Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 07/Extraits de l’Ère nouvelle

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EXTRAITS
DE
L’ÈRE NOUVELLE
1848



AUX GENS DE BIEN.
Septembre 1848.


Le lendemain des journées de Juin, quand les ruines du clos Saint-Lazare et de la Bastille fumaient encore, l’Ère nouvelle, qu’une popularité inattendue répandait dans les faubourgs de Paris, en profitait pour s’adresser aux insurgés désarmés, pour leur tenir un langage qui ne les ménageait pas, qui ne les irritait pas, et pour leur apprendre à mieux connaître désormais les grands coupables qui les avaient trompés. Les gens de bien louèrent la fermeté de nos paroles, ils nous firent l’honneur d’y trouver quelque chaleur de cœur et une sincère passion des intérêts du peuple. Aujourd’hui nous leur demandons la même indulgence, car c’est à eux que nous avons affaire. Maintenant que l’appareil des bivouacs n’attriste plus nos boulevards, maintenant que l’orage parlementaire de l’enquête s’est déchargé de tout ce qu’il portait de foudres, il nous est permis de ne plus taire des vérités qui ont cessé d’être dangereuses, et d’adresser aux bons citoyens une page plus émue que de coutume, sans crainte que les mauvais la ramassent et qu’elle serve à bourrer les fusils des barricades.

On a dit aux gens de bien qu’ils avaient sauvé la France, et nous ne trouvons pas qu’on les ait flattés, car les gens de bien sont, à notre avis, la France même, moins les égoïstes et les factieux. C’est l’immense majorité des huit millions d’électeurs qui ont donné au pays son assemblée ; ce sont les huit cent mille gardes nationaux qui se levaient en juin pour la défendre. Mais il ne suffit pas d’avoir sauvé la France une ou plusieurs fois ; un grand pays a besoin d’être sauvé tous les jours. La Providence, qui a résolu de nous tenir en haleine, permet que le péril succède au péril. Vous allez et venez tranquillement d’un bout à l’autre de la ville pacifiée. Mais le danger, que vous vous félicitez de ne plus voir dans les rues, s’est caché dans les greniers des maisons qui les bordent. Vous avez écrasé la révolte : il vous reste un ennemi que vous ne connaissez pas assez, dont vous n’aimez pas qu’on vous entretienne, et dont nous avons résolu de vous parler aujourd’hui : LA MISÈRE.

Vous avez voulu la dissolution des ateliers nationaux, et vous avez raison. Vous vous réjouissez de ne plus voir les jardins publics encombrés de travailleurs jouant au bouchon la paye de leur oisiveté, et les places sillonnées par des bandes d’ouvriers réunis sous un drapeau où l’organisation du travail était inscrite, et qui en portait la ruine dans ses plis. Mais, parce que les jardins et les places sont vides, pensez-vous que les ateliers particuliers soient pleins, et qu’il ait suffi, comme les habiles l’assuraient, de licencier les chantiers de la nation pour faire sortir de terre les constructions, battre les métiers des tisserands, et fumer les cheminées de toutes les usines ? Voici deux mois que l’industrie jouit de cette paix qui devait lui rendre la vie, et à Paris le nombre des individus sans travail qu’il faut sauver de la faim est encore de deux cent soixante-sept mille.

On les assiste, en effet, et peut-être le souvenir des cinq millions votés dans ce but et dont vous supportez votre part calme votre conscience et satisfait votre humanité. Mais ceux qui ont l’honneur d’être les distributeurs des secours publics sont moins rassurés. Ils entrent, par exemple, dans le douzième arrondissement, l’une des places de guerre de l’insurrection, et sur quatre-vingt dix mille habitants environ, ils trouvent huit mille ménages inscrits au bureau de bienfaisance, vingt et un mille neuf cent quatre-vingt-douze secourus extraordinairement, en tout soixante et dix mille personnes environ vivant du pain précaire de l’aumône. La moitié de ces quartiers, toute la Montagne-Sainte-Geneviève et tout le voisinage des Gobelins, se composent de rues étroites, tortueuses, où le soleil ne pénètre jamais, où une voiture ne s’engagerait pas sans danger, où un homme en frac ne passe pas sans faire événement et sans attirer sur les portes des groupes d’enfants nus et de femmes en haillons. Des deux côtés d’un ruisseau infect, s’élèvent des maisons de cinq étages, dont plusieurs réunissent jusqu’à cinquante familles. Des chambres basses, humides, nauséabondes, sont louées à raison de un franc cinquante centimes par semaine quand elles sont pourvues d’une cheminée, et de un franc vingt-cinq centimes quand elles en manquent. Aucun papier, souvent pas un meuble ne cache la nudité de leurs tristes murs. Dans une maison de la rue des Lyonnais, qui nous est connue, dix ménages n’avaient plus de bois de lit. Au fond d’une sorte de cave, habitait une famille sans autre couche qu’un peu de paille sur le sol décarrelé, sans autre mobilier qu’une corde qui traversait la pièce : ces pauvres gens y suspendaient leur pain dans un lambeau de linge pour le mettre à l’abri des rats. Dans la chambre voisine, une femme avait perdu trois enfants, morts de phtisie, et en montrait avec désespoir trois autres réservés à la même fin. Les étages supérieurs n’offraient pas un aspect plus consolant. Sous les combles, un grenier mansardé sans fenêtres, percé seulement de deux ouvertures fermées chacune par un carreau, abritait un pauvre tailleur, sa femme et huit enfants-, chaque soir, ils gagnaient, en rampant, la paille qui leur servait de gîte, au fond de la pièce et sous la pente du toit.

Ne parlons pas des mieux partagés, de ceux qui avaient deux lits pour six personnes, où s’ entassaient pêle-mêle, bien portants et malades, et des garçons de dix-huit ans avec des filles de seize. Ne parlons pas du délabrement des habits, qui est tel, que dans la même maison vingt enfants ne peuvent fréquenter les écoles faute de vêtements. Du moins faut-il que ces malheureux trouvent quelque part leur nourriture, et que, s’ils périssent de consomption, il ne soit pas dit qu’ils meurent littéralement de faim dans la ville la plus civilisée de la terre. Plusieurs vivent des restes que leur distribuent à travers les grilles du Luxembourg les cuisiniers de la troupe casernée dans le château. Une vieille femme s’est nourrie huit jours des morceaux de pain qu’elle ramassait dans les immondices et qu’elle détrempait dans l’eau froide. Il est vrai que la bienfaisance de la nation arrivait au secours d’une si cruelle détresse : les distributeurs qui vont frapper tous les dix jours à la porte des ouvriers sans travail y laissent un bon d’un kilogramme de viande et trois kilogrammes de pain pour chaque bouche c’est à peu près la valeur de douze centimes et demi par jour, et c’est pour le douzième arrondissement seul la somme énorme de cent quatre-vingt-dixhuit mille francs par mois.

