Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 02/Des écoles

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 2, 1873p. 375-460).


DES ÉCOLES
ET DE
L’INSTRUCTION PUBLIQUE
EN ITALIE
AUX TEMPS BARBARES




Documents inédits : De Ganymede et Helena. — De Daedalo et Icaro. — Verba Œdipi. — Carmen de Joseph patriarcha. — Vita sancti Donati. — Ex statutis reipublicæ Florentinæ.


Ce qu’on se propose dans ce travail.

En traitant des écoles italiennes aux temps barbares, je ne me propose point d’épuiser une question si féconde : je tente seulement de résumer les faits connus, de mettre en œuvre plusieurs indices négligés, d’utiliser enfin un petit nombre de témoignages inédits, trop incomplets pour paraître sans le secours d’une courte dissertation qui les lie et les explique. Peut-être cette étude jettera-t-elle quelque lumière sur l’époque obscure où j’ai glané ; et le peu de documents que je publie ensuite ne sera pas sans valeur, s’il y faut reconnaître les preuves d’une éducation de plusieurs siècles, qui arracha l’Italie à la barbarie, et la rendit capable de toutes les merveilles du moyen âge. Tous les historiens conviennent que l’école ne finit point avec l’empire, et que la politique réparatrice de Théodoric mit sa gloire à sauver les études, comme à relever les cités. Au temps de Cassiodore, le trésor public dotait les chaires des grammairiens, des rhéteurs, des jurisconsultes que la jeunesse romaine entourait encore de ses applaudissements. Mais après la sanglante décadence qui mit fin à la domination des Goths, quand Rome prise et reprise eut essuyé les horreurs de quatre assauts, et qu’enfin parurent les Lombards, selon l’expression d’un contemporain «  comme un glaive tiré du fourreau pour faucher les restes du genre humain, » c’est alors, et dans le désordre des siècles suivants, que l’enseignement semble se taire, et toute science périr. En 680, les Pères du concile de Latran confessent « que nul d’entre eux ne s’honore d’exceller dans l’éloquence profane car la fureur de plusieurs peuples a désolé ces provinces ; et les serviteurs de Dieu, réduits à vivre du travail de leurs mains, mènent des jours remplis d’angoisses. M En même temps le pape Agathon déclare qu’on « ne trouve point à Rome la science complète des Écritures. Pendant les cinq cents ans écoulés de saint Grégoire le Grand à Grégoire VII, Muratori et Tiraboschi, ces deux critiques excellents, suivent, à peine la trace des écoles dans le petit nombre de textes qui s’y rapportent ; et tout récemment M. Giesebrecht, en établissant la perpétuité des études laïques en Italie, cherche à prouver aussi l’impuissance de l’enseignement ecclésiastique[1]. C’est au milieu de ces obscurités qu’il faut pénétrer, en examinant d’abord ce qui resta des écoles romaines ; secondement, quelles institutions vinrent s’y ajouter par la sollicitude de l’Église ; enfin, quelle mesure d’instruction se trouvait répandue, non parmi le clergé seulement, mais jusqu’aux derniers rangs du peuple, quand le génie italien éclata dans les chants de Dante et dans les fresques de Giotto.


I.–DES ÉCOLES LAÏQUES.
Dangers

de l'esprit

humain

Quand les contemporains de l’invasion nous décrivent les ruines qu’elle fit, les terreurs qui l’accompagnèrent et les ténèbres où elle parut ensevelir le monde, il-n’y a rien à retrancher de leurs récits. Assurément des calamités qui troublèrent la grande âme de saint Grégoire le Grand, jusqu’à ce point qu’il interrompit le cours de ses prédications publiques, pouvaient décourager des intelligences moins fermes et réduire au silence des chaires moins puissantes. Je ne méconnais donc pas les dangers qui menacèrent alors l’esprit humain ; j’en donne une preuve de plus : Pendant que les diplômes de la période lombarde font voir à quel degré de corruption était descendu le langage des affaires et de la vie civile ; les hymnes que je publie montrent le même désordre pénétrant dans la langue de l’Église, et toutes les règles de la prosodie et de la grammaire violées dans les chants mêmes de ces monastères qui devaient sauver les lettres[2].

Les lettres
à Rome
du VIe
au VIIe siècle

Cependant, ni la chute de la monarchie des Goths, ni la désolation de Rome livrée tour a tour aux violences de Totila, de Bélisaire et de Narsès, rien n’avait pu étouffer le goût des jouissances d’esprit chez le peuple romain, aussi attaché à ses plaisirs qu’à ses monuments. A la fin du sixième siècle, on lisait solennellement Virgile au forum de Trajan : les poëtes contemporains y déclamaient leurs ouvrages, et le sénat décernait un tapis de drap d’or au vainqueur de ces combats littéraires[3] Quand la passion des vers était si vivement les grammairiens et les rhéteurs eussent-ils fermé leurs écoles ? Parmi leurs disciples on trouve encore, en 590, un jeune Romain nommé Betharius, qui, venu dans les Gaules, y donna une si haute opinion de son savoir et de son éloquence, que l’admiration publique le porta au siége episcopal de Chartres. Saint Grégoire le Grand avait été nourri dès l’enfance dans l’étude de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique. Ses écrits ont tous les défauts de la décadence latine ; mais on n’y relève pas ces barbarismes qu’il se vante de ne pas éviter « trouvant indigne, dit-il, de faire plier la parole de Dieu sous la règle de Donat. » Dans ce passage célèbre, dont on a trop souvent abusé, il ne faut voir que l’inquiétude d’un esprit qui connaît la barbarie de son siècle, qui craint de s’en ressentir, et qui se justifie éloquemment, comme saint Paul en foulant aux pieds l’éloquence[4]. Au septième siècle, l’école romaine’n’est pas nommée ; mais on ne peut douter que l’enseignement ne se perpétue quand les églises de cette époque, les sépultures des papes sont couvertes d’inscriptions en vers latins, quand l’Anglo-Saxon Biscop, poussé par le besoin de savoir, fait cinq fois le voyage de Rome, et en revient chargé de livres. Si les Pères du concile de Latran, en 680, s’excusent-de ne point exceller dans la science des rhéteurs, leurs décrets témoignent que le clergé ne pouvait se détacher des spectacles de mimes, derniers restes du théâtre classique. Un fragment que je publie, sans prétendre en fixer la date, mais qui remonte au temps où Rome reconnaissait encore la souveraineté de l’empire d’Orient, décrit la pompe qu’on doit déployer, si l’empereur vient visiter la ville éternelle un chœur-de musiciens le suivra au Capitole, en répétant des chants hébreux, grecs et latins[5]. Plus tard, et lorsqu’on 774 Charlemagne fit à Rome sa première entrée, l’histoire rapporte qu’à la suite de la bannière, des magistrats et des corporations sortis pour le recevoir, venait la foule des écoliers qui étudiaient les lettres, portant des palmes et chantant des hymnes. L’école reparaît, et assurément elle ne pouvait se montrer plus à propos qu’à l’arrivée du grand homme, qui venait fermer les siècles barbares

[6].
Les études
dans
les villes
grecques.
Naples
et
Ravenne.

Si le patronage des papes et la politique bienfaisante de l’Église assuraient aux lettres un asile inviolable derrière les murs de Rome, elles trouvaient un autre abri dans les cités soumises à la domination byzantine. A Naples, les enfants des plus nobles familles étudiaient la grammaire et l’éloquence. Le duc Sergius, qui gouvernait cette ville au commencement du neuvième siècle, avait poussé l’étude des langues classiques à ce point, que, s’il ouvrait un livre grec, il le lisait couramment en latin. Il avait fait donner les mêmes soins à l’éducation de ses deux fils Grégoire et Athanase, l’un destiné aux armes, l’autre à l’épiscopat[7]. Ravenne, séjour des exarques, siège d’une administration dégénérée, mais qui ne pouvait se passer ni de luxe ni de lumières, conservait encore avec ses institutions municipales toutes les habitudes de la civilisation antique. Ses églises resplendissaient d’or et de mosaïques, ses tombeaux étaient couverts de sculptures ; des inscriptions en vers conservaient la mémoire de ses pontifes. Au sixième siècle, le poète Fortunat y avait étudié la grammaire, la rhétorique et le droit : c’étaient les trois degrés de l’ enseignement public[8]. Parmi les maîtres les plus vantés de ce temps, on distinguait le grammairien Honorius, dont nous avons des vers. A la fin du septième siècle[9], un lettre de Ravenne, nommé Johannice, eut le dangereux honneur d’exciter d’abord l’admiration, ensuite l’inquiétude de la cour de Constantinople. Plus tard, quand au gouvernement des exarques succéda la puissance des archevêques, leur historien Agnellus fait assez voir, par les longues harangues dont il enrichit sa chronique, et par ses nombreuses réminiscences de l’antiquité, qu’il a fréquenté les leçons des grammairiens[10]. En effet, quatre diplomes de Ravenne, de 984 à 1056, mentionnent des maîtres d’école ; et il est permis de les tenir pour laïques, puisque ces actes ne leur donnent point la qualité de clercs, qu’on ne manquait pas de prendre quand on y avait droit[11]. Mais rien ne montre mieux l’opiniâtreté de l’enseignement profane que l’aventure du grammairien Vilgard, rapportée par Hadulphus Glaber. Vilgard tenait école à Ravenne au onzième siècle ; « il enseignait la grammaire avec la passion que les Italiens eurent toujours pour cette étude. Or, comme dans l’orgueil de son savoir il allait déjà jusqu’au délire, il arriva qu’une nuit les démons prirent la figure des poëtes Virgile, Horace et Juvénal, et, lui apparaissant, le remercièrent de son ardeur à étudier leurs livres et à propager leur autorité en retour de ses efforts, ils lui promettaient de l’associer à leur gloire. Séduit par cette ruse de l’enfer, le grammairien se mit à enseigner beaucoup de points contraires à la foi, et il affirmait qu’il fallait croire en toutes choses les paroles des poètes. A la fin il fut convaincu d’hérésie, et condamné par l’archevêque Pierre on trouva en Italie plusieurs esprits infectés des mêmes opinions.[12]  »

Les écoles

chez les Lombards

Pavie, Lucques, Bénévent

Cette vieille Italie ne pouvait se détacher de ses fables. Les traditions littéraires que le christianisme avait sauvées ne devaient pas périr par l’épée des barbares. Au moment où l’invasion lombarde descend des Alpes, il semble que ce torrent va tout entraîner : au bout d’un siècle, on s’étonne de retrouver les villes debout et les écoles ouvertes. Vers l’an 700, on voit fleurir, à Pavie, le grammairien Félix, honoré du roi Cunibert, qui lui fit présent d’un bâton enrichi d’or et d’argent. Son neveu Flavien lui succéda, et devint le maître de Paul Diacre. Mais on rapporte de Paul Diacre qu’il fut instruit dans le palais des rois ; et il est permis de conclure qu’il y eut chez les Lombards, comme chez les Anglo-Saxons et chez les Francs, une école du palais où les fils des rois et des grands, entourés d’une élite de jeunes gens studieux, recevaient un enseignement qui les préparait, selon leur vocation, aux devoirs de l’Église ou aux charges de l’État[13]. C’est ainsi qu’Arrichis, prince de Salerne et de Bénévent, avait fait l’honneur de sa race par son savoir et son éloquence, et qu’il fut loué d’avoir embrassé les trois parties de la philosophie ancienne, « la logique, la philosophie, et tout ce qu’enseigne la morale, » Son épouse Adelperga méditait les écrits des sages, tellement que les paroles dorées des philosophes et les perles des poëtes lui étaient toujours présentes, et qu’elle ne pouvait s’arracher à la lecture des histoires sacrées et profanes. » Ces deux barbares si lettrés voulurent que leur fils Romuald excellât dans la grammaire et dans la jurisprudence[14]. De tels exemples honoraient l’école, et multipliaient les maîtres en même temps que les disciples. Il ne faut pas s’étonner si l’enseignement de Salerne grandit ; si, vers le milieu du neuvième siècle, quand l’empereur Louis II visita Bénévent, on rapporte que cette ville comptait, trente-deux philosophes, c’est. à-dire trente-deux savants professant les lettres profanes [15].

