup d’autres, restera vrai pour bien des gens ; le préjugé, surtout celui qui est fondé sur le merveilleux, triomphera toujours de la raison, et l’on serait bien peu philosophe si l’on s’en étonnait. Comme il est souvent question dans le monde de ces marques des enfants, et que dans le monde les raisons générales et philosophiques font moins d’effet qu’une historiette, il ne faut pas compter qu’on puisse jamais persuader aux femmes que les marques de leurs enfants n’ont aucun rapport avec les envies qu’elles n’ont pu satisfaire ; cependant ne pourrait-on pas leur demander, avant la naissance de l’enfant, quelles ont été les envies qu’elles n’ont pu satisfaire, et quelles seront par conséquent les marques que leur enfant portera ? J’ai fait quelquefois cette question, et j’ai fâché les gens sans les avoir convaincus.

La durée de la grossesse est pour l’ordinaire d’environ neuf mois, c’est-à-dire de deux cent soixante et quatorze ou de deux cent soixante et quinze jours ; ce temps est cependant quelquefois plus long, et très souvent bien plus court ; on sait qu’il naît beaucoup d’enfants à sept et à huit mois ; on sait aussi qu’il en naît quelques-uns beaucoup plus tard qu’au neuvième mois ; mais, en général, les accouchements qui précèdent le terme de neuf mois sont plus communs que ceux qui le passent. Aussi on peut avancer que le plus grand nombre des accouchements qui n’arrivent pas entre le deux cent soixante et dixième jour et le deux cent quatre-vingtième, arrivent du deux cent soixantième au deux cent soixante et dixième, et ceux qui disent que ces accouchements ne doivent pas être regardés comme prématurés paraissent bien fondés ; selon ce calcul les temps ordinaires de l’accouchement naturel s’étendent à vingt jours, c’est-à-dire depuis huit mois et quatorze jours jusqu’à neuf mois et quatre jours.

On a fait une observation qui paraît prouver l’étendue de cette variation dans la durée des grossesses en général, et donner en même temps le moyen de la réduire à un terme fixe dans telle ou telle grossesse particulière. Quelques personnes prétendent avoir remarqué que l’accouchement arrivait après dix mois lunaires de vingt-sept jours chacun, ou neuf mois solaires de trente jours, au premier ou au second jour qui répondaient aux deux premiers jours auxquels l’écoulement périodique arrivait à la mère avant sa grossesse. Avec un peu d’attention l’on verra que le nombre de dix périodes de l’écoulement des règles peut, en effet, fixer le temps de l’accouchement à la fin du neuvième mois ou au commencement du dixième[1].

Il naît beaucoup d’enfants avant le deux cent soixantième jour, et quoique ces accouchements précèdent le terme ordinaire ce ne sont pas de fausses couches, parce que ces enfants vivent pour la plupart ; on dit ordinairement qu’ils sont nés à sept mois, ou à huit mois, mais il ne faut pas croire qu’ils naissent en effet précisément à sept mois ou à huit mois accomplis ; c’est indifféremment dans le courant du sixième, du septième, du huitième, et même dans le commencement du neuvième mois. Hippocrate dit clairement que les enfants de sept mois naissent dès le cent quatre-vingt-deuxième jour, ce qui fait précisément la moitié de l’année solaire.

On croit communément que les enfants qui naissent à huit mois ne peuvent pas vivre, ou du moins qu’il en périt beaucoup plus de ceux-là que de ceux qui naissent à sept mois. Pour peu que l’on réfléchisse sur cette opinion, elle paraît n’être qu’un paradoxe, et je ne sais si, en consultant l’expérience, on ne trouvera pas que c’est une erreur : l’enfant qui vient à huit mois est plus formé, et par conséquent plus vigoureux, plus fait pour vivre que celui qui n’a que sept mois ; cependant cette opinion que les enfants de huit mois périssent plutôt que ceux de sept est assez communément reçue, et elle fondée sur l’autorité d’Aristote, qui dit : « Cæteris animantibus ferendi uteri unum est tempus, homini verò plura sunt ; quippe et septimo mense et decimo nascitur, atque etiam inter septimum et decimum positis ; qui enim mense octavo nascuntur, etsi minùs, tamen vivere possunt. » (Vide de Generat. anim., l. iv, c. ult.) Le commencement du septième mois est donc le premier terme de l’accouchement ; si le fœtus est rejeté plus tôt il meurt, pour ainsi dire sans être né ; c’est un fruit avorté qui ne prend point de nourriture, et, pour l’ordinaire, il périt subitement dans la fausse couche. Il y a, comme l’on voit, de grandes limites pour les termes de l’accouchement, puisqu’elles s’étendent depuis le septième jusqu’au neuvième et dixième mois, et peut-être jusqu’au onzième ; il naît, a la vérité, beaucoup moins d’enfants au dixième mois qu’il n’en naît dans le huitième, quoiqu’il en naisse beaucoup au septième ; mais, en général, les limites du temps de l’accouchement sont au moins de trois mois, c’est-à-dire depuis le septième jusqu’au dixième.