Assurément le quartier Saint-Jacques et celui du Jardin-des-Plantes ne donnent pas toujours le spectacle de la même désolation. Nous y connaissons des rues marchandes, des maisons pauvres, mais habitables, des chambres étroites, mais bien tenues, conservant les restes d’une ancienne aisance, des meubles cirés, du linge blanc, et cette propreté qui est le luxe des pauvres. Mais la comparaison n’en -est que plus douloureuse entre le souvenir de ce bien-être, fruit d’un long travail et d’une sévère économie, et le dénûment de ces ouvriers robustes, de ces actives ménagères, qui s’indignent de leur désœuvrement, et qui, après de longues journées consumées aux portes des chantiers et des magasins où on ne les embauche pas, se plaignent de périr d’ennui autant que de besoin. Là du moins il n’y a plus de place pour cette excuse familière aux coeurs durs, que les pauvres le sont par leur faute, comme si le défaut de lumière et de moralité n’était pas la plus déplorable des misères et la plus pressante pour les sociétés qui veulent vivre. Là, quand le visiteur accompagne les secours officiels d’une parole qui en couvre l’humiliante insuffisance, à mesure qu’il pénètre dans l’intimité des familles, il y trouve moins de sympathies que de blâme pour l’insurrection, moins de regrets pour le club que pour l’atelier. Le petit nombre de ceux dont l’esprit malade nourrit encore des rêves incendiaires finissent souvent par se rendre à une conversation amicale et sensée, et par croire à ces vertus dont on leur avait fait détester le nom : la charité, la résignation, la patience. Parmi ces gens des faubourgs qu’on a coutume de représenter comme un peuple sans foi, il en est bien peu qui n’aient audessus de leur chevet une croix, une image, un rameau béni, bien peu qui soient morts à l’ hôpital des blessures de Juin sans avoir ouvert leurs bras au prêtre et leur cœur au pardon. Dans les greniers infects et sur le même palier que la paresse et la débauche, nous avons vu les plus aimables vertus domestiques, avec la délicatesse et l’intelligence qu’on ne rencontre pas toujours sous des lambris dorés ; un pauvre tonnelier, septugénaire, fatiguant ses vieux bras pour nourrir l’enfant qu’un fils mort dans la force de l’âge lui avait laissé ; un jeune sourd-muet de douze ans, dont l’instruction a été poussée à ce point, qu’il commence à lire, qu’il prie, qu’il connaît Dieu. Nous n’oublierons jamais une humble chambre, mais d’un arrangement irréprochable, où une bonne femme d’Auvergne, dans le costume de son pays, travaillait avec ses quatre jeunes filles propres, modestes, et ne levant les yeux de leur ouvrage que pour répondre poliment aux questions de l’étranger. Le père n’était qu’un manœuvre et servait les maçons mais la foi que ces braves gens avaient gardée de leurs montagnes éclairait leur vie, comme le rayon de soleil qui glissait à travers leur fenêtre et qui éclairait les saintes images collées sur les murs.

On s’effraye avec raison de cette multitude d’enfants qui grandissent pour le désordre et pour le crime, sans autre éducation que les exemples du cabaret et les tentations de la place publique. On ne sait pas assez que, dans le douzième arrondissement quatre mille garçons et filles ne fréquentent pas l’école, faute de place dans les écoles. On ne sait pas que le faubourg Saint-Marceau n’a qu’un asile dont la porte reste fermée à quinze cents enfants de deux à sept ans. En présence de ces tristes chiffres, nous ne voudrions pas croire que la commission des asiles et le conseil municipal contestent à la charité privée le droit de recueillir les enfants et de les instruire, et qu’on ne trouve pas les trente mille francs nécessaires pour fonder dix écoles de plus, pendant qu’on autorise le théâtre Saint-Marcel à reprendre le cours de ses représentations, et une nouvelle salle de spectacle à s’ouvrir dans la misérable rue du Grand Banquier. Voilà les maux, non d’un seul arrondissement, mais de plusieurs arrondissements de Paris ; non de Paris seulement, mais de Lyon, de Rouen, et de toutes les villes manufacturières du Nord. Voilà les périls du présent, jugez de ceux qu’amènera l’hiver, quand la rigueur de la saison suspendra le peu qui reste de travaux de bâtiments, et jettera quarante mille désœuvrés de plus sur le pavé de la capitale! Nous n’avons assurément pas l’habitude de nous rendre les échos des alarmes publiques ; mais nous ne pouvons oublier cette parole d’une sœur de Charité : « Je crains bien la mort, disait-elle, mais je crains encore plus l’hiver prochain. » Et nous aussi, nous le craignons ; et en descendant de ces escaliers délabrés, a chaque étage desquels nous avons vu tant de souffrances présentes, tant de dangers pour l’avenir, nous n’avons pu contenir notre douleur, nous nous sommes promis d’avertir nos concitoyens, et il faut bien qu’ils nous permettent de nous adresser à tous avec la franchise des gens de cœur et de leur dire

Prêtres français, ne vous offensez pas de la liberté d’une parole laïque qui fait appel a votre zèle de citoyens. La mort de l’archevêque de Paris vous couvre d’honneur, mais elle vous laisse un grand exemple. Ceux qui vous ont vus au choléra de 1832 et aux ambulances de Juin ne peuvent pas douter de votre courage, et quand des hommes tels que M. Fissiaux, M. de Bervenger, M. Landmann, tels que les trappistes de Staouëli, ont pris l’initiative des réformes pénitentiaires, de l’éducation professionnelle, des colonies agricoles, on ne peut plus contester votre compétence. Depuis quinze ans plusieurs d’entre vous se sont voués à l’apostolat des ouvriers, et, au pied des arbres de liberté qu’on leur a fait bénir, ils ont reconnu qu’ils n’avaient pas affaire à un peuple ingrat. Défiez-vous de ceux qui le calomnient, de ceux qui vous entretiennent de leurs regrets, de leurs espérances, de leurs prophéties, de tout ce qui fait consumer en pensées inutiles les heures que vous devez à nos dangers et à nos besoins. Défiez-vous surtout de vousmêmes, des habitudes d’une époque plus paisible, et doutez moins du pouvoir de votre ministère et de sa popularité. On vous doit cette justice, que vous aimez les pauvres de vos paroisses, que vous accueillez charitablement l’indigent qui frappe à votre porte, et que vous ne vous faites pas attendre s’il vous appelle au chevet de son lit. Mais le temps est venu de vous occuper davantage de ces autres pauvres qui ne mendient point, qui vivent ordinairement de leur travail, et auxquels on n’assurera jamais de telle sorte le droit au travail ni le droit à l’assistance, qu’ils n’aient besoin de secours, de conseils et de consolations. Le temps est venu d’aller chercher ceux qui ne vous appellent pas, qui, relégués dans les quartiers mal famés, n’ont peut-être jamais connu ni l’Église, ni le prêtre, ni le doux nom du Christ. Ne demandez point comment ils vous recevront, ou plutôt demandez-le à ceux qui les ont visités, qui ont hasardé de leur parler de Dieu, qui ne les ont pas trouvés plus insensibles que les autres hommes à une bonne parole et à de bonnes actions. S vous craignez votre timidité, votre inexpérience et l’insuffisance de vos ressources, associez-vous. Usez du bénéfice des lois nouvelles et formez des sociétés charitables de prêtres. Epuisez le crédit qui vous reste auprès de tant de familles chrétiennes, pressez-les à temps, à contretemps, et croyez qu’en les forçant à se dépouiller elles-mêmes, vous leur épargnez le déplaisir d’être dépouillées par des mains plus rudes. Ne vous effrayez pas quand les mauvais riches, froissés de vos discours, vous traiteront de communistes, comme on traitait saint Bernard de fanatique et d’insensé. Souvenez-vous que vos pères, les prêtres français du onzième et du douzième siècle, ont sauvé l’Europe par les croisades : sauvez-la encore une fois par la croisade de la charité, et, puisque celle-ci ne versera pas de sang, soyez-en les premiers soldats.