Pavie et Bénévent marquent les deux extrémités de la domination lombarde au centre, on voit Lucques, capitale d’un des ducs barbares dont le nom faisait trembler toute l’Italie, et où cependant toute lumière n’est pas éteinte, puisque deux maîtres laïques y paraissent dans des actes de 757 et de 798. Plusieurs séculiers figurent aussi parmi les dix-sept médecins mentionnés dans des diplômes du neuvième et du dixième siècle. Une charte de 825 est écrite sous la dictée du notaire Gauspert par le scribe Pierre, qui se déclare son disciple ; d’où l’on peut conclure que l’étude de la jurisprudence n’était pas abandonnée. Cinq autres documents, dont le plus ancien remonte à l’an 755, désignent des peintres et des maîtres orfèvres. On est moins étonné des traditions d’art qui se conservaient à Lucques, quand on considère ses belles églises,admirées comme des types excellents d’architecture romane, et comme autant de preuves de ce besoin du beau qui presse encore les peuples d’Italie, au moment même où on, ne les croit occupés que de leurs malheurs ou de leurs vengeances[16].

caractères de

l'enseignement

laïque

Aussi l’enseignement ne resta point, comme on l’a cru, connue dans le sanctuaire et dans le cloître, réservé à une caste qui aurait tenu la vérité captive. C’est ce qui résulte expressément d’une, décision synodale de Rathier, évéque de Vérone, au dixième siècle il y déclare qu’à l’avenir il n’élèvera aux saints ordres aucun postulant qui n’ait étudié les lettres ou à l’école épiscopale, ou dans un monastère, ou auprès de quelque maîtres avant[17]. Ces maîtres libres, qu’un voeu n’engageait point au service des âmes, étaient les véritables héritiers des grammairiens et des rhéteurs de l’antiquité mais, dépouillés de la dotation que leur assignait la loi romaine et qui avait péri dans la ruine de l’empire, ils étaient réduits à traiter avec leurs disciples et à, faire marchandise de leurs leçons. Rathier leur reproche d’avoir vendu plus d’une fois des enseignements qu’il eût fallu ensevelir dans un éternel silence. Benoît de Cluse faisait gloire d’avoir étudié neuf ans chez les grammairiens, mais son savoir lui avait coûté deux mille pièces d’or[18]. Dans cet âge ’où la force semblait maîtresse du monde, la science conduisait encore à la fortune. Alfano, de Salerne célèbre la prospérité de l’école d’Averse, « devenue l’égale d’Athènes » : il y salue le grammairien Guillaume, porté par son savoir au comble de l’opulence et des honneurs[19] Les moines forçaient la clôture pour aller grossir le cortége de ces docteurs fameux et saint Pierre Damien s’afflige de les voir, « moins curieux de la règle de saint Benoît que des règles de Donatus, se précipiter insolemment dans l’auditoire théâtral des grammairiens, et engager avec les séculiers de bruyants discours[20]. » Les séculiers étudiaient donc ; et, s’il faut un dernier témoignage, je le trouve quand le poète Wippo exhorte l’empereur Henri III à propager en Allemagne les bienfaisantes coutumes de l’Italie. « Ordonne, lui dit-il, que sur la terre des Teutons chaque noble fasse instruire tous ses fils dans les lettres et dans la science des lois, afin qu’au jour où les princes tiendront leurs plaids, produise ses autorités le livre à la main. C’est à quoi s’appliquent tous les Italiens aussitôt qu’ils ont quitté les hochets : toute la jeunesse y va suer aux écoles. Les Teutons seuls croient inutile ou honteux d’instruire un homme, s’il n’est clerc.[21]. »

Ce texte est considérable. Il atteste qu’au onzième siècle se maintenait encore l’ordre des études, tel que l’avait réglé la loi romaine, en commençant par la grammaire et en finissant par la jurisprudence ; tel que l’avait conservé à Rome l’édit d’Athalaric ; tel qu’on le retrouve à Ravenne sous l’administration grecque, et chez les Lombards, quand ces conquérants apprennent à honorer les sciences des vaincus. Un diplôme daté de 855, une charte de Bologne (1067), une de Florence (1075), une de Bergame(1079), et, à Rome, le traité conclu, en 964, entre Otton le Grand et Léon VIII, témoignent que l’étude du droit s’y perpétue, puisque plusieurs personnes y comparaissent avec le titre de docteurs. Pierre Damien donne la même qualité aux jurisconsultes Otto et Moricus. Il montre les légistes de Ravenne, tantôt tenant la férule au milieu de la foule qui encombre les écoles, tantôt se réunissant en assemblée générale pour débattre et fixer, aux termes de la loi romaine, les degrés de parenté qui font empêchement au mariage. Au même siècle, Lanfranc est instruit, suivant l’usage de sa patrie, dans les arts libéraux et dans les lois séculières[22] (1).

Origines

des

Universités

italiennes.

Un peu plus tard, Irnérius professait la

grammaire à Bologne, avant d’inaugurer cette école qui devait restaurer le droit romain et soumettre à ses décisions les conseils des empereurs. Les jurisconsultes de Bologne siégeaient à la diète de Roncaglia, et signaient à Constance la charte des libertés de l’Italie. Mais ces maîtres savants, courtisés des princes et honorés par les républiques, vivaient encore, comme les anciens grammairiens, des contributions volontaires de leurs élèves. Chaque année, le professeur désignait deux étudiants pour s’entendre avec les autres, et régler d’un commun accord le prix des leçons. Il est vrai de dire que les disciples finissaient par retourner contre leurs tres la science qu’ils en avaient reçué, et trouvaient dans le Digeste plus d’un prétexte pour ne point payer, selon cet adage déjà populaire.

Scire volunt omnes, mercedem solvere nemo.

Dès lors les villes jalouses de retenir les professeurs qui faisaient leur gloire et leur prospérité durent suppléer à la pauvreté des étudiants, et en 1280 on voit la république de Bologne engager l’Espagnol Garsias pour commenter le Décret, au prix de cent cinquante-livres par année. Ainsi l’enseignement public retrouve les conditions que la loi romaine lui avait faites en le mettant à la charge des cités ; ainsi ces maîtres —laïques, dont nous avons suivi péniblement la trace, forment la chaîne qui rattache les écoles impériales aux universités italiennes du moyen âge[23].

Exercices de

l’école. Poésie profane

Si l’esprit laïque se conserve chez les maîtres, il éclate aussi manifestement dans leurs leçons et dans leurs œuvres. Pendant que les uns s’attachent aux codes de Théodose ou de Justinien, la grammaire, qui fait l’étude des autres, ne se réduit point aux règles élémentaires de la langue latine ; elle comprend la lecture, le commentaire et l’imitation des poëtes classiques. Au moment où l’on croit tous les esprits occupés des jugements de Dieu, quand il semble que les écrivains ne suffisent pas pour recueillir et publier les miracles des saints, il se trouve des lettrés indisciplinés qui ne s’inspirent ni du silence des cloîtres ni des pieux récits aimés du peuple, qui retournent aux sources profanes, qui font revivre dans leurs compositions non-seulement les fables, mais la sensualité du paganisme. C’est le caractère d’un petit poëme publié par Niebuhr, et composé en Lombardie avant la fin du dixième siècle[24] On y loue la beauté d’un jeune garçon, « idole de Vénus ; » on invoque pour lui les trois Parques et Neptune, protecteur des nochers sur les eaux rapides de l’Adige. Je reconnais la même inspiration dans une pièce inédite du douzième siècle, et dont voici les premiers vers. Le poëte met en scène deux personnages mythologiques, Hélène et Ganymède

De Ganymede et Helena

Taurum Sol intraverat, et ver parens florum
Caput exeruerat floribus decorum
Sub oliva recubans, herba sternens torum[25],
Delectabar, dulcia, recolens amorum.

Odor florum redolens, temporis juventus,
Aura lene ventilens, avium concentus
Dum lenirent animum, sopor subit lentus,
Quo non esset oculis veternus (?) ademptus.

Nam vidisse videor quod Phryx et Lacena
Una starent in gramine pinu sub amena
Cultus illis recens, facies serena ;
Contendebat lilio frons, rose gena.

Videbantur pariter humi consedisse,
Videbatur vultibus humus arrisisse.
Tales deos fama est formas induisse
Admirantur facies pares invenisse.

Per verba variis conferunt de rebus,
Deque suis invicem certant speciebus,
Ut si Phebe lucida litiget et Phebus
Femine se comparat invidus ephebus[26].

Je m’arrête, car le beau Phrygien et la dangereuse Lacédémonienne s’engagent dans un entretien dont l’impureté rappelle les derniers désordres de la société antique. Ce n’est pas Virgile seul qui trouble les songes des grammairiens du moyen âge, c’est la muse de Catulle et de Pétrone dépouillée de ce voile d’élégance qui couvrait ses nudités. Cependant l’école avait des passe-temps moins coupables : la mythologie lui offrait des sujets capables d’attacher les imaginations sans irriter les sens. Les grandes fables qui avaient ému le théâtre grec, qui avaient arraché les pleurs et les acclamations de tant de puissantes cités, ne servaient plus qu’aux jeux d’esprit d’un pédagogue applaudi par des enfants. Il s’agissait de célébrer la chute de Troie et la douleur d’Hécube : le comble de l’art était d’emprunter le mètre élégiaque des Latins, en le surchargeant de ces rimes léonines dont l’oreille des barbares ne se lassait pas :

 Pergama flere volo, fato Danais data solo
  Solo capta dolo ; capta, redacta solo[27].

Ce petit poëme semble avoir joui d’une faveur singulière : on le trouve dans un grand nombre de recueils, à la suite des plus beaux ouvrages de l’antiquité. On connaît moins les vers suivants que je lis aussi dans un manuscrit du douzième siècle, et que je publie sans m’en dissimuler la puérilité et la faiblesse. Mais je trouve quelque intérêt à surprendre, pour ainsi dire, un des exercices familiers de l’école, à savoir comment on y goûtait les anciens, ce qu’on imitait de leurs qualités ou de leurs défauts. L’auteur se propose de conter l’aventure de Dédale et d’Icare, et il a sous les yeux les deux récits d’Ovide, l’un au deuxième livre de l’Art d’aimer, l’autre au huitième des Métamorphoses[28].


DE DEDALO ET ICARO.


Fert male damna more, patrie revocatus amore
  Excitat ad reditus hunc amor ingenitus.

Dedalus inclusus patrie raptos dolet usus
Clausus in arce latet, cui via nulla patet.
Claudit eum murus, claudit mare nec prece durus
Rex flecti poterit : sic via tota perit.
Flet, gemit iratus, quod perdat tempera natus.
Nati cura premit, non sua damna gémit.
Cura suae mentis anullat (sic) membra parentis
Confundit fletu lunina, corda metu.
Naufragio positus, desperat tangere littus
Fluctibus iratis fluctuat acta ratis.
Sic per tres annos nuxërunt corda tyranni[29]
Et prece sollicita flectere tentat ita
Rex bone, cui soli datur omnis gratia, noti
Tristibus exiliis impius esse piis.
« Rex, mea si sterilis est gracia, te puerilis
Etas commoveat me sine natus eat[30].
Me senio fessum teneas volo claudete gressum
Infanti reduci gloria nulla duci.
Pone malo metas, quoniam mea sustinet etas
Pone malo metas, exulet impietas.
Impietas mentis castigat facta parentis
Quæ sub plebe latet, sub duce culpa patet,
Lex jubet ut pueris parcas, quos ledere queris.
Jussa premis legis, te sine lege regis.
Parcere prostratis lex te jubet : est probitatis
Parcere prostratis : sat tibi posse satis.
Quam sub mente tenes iram ratione refrenes
Ut sit pena brevis, sit precor ira levis.
Impietas mundi debet ratione retundi,
Nec déferre bonus impietatis onus.
Fortibus est decori vitam donare minori,
Fortes in pueros non decet esse feros.
Da pene metam victus (?) : concedere vitam
Te rogat hic letus : nescit habere metus. »
Singultus mentis ruperunt verba loquentis.
Quis sit mente dolor monstrat in ore color.
Rex non est motus, quamvis pater, in prece totus.
Hic non evadit, nec ducis ira cadit.

