Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Pierres ponces

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PIERRES PONCES

M. Daubenton a remarqué et reconnu le premier que les pierres ponces étaient composées de filets d’un verre presque parfait, et M. le chevalier de Dolomieu a fait de très bonnes observations sur l’origine et la nature de cette production volcanique ; il a observé, dans ses voyages, que l’île de Lipari est l’immense magasin qui fournit les pierres ponces à toute l’Europe, que plusieurs montagnes de cette île en sont entièrement composées : il dit qu’on les trouve en morceaux isolés dans une poudre blanche, farineuse, et qui n’est elle-même qu’une ponce pulvérulente.

La substance de ces pierres, surtout des plus légères, est dans un état de fritte très rapproché d’un verre parfait : leur tissu est fibreux, leur grain rude et sec, elles paraissent luisantes et soyeuses, et elles sont beaucoup plus légères que les laves poreuses ou cellulaires.

Cet illustre observateur distingue quatre espèces de ponces qui diffèrent entre elles par le grain plus ou moins serré, par la pesanteur, par la contexture et par la disposition des pores.

« Les pierres ponces, dit-il, paraissent avoir coulé à la manière des laves, avoir formé, comme elles, de grands courants que l’on retrouve à différentes profondeurs, les uns au-dessus des autres, autour du groupe des montagnes du centre de Lipari… Les pierres ponces pesantes occupent la partie inférieure des courants ou massifs, les pierres légères sont au-dessus ; et il en est de même des laves dont les plus poreuses et les plus légères occupent toujours la partie supérieure[1]. »

Il observe que les îles de Lipari et de Volcano sont les seuls volcans de l’Europe qui produisent en grande quantité des pierres ponces ; que l’Etna n’en donne point, et le Vésuve très peu ; qu’on n’en trouve pas dans les volcans éteints de la Sicile, de l’Italie, de la France, de l’Espagne et du Portugal. Cependant M. Faujas de Saint-Fond en a reconnu de bien caractérisées en Auvergne, sur la montagne de Polagnac, à trois lieues de Clermont, route de Rochefort.

En examinant avec soin les différentes sortes de pierres ponces, M. le chevalier de Dolomieu a observé que les plus pesantes avaient le grain, les écailles luisantes, et l’apparence fissile du schiste micacé blanchâtre… Il a trouvé dans quelques-uns des restes de granit, qui en présentaient encore les trois parties constituantes, le quartz, le feldspath et le mica. On sait d’ailleurs que le granit se fond en une espèce d’émail blanc et boursouflé. « J’ai vu, dit-il, ces granits acquérir par degrés le tissu lâche et fibreux, et la consistance de la ponce, je ne puis donc douter que la roche feuilletée graniteuse et micacée, et le granit lui-même, ne soient les matières premières à l’altération desquelles on doit attribuer la formation des pierres ponces. » Et il ajoute avec raison que la rareté des pierres ponces vient de ce qu’il y a très peu de volcans qui soient situés dans les granits, qu’ils se trouvent presque toujours dans les schistes et les ardoises, matières qui, travaillées par le feu et beaucoup moins dénaturées qu’on ne le suppose, servent de base aux laves ferrugineuses noires et rouges que l’on rencontre dans tous les volcans. M. de Dolomieu observe : 1o que, pour qu’il y ait production de pierres ponces, il faut que le granit soit d’une nature très fusible, c’est-à-dire mêlé de beaucoup de feldspath, et que le feu du volcan soit plus vif et plus actif qu’il ne l’est communément : on reconnaît, dit-il, que la fusion a toujours commencé par le feldspath, et que le premier effet du feu sur le quartz a été de le gercer et de le rendre presque pulvérulent ; 2o que cette production peut s’opérer dans les roches granitiques, qui renferment entre leurs bancs des roches feuilletées micacées noires et blanches, et des granits fossiles ou gneis, dont la base est en feldspath très fusible, tel qu’il l’a observé dans les granits qui sont en face de Lipari et qui s’étendent jusqu’à Melazzo[2].

Au reste, les pierres ponces les plus légères et de la meilleure qualité sont si abondantes à l’île de Lipari, que plusieurs navires viennent chaque année en faire leur approvisionnement pour les transporter dans différentes parties de l’Europe.

M. Faujas de Saint-Fond, ayant examiné les différentes sortes de pierres ponces qui lui ont été données par M. le chevalier de Dolomieu, fait mention de plusieurs variétés de ces pierres[3], dont les unes sont compactes et granitoïdes, et indiquent le premier passage du granit à la pierre ponce ; d’autres qui, quoique compactes, sont composées de filets vitreux, et tiennent plus de la nature de la pierre ponce que du granit ; d’autres légères, blanches et poreuses avec des stries soyeuses, et ce sont les pierres ponces parfaites qui se soutiennent et nagent sur l’eau ; leur grain est sec, fin et rude, et elles servent, dans les arts, à dégrossir, et même à polir plusieurs ouvrages. Tous les filets vitreux de ces pierres sont très fragiles et n’ont aucune forme régulière : il y en a de cylindriques, de comprimés, de tortueux, de gros à la base et capillaires à l’extrémité. On trouve assez souvent dans ces pierres des vides occasionnés par des soufflures, et c’est dans ces cavités que l’on voit des filets déliés et si fins qu’ils ressemblent à de la soie ; d’autres enfin sont très légères, farineuses et friables ; celles-ci sont si tendres et ont si peu de consistance, qu’elles ne sont d’aucun usage dans les arts : cette sorte de ponce a été surcalcinée et s’est réduite en poudre ; on a donné mal à propos à cette poudre le nom de cendres, dont elle n’a que la couleur et les apparences extérieures. On la trouve en très grande abondance à l’île de Lipari, à celle de Volcano, et dans différents autres lieux.

M. Faujas de Saint-Fond présume, avec fondement, que toutes les fois que le granit contiendra du feldspath en grande quantité, l’action du feu pourra le convertir en pierre ponce, et qu’il en sera de même de toutes les pierres et terres où la matière quartzeuse se trouvera mêlée de feldspath en assez grande quantité pour la rendre très fusible. On peut même croire que le basalte remanié par le feu formera de la pierre ponce noire ou noirâtre, et que les grès et schistes, mêlés de matières calcaires qui les rendent fusibles, pourront aussi se convertir en pierres ponces de diverses couleurs.


Notes de Buffon
  1. Voyages aux îles de Lipari ; Paris, in-4o.
  2. Voyages aux îles de Lipari ; Paris, in-8o.
  3. Minéralogie des volcans, chap. xv, p. 268 et suiv.