Riches,

— Car si votre nombre est diminué, nous connaissons des provinces que la détresse publique n’a fait qu’effleurer, et des fortunes sur lesquelles elle a passé comme un nuage, pendant les premiers mois d’une révolution dont nul ne pouvait marquer les limites, vous fûtes excusables de prévoir l’avenir, de songer à vos enfants, et de réunir l’épargne nécessaire pour les chances de la spoliation et de l’exil. Mais la prévoyance a ses limites, et Celui qui nous a appris à demander le pain de chaque jour ne nous a jamais conseillé de nous assurer dix ans de luxe. Nous vivons dans des jours sans exemple où il peut être sage de sacrifier l’avenir au présent, et l’économie au besoin de la circulation. Rouvrez les sources de ce crédit dont vous accusez l’épuisement. Dépensez, ne vous refusez point vos plaisirs légitimes dans un moment où ils peuvent devenir méritoires. — Faites l’aumône du travail, et faites aussi celle de l’assistance. Ne craignez pas de nuire au petit commerce en habillant de vos deniers ces milliers de pauvres, qui assurément n’achèteront ni vêtements ni chaussures avant six mois. Donnez pour les asiles et les écoles, et n’oubliez plus ces maisons de refuge, ces providences, ces trois maisons du Bon Pasteur, obligées de réduire au quart, au dixième, le nombre de leurs pénitentes, et de fermer leurs portes au repentir, quand Dieu lui ouvre les portes du ciel.

Représentants du peuple,

Nous respectons la grandeur et la difficulté de vos devoirs. Nous ne sommes pas de ceux qui, par la témérité de leurs accusations, ont le malheur d’affaiblir le dernier pouvoir capable de sauver la société. Vous poursuivez avec une juste lenteur votre œuvre, pour laquelle l’histoire vous louera d’avoir consumé les mois, si vous avez travaillé pour les siècles. Mais vous n’aurez pas travaillé pour un jour, si vous négligez cette formidable question de la misère, qui ne souffre pas de retard. Ne croyez pas avoir assez fait, pour avoir voté des subsides qui achèvent de s’épuiser, réglé les heures de travail, quand le travail n’est encore qu’un rêve, et refusé le repos du dimanche à des ouvriers qui vous reprochent le désœuvrement de leurs semaines.

Ne dites pas que les inspirations vous manquent. Nous connaissons dans vos rangs d’excellents esprits et dans vos cartons des propositions fécondes. Les familles des déportés, c’est-à-dire près de quatre mille personnes, vous pressent de les rejoindre à leurs chefs, et de les arracher à ces faubourgs où elles ne donnent que le dangereux spectacle de leur détresse et de leur ressentiment. Une pétition signée de vingt mille hommes vous supplie de les former en colonies agricoles pour l’Algérie. Les landes de Bretagne et les terres incultes du midi de la France vous demandent cent mille bras qui, retirés de l’industrie, feraient autant de concurrents de moins aux ateliers encombrés, et donneraient autant de défenseurs à la propriété combattue. Nous n’ignorons ni les obstacles, ni les rivalités, ni les imperfections qui arrêtent, chaque projet et qui éternisent les débats. Mais nous n’avons jamais vu que les grands pouvoirs fussent institués pour des circonstances faciles ; nous estimons que les rivalités d’amour-propre doivent s’effacer devant le besoin public, et qu’enfin mieux vaut faire imparfaitement que ne rien faire.

Ne dites pas que le temps vous manque. Sous les fusillades de l’insurrection, l’Assemblée nationale demandait à la nuit les heures que lui refusait le jour. On vous voyait à toutes les barricades, haranguant les factieux, encourageant les défenseurs de l’ordre, et l’histoire n’oubliera ni ceux d’entre vous qui y perdirent la vie, ni ceux qui la sauvèrent à leurs concitoyens. Pourquoi ne vous voit-on pas où est le péril du moment présent ? Pourquoi n’arracheriez-vous pas vos matinées aux solliciteurs qui les disputent pour visiter aussi ces quartiers déshérités, pour monter ces escaliers obscurs, pénétrer dans ces chambres nues, voir de vos yeux ce que souffrent vos frères, vous assurer de leurs besoins, laisser à ces pauvres gens le souvenir d’une visite qui honore et console déjà leur malheur, et redescendre enfin pénétrés d’une émotion qui ne supportera plus de délais, qui mettra le feu sur vos lèvres et le frémissement dans l’Assemblée, qui la forcera, s’il le faut, de se déclarer en permanence, et de ne pas se séparer sans avoir vaincu la misère, comme dans la mémorable nuit du 24 juin elle a vaincu la révolte ?

Ne dites pas enfin que l’argent vous manque. Quand il faudrait puiser ailleurs que dans les ressources accoutumées, quand vous n’auriez plus rien à attendre de l’économie et du crédit, attendez tout encore de la générosité de la France. Annoncez-lui hautement les mesures qui la sauveraient, et le déficit qui en retarde l’exécution. Ouvrez une souscription nationale pour les ouvriers sans travail, non-seulement de Paris, mais de toutes les provinces. Mettez-la sous le patronage et sous le contrôle de ce que vous avez de plus grands citoyens, de plus éclairés, de plus respectables. Que vos neuf cents noms aient l’honneur d’y figurer les premiers ; que les évêques siégeant à l’Assemblée invitent leurs collègues et les trente mille curés de France à publier la souscription dans toutes les chaires ; que le ministre de l’intérieur ordonne aux quarante mille maires de l’afficher, de la populariser dans toutes les communes ; recevez en nature comme en argent, que les comptes soient publics et fréquemment rendus ; faites-en une affaire de sécurité pour les timides, de patriotisme, de charité pour tous, et je m’étonne bien s’il reste un financier qui vous refuse un billet de banque, et un paysan qui ne vous apporte une poignée de blé.

Citoyens de toutes conditions,

Vous dont la rigueur des temps a retranché le superflu, et vous qui manquez du nécessaire, vous pouvez plus que les autres pour des maux que vous connaissez. Tous ceux qui ont l’expérience de la bienfaisance publique savent que les pauvres ne sont jamais mieux secourus que par les pauvres. A défaut de l’obole que la Providence ne laissera pas manquer, vous vous devez les uns aux autres l’assistance mutuelle des bons offices et des bons exemples. Quand d’autres porteraient au trésor public l’or à pleines mains, vous aurez mieux mérité de la patrie en donnant le spectacle du dévouement, de la résignation et de l’espérance. Le Christianisme a fait de l’espérance une vertu, faites-en la gardienne de cette société menacée. Gardez-vous enfin, car c’est le péril des âmes honnêtes et des cœurs haut placés, gardez-vous de désespérer de votre siècle, arrachez-vous à ces découragements qui renoncent à rien entreprendre quand ils assistent, disent-ils, à la décadence de la France et de la civilisation, et qui, à force d’annoncer la ruine prochaine d’un pays, finissent par la précipiter.




LES CAUSES DE LA MISÈRE


Octobre 1848.