Les femmes qui ont fait plusieurs enfants assurent presque toutes que les femelles naissent plus tard que les mâles ; si cela est, on ne devrait pas être surpris de voir naître des enfants à dix mois, surtout des femelles. Lorsque les enfants viennent avant neuf mois, ils ne sont pas aussi gros ni aussi formés que les autres ; ceux, au contraire, qui ne viennent qu’à dix mois, ou plus tard, ont le corps sensiblement plus gros et mieux formé que ne l’est ordinairement celui des nouveau-nés ; les cheveux sont plus longs, l’accroissement des dents, quoique cachées sous les gencives, est plus avancé, le son de la voix est plus net, et le ton en est plus grave qu’aux enfants de neuf mois. On pourrait reconnaître à l’inspection du nouveau-né de combien sa naissance aurait été retardée, si les proportions du corps de tous les enfants de neuf mois étaient semblables et si les progrès de leur accroissement étaient réglés ; mais le volume du corps et son accroissement varient selon le tempérament de la mère et celui de l’enfant ; ainsi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne sera pas plus avancé qu’un autre qui sera né à neuf mois.

Il y a beaucoup d’incertitude sur les causes occasionnelles de l’accouchement, et l’on ne sait pas trop ce qui peut obliger le fœtus à sortir de la matrice ; les uns pensent que le fœtus ayant acquis une certaine grosseur, la capacité de la matrice se trouve trop étroite pour qu’il puisse y demeurer, et que la contrainte où il se trouve l’oblige à faire des efforts pour sortir de sa prison ; d’autres disent, et cela revient à peu près au même, que c’est le poids du fœtus qui devient si fort que la matrice s’en trouve surchargée et qu’elle est forcée de s’ouvrir pour s’en délivrer. Ces raisons ne me paraissent pas satisfaisantes ; la matrice a toujours plus de capacité et de résistance qu’il n’en faut pour contenir un fœtus de neuf mois et pour en soutenir le poids, puisque souvent elle en contient deux, et qu’il est certain que le poids et la grandeur de deux jumeaux de huit mois, par exemple, sont plus considérables que le poids et la grandeur d’un seul enfant de neuf mois ; d’ailleurs, il arrive souvent que l’enfant de neuf mois qui vient au monde est plus petit que le fœtus de huit mois, qui cependant reste dans la matrice.

Galien a prétendu que le fœtus demeurait dans la matrice jusqu’à ce qu’il fût assez formé pour pouvoir prendre sa nourriture par la bouche, et qu’il ne sortait que par le besoin de nourriture auquel il ne pouvait satisfaire. D’autres ont dit que le fœtus se nourrissait par la bouche de la liqueur même de l’amnios, et que cette liqueur, qui dans les commencements est une lymphe nourricière, peut s’altérer sur la fin de la grossesse par le mélange de la transpiration ou de l’urine du fœtus, et que quand elle est altérée à un certain point le fœtus s’en dégoûte et ne peut plus s’en nourrir, ce qui l’oblige à faire des efforts pour sortir de son enveloppe et de la matrice. Ces raisons ne me paraissent pas meilleures que les premières ; car il s’ensuivrait de là que les fœtus les plus faibles et les plus petits resteraient nécessairement dans le sein de la mère plus longtemps que les fœtus plus forts et plus gros, ce qui cependant n’arrive pas ; d’ailleurs ce n’est pas la nourriture que le fœtus cherche dès qu’il est né, il peut s’en passer aisément pendant quelque temps ; il semble, au contraire, que la chose la plus pressée est de se débarrasser du superflu de la nourriture qu’il a prise dans le sein de la mère et de rendre le meconium. Aussi a-t-il paru plus vraisemblable à d’autres anatomistes[2] de croire que le fœtus ne sort de la matrice que pour être en état de rendre ses excréments ; ils ont imaginé que ces excréments, accumulés dans les boyaux du fœtus, lui donnent des coliques douloureuses qui lui font faire des mouvements et des efforts si grands que la matrice est enfin obligée de céder et de s’ouvrir pour le laisser sortir. J’avoue que je ne suis guère plus satisfait de cette explication que des autres ; pourquoi le fœtus ne pourrait-il pas rendre ses excréments dans l’amnios même, s’il était, en effet, pressé de les rendre ? Or cela n’est jamais arrivé ; il paraît, au contraire, que cette nécessité de rendre le méconium ne se fait sentir qu’après la naissance, et que le mouvement du diaphragme, occasionné par celui du poumon, comprime les intestins et cause cette évacuation qui ne se ferait pas sans cela, puisque l’on n’a point trouvé de meconium dans l’amnios des fœtus de dix et onze mois qui n’ont pas respiré, et qu’au contraire un enfant à six ou sept mois rend ce meconium peu de temps après qu’il a respiré.