Dum prece non movit regem, sed denique novit
Se reditus inopem, consulit artis opem.
Dum procul est numen, succurrit mentis acumen.
Suggerit auxilium tristibus ingenium.
Consulit iratis nimius timor anxietatis
Res iter ad letas invenit anxietas.
In varias partes mens vertitur, invenit artes
Invenit in patriam Dedalus arte viam.
Plumas implorat,locat ordine mira décorât
Ordinis imparitas ordine dispositas.
Omnes aptate sunt equa disparitate
Posses mirari disparitate pari.
Has nato nectit, modico curvamine flectit[31] ;
Ceris ima linit, nec fluitare sinit.
Quem novitas tangit operis, patrem puer angit,
Hoc rogitans quid erit, singula quoique terit[32].
Non pater huic cedit, sed amico verbere ledit ;
Dum patris ira nocet, pauca docenda docet
« Icare, nil queras, sed molli pollice ceras
Hec dabit in patriam, vel via nulla, viam.
Non patet accessus terre mihi carpere gressus
Per mare si mediter, rex mihi claudit iter.
Claudere non poterit celum, non claudere querit
Addere (?) vela tibi spes mea pendet ibi,
Celum celatur, celi via nulla putatur.
Que celata latet, hec mihi sola patet[33]. »
Dum pater hec récitât, pennis sua brachia ditat.
Hunc opus exhilarat : aera tutus arat.
Aer tentatur pater ad terram revocatur.
Filius hortatur, posse volare datur.
Mors data letificat dolor hujus lumina siccat.
Huic fit amor patrius impietate pius.
Cura fovet mentem, damnum locupletat egentem :

Letus adit lethum, spe super ante metum[34].
Ad mortem properat, dum mortem linquere sperat
Vivere qua querit Icarus arte perit.
Nunc pater hortatur, hortans tremit et lacrymatur ;
Non quatit hunc etas, sed quatit anxietas
« Icare, deflentis solatia sola parentis,
Poscit iter metui sit tibi cura tui.
Credere te soli, ne solvat vincula, noli
At medius metiam, me duce, carpe viam.
Est via difficilis ; etas nescit puerilis
Ut tibi sic caveas : me duce, tutus eas.
Brachia non agites prope terras : aequora vites
Nam gravis unda graves, Icare, reddit aves[35].
Crede mihi : ventis ne tradas verba parentis.
Vivere si queras, pectore jussa geras. »
Talibus hortato jung it pater oscula nato[36].
Clauduntur fletus anxietate metus.
Ante volat natus, sequitur non sponte moratus :
Gaudet sicut avis, cui via nulla gravis.
Omnibus ille horis oculos revocat genitoris
Respectus lenis detinet ora senis.
Deserit hunc natus, carpit per summa volatus[37]
.   .  .  .  .  .  .  .  .  .
Fluctibus Immersus patrem vocat : ille reversus
Exanimem reperit, pectora mesta ferit.
Corpore ditatur tumulus ; nomen renovatur
Undis : reddit eas Icarus Icareas.


Ovide avait donc ses disciples : les Métamorphoses partageaient la popularité de l’Enéide ; on les commentait publiquement dans les chaires de Bologne et de Florence. Mais ce qui plaisait surtout dans ce poëte, c’étaient les vices de la décadence, la dangereuse facilité d’une amplification qui ne se lasse point de répéter la même pensée ; c’était la prodigalité des sentences, le luxe des antithèses, sans parler de la rime, dont il aime à couronner pour ainsi dire les deux hémistiches égaux de ses pentamètres.Ainsi l’imitation des anciens n’était pas sans péril. Le génie moderne gagnait à s’affranchir des règles d’une versification faite pour d’autres temps. La froide élégie de Dédale et d’Icare me semblé au-dessous de la complainte d’Œdipe en vers syllabiques rimés, que je trouve dans un manuscrit du douzième siècle[38]. Si l’on ne peut y montrer la main d’un Italien, ce petit poëme est du moins d’une époque où les mêmes enseignements règnent dans les écoles de l’Occident, et où chacune d’elles s’éclaire des lumières de toutes.


PLANCTUS EDIPI.

Diri patris infausta pignora,
Ante ortus damnati tempora,
Quia vestra sic jacent corpora,
Mea dolent introrsus pectora.

Fessus luctu, confectus senio
Gressu tremens labente venio

Quam sinistre sim natus genio,
Nullo potest capi ingenio.

Cur nuxerunt a viro semina
Ex quibus me concepit femina ?
Infernalis me regni limina
Produxerunt in vite lumina.

Si me nunquam vidisset oculus,
Hic in pace vixisset populus.
Si clausisset hæc membra tumulus,
Hic malorum non esset cumulus.

Omni quando dolore senui,
Hanc animam plus justo tenui,
Viri fortes et nimis strenui,
Quam infanda vos nocte genui !

Ab antiqua rerum congerie,
Cum pugnarent rudes materie,
Fuit moles hujus miserie
Ordinata fatorum serie.

Cum infelix me pater genuit,
Thesiphone non illud renuit.
Alimenta dum mater prebuit,
Ferrum in me parari debuit.

Incestavi matris cubilia,
Vibrans ferrum per patris ilia
Quis hominum inter tot milia
Perpetravit unquam similia ?

Turpis fama Thebani germinis
Mundi sonat diffusa terminis.
Quadrifidi terrarum liminis
Tangit metas vox nostri criminis.

Me infami rerum luxuria
Infernalis fedavit furia :
Si deorum me odit curia,
Confiteor, non est injuria

Me oderunt revera superi :
Patentibus hoc signis reperi.
Umbram sontem (?) istius miseri
Abhorrebunt… et inferi.


Scelus meum dat fame pabula :
De me sonat per orbem fabula.
In patenti locatum specula,
Referetur crimen per secula.
 
Solatio leventur ceteri :
Consolator, me solum preteri.
Necesse est me luctu deteri.
.   .   .   . nil possem fieri.

Nomen meum transcendit Gargara ;
Me Rodope, me norunt Ismara ;
De me Syrtis miratur barbara ;
Scelus meum abhorrent Tartara.
 
O quam malo servastis, filii,
Constitutas vices exilii !
Caro nitens ad instar lilii,
Quod de vobis sumam consilii !

Si pudore careret, aspera
Minus esset sors nostra misera ;
Sed pudenda Thebarum scelera
Mare clamat, tellus et sidera.
 
Quod dolore nondum deficio,
Ex insito (?) procedit vitio.
Gravi demum pressus exitio,
Mortis horam jam solam sitio.
 
Cedis mei (sic) vulnus aperui,
Quando mihio oculos erui  :
Supplicium passus quod merui,
Meum regnum juste deserui.
 
Parentele oblitus celebris,
lu cisterne me clausi tenebris
Instar agens menie funebris,
In merore vixi ac tenebris[39].

Ibi digne indulgens domui,
Meum in vos virus evomui :
Ut gladium linguam exacui,
Imprecansque vobis non tacui.


Quod petebat vox detestabilis,
Ira complet deorum stabilis
Cruciatus est ineffabilis,
Quem patitur gens miserabilis.


Le paganisme littéraire au moyen-âge

On a poussé trop loin le contraste, on a trop élargi l’abîme entre le moyen âge et la renaissance. Il ne fallait pas méconnaître ce qu’il y eut de paganisme littéraire dans ces temps, où l’on attribue à la foi chrétienne l’empire absolu des esprits et des consciences. Personne n’ignore les hardiesses mythologiques des troubadours, le cynisme des trouvères, et en quels termes dignes de Lucrèce le roman de la Rose enseigne le culte de la nature. La poésie italienne commence au treizième siècle, et de Palerme à Florence on n’entend célébrer que le dieu puissant fils de Vénus. Aux noces des grands on représentait des drames allégoriques, où Cupidon poursuivait de ses flèches dames et chevaliers et chaque année le printemps ramenait à Florence, une solennité où les jeunes gens couronnés de fleurs marchaient à la suite du plus beau d’entre eux, qui prenait le nom de l’Amour[40]. Cette intervention des fables païennes n’a rien qui étonne dans les fêtes profanes et chez les poëtes de la langue vulgaire. Mais il est plus instructif de les retrouver dans la langue latine, devenue celle de l’Église. Et comment la mythologie eût-elle été bannie de l’église, lorsqu’elle pénétrait jusqu’au seuil du sanctuaire ? On pouvait assurément chanter l’artifice de Dédale et les malheurs de Thèbes, quand le peintre Orcagna faisait figurer l’Amour avec son flambeau dans le Triomphe de la Mort, et quand le marbre des Trois Grâces, échappé de quelque ciseau grec, trouvait asile dans la bibliothèque de la cathédrale de Sienne.


II. DES ÉCOLES ECCLÉSIASTIQUES.


Cependant le paganisme, capable encore d’égarer les imaginations, de mettre le désordre dans les souvenirs, de troubler l’esprit du grammairien Vilgard ou du tribun Arnauld de Brescia, ne pouvait plus rien sur les consciences qui recélaient la véritable source du génie moderne. Il fallait une foi nouvelle pour les remuer, pour ramener l’inspiration, sanctifier le travail, et faire de l’enseignement non plus un trafic, mais un devoir.

Les écoles des catacombes.

C’est aux catacombes que je trouve les premières écoles du christianisme. C’est à Rome, à l’entrée des souterrains de Sainte-Agnès, avant de pénétrer dans les oratoires où les fidèles seuls étaient admis aux mystères, qu’on voit deux salles nues, sans tombeaux, sans peintures, sans autre indice de leur destination que la chaire du catéchiste et le banc des catéchumènes[41]. Sans doute l’instruction qu’on y donnait ne touchait point encore aux lettres profanes. Toutefois on reconnaît de bonne heure le penchant de la théologie chrétienne à recueillir tout ce qu’il y avait de légitime dans l’héritage de l’esprit humain. En même temps que les Pères retrouvaient chez les philosophes et les poëtes les traits épars d’une vérité incomplète et, comme dit Clément d’Alexandrie, une participation lointaine du Verbe éternel, les peintres des catacombes, par un symbolisme hardi ; représentaient le Christ sous la figure d’Orphée[42]. Des inscriptions en vers décoraient les sépultures chrétiennes la langue des dieux se purifiait en s’essayant à louer les martyrs. Quand l’Église sort de ces ténèbres où les persécutions l’avaient reléguée, l’école paraît avec elle, et ne s’en sépare plus. L’enseignement fait partie du ministère sacerdotal, et le concile de Vaison en 529 atteste déjà cette coutume établie chez les Italiens, « que les prêtres qui occupent des paroisses reçoivent dans leurs maisons de jeunes lecteurs, afin de les instruire comme de bons pères instruisent leurs fils[43]. »

Des commencements si faibles ne promettaient rien de grand mais l’Église attendait l’invasion des barbares pour mesurer ses efforts au danger. Au moment même où la conquête lombarde menaçait l’Italie d’une nuit éternelle, on voit poindre comme deux flambeaux, d’une part l’enseignement épiscopal, de l’autre l’enseignement monastique.

L’enseignement épiscopal. S. Grégoire le Grand.

Saint Grégoire, ce pontife si calomnié et dont on a voulu faire un ennemi de l’esprit humain, fut le véritable fondateur des écoles épiscopales. On lui a beaucoup reproché sa lettre à saint Didier, évêque de Vienne, qu’il blâme d’enseigner la grammaire à la manière des anciens, de commenter les poêtes païens, et de profaner par les louanges de Jupiter une bouche vouée au Christ. Sans doute saint Grégoire pensa que les fables antiques n’étaient pas sans péril pour les populations de la Gaule et de l’Italie, encore toutes pénétrées de paganisme. Mais en même temps on peut croire que ce grand esprit avait compris la nécessité de rompre avec les méthodes surannées des grammairiens, et de sauver les lettres en les attachant au service de la doctrine nouvelle qui sauvait le monde. Sans doute, l’enseignement, qu’il inaugurait ne semblait conçu que pour ajouter à la majesté du culte : « Il institua, dit l’historien de sa vie, l’école des chantres, et lui donna, avec quelques domaines, deux résidences, l’une auprès de la basilique de Saint Pierre, l’autre au palais de Latran. » Mais la musique, le dernier des sept arts libéraux, exigeait la connaissance de tous les autres ; le chant supposait l’intelligence des textes sacrés, et de l’humble fondation de saint Grégoire devait sortir toute une école théologique et littéraire, qui serait la lumière de Rome et l’exemple de l’Occident.