Le droit au travail, vaincu à l’Assemble nationale, se venge de sa défaite dans les clubs et dans les banquets : tout annonce un de ces débats qui ne s’achèvent pas en un jour, qui survivent à leurs juges, et que la Providence tient ouverts pendant. des siècles, s’il le faut, pour l’éducation des hommes. C’est qu’en effet cette discussion mémorable introduisait à la tribune une question devant laquelle avait reculé jusqu’ici la timidité de nos parlements, la question de la misère. Mais, comme toutes les controverses qui commencent, celle-ci nous a plus émus qu’instruits ; toute la passion des orateurs n’a remédié ni à l’insuffisance de leurs études ni à l’inévitable ascendant des erreurs du passé. Habitués jusqu’ici à ne considérer que l’intérêt temporel dans le gouvernement des hommes, les politiques n’ont cherché les causes de la misère que dans un désordre matériel, et deux écoles se sont formées, qui ont tout ramené à la production ou à la distribution des richesses. D’un côté, l’ancienne école des économistes ne connaît pas de plus grand danger social qu’une production insuffisante ; pas d’autre salut que de la presser, de la multiplier par une concurrence illimitée ; pas d’autre loi du travail que celle de l’intérêt personnel, c’est-à-dire du plus insatiable des maîtres. D’un autre côté, l’école des socialistes modernes met tout le mal dans une distribution vicieuse, et croit avoir sauvé la société en supprimant la concurrence, en faisant de l’organisation du travail une prison qui nourrirait ses prisonniers, en apprenant aux peuples à échanger leur liberté contre la certitude du pain et la promesse du plaisir. Ces deux systèmes, dont l’un réduit la destinée humaine à produire, l’autre à jouir, aboutissent par deux voies diverses au matérialisme, et nous ne savons si nous avons plus d’horreur de ceux qui humilient les pauvres, les ouvriers, jusqu’à n’en faire que les instruments de la fortune des riches, ou de ceux qui les corrompent jusqu’à leur communiquer les passions des mauvais riches.

Pour nous, qui faisons profession de spiritualisme, nous avons une opinion plus haute de la destinée des hommes. Comme nous respectons en eux des personnes immortelles qui disposent de leur éternité, nous les croyons maîtres à beaucoup d’égards de leur bonheur ou de leur malheur dans le temps. Assurément, nous ne méconnaissons pas l’empire des événements extérieurs, les crises politiques qui suspendent l’activité du travail dans nos villes changées en place de guerre, les crises industrielles qui jettent dans les rues la population des manufactures, les crises domestiques qui tarissent les ressources d’une famille désolée par la mort du père ou par les maladies des enfants. Nous croyons à la possibilité de tempérer ce qu’il y a d’imprévu dans la condition humaine, par la prévoyance des institutions. Nous estimons la société perfectible ; nous en poursuivons, non le renversement, mais le progrès. Et cependant nous déclarons qu’on n’aura rien fait tant qu’on ne sera pas allé chercher, non au dehors, mais au dedans, les causes de la félicité de l’homme et les principes ennemis de son repos, tant qu’on n’aura pas porté lumière et la réforme dans ces désordres intérieurs que le temps ne répare pas, plus incurables que les maladies, plus durables que les chômages, et qui multiplieront encore les indigents longtemps après que l’herbe des cimetières aura couvert les dernières traces de la guerre civile.

Dieu ne fait pas de pauvres ; il n’envoie pas de créatures humaines dans les hasards de ce monde, sans les pourvoir de ces deux richesses qui sont les premières de toutes, je veux dire l’intelligence et la volonté. Et les richesses morales sont si bien l’origine de toutes les autres, que les choses matérielles ne deviennent des richesses à leur tour que par l’empreinte de l’intelligence qui les façonne, et de la volonté qui les emploie. C’est ce que nous voyons jusque dans nos vieilles industries, dans ces professions encombrées, où un homme venu des champs, en blouse et en sabots, mais avec un esprit droit et une activité persévérante, finit par forcer les avenues de la fortune et par vieillir sous des lambris dorés. Et, d’un autre côté, qui de nous n’a a connu sur les bancs des écoles quelqu’un de ces jeunes gens bien pourvus et bien doués, qu’un vice a perdus, et qui, au bout de dix ans, épuisés d’esprit, de santé et de ressources, ne vivent, plus que de l’aumône secrète de leurs anciens camarades, ou meurent à l’hôpital ? Le droit au travail, inscrit à la première page de la Constitution, empêchera-t-il jamais que, dans plusieurs industries, dans l’imprimerie, par exemple, un certain nombre d’ouvriers nomades errent d’atelier en atelier, ne travaillant chaque semaine qu’autant de jours qu’il le faut pour passer le reste dans le plaisir, sans autre asile pour le chômage que le dépôt de mendicité ? Et d’autres, cependant, attachés aux maisons honorables dont ils soutiennent la prospérité, trouvent dans un labeur assidu, dans des privations méritoires, le moyen de nourrir leurs vieux parents, et d’entourer encore de quelque aisance le berceau de leur jeune famille !

Pourquoi donc taire au peuple ce qu’il sait, et le flatter comme les mauvais rois ? C’est la liberté humaine qui fait les pauvres : c’est elle qui tarit ces deux sources primitives de toute richesse, l’intelligence et la volonté, en laissant l’intelligence s’éteindre dans l’ignorance ; la volonté s’affaiblir par l’inconduite. Les ouvriers le savent mieux que nous en temps ordinaires, en dehors des années de disette et de révolution, la terre de France n’est pas ingrate ; le nombre de ceux qui n’y parviennent pas à vivre de leur travail n’est pas d’un sur quinze, et de ce nombre la moitié n’est tombée dans l’indigence que par défaut de lumières ou de moralité, par l’incapacité, l’imprévoyance, qui a rendu leur métier stérile dans leurs mains, ou par le libertinage, qui en a dissipé les fruits.

A Dieu ne plaise que nous pensions calomnier ceux que l’Evangile bénit, rendre les classes souffrantes responsables de leurs maux et servir l’insensibilité des mauvais cœurs qui se croient dispensés de secourir le pauvre quand ils ont établi ses torts ! Nous serions aussi justes de nous en prendre si l’indifférence et à l’égoïsme des chefs d’industrie, si la plupart n’ont jamais songé aux besoins moraux de leurs ouvriers, s’ils leur refusent, avec le repos du septième jour, le droit de s’arracher la misérable condition d’instruments de travail, s’il est vrai que plusieurs poussent la perversité jusqu’à écarter de leurs ateliers tout ce qui pourrait y introduire la tempérance et l’économie, persuadés que le vice, en déshonorant le travailleur, le rend plus maniable et le livre à la discrétion du maître ! C’est ce qu’affirme un écrivain grave, M. Villermé[1], et c’est ce que nous oublions pour accuser aujourd’hui, non les torts personnels des hommes sur lesquels nous ne pouvons rien, mais l’insuffisance des institutions qu’il appartient au journalisme de signaler, mais l’erreur de la société qui prête l’autorité de son patronage aux tentations les plus capables de hâter la corruption et par conséquent l’appauvrissement des classes ouvrières, qui fait si peu pour les instruire, et, par conséquent, pour les enrichir.