D’autres anatomistes, et entre autres Fabrice d’Aquapendente, ont cru que le fœtus ne sortait de la matrice que par le besoin où il se trouvait de se procurer du rafraîchissement au moyen de la respiration. Cette cause me paraît encore plus éloignée qu’aucune des autres ; le fœtus a-t-il une idée de la respiration sans avoir jamais respiré ? sait-il si la respiration le rafraîchira ? est-il même bien vrai qu’elle rafraîchisse ? Il paraît au contraire qu’elle donne un plus grand mouvement au sang, et que par conséquent elle augmente la chaleur intérieure, comme l’air chassé par un soufflet augmente l’ardeur du feu[NdÉ 13].

Après avoir pesé toutes ces explications et toutes les raisons d’en douter, j’ai soupçonné que la sortie du fœtus devait dépendre d’une cause toute différente. L’écoulement des menstrues se fait, comme l’on sait, périodiquement et à des intervalles déterminés ; quoique la grossesse supprime cette apparence, elle n’en détruit cependant pas la cause, et quoique le sang ne paraisse pas au terme accoutumé, il doit se faire dans ce même temps une espèce de révolution semblable à celle qui se faisait avant la grossesse : aussi y a-t-il plusieurs femmes dont les menstrues ne sont pas absolument supprimées dans les premiers mois de la grossesse. J’imagine donc que lorsqu’une femme a conçu, la révolution périodique se fait comme auparavant, mais que comme la matrice est gonflée et qu’elle a pris de la masse et de l’accroissement, les canaux excrétoires étant plus serrés et plus pressés qu’ils ne l’étaient auparavant ne peuvent s’ouvrir ni donner d’issue au sang, à moins qu’il n’arrive avec tant de force ou en si grande quantité qu’il puisse se faire passage malgré la résistance qui lui est opposée ; dans ce cas il paraîtra du sang, et s’il coule en grande quantité, l’avortement suivra ; la matrice reprendra la forme qu’elle avait auparavant, parce que le sang ayant rouvert tous les canaux qui s’étaient fermés, ils reviendront au même état qu’ils étaient : si le sang ne force qu’une partie de ces canaux, l’œuvre de la génération ne sera pas détruite, quoiqu’il paraisse du sang, parce que la plus grande partie de la matrice se trouve encore dans l’état qui est nécessaire pour qu’elle puisse s’exécuter : dans ce cas il paraîtra du sang, et l’avortement ne suivra pas ; ce sang sera seulement en moindre quantité que dans les évacuations ordinaires.

Lorsqu’il n’en paraît point du tout, comme c’est le cas le plus ordinaire, la première révolution périodique ne laisse pas de se marquer et de se faire sentir par les mêmes douleurs, les mêmes symptômes ; il se fait donc, dès le temps de la première suppression, une violente action sur la matrice, et pour peu que cette action fût augmentée, elle détruirait l’ouvrage de la génération : on peut même croire avec assez de fondement que, de toutes les conceptions qui se font dans les derniers jours qui précèdent l’arrivée des menstrues, il en réussit fort peu, et que l’action du sang détruit aisément les faibles racines d’un germe si tendre et si délicat ; les conceptions au contraire qui se font dans les jours qui suivent l’écoulement périodique sont celles qui tiennent et qui réussissent le mieux, parce que le produit de la conception a plus de temps pour croître, pour se fortifier et pour résister à l’action du sang et à la révolution qui doit arriver au terme de l’écoulement.

Le fœtus ayant subi cette première épreuve, et y ayant résisté, prend plus de force et d’accroissement, et est plus en état de souffrir la seconde révolution qui arrive un mois après la première ; aussi les avortements causés par la seconde période sont-ils moins fréquents que ceux qui sont causés par la première ; à la troisième période le danger est encore moins grand, et moins encore à la quatrième et à la cinquième, mais il y en a toujours ; il peut arriver, et il arrive en effet de fausses couches dans les temps de toutes ces révolutions périodiques ; seulement on a observé qu’elles sont plus rares dans le milieu de la grossesse, et plus fréquentes au commencement et à la fin : on entend bien, par ce que nous venons de dire, pourquoi elles sont plus fréquentes au commencement ; il nous reste à expliquer pourquoi elles sont aussi plus fréquentes vers la fin que vers le milieu de la grossesse.