Jusqu’à la fin du neuvième siècle je vois l’école de Latran, fidèle à ses traditions, former l’élite du clergé romain: il est dit des deux papes Sergius I et Sergius II qu’ils y furent nourris dans l’étude, non de la religion seulement, mais des lettres[44]. On y enseignait assurément la métrique latine, puisque les hymnes de l’Église se pliaient encore aux lois de la quantité, et faisaient revivre les anciens rhythmes d’Horace et de Catulle. On y enseignait au moins les éléments de la langue grecque, puisqu’elle conservait sa place dans la liturgie romaine, et qu’un Ordo Romanus du douzième siècle donne encore les antiennes grecques exécutées par les chantres de la chapelle papale aux principales fêtes de l’année[45]. La chapelle des papes, -avec l’école qui en était inséparable, devint le type à l’imitation duquel se constitua l’école du palais chez les Francs. Les rois civilisateurs s’appliquaient à réformer le chant ecclésiastique en même temps qu’à ranimer les études, et c’était à Rome qu’ils demandaiènt des leçons. Le pape Grégoire III envoyait en France des chantres romains ; Paul I° accueillait les moines français à l’école de Latran ; le même pontife adressait à Pépin le Bref un antiphonaire avec des traités grecs de grammaire et de géométrie. Charlemagne reçut du pape Adrien des maîtres de grammaire et de comput ; et si dans ce nombre plusieurs pouvaient être laïques, d’autres sortaient de la chapelle pontificale, comme les deux chantres Petrus et Romanus, que la chronique représente aussi profondément versés dans la musique sacrée que dans les arts libéraux[46].

Écoles de Milan, Lucques et Pavie.

Quand l’exemple de Rome subjuguait les barbares du Nord, comment n’eût-il pas ému l’Italie ? Dans ces villes lombardes que l’arianisme disputait à l’orthodoxie, on,voit les évêques s’entourant d’un petit nombre de clercs, qu’ils exercent à la culture des lettres en même temps qu’à la défense de la foi. Au septième siècle, l’archevêque de Milan, Benedictus Crispus, s’honorait d’avoir initié ses disciples à la connaissance des sept arts. Un peu plus tard, l’Église de Lucques avait ses écoles sous le portique même de la cathédrale ; et déjà les prêtres Caudentius et Deusdede y figurent, dans deux actes de 747 et 748, comme chargés de l’enseignement public[47]. Le diacre Pierre de Pise professait à Pavie quand Alcuin assista à sa dispute publique contre l’Israélite Jules et je reconnais comme autant de représentants de l’école ecclésiastique en Lombardic, Paul Diacre, Paulin d’Aquilée et Théodulfe,. tous trois clercs, tous trois destinés à seconder ces réformes de Charlemagne que l’Italie inspira d’abord, et qu’elle subit ensuite.

L’enseignement monastique, le mont Cassin et Bobbio

D’un autre côté, l’enseignement monastique commençait aux deux bouts de la péninsule, au mont Cassin et à Bobbio. Sans doute la règle bénédictine ne traite pas expressément des écoles claustrales, mais elle permet, de recevoir et par conséquent d’élever les enfants consacrés au service de Dieu par le vœu de leurs pères. Elle fait de la lecture un devoir, une œuvre qui sanctifie le dimanche et-les jours de carême. Elle ne semble ouvrir l’asile du monastère qu’à la foi, à la piété, à la pénitence mais les lettres, qui cherchent la paix et le. recueillement, y pénètrent et n’en sortent plus. Parmi les premiers disciples de saint Benoît, plusieurs, Maurus, Placidus, Marcus, sont loués de leur application à la lecture et de leur savoir. Toutes les traditions du monachisme italien favorisaient le travail d’esprit. Saint Fulgerice de Cagliari faisait moins de cas du labeur des mains que de l’étude, et Cassiodore avait écrit pour les religieux de Vivaria son beau traité des Institutions divines et humaines. Pendant que le midi de l’Italie s’éclairait de ces clartés, un autre foyer s’allumait au nord. Le zèle de l’apostolat qui poussait les moines d’Irlande sur le continent avait conduit saint Colomban à Bobbio, au fond des plus âpres déserts de l’Apennin. Il y portait, avec les sévères observances des cénobites de son pays, leur passion des lettres, et ce besoin qui les dévorait de savoir et d’enseigner. L’esprit de ce grand réformateur lui survécut, et passa des Irlandais, ses compagnons, aux disciples italiens qui leur succédèrent[48] Au septième siècle, Jonas de Bobbio écrit l’histoire de saint Colomban son style est nourri de la lecture des anciens, il cite Tite-Live et Virgile. Au dixième, la bibliothèque de Bobbio possède des écrits de Démosthènes et d’Aristote,~les poètes de l’antiquité latine, mais surtout une quantité incroyable de grammairiens. Il ne fallait pas moins que les exigences d’une école nombreuse pour multiplier ainsi les exemplaires de tant d’écrits arides, et pour que des vies consacrées à Dieu se consumassent a copier, non les homélies de saint Chrysostome et de saint Augustin, mais le traité de Caper sur l’orthographe, ou celui de Flavianus sur l’accord du nom avec le verbe[49].

Intervention

de

la puissance

impériale.

Edit

de Lothaire.

Tels étaient cependant les périls de ce temps orageux, que des institutions si fortes n’assuraient pas encore la perpétuité de l’enseignement. La barbarie désarmée faisait irruption dans l’Église : des hommes de sang, des prêtres concubinaires et simoniaques, prenaient possession des évêchés et des abbayes, fermaient l’école, et de ses revenus entretenaient leurs meutes et leurs chevaux. De si grands maux demandaient l’intervention des deux puissances temporelle et spirituelle qui gouvernaient le monde chrétien. En, 825, l’empereur Lothaire, poursuivant la pensée de son aïeul Charlemagne, rendait un édit dont voici la teneur : « En ce qui touche l’enseignement, qui par l’extrême incurie et la mollesse de quelques supérieurs est partout ruiné jusque dans ses fondements, il nous a plu que tous observassent ce que nous avons établi, savoir Que les personnes chargées par nos ordres d’enseigner dans les lieux ci-après indiqués mettent tout leur zèle à obtenir des progrès de leurs disciples, et s’appliquent à la science comme l’exige la nécessité présenté. Cependant nous avons désigné pour cet exercice des lieux choisis de façon que ni l’éloignement ni la pauvreté ne servît désormais d’excuse a personne. « Nous voulons donc qu’à Pavie, et sous la conduite de Dungal, se rassemblent les étudiants de Milan, de Brescia, de Lodi, de Bergame, de Novare, de Verceil, de Cortone, d’Acqui, de Gènes, d’Asti,de Côme. A Ivrée, l’évêque enseignera lui-même. A Turin, se réuniront ceux de Vintimille, d’Albenga, d’Alba, de Vado. A Crémone, étudieront ceux de Reggio, de Plaisance, de Parme, de Modene. A Florence, les Toscans viendront chercher ta sagesse. A Fermo, ceux du territoire de Spolète . À Vérone, ceux de Trente et de Mantoue. À Vicence, ceux de Padoue, de Trévise, de Feltre, de Cénéda, d’Asolo. C’est à l’école de Cividad del Friuli que les autres villes enverront leurs élèves[50]. » Toutefois il faut se tenir en garde contre l’exagération des termes de l’édit, quand il suppose la ruine générale de l’enseignement. C’est le langage ordinaire de cette époque, de célébrer comme le fondateur d’une église celui qui la restaure, comme l’auteur d’une institution celui qui la réforme.

Canons d’Eugène II et de Léon IV.

Il y a plus de vérité dans le canon du pape Eugène II, qui déclare seulement « qu’en plusieurs lieux on ne trouve ni maîtres, ni zèle pour les lettres. » C’est pourquoi il ordonne que « dans tous les évêchés, dans toutes les paroisses et les autres lieux où besoin sera, on institue des professeurs, savants dans les arts libéraux. » Ce canon est de 826, et tout indique un dessein concerté entre le pape et l’empereur pour la restauration des études. Cependant Léon IV, en 855, renouvelle les plaintes et les dispositions d’Eugène II, en ajoutant « qu’il est rare de trouver dans les simples paroisses des maîtres capables de professer les lettres. » En effet, nous touchons à un âge de fer, où, en présence du saint-siége profané, de l’empire croulant, des villes brûlées par les Normands, les Sarrasins, les Hongrois, l’Italie put trembler pour sa foi et désespérer de ses lumières. C’est alors surtout, et dans les trois siècles écoulés de Charlemagne à Grégoire VII, qu’il faut connaître la destinée des écoles ecclésiastiques[51].

Les écoles ecclésiastiques du IX° au XI° siècle. Vérone.

Au nord, et parmi les cités que l’édit de Lothaire avait dotées d’un enseignement public, je trouve Vérone, où, au dixième siècle, l’évêque Rathier annonce qu’il admettra aux ordres les jeunes clercs qui auront étudié les lettres dans sa ville épiscopale[52] .

Verceil

Atton de Verceil ordonne que, jusque dans les bourgades et les villages, les prêtres tiennent école, et que si quelqu’un des fidèles veut leur confier ses enfants pour apprendre les lettres, ils ne refusent point de les recevoir et de les instruire[53].

Milan
Au

onzième siècle, Milan avait deux écoles richement dotées par les archevêques. On y exerçait la jeunesse à toutes les études qui formaient , selon le langage de l’époque, un philosophe accompli ; et une chronique contemporaine nomme en effet deux prêtres, André et Ambroise Biffi, également versés dans les lettres grecques et latines[54].

Parme
En même

temps Parme faisait gloire de ses chaires, où d’habiles lecteurs enseignaient les sept arts trois de ces maîtres, Sigefred, Ingo, Homorlei, paraissent

dans des chartes qui assignent à leur entretien des
Modène.

bénéfices considérables[55]. L’école de Modène, au dixième siècle, était gouvernée par un prêtre ; mais les évêques de cette ville étendaient leurs soins au delà de ses murs deux actes, l’un de 796, l’autre de 908, montrent les deux paroisses rurales de Saint-Pierre in Siculo et de Rubiano assignées à deux prêtres, à la charge d’y servir le Christ, de conserver l’église en bon état de réparations, et de tenir école pour l’éducation des enfants[56].

Sienne.

Un diplôme de Sienne, daté de 1056, fait paraître le clerc Roland en qualité de prieur de l’école[57].

Rome.

A Rome, Jean Diacre atteste qu’au milieu des désordres du dixième siècle l’école du palais de Latran conservait encore les traditions de saint Grégoire[58]. l’exemple de ce grand pape, saint Athanase, évêque de Naples, y avait fondé des écoles de chant ecclésiastique et de lettres séculières ; et, choisissant parmi ses clercs, il appliquait les uns à la grammaire, les autres la transcription des livres. Lui-même ne croyait pas déshonorer sa dignité en recommençant les études littéraires de sa jeunesse et, comme pour consacrer cette alliance du savoir et de la piété, ayant fait restaurer l’église de Saint-Janvier, il voulut qu’on y peignît les images des saints docteurs[59].

Mont-Cassin

Novalèse
Mont-Soracte
Farfa

Casauria

Pendant que l’épiscopat multipliait ainsi ses fondations, l’enseignement monastique ouvrait ses portes, non-seulement aux élèves du cloître, mais au clergé séculier. Quand Paul Diacre, las des pompes et des dangers de la cour, vint chercher le repos au mont Cassin, il y compta parmi ses disciples de jeunes clercs qu’Étienne, évêque de Naples, avait confiés à cette docte maison. Au neuvième siècle, Hilderic, Théophane, Autpert, Berthaire, Erchampert, firent fleurir sous les cloîtres de Saint Benoît la grammaire, la poésie et l’histoire[60]. En même temps on voit les lettres pénétrer dans les âpres solitude de la Novalèse, du mont Soracte, de Farfa, et dans la puissante abbaye de Casauria, où les disciples du dehors accouraient pour se mêler aux disputes philosophiques des religieux, et discuter « les subtiles hérésies d’Aristote et les hyperboles éloquentes de Platon[61]. » Si l’école du Mont-Cassin périt avec le monastère sous la torche des Sarrasins en 884, elle recommence avec lui et jette un éclat nouveau, lorsqu’au onzième siècle on y voit grandir plusieurs de ces moines intrépides qui serviront les desseins de Grégoire VII.