De ces trois passions qui sont la ruine des mœurs populaires, le jeu, le vin et les femmes, la société française a proscrit la première, et c’est son honneur d’avoir fermé les bureaux de loterie et les maisons de jeu de la même main dont elle ouvrait les caisses d’épargne. Mais, pour les deux autres désordres, elle en est restée a la politique des vieux pouvoirs, qui, désespérant de vaincre le mal, l’ont érigé en institutions publique, pour y trouver une branche de revenu ou un moyen de gouvernement. Ne dites pas qu’il était plus sûr d’autoriser la prostitution pour lui donner des règles que de la réduire à se cacher dans des ténèbres où elle défierait toutes les surveillances. En morale, nous ne connaissons pas de mal nécessaire ; vous-mêmes vous avez éprouve la vanité de ce sophisme qui rassurait la conscience des anciens politiques, lorsque, supprimant les jeux publics, vous n’avez pas reculé devant la poursuite des jeux clandestins. Rome n’est pas seulement une capitale de cent cinquante mille âmes : c’est une cité italienne, toute brûlante des feux du soleil ; c’est le rendez-vous annuel de trente mille étrangers, de tous les désœuvrements, de tous les spleen, de tous les vices. Et cependant elle n’a jamais connu l’ignominie de la prostitution publique, jamais le gouvernement des papes n’y autorisa une maison de débauche, et Léon XII ne craignait pas d’y fermer les cabarets. De là, chez un peuple si passionné, le petit nombre des naissances illégitimes, la pureté des mœurs et la beauté du sang, la dignité de ces pauvres gens du Transtevere qui i n’ont jamais donné leur ivresse en spectacle sur les places publiques, et dont on a si souvent accusé l’humeur farouche parce qu’ils ne souffrent pas que l’étranger manque de respect à leurs filles. Pour nous, qui insultons l’Italie de notre dédaigneuse pitié, nous ne pouvons passer le soir les barrières de la ville la plus civilisée de la terre sans heurter à chaque pas, je ne dis pas des hommes, mais des femmes, des enfants avinés. Nous avons des règlements qui mettent les cabarets la discrétion de la police, et nous laissons se multiplier sans restrictions, sans conditions, les tavernes qui sont dans chaque rue l’école du désordre, le rendez-vous de toutes les conspirations, les dépôts d'armes de toutes les émeutes. Nous avons des impôts écrasants sur le sel, sur la viande et toutes les consommations nécessaires, et jamais nous n’avons trouvé dans l’arsenal de nos lois fiscales le secret d’arrêter la multiplication des distilleries, de hausser le prix des spiritueux, de décourager le commerce de ces liqueurs détestables, altérées, sophistiquées, qui font plus de malades que toutes les rigueurs des saisons et plus de coupables que toute l’injustice des hommes ! Quelles réformes a-t-on introduites dans les plaisirs publics, chez cette population de Paris, si éprise de plaisirs, et qui se laisserait mener au bout du monde, non pas avec du pain, comme on l’a dit, mais avec des fêtes ? Quel pouvoir a songé à ce puissant moyen d’enseignement. que l’antiquité, que l’Eglise ne dédaigna jamais ? L’hiver dernier, la préfecture de police délivra quatre mille permissions de bals nocturnes. Elle ne met plus de terme à ces divertissements insalubres que le bon sens de nos pères resserrait du moins dans les six semaines du carnaval. Chaque année elle autorise l’ouverture d’un nouveau théâtre dans quelque misérable rue des faubourgs, où l’on jette aux fils du peuple et à ses filles l’écume d’une littérature dont le cynisme révolterait la chasteté du parterre de l'Opéra. Et, quand pendant six mois la jeunesse des classes laborieuses a prolongé ses soirées et passé ses nuits dans ces antres enfumés où sa santé court autant de périls que ses mœurs, vous vous étonnez de l’en voir sortir étiolée, chétive, incapable de fournir le contingent militaire, et peuplant chaque année de recrues plus nombreuses les hôpitaux et les prisons ! Ne pensons pas nous être acquittés envers le peuple si nous lui avons appris à lire, à écrire, à compter et encore nos écoles insuffisantes repoussent elles la moitié de ses enfants. Quand il s’agissait d’écraser les derniers restes de l’insurrection, nous n’avions besoin ni de délais ni de formalités pour dresser vingt camps sur les boulevards de Paris, sur les esplanades, et jusqu’au pied de l’Hôtel de Ville. Mais, au bout de quatre mois, quand le douzième arrondissement compte quatre mille enfants sans asile, quand la charité particulière, touchée de ce dénûment, fait les derniers efforts pour leur ouvrir des écoles qui seraient les camps pacifiques de la civilisation, ce n’est pas assez de six semaines de démarches, d’ajournements et de débats pour vaincre les conflits et les scrupules de je ne sais combien de conseils, de comités et d’administrations, effrayés d’une nouveauté si grande, et qui craignent la ruine de l’Etat, si l’instruction des jeunes ouvriers se trouve livrée à des sœurs, à des frères, à des instituteurs capables de leur enseigner autre chose qu’a épeler les syllabes d’un journal, et à charbonner sur les murs l’ordre du jour des barricades. Ah que ces esprits timides sont loin de s’entendre avec nous, qui, au lendemain de la première communion, après trois ans d’études dans la meilleure des écoles chrétiennes, quand le fils de l’ouvrier en sortirait tout couvert de couronnes, ne tenons pas son éducation pour finie qui voudrions l’accompagner d’un patronage intelligent chez son maitre d’apprentissage, lui ouvrir des écoles d’adultes chaque soir et chaque dimanche, et inaugurer dans les faubourgs de Paris autant de Conservatoires des arts et métiers, autant de Sorbonnes populaires, où le fils du mécanicien, du teinturier et de l’imprimeur, trouvât, comme celui du médecin et du jurisconsulte, le bienfait de l’enseignement supérieur, les plaisirs de l’intelligence et la joie de l’admiration ! Non, je ne m’étonne plus de l’opiniâtreté des politiques à écarter le repos du dimanche, je n’accuse plus leur complicité avec les passions irréligieuses, je n’accuse que leur paresse à remplir le vide de cette journée, dont le prêtre ne réclame qu’une heure, et qui laisserait tant de place à la sollicitude d’un pouvoir bienfaisant, aux cours publics, aux bibliothèques du peuple, aux exercices militaires pour les jeunes gens, aux sociétés d’émulation et d’assistance mutuelle pour tous. Eh quoi ! les hommes des professions savantes, des gens qui ont fait dix-huit ans d’études, les médecins, les avocats, les notaires, se rouilleraient, se relâcheraient s’ils n’avaient leurs concours, leurs conférences, leurs chambres de discipline ; les astronomes, les philologues, les moralistes de l’Institut désespéreraient du progrès de la science si le fauteuil numéroté et le jeton de présence ne les réunissaient chaque semaine ; et vous blâmez l’incapacité, l’incurie de l’ouvrier, la défectuosité routinière de ses méthodes, le désordre systématique de sa conduite, quand vous n’avez jamais encouragé, quand vous redoutez les associations qui le rapprocheraient de ses égaux, qui le soumettraient à une police fraternelle, qui l’entoureraient d’exemples en même temps que de lumières, et lui assureraient cette éducation de toute la vie, nécessaire à l’homme, toujours faible et toujours tenté !