Le fœtus vient ordinairement au monde dans le temps de la dixième révolution ; lorsqu’il naît à la neuvième ou à la huitième, il ne laisse pas de vivre, et ces accouchements précoces ne sont pas regardés comme de fausses couches, parce que l’enfant, quoique moins formé, ne laisse pas de l’être assez pour pouvoir vivre ; on a même prétendu avoir des exemples d’enfants nés à la septième, et même à la sixième révolution, c’est-à-dire, à cinq ou six mois, qui n’ont pas laissé de vivre ; il n’y a donc de différence entre l’accouchement et la fausse couche, que relativement à la vie du nouveau-né ; et en considérant la chose généralement, le nombre des fausses couches du premier, du second et du troisième mois, est très considérable par les raisons que nous avons dites, et le nombre des accouchements précoces du septième et du huitième mois est aussi assez grand, en comparaison de celui des fausses couches des quatrième, cinquième et sixième mois, parce que dans ce temps du milieu de la grossesse l’ouvrage de la génération a pris plus de solidité et plus de force ; qu’ayant eu celle de résister à l’action des quatre premières révolutions périodiques, il en faudrait une beaucoup plus violente que les précédentes pour le détruire : la même raison subsiste pour le cinquième et le sixième mois, et même avec avantage, car l’ouvrage de la génération est encore plus solide à cinq mois qu’à quatre, et à six mois qu’à cinq ; mais lorsqu’on est arrivé à ce terme, le fœtus, qui jusqu’alors est faible et ne peut agir que faiblement par ses propres forces, commence à devenir fort et à s’agiter avec plus de vigueur, et lorsque le temps de la huitième période arrive, et que la matrice en éprouve l’action, le fœtus, qui l’éprouve aussi, fait des efforts qui, se réunissant avec ceux de la matrice, facilitent son exclusion et il peut venir au monde dès le septième mois toutes les fois qu’il est à cet âge plus vigoureux ou plus avancé que les autres, et dans ce cas il pourra vivre ; au contraire, s’il ne venait au monde que par la faiblesse de la matrice qui n’aurait pu résister au coup du sang dans cette huitième révolution, l’accouchement serait regardé comme une fausse couche, et l’enfant ne vivrait pas ; mais ces cas sont rares, car si le fœtus a résisté aux sept premières révolutions, il n’y a que des accidents particuliers qui puissent faire qu’il ne résiste pas à la huitième, en supposant qu’il n’ait pas acquis plus de force et de vigueur qu’il n’en a ordinairement dans ce temps. Les fœtus qui n’auront acquis qu’un peu plus tard ce même degré de force et de vigueur plus grande viendront au monde dans le temps de la neuvième période, et ceux auxquels il faudra le temps de neuf mois pour avoir cette même force viendront à la dixième période, ce qui est le terme le plus commun et le plus général ; mais lorsque le fœtus n’aura pas acquis dans ce temps de neuf mois ce même degré de perfection et de force, il pourra rester dans la matrice jusqu’à la onzième, et même jusqu’à la douzième période, c’est-à-dire, ne naître qu’à dix ou onze mois, comme on en a des exemples.

Cette opinion, que ce sont les menstrues qui sont la cause occasionnelle de l’accouchement en différents temps, peut être confirmée par plusieurs autres raisons que je vais exposer. Les femelles de tous les animaux qui n’ont point de menstrues mettent bas toujours au même terme, à très peu près ; il n’y a jamais qu’une très légère variation dans la durée de la gestation : on peut donc soupçonner que cette variation, qui dans les femmes est si grande, vient de l’action du sang qui se fait sentir à toutes les périodes.

Nous avons dit que le placenta ne tient à la matrice que par quelques mamelons, qu’il n’y a de sang ni dans ces mamelons, ni dans les lacunes où ils sont nichés, et que quand on les en sépare, ce qui se fait aisément et sans effort, il ne sort de ces mamelons et de ces lacunes qu’une liqueur laiteuse ; or comment se fait-il donc que l’accouchement soit toujours suivi d’une hémorrhagie, même considérable, d’abord de sang assez pur, ensuite de sang mêlé de sérosités, etc. ? Ce sang ne vient point de la séparation du placenta, les mamelons sont tirés hors des lacunes sans aucune effusion de sang puisque ni les uns ni les autres n’en contiennent ; l’accouchement, qui consiste précisément dans cette séparation, ne doit donc pas produire du sang : ne peut-on pas croire que c’est au contraire l’action du sang qui produit l’accouchement ? et ce sang est celui des menstrues qui force les vaisseaux dès que la matrice est vide, et qui commence à couler immédiatement après l’enfantement, comme il coulait avant la conception.

On sait que dans les premiers temps de la grossesse le sac qui contient l’œuvre de la génération n’est point du tout adhérent à la matrice : on a vu par les expériences de Graaf qu’on peut, en soufflant dessus la petite bulle, la faire changer de lieu ; l’adhérence n’est même jamais bien forte dans la matrice des femmes, et à peine le placenta tient-il à la membrane intérieure de ce viscère dans les premiers temps, il n’y est que contigu et joint par une matière mucilagineuse qui n’a presque aucune adhésion ; dès lors pourquoi arrive-t-il que dans les fausses couches du premier et du second mois cette bulle qui ne tient à rien ne sort cependant jamais qu’avec grande effusion de sang ? Ce n’est certainement pas la sortie de la bulle qui occasionne cette effusion, puisqu’elle ne tenait point du tout à la matrice : c’est au contraire l’action de ce sang qui oblige la bulle à sortir ; et ne doit-on pas croire que ce sang est celui des menstrues, qui, en forçant les canaux par lesquels il avait coutume de passer avant la conception, en détruit le produit en reprenant sa route ordinaire ?