Grégoire VII

Grégoire VII ne semblait combattre que pour les libertés de l’Église : on a trop ignoré ce qu’il fit pour le réveil de l’esprit humain. Quand il ouvrait le grand débat du sacerdoce et de l’empire, il savait bien qu’il n’en verrait pas le terme. Mais le triomphe dont il devait jouir, c’était d’avoir agité les intelligences, de le savoir arrachées aux intérêts vulgaires, en les occupant de la plus formidable controverse qui fut jamais. Quand il tenait le farouche Henri IV à genoux devant lui, sous le sac et la cendre, au château de Canossa, c’était la barbarie qu’il humiliait en la personne de cet homme de sang. S’il mettait tout en oeuvre pour assurer l’indépendance du clergé en l’arrachant aux liens de la simonie et du concubinage, il avait cherché lui assurer une supériorité que le sceptre impérial ne déléguait pas, la supériorité des lumières : il avait voulu dédommager le prêtre des joies de la famille, en faisant asseoir les lettres à son foyer. Voilà pourquoi un canon du concile de Latran, en 1078, renouvela les décrets qui instituaient auprès de toutes les églises cathédrales des chaires pour l’enseignement des arts libéraux[62] . Mais cette fois Grégoire VII avait mis au décret du concile le sceau d’une volonté accoutumée a se faire obéir : dès lors les chaires ne se taisent plus, rien n’interrompt la succession des maîtres. Il ne faut plus demander si l’Italie a des écoles, lorsqu’elle en fonde partout, lorsque Lanfranc, saint Anselme, Pierre Lombard vont inaugurer au delà des Alpes cet enseignement scolastique qui donnera au moyen âge ses grands docteurs, et au génie moderne ses habitudes de critique, de rigueur et de travail.

Trois grands noms divisent les siècles ténébreux que nous venons de traverser et les éclairent saint Grégoire le Grand, Charlemagne et Grégoire VII. Ces fondateurs de renseignement ecclésiastique l’avaient marqué de deux caractères de foi et de charité qu’il ne perdit jamais : il eut des jours inégaux, il fut obscurci et troublé mais il resta jusqu’à la fin religieux et gratuit.

Caractère

de

l’enseignement

ecclésiastique.

L’antiquité païenne avait aimé la science, mais elle ne la prodigua jamais : elle craignit de l’exposer aux profanations des hommes. Les écoles des philosophes étaient fermées au vulgaire, les rhéteurs et les grammairiens vendaient leurs leçons. C’est l’honneur de l’enseignement chrétien d’avoir aimé les hommes plus que la science, d’avoir ouvert à deux battants les portes de l’école pour y faire entrer, comme au festin de l’Évangile, les aveugles, les boiteux et les mendiants. L’Église avait fondé l’instruction primaire, elle l’avait voulue universelle et gratuite, en ordonnant que le prêtre de chaque paroisse apprit à lire aux petits enfants, sans distinction de naissance, sans autre récompense que les promesses de l’éternité. L’instruction supérieure fut assise sur les mêmes bases. Les chaires instituées auprès des siéges épiscopaux eurent leur dotation en fonds de terre, en bénéfices assignés par la libéralité des évêques et des grands. C’est ce que nous avons trouvé à Rome, à Modène, à Parme, et dans toute la Lombardie. La parole du maître ne coûtait rien aux disciples, et, selon l’édit de Lothaire, la pauvreté cessa d’excuser l’ignorance. Toutes les préférences de l’Église étaient pour ces pauvres qui luttaient contre la dureté de leur condition ; elle encourageait à titre d’œuvre pie les legs des mourants en faveur des écoliers nécessiteux. Les docteurs consommés ne croyaient pas déroger en s’employant à resserrer l’Écriture sainte et toute la théologie en de courts abrégés, et les scribes des monastères en multipliaient les copies à bas prix (Biblia pauperum). Les sages de ce temps ne s’effrayaient point de la foule qui assiégeait les chaires, qui mettait quelquefois en danger la paix, mais qui donnait des défenseurs à la liberté. En 1046, quand l’archevêque Gui, élevé par la simonie, soutenu par les armes des nobles, prenait possession de Milan, ce fut dans l’école ecclésiastique de Sainte-Marie, ce fut sous la conduite d’un maître de grammaire, le diacre Ariald, que se forma une ligue sainte, destinée à renverser la tyrannie du prélat, et à commencer, par l’affranchissement de la commune de Milan, l’ère des républiques italiennes[63].

D’un autre côté, cet enseignement soutenu des deniers du sanctuaire gardait l’empreinte sacerdotale que saint Grégoire le Grand lui communiqua. L’école épiscopale conservait le titre d’école des chantres à Rome, à Lucques, à Naples. Ses auditoires s’ouvraient sous les portiques, sur le parvis des cathédrales, comme à Saint-Jean de Latran, à Saint-Martin de Lucques, à Saint-Ambroise de Milan. Les études profanes y étaient employées, selon les termes du pape Eugène III, à mettre en lumière les dogmes révélés. Sans doute on ne bannissait point les poëtes du paganisme : comment fermer la porte au doux Virgile, quand il se présentait en compagnie des sibylles et des prophètes, avec sa quatrième églogue, où tout le moyen âge crut reconnaître l’annonce du Dieu sauveur ? Les fictions de l’antiquité s’introduisaient à la faveur de l’allégorie, et Théodulfe ne craignait pas d’avouer son faible pour Ovide, dont chaque fable couvrait une leçon[64]. Cependant la piété des jeunes clercs s’appliquait de préférence aux récits de la Bible ou de la légende : c’étaient ces sujets populaires qu’on aimait à plier aux règles de la prosodie latine, ou sous la loi du vers rimé. J’en trouve un exemple dans ce petit poëme du douzième siècle[65] :

CARMEN DE JOSEPH PATRIARCHA.

Joseph Deo amabilis,
Patri dulcis et habilis,
Puer formose indolis,
Et gratie multiplicis!...
 
Hinc ipsi nova somnia
Celi promebant sidera,
Ad futuri indicia,
Ipsi quasi supplicia...
 
Intentus est auspicio
Ac si Dei négocie :
Fraternus livor invido
Advertit sed hoc animo.
 
Joseph domi residens,
Rei private providens,
Jubetur mox invisere,
Cunctane gérant prospere...
 
Necmora ;ut conspiciunt :
En somniator,aiunt :
« Necem ferte, ut pareat,
An juvarit quod somniat...  »
  
...........Culpam vitant sceleris,
Ne criminentur sanguinis :
Sumpto pondo numismatis,
Sic vendunt Agarenicis.

Segardus hoc dictamen fecit

Sous ce rhythme barbare, sous ce langage incorrect où perce déjà l’idiome vulgaire, il faut reconnaître un récit plus émouvant pour des chrétiens que l’aventure d’Icare et le désespoir d’Œdipe.

Rivalité

des écoles
ecclésiastiques
et des écoles
laïques.

Ainsi l’enseignement ecclésiastique rivalisait avec

l’enseignement laïque : il opposait ses chaires gratuites aux maîtres salariés. La gravité de ses dogmes, la popularité de ses traditions, au culte discrédité des Muses profanes. Cette émulation éclatait en querelles : nous avons entendu les plaintes de Rathier de Vérone contre les trafiquants de science, les invectives dont Pierre Damien poursuit les moines fourvoyés à l’école des grammairiens. Gumpold, évêque de Mantoue, blâme sévèrement ceux qui, « poussés par le démon des vers, appliquent à des jeux poétiques,à des chansons de nourrices, une intelligence née pour de plus hautes destinées. Car l’amour des fables les gagne à ce point, qu’ils ne craignent pas de laisser périr la mémoire des saints et, s’attachant aux écrits des gentils, ils rejettent avec mépris tout ce qui est divin, simple, et souverainement doux pour les âmes[66]». À leur tour, les laïques n’épargnaient pas le sarcasme aux docteurs en froc. Pendant que le frère prêcheur Jean de Vicence suspendait à sa parole le peuple des cités lombardes, le grammairien Buoncompagno ne craignait pas de le chansonner dans des vers qui firent le scandale de Bologne[67] . Mais si les contemporains se scandalisaient de ces rivalités, l’esprit humain y trouvait la vie qu’il cherche toujours dans les combats et c’était de la dispute entre les universités et les moines mendiants qu’allaient sortir, pour la gloire de l’Italie et pour l’instruction du monde, ces deux incomparables génies, saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin.

Vie inédite

de

S.Donatus,

évêque

de Fiesole.

Peut-être ce court aperçu des écoles ecclésiastiques aux temps barbares se trouverait-il utilement complété par une Vie inédite de saint Donatus, évêque de Fiesole, et l’un de ces aventureux Irlandais qui, poussés hors de leur patrie par l’esprit de Dieu, portés aux sièges épiscopaux par l’admiration des peuples, poursuivaient du même zèle la réforme des mœurs et la restauration des études. Un manuscrit de la bibliothèque Laurentienne (Plut. XXVII, cod. 1), où Bandini reconnaît la main d’un copiste du onzième siècle, contient, sous le titre de Vitae Patrum , plusieurs légendes parmi lesquelles on trouve, au feuillet 46 verso, la vie de saint Donatus. Elle ne forme pas moins de vingt colonnes petit in-folio ; et si je n’y trouve pas assez d’intérêt pour la transcrire entièrement, je ne puis me défendre d’en publier quelques passages qui ont le mérite de montrer en même temps les humbles commencements de l’école de Fiesole, et les fruits de l’enseignement qu’on y donnait. D’un côté, saint Donatus y paraît avec cette passion des lettres qui agitait les monastères d’Irlande : il s’efforce de rallumer un foyer de science sacrée et profane dans des lieux encore tout consternés de l’apparition des pirates normands. On le voit exerçant ses disciples à composer en prose et en vers, leur donnant à la fois des leçons et. des exemples. D’un autre côté, sa légende, écrite longtemps après lui, rédigée sur des traditions orales (juxta veridica majorum famina), est elle-même une de ces compositions littéraires auxquelles on appliquait les jeunes clercs. Nous y trouvons à peu près ce que savait faire un écolier italien dans des siècles si mauvais. Le début a toute la solennité, toutes les formes oratoires d’un panégyrique composé pour être, lu en présence du clergé et peut-être des fidèles.

« INCIPIT VITA SANCTI DONATI SCOTTI FESULANI « EPISCOPI.

« Clarus et solemnis, karissimi fratres, adest dies omni laude extollendus, omni devotione colendus, in quo beatissimi patris nostri transitum exultat ordo angelicus. Et (licet omnium sanctorum sanctissime solemnitatis, fratres dilectissimi, christianorum animus debeat fieri particeps, cum Scriptura dicat Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus, et alibi : Cum dederit electis suis somnum, ecce hereditas Domini. Sancti enim cum pervenerint ad mortem, tunc invenient hereditatem. Ut enim ad eam pertingere valerent, studuerunt omnia mundi labentia despicere, universa caduca calcare, omnia mundi blandimenta fugere, toto nisu ad celestia tendere, ut cum propheta dicere valerent : Dominus pars hereditatis me ; et iterum : Letatus sum in his que dicta sunt mihi; in domum Domini letantes ibimus...) precipue tamen in eorum jocundemur laudes (sic), quorum corpora possidemus ut heredes, quorum beneficiis fruimur fideles, quorum suffragio sustinemur infideles, quorum etiam intercessione quotidie, si lugemus, a sorde lavamur. De quorum namque collegio beatissimus Christi sacerdos et venerandus hodie Donatus occurrit, per quem divina pietas festivitatis hodierne luce enituit, et perpetue glorie coruscum lumen mundo effudit.. » J’interromps cet exorde, qui ne remplit pas moins de quatre colonnes, et je passe au récit. Scotia vero et Hibernia proxime sunt Britannie. Hibernia vero insula inter Britanniam et Hispaniam sita, spatio terrarum angustior, sed situ fecundior. Hec longiore ab Africo spatio in Boream porrigitur. Scolie autem nulla anguis habetur, avis rara, apis nulla : in tantum adeo, ut advectos inde pulveres seu lapillos si quis alibi sparserit inter alvearia, examina favos deserant. Quante autem fortune vel dignitatis sit, seu etiam quam amica sit pacis, breviter idem iste beatus Donatus versificando collaudat ita describens :

Finibus occiduis describitur-optima tellus,
Nomine et antiquis Scottia scripta libris ;
Dives opum, argenti, gemmarum, vestis et auri,
Commoda corporibus, aere, putre solo.
Melle fluit pulcris et lacte Scottia campis,
Vestibus atque armis, frugibus, arte, viris.
Ursorum rabies nulla est ibi : saeva leonum
Semina nec unquam Scottica terra tulit,
Nulla venena nocent, nec serpens serpsit in herba ;
Nec conquesta canit garrula rana lacu’:
In qua Scottorum gentes habitare merentur,
Inclyta gens hominum milite, pace, fide[68]

In hac enim Beatus Donatus, suorum civium prosapia nobilium parentüm progenitus, et ab ipsis pene crepundiis totus fide catholicus, animus vero litteris deditus, et erga Christi cultores devotus, in tantum ut, infra breve coevum, suis natu majoribus excelsior doctrina foret effectus. Hauriebat denique sitibundo pectore fluenta doctrine, que postea eructaret congruenti tempore mellito gulture, juxta illud : Eructavit cor meum verbum bonum Corroboratus ergo in timore Domini, cepit peregre proficiscendi amor innasci, ita ut patriam parentesque desereret et Domino soli adhaereret.