En ébauchant ce rapide programme des réformes que réclamera la démocratie chrétienne, nous n’avons pas voulu nous donner la stérile satisfaction de dresser un réquisitoire de plus contre la société, qui a déjà trop d’ennemis. Nous ne sommes pour elle que des amis sévères dont la jalousie ne souffre rien de vicieux dans ce qu’ils honorent et défendent. Pourquoi le tairions-nous ? Notre pensée est, en effet, de commencer et d’entretenir, parmi les chrétiens, une agitation charitable contre les abus qui font depuis cinquante ans la détresse d’un peuple libre, et qui désormais feraient sa honte. Notre pensée est de tenir dans la vigilance et dans l’inquiétude le zèle de tant d’honnêtes gens qui, le lendemain des journées de Février, auraient de grand cœur abandonné le quart de leur fortune pour sauver le reste, et qui, venant à croire que la Providence les tient quittes cette fois, commencent à mesurer moins généreusement leurs sacrifices. Notre pensée est enfin de persuader tous ceux qui font un peu de bien que la ville de Paris ne les a pas déchargés de leur devoir en votant six millions pour la subsistance des ouvriers sans travail jusqu’au mois d’avril prochain, c’est-à-dire treize centimes par personne et par jour, et qu’il n’est pas encore temps d’oublier la misère publique, quand même l’hiver et le choléra ne seraient pas là pour nous en faire souvenir.




DE L’ASSISTANCE QUI HUMILIE ET DE CELLE QUI HONORE.


Octobre 1848.


Nous n’aimons pas à croire les peuples ingrats : nous croyons seulement à l’impuissance des mots pour faire le salut des sociétés, s’ils ne sont commentés par les institutions. Nous croyons à deux sortes d’assistance, dont l’une humilie les assistés et l’autre les honore. Ce n’est pas le gouvernement seul, ce sont tous les honnêtes gens voués par la religion ou par humanité au service des pauvres en des temps si difficiles, qui doivent choisir entre ces deux manières de secourir les hommes.

Oui, l’assistance humilie, quand elle prend l’homme par en bas, par les besoins terrestres seulement, quand elle ne prend garde qu’aux souffrances de la chair, au cri de la faim et du froid, à ce qui fait pitié, à ce qu’on assiste jusque chez les bêtes car les Indiens ont des hôpitaux pour les chiens, et la loi anglaise ne permet pas de maltraiter impunément les chevaux. L’assistance humilie, si elle n’a rien de réciproque, si vous ne portez à vos frères qu’un morceau de pain, un vêtement, une poignée de paille que vous n’aurez probablement jamais à lui demander, si vous le mettez dans la nécessité douloureuse pour un cœur bien fait de recevoir sans rendre ; si, en nourrissant ceux qui souffrent, vous ne semblez occupé que d’étouffer des plaintes qui attristent le séjour d’une grande ville, ou de conjurer les périls qui en menacent le repos.

Mais l’assistance honore quand elle prend l’homme par en haut, quand elle s’occupe, premièrement de son âme, de son éducation religieuse, morale, politique, de tout ce qui l’affranchit de ses passions et d’une partie de ses besoins, de tout ce qui le rend libre, et de tout ce qui peut le rendre grand. L’assistance honore quand elle joint au pain qui nourrit la visite qui console, le conseil qui éclaire, le serrement de main qui relève le courage abattu ; quand elle traite le pauvre avec respect, non-seulement comme un égal, mais comme un supérieur, puisqu’il souffre ce que peut-être nous ne souffririons pas, puisqu’il est parmi nous comme un envoyé de Dieu pour éprouver notre justice et notre charité, et nous sauver par nos œuvres.

Alors l’assistance devient honorable parce qu’elle peut devenir mutuelle, parce que tout homme qui donne une parole, un avis, une consolation aujourd’hui, peut avoir besoin d’une parole, d’un avis, d’une consolation demain, parce que la main que vous serrez serre la vôtre à son tour, parce que cette famille indigente que vous aurez aimée vous aimera, et qu’elle se sera plus qu’acquittée quand ce vieillard, cette pieuse mère de famille, ces petits enfants, auront prié pour vous.

Voilà pourquoi le Christianisme place les œuvres spirituelles de miséricorde au-dessus des temporelles, et demande que les premières accompagnent les secondes. Voilà pourquoi lorsque le vendredi saint le pape va, à l’hôpital des Pèlerins, laver les pieds des pauvres et les servir à table, après qu’il a versé l’eau sur le pied de quelque misérable paysan devant lequel il s’agenouille, il le baise avec vénération, apprenant par cet exemple au riche que son or est bien froid, s’il n’y joint l’aumône des lèvres et du cœur ; au pauvre, qu’il n’est pas de condition plus honorable que la sienne, puisque la religion met à ses pieds celui qui est le vicaire de Dieu et le chef spirituel de l’humanité.

Voilà pourquoi enfin l’Église avait donné à l’assistance telle qu’elle la voulait ce doux nom de charité, qu’il ne faut plus repousser comme on l’a trop fait, qui exprimait plus que ce nom même si populaire de fraternité car tous les frères ne s’aiment pas, et charité signifie amour.

Qu’on nous permette l’application de ces principes à quelques exemples. Dans plusieurs arrondissements de Paris, la distribution des secours aux ouvriers sans travail se fait par des porteurs salariés à peu près comme ces personnes opulentes qui distribuent leurs aumônes par les mains de leurs laquais. Comment les familles assistées seraient-elles émues d’un bienfait qui a toute l’exactitude, mais aussi toute la sécheresse d’une mesure de police ? A-t-on jamais vu les gens reconnaissants et touchés jusqu’aux larmes de la régularité avec laquelle les bornes-fontaines s’ouvrent chaque matin et les rues s’éclairent chaque soir ?

Le gouvernement a sauvé de la misère douze mille citoyens en leur assignant des terres en Algérie. Il a pourvu avec un soin qu’on ne saurait trop louer à la solennité du départ, à la commodité du transport, aux besoins matériels du premier établissement. Qu’a-t-il fait pour les besoins de l’esprit ? Le jour marqué pour le départ est ordinairement le dimanche ; pourquoi la messe célébrée au lieu même de l’embarquement ne répandrait-elle pas les consolations de la foi sur ces familles voyageuses dont les cœurs troublés demandent une protection plus puissante que celle des hommes ? où sont les aumôniers qui accompagneront la nouvelle colonie sur ce terrain dangereux, sous ce ciel de feu dont, les ardeurs sont peut-être moins brûlantes que les passions ? où sont les asiles, les écoles, où est l’enseignement qui formera non seulement les enfants, mais les adultes à une condition si nouvelle, aux leçons de l’hygiène qui sauvera leur vie, de l’agriculture qui en fera l’emploi ? Vous allez ouvrir au peuple de Paris un certain nombre de chauffoirs publics. C’est une mesure bienfaisante. Mais avez-vous songé à l’emploi de ces longues soirées ? Livrerez-vous les loisirs de ces nombreux travailleurs à la propagande du vice, de l’émeute ? ou bien profiterez-vous de ce privilège qui vous est donné d’assembler les hommes pour les occuper honorablement, pour les instruire, pour les renvoyer sous leur toit plus éclairés et meilleurs ?

DE L’AUMÔNE
Décembre 1848.