Les douleurs de l’enfantement sont occasionnées principalement par cette action du sang, car on sait qu’elles sont tout au moins aussi violentes dans les fausses couches de deux et trois mois que dans les accouchements ordinaires, et qu’il y a bien des femmes qui ont dans tous les temps, et sans avoir conçu, des douleurs très vives lorsque l’écoulement périodique est sur le point de paraître, et ces douleurs sont de la même espèce que celles de la fausse couche ou de l’accouchement ; dès lors ne doit-on pas soupçonner qu’elles viennent de la même cause ?

Il paraît donc que la révolution périodique du sang menstruel peut influer beaucoup sur l’accouchement, et qu’elle est la cause de la variation des termes de l’accouchement dans les femmes, d’autant plus que toutes les autres femelles, qui ne sont pas sujettes à cet écoulement périodique, mettent bas toujours au même terme ; mais il paraît aussi que cette révolution, occasionnée par l’action du sang menstruel, n’est pas la cause unique de l’accouchement, et que l’action propre du fœtus ne laisse pas d’y contribuer, puisqu’on a vu des enfants qui se sont fait jour et sont sortis de la matrice après la mort de la mère, ce qui suppose nécessairement dans le fœtus une action propre et particulière, par laquelle il doit toujours faciliter son exclusion, et même se la procurer en entier dans de certains cas[NdÉ 14].

Les fœtus des animaux, comme des vaches, des brebis, etc., n’ont qu’un terme pour naître ; le temps de leur séjour dans le ventre de la mère est toujours le même, et l’accouchement est sans hémorrhagie ; n’en doit-on pas conclure que le sang que les femmes rendent après l’accouchement est le sang des menstrues, et que si le fœtus humain naît à des termes si différents, ce ne peut être que par l’action de ce sang qui se fait sentir sur la matrice à toutes les révolutions périodiques ? Il est naturel d’imaginer que si les femelles des animaux vivipares avaient des menstrues comme les femmes, leurs accouchements seraient suivis d’effusion de sang, et qu’ils arriveraient à différents termes. Les fœtus des animaux viennent au monde revêtus de leurs enveloppes, et il arrive rarement que les eaux s’écoulent et que les membranes qui les contiennent se déchirent dans l’accouchement, au lieu qu’il est très rare de voir sortir ainsi le sac tout entier dans les accouchements des femmes : cela semble prouver que le fœtus humain fait plus d’efforts que les autres pour sortir de sa prison, ou bien que la matrice de la femme ne se prête pas aussi naturellement au passage du fœtus que celle des animaux, car c’est le fœtus qui déchire sa membrane par les efforts qu’il fait pour sortir de la matrice, et ce déchirement n’arrive qu’à cause de la grande résistance que fait l’orifice de ce viscère avant que de se dilater assez pour laisser passer l’enfant.


Notes de Buffon
  1. « Ad hanc normam matronæ prudentiores calculos suos subducentes (dùm singulis mensibus solitum menstrui fluxus diem in fastos referunt) spe raro excidunt ; verùm transactis decem lunæ curriculis, eodem die quo (absque prægnatione foret) menstrua iis profluerent, partum experiuntur ventrisque fructum colligunt. » (Harvey, de Generat., p. 262.
  2. Drelincourt est, je crois, l’auteur de cette opinion.
Notes de l’éditeur
  1. Buffon affirme plus haut qu’il a vu dans la cicatricule, avant l’incubation, le poulet tout entier, et qu’il y a reconnu « la tête et l’épine du dos ». On voit que les contradictions abondent dans cette partie de son œuvre. C’est qu’en réalité elle est tout entière purement hypothétique.
  2. On a tenté l’expérience sans y réussir ; mais elle se trouve réalisée chaque jour par les animaux dits ovovivipares dont les embryons se développent pendant que l’œuf est encore contenu dans l’oviducte de la mère.
  3. Il est bien remarquable qu’un esprit aussi hardiment généralisateur que Buffon montre tant de répugnance à admettre l’existence des œufs chez les animaux vivipares, alors qu’il en constate la présence chez tous les autres animaux. Sa répugnance est telle qu’il entasse arguments sur arguments, sans trop en peser la valeur, pour arriver à se convaincre lui-même. C’est ce qu’il fait dans ce passage. Si, chez les poules, un grand nombre d’œufs peuvent être fécondés en même temps, cela tient à ce qu’un grand nombre arrivent simultanément à la maturité. Chez les mammifères, au contraire, il n’y a, d’habitude, qu’un petit nombre d’œufs parvenant à la maturité à la même époque. Chez la femme il n’y en a même d’ordinaire qu’un seul. En second lieu, chez les ovipares, l’embryon ne commençant à se développer que sous l’influence de la chaleur produite par l’incubation, son développement peut être retardé, tandis que, chez les vivipares, il se forme aussitôt après la fécondation.
  4. À l’époque où Buffon écrivait ce mémoire on ne connaissait encore que fort peu les phases successives par lesquelles passe l’embryon des animaux pendant son développement. On se bornait à discuter si telle partie se formait avant telle ou telle autre ; les uns se prononçaient en faveur du cœur, d’autres en faveur du cerveau, mais tous n’étaient guidés que par des considérations plus métaphysiques que physiologiques.