Tempore igitur magnifici et illustrissimi summique pontificis Eugenii Romane presidentis cathedre, et christianorum principum Lotharii quoque magni, Ludovicique boni sceptra regentis, sub anno dominice incarnationis DCCCXVI, Indictione X, Beatissimus Donatus multas tunc temporis per Christi gratiam illustrabat ecçlesias, sicque factum est ut usque ad limina Apostolorum perveniret. Eo igitur in tempore contigit ut Fesulanensis Ecclesia gravia pateretur incommoda, scilicet ob devastationem Normannorum quae prius acciderat, seu etiam quia orbati patris benedictione carebant. Multa vero plebs passa « mestitia (sic), implorabat sanctorum suffra«  gia. »

Jusqu’ici la narration n’a pas d’autres ornements que le luxe des épithètes et le grand nombre des citations bibliques. On y sent l’effort de l’auteur pour maintenir sous la règle de la syntaxe latine sa pensée, qui lui échappe plus d’une fois et qui se laisse entraîner aux constructions de la langue vulgaire. Mais, à mesure qu’il avance dans son récit, qu’il s’échauffe et s’émeut, son style prend des formes nouvelles. C’est encore une prose, mais une prose rimée. Les écrivains classiques n’avaient pas toujours dédaigné ce retour des mêmes sons (homoioteluta) les rhéteurs de la décadence en abusèrent, et les auteurs ecclésiastiques ne se défièrent pas d’un ornement recommandé par l’école, et que la foule aimait. L’historien de saint Donatus ne fait qu’imiter ces exemples, quand son récit se déroule dans une longue suite de versets qui se succèdent deux à deux avec des chutes pareilles. Donatus, après avoir prié au tombeau des saints apôtres, a repris le chemin du Nord ; il entre dans Fiesole au moment où le peuple, pressé autour des autels, demandait à grands cris un évêque. Aussitôt les cloches s’ébranlent et les lampes s’allument d’elles-mêmes, la multitude se répand autour de l’étranger que désignent ces prodiges : la majesté de sa personne étonne tous les regards ; on le presse, on veut savoir son nom : il se nomme enfin...

Nomine (sic) cum audierunt,
Letabundo sic pectore dixerunt
« Eia Donate,’
Pater a Deo date,
Pontificale reside cathedra,
Ut nos perducere valeas ad astra. »


Tunc sanctus pectore puro verba dixit in unum :


« Parcite,
O fratres, quod ista profertis inane.
Mea crimina lugere sciatis,
Non in plebe docere credatis. »
Ad haec sonantia verba
Cuncta cepit dicere caterva :
« Sicut visitavit nos oriens ex alto,
Sic agamus in viro sancto
Christus eum adduxit ex occiduis,
Eligamus nos in Fesulis.
Et ecce Deo dignus

A Christo demonstratur
« Domino Donatus ;
« Ad sedem nunc producatur,
« Ut nobis a Deo datus
« Sit pater Donatus.
« Si est voluntas resistendi,
« Fiat vis eligendi »[69].


« Sicque factum est : licet multum renitendo, plurimumque repugnando resisteret ; inthronizatus tamen est, et presul sancte Fesulane ecclesie electus… Benedictione itaque pontificali consecratus, ita apparuit statim fore aptus ac devotus, ac si ad officium quod noviter ascenderat jugiter prefuisset. Erat enim largus in elcemosynis, sedulus in vigiliis, devotus in oratione, precipuus in doctrina, paratus in sermone, sanctissimus in conversatione.

« Ipse enim omnibus vite sue diebus nunquam animum otio dedit, quin non aut orationi insisteret, aut lectioni incumberet, aut utilitalibus Ecclesie describeret, seu etiam scemata metrorum discipulis dictaret, vel in rébus ecclesiasticis insudaret, necnon in sollicitudinibus viduarum et orphanorum instaret, et egenorum curam haberet. »

Ainsi refleurissaient, dans l'école épiscopale de Fiesole, les traditions laborieuses de l’Irlande. Il ne faudra donc pas s’étonner, si l’historien de saint Donatus mêle ses rimes populaires les termes savants, les héllénismes qu’on retrouve chez les écrivains irlandais et anglo-saxons des temps barbares. Il appelle le Verbe de Dieu Theou Logon, le Saint-Esprit Pneuma et quand le peuple, touché d’un miracle, rend gloire au Père, la gravité du sujet veut encore un mot grec « Multa mox in doxa Patris cecinis populus». Sans doute ces exemples ne prouvent point qu’on sût le grec à Fiesole : ils font voir du moins qu’on ne le méprisait pas que, dans un temps si mauvais, la langue du Nouveau Testament, de saint Basile et de saint Chrysostome, était considérée non comme la langue des hérésies, mais comme un idiome saint, qui avait encore sa place dans la liturgie, auquel la théologie empruntait ses expressions sacramentelles, qu’il n’était pas permis d’ignorer tout à fait, et qu’il fallait faire intervenir de loin en loin dans le discours, pour lui prêter je ne sais quoi de solennel et de mystérieux. Mais ce qu’on savait assurément à Fiesole, ce que saint Donatus ne dédaignait pas d’enseigner à ses disciples, c’était la métrique latine, l’imitation des poètes chrétiens qui avaient chanté, dans le rhythme de Virgile, les mystères du Sauveur et les couronnes des saints. Aussi, quand l’hagiographe a épuisé toutes les ressources de la prose, et que, par un dernier effort de style, il veut égaler la grandeur de son sujet ; quand il représente le vieil évêque malade, visité en songe par la vierge irlandaise Brigitte, qui laisse tomber sur lui une goutte d’huile de sa lampe et le guérit, le récit se fait en hexamètres. Enfin, Donatus, chargé d’œuvres et d’années, va rendre sa grande âme une dernière fois, il élève sa voix au milieu du clergé en pleurs ; c’est encore en vers qu’il prie :


 « Christe Dei virtus, splendor, sapientia Patris,
In genitoro manens, genitus sine tempore et ante
Secula ; qui nostram natus de Virgine formam
Sumpsit nutritus, lactatus ab ubere matris
Qui sancto nostras mundans baptismate culpas,
Jam nova progenies celo demittitur alto  ;
Noxia qui vêtiti dissolvit prandia pomi,
Vulneraque ipse suo curavit sanguine nostra
Qui moriendo dedit vitam, nos morte redemit,
Cumque sepultus erat, mutavit jura sepulchri,
Surgens a morte mortem damnavit acerbam
Tartara qui quondam, nigri qui limina Ditis
Destruxit, scatebras superans Acheruntis avari
Quf hostem nigrum… detorsit in imo
Carceris inferni, Letheum trusit in amnem…
Tu quoque qui tantas pro nobis sumere penas
Dignatus, miseris celestia regna dedisti,
Da mihi per celsas paradisi scandere scalas,
Fac bene pulsanti portas mihi pandere vite.
Ut merear pavidus convivas visere claros
Quo tecum gaudent videam convivia sancti,
Quo cum Patre manes, regnas per secula semper,
Spiritus et sanctus, pariter[70] Deus impare gaudet ».

« Expleta vero oratione, totum se ipsum armavit signo Christi, et benedicens filios fratresque spirituales, adpositus est ad sanctos patres senex et plenus dierum… Sepultus vero est a discipulis suis in arca saxea, die XI kalend. novemb… Scriptumque est illic epitaphium ejusmodi :


 « Hic ego Donatus Scotorum sanguine cretus,
___Solus in hoc tumulo pulvere, verme voror.
Regibus Italicis servivi pluribus annis,
___Lothario magno Ludovicoque bono.
Octonis lustris, septenis insuper annis
___Post Fesulana presul in urbe fui.
Grammata discipulis dictabam scripta libellis,
___Scemata metrorum, dicta beata senum[71]
Posco, viator, ades quisquis pro munere Christi,
___Te, homo, non pigeat cernere vota mea,
Atque precare Deum… qui culmina celi,
___Ut mihi concedat regna beata sua….


« Dicamus ergo cuncti : Sancte Dei et pretiose confessor Donate, pater et pontifex, educator et alitor, rector et pastor, subveni precibus destitutis et lapsis. Miserere viduis et captivis, auxiliare orphanis et pupillis, succurre presentibus et futuris, opem fer viventibus atque defunctis. Nostras quoque preces peto ne recuses, qui, quamvis noxiis loris adstrictos (sic) iniquitatis, pro capacitate tamen ignavie et parvitate ingenioli nostri presumpsimus ad laudem tui sanctissimi hec scripta magistris relinquere, precantes summo conanime, quod inutile invenerint, emendent, nostreque

presumptioni indulgeant et parcant,.et quia nequimus ad paradisi pervenire pascua, tua altem sancta suffragia inter supplicia sentiamus solatia : precante Domino nostro Jesu Christo, qui regnat in Trinitate, cui omnia donata sunt a Patre in Spiritus sancti unitate. In secula seculorum Amen.  »

Cette prière, où il y’a beaucoup de naïveté, d’humilité et de foi, achève de caractériser le petit ouvrage que nous avons entre les mains. C’est bien l'œuvre d' un disciple soumis au jugement de ses maîtres : c’est une de ces histoires miraculeuses, exercices favoris des jeunes clercs, qui grossissaient peu à peu la bibliothèque des églises, et qui unissaient par former tant de volumineux recueils de légendes. On y reconnaît bien le goût du moyen âge pour les pièces farcies,mêlées de prose et de vers, de langue-vulgaire et de langue savante. N’en méprisons pas trop l’apparente grossièreté car, d’une part, ces hexamètres chancelants sur leurs pieds,. mais soutenus de temps à autre par un hémistiche, par un vers entier de Virgile, attestent que l’antiquité n’est ni oubliée, ni proscrite. Et, d’un autre côté, cette prose rimée dans laquelle saint Thomas d’Aquin ne dédaignera pas de composer ses hymnes, cette prose du Dies irae et du Stabat mater, n’est-elle pas destinée à devenir le .type de la versification dans toutes les langues modernes ?


III. DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE HORS DU CLERGÉ.

Ainsi, dans ces siècles périlleux où il semble que toute éducation littéraire va manquer au peuple italien, il la reçoit de deux côtes-. Il y a des maîtres laïques, salariés, nourris des traditions profanes, derniers héritiers des grammairiens et des rhéteurs romains. Il y a des maîtres ecclésiastiques, dont l’enseignement gratuit, vouéau service et à la défense de la foi, remonte de Grégoire VII à Grégoire le Grand, et cache son origine aux catacombes. Entre ces deux enseignements il y a rivalité, hostilité, tout ce qui divise les esprits, mais ce qui les agite et les féconde. Nous avons à considérer si tant d’efforts restèrent sans résultat, si l’instruction donnée du haut de tant de chaires forma des classes lettrées, et jusqu’à quel point elle pénétra dans les derniers rangs de la nation.

Écartons premièrement le clergé, dont on ne conteste pas les lumières. Au dixième siècle, c’està-dire au plus fort de la barbarie italienne, nous avons vu Rathier de Vérone, Atton de Verceil ranimer les études ;Luitprand écrit, dans une prose savante, mêlée de vers et toute semée de termesgrecs, l’histoire de son ambassade à Constantinople ; et Gunzo, clerc de Novare, dans une dispute grammaticale avec les moines de Saint-Galt, pousse l’ érudition jusqu’à citer le texte grec de l’lliade. Il reste à savoir si, au dessous de l’Eglise, on trouve ces professions savantes qui partagent avec elle la charge d’éclairer les sociétés.