C’est une thèse préférée des socialistes, de dénoncer l’aumône comme un des détestables abus de la société chrétienne. Car, disent-ils, l’aumône insulte le pauvre, puisqu’elle l’humilie, puisqu’elle ne lui permet pas de rompre son pain noir sans reconnaître qu’il est redevable à ceux qui se disent ses bienfaiteurs, et qu’étant devenu leur obligé il a cessé d’être leur égal. Ils en concluent que l’aumône, loin de consacrer la fraternité, la détruit, puisqu’elle constitue, pour ainsi dire, le patriciat de celui qui donne, l’ilotisme de celui qui reçoit. Ce qu’ils réclament pour les opprimés de la misère, c’est un partage qui les satisfasse et ne les oblige pas, c’est un règlement qui les laisse quittes envers la société ; ce n’est pas la charité, c’est la justice. Nous ne saurions méconnaître l’habileté d’une doctrine qui est sûre de ne pouvoir se produire dans les discussions publiques sans se faire couvrir d’applaudissements, puisqu’elle s’adresse au plus opiniâtre des sentiments humains, à celui qui palpite sous les haillons comme sous l’or et la soie nous voulons dire l’orgueil. Oui, c’est l’éternel espoir de l’orgueil humain de se dégager de tout ce qui oblige, parce que toute obligation implique dépendance, mais c’est un espoir éternellement trompé. Non, nous ne connaissons pas un homme, si bien partagé qu’il soit des biens de ce monde, qui puisse se coucher un soir en se rendant ce témoignage qu’il ne doit rien à personne. Nous ne connaissons pas de fils qui se soit jamais acquitté envers sa mère, pas de père de famille honnête qui ait jamais trouvé le jour où il ne devait plus rien à l’amour de sa femme et à la jeunesse de ses enfants. Quand nous aurions l’honneur de mourir pour notre pays, nous nous croirions encore ses débiteurs. La Providence n’a pas permis que les rapports sociaux se balançassent comme l’actif et le passif d’un commerce bien conduit, et que les affaires de l’humanité fussent réglées comme un livre en partie double. Tout l’art de la Providence, et pour ainsi dire tout son effort, est, au contraire, de lier le passé. à l’avenir, les générations aux générations, l’homme à l’homme, par une suite de bienfaits qui engagent et de services qui ne s’acquittent pas.

Ne voyez-vous pas, en effet, que les grands services sociaux, ceux dont une nation ne se passe jamais, ne peuvent ni s’acheter, ni se vendre, ni se tarifer à prix d’argent, et que si la société rétribue ceux qui les rendent, elle se propose non de les payer, mais seulement de les nourrir ? Ou bien croyez-vous avoir payé le vicaire à qui l’État donne cent écus par an pour être le père, l’instituteur, le consolateur d’un pauvre village perdu dans la montagne, ou le soldat qui reçoit cinq sous par jour pour mourir sous le drapeau ? Mais le soldat fait à la patrie l’aumône de son sang, le prêtre celle de sa parole, de sa pensée, de son cœur, qui ne connaîtra jamais les joies de la famille. Et la patrie à son tour ne leur fait pas l’injure de croire qu’elle les paye elle leur fait l’aumône qui leur permettra demain de recommencer l’humble dévouement d’aujourd’hui, de retourner auprès du lit du cholérique, ou sous le feu des Bédouins. Et ceci est si vrai pour le sacerdoce particulièrement, que l’Église, en acceptant la rétribution de la messe, n’a jamais consenti à la recevoir comme un salaire, mais comme une aumône, et que les grands ordres religieux du moyen âge, les plus savants, les plus actifs, firent profession de mendicité. Ne dites donc plus que j’humilie le pauvre, si je le traite comme le prêtre qui me bénit et comme le soldat qui se fait tuer pour moi.

L’aumône est donc la rétribution des services qui n’ont pas de salaire. Car à nos yeux l’indigent que nous assistons ne sera jamais l’homme inutile que vous supposez. Dans nos croyances, l’homme qui souffre sert Dieu, il sert par conséquent la société comme celui qui prie. Il accomplit à nos yeux un ministère d’expiation, un sacrifice dont les mérites retombent sur nous, et nous avons moins de confiance, pour abriter nos têtes, dans le paratonnerre de nos toits, que dans la prière de cette femme et de ces petits enfants qui dorment sur une botte de paille au quatrième étage. Ne dites pas que si nous considérons la misère comme un sacerdoce, nous voulons la perpétuer la même autorité qui nous annonce qu’il y aura toujours des pauvres parmi nous est aussi celle qui nous ordonne de tout faire pour qu’il n’y en ait plus. C’est précisément « cette éminente dignité des pauvres dans l’Église de Dieu, » comme dit Bossuet, qui nous met à leurs pieds. Quand vous redoutez si fort d’obligercelui qui reçoit l’aumône, je crains que vous n’ayez jamais éprouvé qu’elle oblige aussi celui qui la donne. Ceux qui savent le chemin de la maison du pauvre, ceux qui ont balayé la poussière de son escalier, ceux-là ne frappent jamais a sa porte sans un sentiment de respect. Ils savent qu’en recevant d’eux le pain comme il reçoit de Dieu la lumière, l’indigent les honore; ils savent que l’on peut payer l’entrée des théâtres et des fêtes publiques, mais que rien ne payera jamais deux larmes de joie dans les yeux d’une pauvre mère, ni le serrement de main d’un honnête homme qu’on met en mesure d’attendre le retour du travail. Nous sommes tous malheureusement sujets à bien des hauteurs et à bien des brusqueries avec les gens de métier. Mais il y a bien peu d’hommes assez dépourvus de délicatesse pour rudoyer le malheureux qu’ils ont secouru, pour ne pas comprendre que l’aumône engage celui qui la donne et lui interdit pour toujours tout ce qui pourrait ressembler au reproche d’un bienfait.

Quand vous dogmatiserez contre la charité, fermez du moins la porte aux mauvais cœurs, qui sont trop heureux de s’armer de vos paroles contre nos imporunités. Mais surtout fermez la porte aux pauvres ; ne cherchez pas à leur rendre amer le verre d’eau que l’Évangile veut que nous leur portions. Nous versons le peu que nous avons d’huile dans leurs blessures n’y mettez pas le vinaigre et le fiel. Non, il n’y a pas de plus grand crime contre le peuple que de lui apprendre à détester l’aumône ; et que d’ôter au malheureux la reconnaissance, la dernière richesse qui lui reste, mais la plus grande de toutes, puisqu’il n’est rien qu’elle ne puisse payer !


AUMÔNES POUR NOTRE SAINT-PÈRE LE PAPE PIE IX.
Janvier 1849.

Le signe que nous attendions est venu rompre un silence bien long pour nous, et nous permettre de répéter un appel qui devait s’élever de tous côtés en même temps, afin que personne n’y reconnût la voix des partis.