    Le lecteur me saura peut-être gré d’exposer ici rapidement les traits principaux du développement du fœtus, ainsi que je l’ai fait pour l’organisation des appareils génitaux et des éléments reproducteurs mâles et femelles. Buffon ne parlant que des animaux supérieurs, c’est d’eux seuls aussi que je m’occuperai, et, comme lui, je m’en tiendrai au développement du fœtus humain.

    Après la fécondation, c’est-à-dire après la fusion d’un ou plusieurs spermatozoïdes avec le contenu de l’œuf, celui-ci se segmente d’abord en deux, puis en quatre, en huit, en seize, en trente-deux, etc. cellules, de manière à offrir bientôt l’aspect d’une mure, d’où le nom de morula qui a été donné par M. Hæckel à cette phase du développement. Du liquide s’accumule ensuite au centre de cette masse dont les cellules constituantes finissent par se séparer en une seule couche, située au-dessous de la membrane vitelline, limitant une cavité pleine de liquide. M. Hæckel a donné à cette deuxième phase du développement de l’œuf le nom de blastula. Bientôt, sur un point limité de cette vésicule, les cellules se segmentent transversalement de manière à former deux couches concentriques, que l’on réunit sous le nom de blastoderme. C’est lui qui constitue véritablement le premier état de l’embryon. La couche la plus superficielle du blastoderme a reçu le nom de feuillet externe du blastoderme ; on donne à la plus profonde le nom de feuillet interne du blastoderme. Entre ces deux couches il s’en développe bientôt une troisième qui a reçu, d’après sa position, le nom de feuillet moyen du blastoderme. Chacun de ces feuillets est destiné à produire une portion déterminée des tissus et des organes de l’embryon. Le feuillet externe donne naissance à l’épiderme, au système nerveux central, etc. Le feuillet interne produit l’épithélium du tube intestinal, du poumon, des glandes annexes du tube digestif, etc. Quant au feuillet intermédiaire, il produit l’appareil vasculaire, une portion du système nerveux, etc. Le lecteur n’attend pas que j’entre ici dans l’exposé des phénomènes très complexes à l’aide desquels s’effectue la production des divers tissus, organes et appareils de l’embryon. Je dois me borner à suivre les principales phases du développement de ce dernier, envisagé dans son ensemble.

    Nous avons dit dans une note précédente que l’on ignore encore le point exact des organes génitaux femelles dans lequel se produit la fécondation, mais qu’il est permis de supposer qu’elle s’effectue soit à la surface même de l’ovaire, au moment où l’œuf sort de la vésicule rompue de Graaf, soit dans les trompes. Quoi qu’il en soit, aussitôt après la fécondation et tandis que l’œuf subit les premières segmentations dont nous venons de parler, l’utérus devient le siège d’une série de phénomènes très importants. Une quantité de sang plus considérable qu’à l’ordinaire y afflue et la muqueuse émet une grande quantité de petits mamelons très riches en vaisseaux. L’œuf se fixe entre deux de ces mamelons qui grandissent alors très rapidement autour de lui et finissent par lui former une enveloppe complète qui s’agrandira en même temps qu’augmentera la taille de l’embryon et qui formera autour du fœtus l’un des feuillets des membranes qui l’enveloppent et qui sont souvent réunies, notamment ici par Buffon, sous le nom de chorion. Le feuillet du chorion formé par la portion de la muqueuse utérine qui a bourgeonné autour de l’œuf a reçu le nom de caduque fœtale. Comme, au moment de l’accouchement, toute la muqueuse utérine se détache, on lui a donné le nom de caduque utérine, et l’on réserve celui de caduque sérotine à la portion de la muqueuse de l’utérus qui rattache la caduque fœtale à la caduque utérine. C’est au niveau de cette dernière que se fixe le placenta dont nous parlerons dans un instant. Revenons maintenant à l’œuf.