C’est l’opinion commune, qu’aux premiers temps du moyen âge la médecine s’enferma dans les cloîtres, et redevint ce qu’elle avait été avant Hippocrate, une science sacrée, réservée aux prêtres, destinée à relever par ses prodiges la majesté des autels. Cette opinion semble se confirmer, quand’on voit l’archevêque Benedictus Crispus de Milan s’arracher au soin des âmes pour écrire en vers latins un recueil de formules médicales. Cependant nous avons déjà reconnu dans les diplômes de Lucques plusieurs médecins laïques. En parcourant les archives de Pistoia, on trouve à la date de 727 Guidoald, médecin des rois lombards, en 748 Fredus, en 777 Léon, en 1095 Bonsegnore, tous trois médecins,sans aucune qualification qui leur attribue un rang dans l’Église. Une charte de Bérenger, datée de 996, et conservée au Vatican, fait figurer parmi les témoins maître Landolphe de Serravalle, physicien[72]:c'est ainsi qu’on désigne souvent ceux qui professent l’art de guérir. Des la fin du dixième siècle l’école de Salerne jetait tant d’éclat, qu’Adalbéron, évêque de Verdun, y allait chercher un remède à ses infirmités. Au siècle’ suivant, la science médicale y était professée.par une femme qu’on ne nomme pas, mais qui effaçait tous les docteurs contemporains[73]. Plus tard, quand l’école entière adresse au roi d’Angleterre ces préceptes fameux, destines à devenir le code de la médecine au moyen rien n’y trahit la main d’un prêtre ; et Jean de Milan, qui passe pour les avoir rédiges, prend le titre de docteur, mais non celui de clerc. L’Église est si loin de confisquer à son profit l’art de guérir, qu’elle en redoute les tentations pour ses moines:un canon du second concile de Latran, en 1129, interdit aux —religieux l’exercice de la médecine, où ils se portent par une coupable passion de s’enrichir, et menace de peines sévères les supérieurs assez faibles pour tolérer un tel abus[74] (2).

D’un autre côté, si l’étude du droit ne périt jamais en Italie, c’est que ce pays garda le sens pratique des vieux Romains, le génie des affaires, la passion de plaider, et que, selon le témoignage de Wippo, quand on paraissait devant le juge, il fallait produire ses textes. C’est ainsi qu’une requête rédigée pour l’évêque d’Arezzo contre l’évêque de Sienne, dans.un procès qui commença en 752, cite plusieurs dispositions du Digeste et du Code[75]. De pareils arguments voulaient être débattus par des gens du métier, et je ne m’étonne plus de voir au tribunal les parties accompagnées d’un avocat. Dans un plaid de l’an 908 devant les évêques, les comtes et les juges du roi Bérenger, comparaît Guidulfe, abbé de Saint-Ambroise, assisté de son avocat (advocatus) Boniprand. En 1108, au plaid de Teramo, l’avocat (causidius) d’une église dépouillée par violence intente pour elle cinq actions, aux termes du droit romain[76]. Lanfranc, que nous avons vu nourri dès ses premières années dans l’étude des lois, quitta les bancs de l’école pour faire l’étonnement du barreau par l’impétuosité de son éloquence, l’art infini de ses plaidoiries et la sûreté de ses maximes[77]. Ces triomphes oratoires conduisaient à la fortune et aux premiers honneurs des cités ; c’est le témoignage d’AIfano de Salerne, dans des vers inédits adressés au jurisconsulte Romuald

Dulcis orator, vehemeus gravisque, Inter omnes causidicos perennem 1 Gloriam juris tibi, Romoalde, Protulit usus. Civium nulli, spatio sub hujus Temporis, fortuna serenitate Praevalet ridere beatiori Quam tibi nuper[78].

Parmi les jurisconsultes loués dans les Lettres de Pierre Damien, il en est deux, Atton et Boniface, qu’il honore du titre de causidici[79]. Six diplômes du onzième siècle, conservés aux archives diplomatiques de Florence, font voir que dans les grandes villes de Toscane des légistes se vouaient à la défense des intérêts privés[80]. Mais les mêmes études qui préparaient l’avocat aux luttes du ; barreau formaient aussi le juge appelé à débrouiller le chaos des lois romaines et lombardes, et le notaire chargé de conserver, dans les formules sacramentelles de ses actes, l’image immobile du droit, au milieu de la violence des événements et des mœurs. Ces trois fonctions se confondent quelquefois ; et celui qui paraît dans un procès, assistant une partie en qualité d’avocat, y garde le titre de juge ou de notaire. Parmi les juges il y des rangs il faut distinguer les juges de l’empereur ou du sacré palais, et ceux des communes (civitatis). Sous ces noms divers on les voit siéger en grand nombre dans les mêmes cours. Au. tribunal du comte palatin Boderod, à Pavie, paraissent onze juges du palais et deux de la cité. En 982, Hildebrand, envoyé de l’empereur Otton, vient tenir ses plaids à Florence, dans l’atrium de la cathédrale l’arrêt qu’il rend en faveur des chanoines est signé de huit juges impériaux et de cinq notaires. En 1288, la ville de Milan ne compte pas moins de.deux cents juges et de mille notaires, dont six cents comissionnés de. l’empereur[81]. Les jurisconsent suites ne sont pas seulement nombreux, ils sont unis. : sous la domination franque, ils forment le collége des échevins. Quand les cités s’affranchissent, ils ont leur place parmi ces corps de métiers qui font la force des républiques italiennes: un document de 1142 montre déjà les avocats de Florence réunis en corporation[82]. Enfin, lorsqu’en 1266 Florence, délivrée des Gibelins, se donne des lois nouvelles, et que chacun des sept arts majeurs forme une compagnie armée avec ses officiers, ses consuls et son gonfalon, l’art des juges et notaires y paraît, portant sur sa bannière une étoile d’or en champ d’azur ; et l’art des médecins et pharmaciens, portant l’image de Notre-Dame en champ vermeil[83].

Les juriconsultes lettrés

Le statut de 1266 armait les sept métiers : il-ne les constituait pas, il les supposait organisés ; et l’on a droit de croire que depuis longtemps -la compagnie des médecins et celle des jurisconsultes avaient leurs statuts, leurs conditions d’admission, d’apprentissage et d’études. A Rome ; le candidat qui aspirait aux fonctions de juge comparaissait

devant une commission de cardinaux pour y être examinée sur la science des lois ; ensuite il prêtait entre les mains du pape serment de fidélité et de bonne justice ; après quoi le souverain pontife, lur remettant le livre de la loi, l’instituait en ces termes « Recevez la puissance de juger selon les « lois et les bonnes mœurs. » Les notaires subissaient le même examen, et le pontife les instituait en mettant dans leurs mains la plume et l’écritoire. [84]. La science du droit ne se séparait pas des lettres, qui commençaient l’éducation des esprits, qui faisaient l’ornement et le seul repos de ces laborieuses vies écoulées dans l’étude et la discussion des textes juridiques. Ainsi le légiste Burgondio,. honoré par ses contemporains comme « le maître des maîtres et la perle des docteurs, » avait traduit du grec les homélies de saint Jean Chrysostome et plusieurs traités de médecine[85]. Quand le démon des vers latins tourmentait les lettrés, et qu’un poète s’écriait

Desine : nunc etenim nullus tua carmina curât
Haec faciunt urbi, haec quoque rure viri[86]  ;
je ne suis pas surpris de trouver que l’hexamètre

fait irruption dans les actes notariés, et que les gens d’esprit se piquent de signer en vers latins. Ainsi dans un diplôme de Sienne, en date de -1081,

Subscripsit factis his Wido rite peractis.

Et dans une charte de l’abbaye de Casauria, datée de 1177 :

Alferius, dignus judex testisque benignus
[87]
Le latin,
la langue du Palais

La langue de l’Eglise et de l’école était aussi celle du palais, comprise et parlée, non par les jurisconsultes seulement, mais par le peuple entier des gens d’affaires. L’historien Albertino Mussato, au commencement du quatorzième siècle, écrit en vers le récit du siége de Padoue, et le dédie à la compagnie des notaires impériaux. « Souvent, dit-il, la compagnie palatine des notaires m’a pressé de célébrer dans un chant métrique les maux que Can Grande fit à notre cité, et qui, par un retour du destin, sont retombés sur leur auteur. Vous demandez encore que le poëme n’ait, rien de ce ton sublime qui sied à la tragédie mais que le langage en soit tempéré et descende à la portée du vulgaire, afin que si mes livres d’histoire, écrits d’un style plus relevé, servent à l’instruction des savants, ces humbles vers, ouvrage d’une muse plus indulgente, soient lus du grand nombre, et que les notaires, les derniers des clercs, y trouvent leur plaisir[88]. » La dessus Mussato s’engage, non dans un chant rimé charge d’expressions barbares, mais dans un poëme en vers hexamètres, où ne manquent ni les réminiscences virgiliennes, ni les allusions mythologiques c’étaient les délassements de la basoche de Padoue ; c’était le niveau de l’éducation publique pour tous ceux qui, sans se vouer aux professions savantes, s’arrachaient au travail des mains. On s’étonne du prodigieux savoir que Dante avait puisé aux leçons de Brunetto Latini, et dans les disputes philosophiques des religieux de Florence. Villani, destiné au commerce, et visitant Rome au jubilé de l’an 1500, y consumait ses veilles à lire Tite-Live, Salluste et Paul Orose, Virgile et Lucain. Il est dit du peintre Cimabue, qu’ayant donné de bonne heure des. marques d’une belle intelligence, il fut appliqué aux lettres, et fréquenta l’école ouverte par les frères prêcheurs à Sainte-Marie Nouvelle[89]. Ainsi la poésie et la peinture ne sortirent pas toutes radieuses de je ne’sais quelles ténèbres où l’on veut qu’elles aient trouvé leurs premières inspirations elles grandirent dans l’étude et sous la discipline, elles se nourrirent des souvenirs de l’antiquité sacrée et profane ; et si la Divine Comédie et les fresques d’Assise ravirent l’admiration des contemporains, c’est qu’ils y trouvèrent autant de savoir que de génie.

Quelle était

l'instruction
du peuple

Mais le peuple qui admirait ces beaux ouvrages, le peuple de Padoue, qui, par un vote public, décernait à Mussato la couronne de poète ; les gens des métiers de Florence, qui chargeaient Arnolfo di Lapo de leur élever une cathédrale « si belle qu’elle surpassât tous les monuments de la main des hommes ; » en un mot, la multitude, dont les plus grands génies ne sont après tout que les serviteurs, était-elle capable de les juger ? Pendant que les premiers feux de la renaissance rayonnent au sommet de la société italienne, quelles lueurs en éclairent les derniers rangs ? quelle instruction, quelles traditions littéraires circulent dans la foule, et entretiennent, chez des hommes voués aux fatigues du corps, le goût des plaisirs de l’esprit ? Et d’abord je remarque chez les Italiens cette puissance de la tradition qui surprenait déjà l’historien Olton de Freysingen, lorsqu’il décrivait l’entrée de l’empereur Frédéric I° en Lombardie. Les Allemands s’attendaient a trouver des alliés naturels parmi les Lombards, dont ils avaient entendu raconter l’origine germanique: ils s’étonnèrent, de trouver « une race amollie par la douceur du ciel et la graisse de la terre, héritière de la politesse et de la sagacité romaine, conservant l’élégance de la langue latine, des moeurs et la sagesse même des Romains dans l’ordonnance et le gouvernement des cités[90]. » En pénétrant dans ces villes, qui ont gardé leurs vieilles murailles, on y trouve encore toutes vivantes, au douzième, au treizième siècle, les croyances poétiques des anciens. Padoue montre le tombeau d’Antênor; le peuple de Milan ne-permet pas qu’on renverse la. statue d’Hercule ; les femmes de Florence bercent leurs enfant en devisant de Troie, de Fiesole et de Rome, comme les pêcheurs de Messine renouvellent chaque année la procession de Saturne et de Rhéa. La description de Rome que je publie, les premières chroniques de Florence, de Pise, de Venise, de Milan, montrent tous ces vieux souvenirs s’attachant, se cramponnant, pour ainsi dire, comme le lierre, à chaque pierre des ruines.