Au moment où la France apprit l’ingratitude de Rome et l’exil de Gaëte, tous les cœurs s’émurent, tous les yeux se tournèrent vers le pontife dont l’Europe entière admirait la sainteté et la sagesse ; et non-seulement ceux qui croient, mais beaucoup de ceux qui ont le malheur de ne pas croire, touchés d’une si auguste infortune, auraient voulu mettre à ses pieds leurs biens et leurs vies. Les jours écoulés n’ont rien fait pour calmer l’émotion des premiers moments la grande injustice dure encore, et les besoins se sont multipliés. Pie IX, qui le lendemain de son avènement avait fait vendre la moitié des chevaux de ses écuries, qui épuisait son patrimoine en charités, n’avait pas attendu l’heure de l’épreuve pour se dépouiller d’un luxé désormais inutile. Tous ceux qui ont eu l’honneur de l’approcher savent combien il lui coûterait peu de retourner aux filets de saint Pierre ou à l’obscurité des catacombes et il n’y a pas longtemps qu’on lui entendait dire « qu’il remercierait Dieu, tant qu’on lui laisserait une besace et un bâton avec la liberté de parcourir la terre en bénissant les peuples sur son chemin. » Mais au-dessous du souverain pontife, il faut voir toutes les grandes administrations de l’Église, le consistoire, la propagande, la pénitencerie et tant d’autres dont les actes sont gratuits, les charges immenses, les revenus taris, dont les ressources naturelles seraient perdues pour longtemps, lors même que l’autorité pontificale ne tarderait pas à rentrer dans Rome, et qui, interrompues dans leur exercice, jetteraient le trouble dans toutes les affaires religieuses de la chrétienté. D’ailleurs, quand l’État romain se trouve sous le poids de tant de difficultés, il n’est pas juste de lui laisser supporter tout ce qu’a de dispendieux le gouvernement des consciences par toute la terre.

Sans doute l’hospitalité de Naples et la bienfaisance de l’Espagne ont pourvu aux premières nécessités mais il ne convient ni à l’honneur de la France, ni à la dignité de la République, de souffrir que la papauté soit pensionnaire des couronnes étrangères. La France, qui a pourvu depuis onze cents ans à la liberté du souverain pontificat, en lui donnant un domaine temporel, dont les rois allaient tenir l’étrier d’Alexandre III et d’Innocent IV, quand ces grands proscrits fuyaient aussi devant les Gibelins de leur siècle, la France ne peut oublier ni ses droits ni ses devoirs. Si le malheur des temps et les intrigues des factions ne permettent pas au pontife de venir nous demander un asile dont les passions politiques abuseraient si Pie IX, retenu d’ailleurs par l’espoir du prochain repentir de son peuple, ne vient pas à nous, par nos aumônes nous irons à lui. Nous ferons voir au monde et à l’Italie, qui a besoin de cette leçon, que la passion de la liberté n’a étouffé dans nos cœurs ni la foi, ni la justice, ni la reconnaissance. Nous rendrons cet hommage au pontife libérateur, dont le malheur présent n’est pas moins l’ouvrage des ennemis de ses réformes que des ennemis de son autorité. Surtout nous rendrons ce service à l’indépendance de l’Eglise nous rendrons à Pie IX cette liberté à laquelle il réduit ses désirs, et que la diplomatie européenne ne lui reconnaît pas, d’aller où il lui plaît et de bénir comme il veut. Les offrandes du monde catholique, qui rachetèrent autrefois tant de prisonniers, délivreront le souverain pontificat des partis qui voudraient en faire l’instrument d’une nationalité, comme des rois qui voudraient en faire l’étai de leurs trônes. Nous aurons prouvé qu’il n’y a pas une terre catholique, si calomniée qu’elle soit, qui ne puisse donner au vicaire de Jésus-Christ le pain et le vin du sacrifice, et que l’Eglise, ce pouvoir spirituel, se joue des entraves financières auxquelles une politique matérialiste assujettit les empires. Enfin nous ferons un acte de foi. Au temps des guerres saintes, quiconque prenait l’épée pour la délivrance de Jérusalem mettait la croix sur sa poitrine. Ceux qui veulent la mettre sur leur front s’engageront dans cette croisade pacifique. Les jours où nous vivons sont difficiles, l’avenir obscur, les questions politiques capables d’armer toutes les passions et de troubler la prévoyance des plus fermes esprits. Mais au milieu de cette lutte des opinions politiques, c’est un fait considérable qu’aucune doctrine philosophique, aucune doctrine religieuse n’ait prétendu à la conquête des âmes, et que le Christianisme soit resté seul sans contradicteurs dans un temps qui a tout contredit. Jamais la foi ne s’est montrée plus forte qu’au milieu des ruines de 1848, de même que nos cathédrales paraissent plus grandes que jamais quand on démolit ces constructions, qui semblaient les soutenir et qui ne faisaient que cacher la solidité de leurs murailles. L’exilé de Gaëte a déjà reçu plus d’hommages sur ce rocher solitaire que les plus glorieux de ses prédécesseurs sous les voûtes dorées du Vatican. Nos offrandes sont comme autant d’adhésions, comme autant de pierres ajoutées a ce fondement éternel de la foi. Debout sur le piédestal que nous aurons élargi, Pie IX paraîtra aux yeux de la postérité comme la plus grande image de l’inébranlable autorité du Christianisme, comme on voit dans les mosaïques des vieilles églises romaines le Christ debout sur le rocher, et disant aux faibles Ne craignez pas, j’ai vaincu le monde.

Ego vici mundum.

A Dieu ne plaise que nous ayons l’ambition de mesurer aux faibles sommes que nous recueillerons la piété de la France ! Le plus grand nombre des offrandes ira se cacher avec l’obole de la veuve dans le tronc des paroisses. Mais à côté de l’obole secrète que Dieu aime, il est bon qu’on voie la protestation éclatante qui instruit les hommes. Il est juste qu’une réparation solennelle efface la trace de l’ injure publique. Il est honorable que des fils veuillent être nommés à leur père et qu’ils lui disent : « Très saint Père, il y a plusieurs mois qu’aux premiers nuages qui troublèrent la sérénité de vos années, nous ne voulions pas prévoir vos douleurs futures, mais nous leur permettions d’avance un adoucissement dans le respect et l’amour de tout l’univers. Puisque Dieu a permis pour votre gloire et pour notre enseignement que les mauvais jours soient venus, très-saint Père, recevez l’aumône de la France ; recevez-la comme le Sauveur reçut les cinq pains et les deux poissons du jeune homme sur la montagne bénissez ce pain, rompez-le et qu’il se multiplie comme les besoins de l’Église. En tendant vers nous cette main que tant de lèvres ardentes ont baisée, vous nous donnerez bien plus, saint Père, que vous n’aurez reçu. Vous donnerez un grand exemple à cette société à laquelle on veut enseigner le mépris de l’aumône, l’abolition de la charité et la fraternité par la spoliation. Quand le représentant de N. S. Jésus-Christ, et par conséquent de tous les pauvres, dont Jésus-Christ est le chef, quand le libérateur des peuples, quand le glorieux Pie IX aura accepté l’aumône, qui donc la refusera ? La bienfaisance catholique, réhabilitée en la personne d’un si grand Pontife, n’humiliera plus les indigents ; elle ne trouvera plus de porte qui lui soit fermée ; elle fera le tour des nations malades, guérissant leurs misères, mais bien plus encore leurs colères et leurs ressentiments. Et il se trouvera que Dieu, en vous conduisant peut-être dans l’exil pour renouveler la foi par le spectacle d’une autorité sans appuis terrestres, vous y avait aussi mené, très-saint Père, pour renouveler la charité, qui est le dernier secret de notre régénération. »



  1. Tableau sur l'état physique et moral des ouvriers, tome III, pages 58 et 75.