    Pendant que le vitellus subit les premières segmentations, la membrane vitelline émet à sa surface un grand nombre de villosités qui puisent sur la surface des muqueuses avec lesquelles l’œuf se trouve en contact les liquides nécessaires à la nutrition des cellules du blastoderme. On a donné parfois à la membrane vitelline ainsi modifiée le nom de premier chorion. Son rôle nutritif n’est que très passager. Après que la formation des trois couches du blastoderme est achevée et pendant que les cellules de ces diverses couches continuent à se diviser pour produire les tissus et les organes de l’embryon, celui-ci entre à l’état d’une plaque elliptique, se courbe, rapproche ses bords à la façon d’une bourse qui se ferme et offre bientôt l’aspect d’une poche elliptique dont les bords se continuent avec la portion de la blastula qui ne prend pas part à la formation de l’embryon ; cette portion est restée formée d’une seule couche de cellules, et sa cavité communique avec la cavité de l’embryon, les deux cavités étant pleines d’un liquide hyalin albumino-graisseux. La cavité de l’embryon deviendra plus tard l’intestin ; on donne à la cavité plus grande de la blastula avec laquelle elle communique le nom de vésicule ombilicale. Le point par lequel les deux cavités sont en relation continue à se rétrécir et bientôt la cavité de l’embryon ne communique plus avec la cavité de la vésicule ombilicale que par un canal étroit, auquel on a donné le nom de conduit omphalo-mésentérique. Le point par lequel ce canal est en rapport avec la cavité de l’embryon a reçu le nom d’ombilic intestinal, et le point au niveau duquel la paroi du corps de l’embryon se rétrécit est l’ombilic cutané ou ombilic proprement dit qui se voit encore chez l’adulte.

    Le liquide albumineux et graisseux qui remplit la vésicule ombilicale et qui est puisé par les villosités de la membrane vitelline dans la cavité de l’utérus sert à la nutrition de l’embryon pendant ses premiers développements. Lorsque la vésicule ombilicale ne communique plus avec la cavité intestinale de l’embryon que par le canal omphalo-mésentérique, le liquide de la vésicule est absorbé par des vaisseaux développés dans sa paroi (vaisseaux omphalo-mésentériques) qui le transportent vers l’embryon et qui constituent la première circulation fœtale.

    Mais la vésicule ombilicale et ses fonctions ne durent que peu de temps. Vers la fin de la quatrième semaine, elle commence à diminuer de volume pendant que se développe un nouvel appareil nutritif, et vers la cinquième semaine on n’en trouve plus que quelques traces. Chez les oiseaux, son rôle est beaucoup plus durable ; c’est elle qui renferme le jaune et celui-ci n’est pas encore totalement épuisé au moment de l’éclosion du poulet ; mais, chez les oiseaux, la vésicule ombilicale est graduellement enveloppée par la paroi de l’abdomen et, conséquemment, le jaune finit par être logé dans la cavité abdominale du jeune animal.

    Chez l’homme et les animaux supérieurs, pendant que la vésicule ombilicale se sépare de la cavité embryonnaire pour n’être plus bientôt reliée à cette dernière que par le canal omphalo-mésentérique, il se produit trois phénomènes d’une haute importance : la formation de l’amnios, celle du deuxième chorion et celle de l’allantoïde. Nous les examinerons rapidement et successivement l’un et l’autre.

    L’amnios se forme par un bourgeonnement du feuillet externe et du feuillet interne de l’embryon qui se produit autour de l’ombilic cutané. Ce bourgeonnement donne naissance à deux plis membraneux qui, bientôt, s’étalent, l’un au-dessus de la tête de l’embryon (capuchon céphalique), l’autre au-dessus de la queue de l’embryon (capuchon caudal), puis s’étalent au-dessus du dos et finissent par s’y joindre et s’y souder l’un à l’autre. L’embryon se trouve alors entièrement enveloppé par un sac membraneux qui a reçu le nom d’amnios, rempli d’un liquide (liquide amniotique) exhalé par ses propres parois et dans lequel flotte l’embryon.

    Tandis que l’amnios se forme, toute la portion de la blastula qui n’a pas pris part à la formation de l’embryon se trouve refoulée contre la face interne de la membrane vitelline par l’amnios et par la vésicule ombilicale et finit par déterminer la destruction de la membrane vitelline. Il se forme alors à sa surface un grand nombre de villosités semblables à celles dont nous avons déjà décrit la formation à la surface de la membrane vitelline et douées de la même fonction, c’est-à-dire puisant dans la cavité utérine les liquides destinés à la nutrition de l’embryon. La blastula ainsi modifiée constitue le deuxième chorion. Son rôle n’est que de courte durée.

    Pendant que les phénomènes précédents se produisaient, il se formait sur la paroi de la cavité intestinale de l’embryon un bourgeon qui, après la fermeture de la vésicule amniotique, grandit avec une grande rapidité, se glisse entre le conduit omphalo-mésentérique et la portion de l’amnios qui enveloppe ce dernier, et bientôt gagne la face interne de la blastula, en dedans de laquelle elle s’étale rapidement. Sa surface se couvre alors de villosités et un troisième chorion se trouve formé. On lui a donné le nom de chorion vasculaire parce qu’il contient un grand nombre de vaisseaux sanguins formés par le bourgeonnement des vaisseaux intestinaux. Ces vaisseaux puisent, par absorption, à la surface de la membrane caduque fœtale les matériaux nécessaires à la nutrition de l’embryon. L’existence du troisième chorion n’est d’ailleurs que de peu de durée. Bientôt les vaisseaux s’atrophient dans la plus grande partie de son étendue, et ne persistent que dans un point limité, de forme discoïde, situé vis-à-vis la face ventrale de l’embryon. Mais en ce point ils prennent un très grand développement, s’enfoncent dans la muqueuse utérine où ils s’accolent très étroitement aux vaisseaux utérins et puisent dans ces derniers, par absorption, les matières nutritives du sang maternel. Cette masse vasculaire est le placenta. Elle est rattachée à l’ombilic de l’embryon par un cordon formé comme elle par l’allantoïde, désigné sous le nom de cordon ombilical. Le cordon ombilical contient trois vaisseaux : deux artères ombilicales qui portent le sang du fœtus dans le placenta où il se trouve en contact avec le sang de la mère dans lequel il puise des éléments nutritifs et l’oxygène nécessaire à la respiration de l’embryon ; une veine ombilicale ramène vers l’embryon le sang modifié dans le placenta. Cet état de choses persiste jusqu’au moment de sa naissance. L’embryon est donc, pendant toute la durée de son développement, nourri par la mère. Il puise également dans le sang de cette dernière l’oxygène nécessaire aux oxydations multiples qui se produisent dans son organisme et qui, chez l’adulte, sont placées sous la dépendance de la respiration pulmonaire.

  5. Dans l’accouchement, le fœtus n’agit pas. La pression qu’exerce sa tête sur l’orifice de l’utérus, et qui a pour effet de le dilater, est la conséquence de l’impulsion qu’il reçoit lui-même et de la pression dont il est l’objet de la part des parois contractées de l’utérus.
  6. Ainsi que je l’ai dit plus haut, en décrivant la formation du fœtus, il est parfaitement exact que le fœtus humain possède une allantoïde.
  7. Cet air vient du dehors à travers la coquille, qui est très poreuse.
  8. Buffon a raison ; il n’y a aucune communication directe entre les vaisseaux du fœtus et ceux de la mère. Les capillaires du placenta sont seulement en contact très intime avec ceux de l’utérus, et c’est par endosmose et exosmose que s’opèrent les échanges de liquides nutritifs et de gaz entre le fœtus et la mère.
  9. La supposition émise ici par Buffon est, comme nous l’avons dit plus haut, tout à fait conforme à la réalité. Chez le fœtus les poumons ne jouent aucun rôle physiologique. L’oxygène nécessaire aux oxydations du fœtus, ou, si l’on veut, à la respiration de ses cellules et de ses tissus, vient de la mère ; il est absorbé dans les capillaires artériels de l’utérus par les capillaires du placenta. Quant à l’acide carbonique qui résulte des oxydations du fœtus, il est ramené vers le placenta par les artères ombilicales, et passe, de là dans les capillaires veineux de l’utérus pour être ensuite expiré par les poumons de la mère.
  10. C’est une erreur. Le fœtus ne se nourrit que par le placenta, ainsi que je l’ai montré dans une note précédente.
  11. Le fœtus, en effet, ne rend pas d’excréments.
  12. J’ai indiqué dans une note précédente la nature des relations qui existent, par l’intermédiaire du placenta, entre le fœtus et la mère.
  13. Buffon a raison de dire que la respiration « augmente la chaleur intérieure », mais il ne pouvait pas connaître la raison de cette augmentation de la chaleur intérieure qui se produit sous l’influence de la respiration. On sait aujourd’hui qu’elle est due à ce que la respiration introduit dans le sang une quantité considérable d’oxygène qui est répandu ensuite, par la circulation, dans tout l’organisme et mis en contact avec les éléments anatomiques dans lesquels il détermine des oxydations accompagnées d’une production de chaleur.
  14. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le fœtus est passif dans l’accouchement. Il peut seulement déterminer les contractions de l’utérus par la pression qu’il exerce sur les parois de cet organe. On sait, en effet, que toute pression de l’utérus détermine des contractions plus ou moins énergiques. Quant au cas dont parle Buffon, de fœtus expulsés après la mort de la mère, ils ne prouvent pas que le fœtus se fraye lui-même un passage, mais simplement que l’utérus peut encore se contracter pendant quelque temps après la mort de la mère. Il faut, en effet, distinguer avec soin la mort de l’individu de la mort de chacun de ses organes. (Voyez à ce sujet : de Lanessan, le Transformisme, p. 184.)