Chants

populaires

latins

Avec les fables du passé, on en conservait la langue ; et, pendant que l’idiome vulgaire fait irruption dans les chartes latines, on voit le latin se maintenir avec une incroyable persévérance dans les chants populaires. Je pourrais multiplier les exemples, citer les célèbres complaintes sur la destruction d’Aquilée, sur la mort de Charlemagne, sur la captivité de l’empereur Louis II ; deux psaumes en l’honneur des villes de Vérone et de Milan, des chansons satiriques contre Rome, et beaucoup d’autres compositions profanes. Mais j’écarte tout ce qui peut rappeler le monastère ou l’école, et je’ m’arrête à des chants qu’on surprend pour ainsi dire sur les lèvres mêmes du peuple. En 954, les gens de Modène veillaient sur leurs murailles menacées par les incursions des Hongrois. Ces bourgeois et ces. artisans, armés à la hâte pour la défense de leurs foyers, et qui voyaient de loin la flamme des incendies allumés par les barbares, s’animaient en répétant un hymne guerrier que nous avons encore, où nous trouvons une latinité correcte et toutes les réminiscences de la poésie classique :

0 tu qui servas armis ista mœnia,
Noli dormire, quaeso, sed vigila !
Dum Hector vigil extitit in Troia,
Non eam cepit fraudulenta Grecia

[91].

Plus tard, Gaufrid Malaterra insère dans sa Chronique de Sicile des chants composés pour les jours d’allégresse ou de douleur publique, et s’excuse de ses détestables vers latins sur la volonté du prince, qui l’engage a écrire dans un langage familier intelligible pour tous[92]. Vers le même temps, un chant de guerre célèbre la victoire remportée, en 1088, par les Pisans sur les Sarrasins. Ce chant rimé n’emprunte rien à la prosodie classique on y sent frémir l’enthousiasme contemporain ; on y trouve encore l’idiome et les souvenirs de l’antiquité. Si vous prenez l’auteur au mot, il vous fera croire qu’il s’agissait de vider la querelle de Rome et de Carthage

Inclytorum Pisanorum scripturus historiam,
Antiquorum Romanorum renove memoriam.

Il s’agit, pourtant d’une croisade ; il s’agit de venger l’Espagne, l’Italie, la Provence, insultées par les flottes mahométanes. Le Christ lui-même pousse les navires des chrétiens ;l’archange saint Michel sonne la trompette devant eux ; et saint Pierre, la croix à la main, marche à leur tête. Le combat s’engage ; mais, quand Hugues Visconti, le plus valeureux et le plus beau des Pisans, tombe dans la mêlée, le poète, épuisant toutes les louanges pour honorer le jeune martyr, ne trouve rien de plus touchant que de le comparer à Codrus, mort pour son peuple. Il est vrai que la pensée chrétienne reprend l’avantage, et qu’elle éclate enfin dans une strophe pleine de mélancolie, de tendresse et d’espoir

Sic infernus spoliatur et Sathan destruitur,
Cum Jesus redemptor mundi sponte sua moritur ;
Pro cujus amore, care, et cujus servitio,
Martyr pulcher, rutilabis venturo judicio[93]

.

Nous retrouvons aux sources de la poésie populaire la même confusion du sacré et du profane qu’on a tant reprochée aux poëtes italiens ; mais nous reconnaissons aussi ce besoin du beau, cet admirable sentiment de l’art qui faisait chanter ces peuples dans la langue des anciens, jusqu’à ce que le dialecte vulgaire, façonné lentement, fût devenu capable de satisfaire l’oreille et d’immortaliser la pensée.

On prêchait

en latin

Des populations si bien préparées trouvaient

d’ailleurs une instruction plus complète qu’on ne pense dans les pratiques de la vie religieuse et de la vie civile. Sans parler des enseignements de l’Evangile, et de ces leçons que les sages du paganisme auraient enviées au dernier des enfants chrétiens, sans parler des inspirations d’un culte qui mettait tous les arts au service des ignorants, des pauvres et des petits, l’Église conservait aussi la langue latine elle la faisait vivre par la prière et par la prédication. On priait en latin, et, bien que dès le dixième siècle le pape Grégoire V soit loué d’avoir catéchisé les peuples en langue vulgaire[94], on continua de prêcher en, latin jusqu’au temps où l’idiome du peuple, sanctifié sur les lèvres de saint François d’Assise et de saint Antoine de Padoue, resta maître de la chaire.

L'instruction primaire
dans les communes italiennes

D’un autre côté, la constitution des communes italiennes, en appelant les plus obscurs des citoyens à l’exercice de tous les droits, les invitait en même temps au partage de toutes les lumières. C’est encore la remarque d’Otton de Freysingen. « Les Lombards, dit-il, ne dédaignent pas de porter à toutes les dignités les jeunes ouvriers de la dernière condition, et jusqu’aux gens des plus vils métiers, tous ceux qu’ailleurs on repousse comme des lépreux, qu’on écarte des études honnêtes et des arts libéraux[95]». Assurément les textes manquent pour établir une statistique complète de l’instruction primaire et secondaire chez ces peuples souverains de Lombardie et de Toscane. Je me borne à quelques faits qui laissent voir jusqu’à quel point le réveil des libertés assurait l’affranchissement des intelligences.

Une description de Milan, rédigée en 1288 par le frère prêcheur Bonvesino, porte le nombre des habitants à deux cent mille, et compte quatre-vingts maîtres d’école, sans y comprendre les religieux, qui élevaient certainement une partie de la jeunesse [96]. A Florence, l’historien Dino Compagni rapporte qu’en 1501, quand Charles de Valois entra, en qualité de pacificateur, sur le territoire toscan, «-les prieurs convoquèrent le conseil des soixante-douze métiers, grands et petits, qui tous avaient leurs consuls, et qu’on leur demanda l’avis de leurs corporations.  » Tous répondirent par écrit qu’il fallait ouvrir les portes de la ville au prince, et l’honorer comme un seigneur de noble sang. Les boulangers seuls opinèrent « qu’on ne lui accordât ni l’entrée ni les honneurs, attendu qu’il venait pour la ruine de la cité.» Les gens des plus humbles métiers écrivaient donc, et du moins les notables d’entre eux étaient en mesure de rédiger des conclusions[97].

On haranguait

le peuple en latin

Mais ce qui étonne davantage et ce qu’on ne peut

nier, c’est que les délibérations de ces orageuses républiques, les débats passionnes à l’issue desquels on chassait les Gibelins ou l’on rasait les maisons des Guelfes, c’est que les conseils en plein air, où la multitude frémissait sous la parole des orateurs, se tenaient en latin. On en trouve plusieurs preuves mais je n’en connais pas de plus frappante qu’un traité composé au treizième siècle, et probablement à Bologne, sous le titre d’Oculus pastoralis, pascens officia[98].Ce titre pompeux n’annonce « qu’une instruction simple et lucide en faveur des laïques illettrés, où l’on se propose d’éclairer leur conduite et de former leur langage quand ils sont appelés au gouvernement des affaires publiques». Après avoir traité du principe de l’autorité, des devoirs qu’elle impose, des moyens qu’elle emploie, l’auteur touche enfin à ce pouvoir de la parole qui est le maître des assemblées populaires : Il veut que l’orateur de son temps, comme de celui de Cicéron ou de Quintilien, soit honnête dans les mœurs, ingénieux dans l’invention, sobre et orné dans le style, en sorte qu’il sache y garder la mesure et la grâce. Il ne lui permet pas de paraître au balcon du palais communal et de haranguer la foule, avant que son discours, savamment médité, n’ait trois fois senti la lime. Et, se défiant enfin de son disciple, il lui propose vingt modèles de discours, comme autant de lieux communs pour toutes les grandes solennités de la vie politique : oraison du podestat entrant en charge et sortant de charge, éloges d’un podestat mort dans l’exercice de ses fonctions, réponse à des ambassadeurs qui proposent une alliance, harangues pour la guerre et contre la guerre. Ces discours sont écrits en latin, non pour servir de texte à une amplification en langue vulgaire, mais pour être appris et récités en latin, sous peine de perdre les ornements où l’auteur a mis tout son art et toute sa complaisance ; je veux dire ces périodes nombreuses dont le doigt et l’oreille ont marqué la cadence, ces chutes pareilles amenées de loin, ce choix d’expressions poétiques et ces hémistiches de Virgile enchâssés dans la prose du treizième siècle, comme des chapitaux corinthiens dans la maçonnerie d’un beffroi. Voici la requête d’une troupe de naufragés, dépouillés par les habitants de la côte, et réclamant justice pour eux, sépulture pour les morts. Dans le récit de leur naufrage nous avons toute la tempête accoutumée des poëtes, des demi vers, des vers entiers :

« Visum est in fretum totum descendere cœlum. Praebebant fulmina lucem. –Dant saltus fluctus in concava tecta carinae. Pars magna virorum - fato est functa suo, gurgite pressa profundo : Intumulata cadavera stantium in littore maris, esca relicta feris. »

Ces sortes de beautés ne se traduisent point, et il faut conclure que les discours de l’ Oculus pastoralis' durent être prononcés textuellement devant un auditoire capable de les comprendre, de goûter les bons endroits, de les applaudir. Le peuple de Florence se lassait si peu des harangues latines, qu’il fallut un règlement exprès pour limiter à quatre le nombre de ceux qui prendraient la parole sur chaque question. Ce sont les termes d’un statut inédit de 1284. Ce règlement, où les démocraties modernes pourraient trouver des leçons de sagesse et de vigueur, nous fait assister aux conseils de la république florentine dans ces courtes années d’apogée qui, pour elle comme pour toutes les grandeurs humaines, précèdent de si près le commencement de la décadence[99].

STATUTUM FLORENTINUM ANNI MCCLXXXIV
.

In nomine Domini Nostri Jesu Christi. Hec sunt ordinamenta domini potestatis et communis Florentie, compilata, edictaet facta ad honorem et reverentiam omnipotentis Dei et Beatissime Virginis Marie matris ejusdem, et B. Johannis Baptiste, ac reverende sancte Reparate, sub quorum vocabulo Florentia civitas gubernatur, et ad honorem et exaltationem sacrosancte Romane Ecclesie, ac etiam ad honorem et fortificationem regiminis magnifici militis domini Giolioli de Maccharesis, Potestatis civitatis et communis Florentie, et ad pacificum et quietum civitatis et districtus ejusdem, -valitura toto tempore rigiminis ipsius domini Potestatis.

Item statutum et ordinatum est quod omne et singulari de concilio generali et congregatione, et quilibet alii qui ad aliquid concilium de mandato Potestatis aut alicujus de sua familia fuerint convocati, venire et esse debeant ad ip«  sum consitium, antequam dictus dominus Potestas aut alius in loco ipsius surrexit ad proponendum inter eos de concilio, sub pena sold.II f. p. pro quolibet eorum nec de ipso consilio discedere debeat aliquis eorum sine licentia domini Potestatis vel alterius proponentis ante reformationem lectam, sub pena et banno V sold. f. p. pro quolibet, nisi recessit propter necessitatem corporis, et qui propterea recessit incontinenti redire debeat, sub dicta pena et banno, salvo capitulo constituto quod est sub rubrica : Quod consiliarii communis vadant ad consilium, etc. Item, quod nullus presumat consulere et arrengare super aliquo quod non sit principaliter propositum per dominum Potestatem, aut aliquem alium loco sui. Et qui contra fecerit, in sold. LX puniatur et plus et minus, ad voluntatem domini Potestatis ; ’et quidquid dictum et consultum fuit extra propositionem, non valeat nec teneat.

Item, quod nullus existens in aliquo consilio surgere debeat ad arrengandum, donec prior arrengator finierit dictum suum et ire inceperit ad sedem suam, sub pena et banno sold. X f. p. Item, quod nullus audeat stare in pedibus in loco ubi congregatur aliquod consilium communis Florentie et sedere debeat, postquam dominus Potestas aut aliis loco ipsius fuerit in dicto loco consilii, nec surgere nisi causa consulendi vel alterius necessitatis et contra faciens in soldos L f. p. puniatur, nisi surgeret causa faciendi honorem alicui.

« Item, quod nullus audeat aut presumat turbare, aut inquietare, sive impedire aliquem arrengantem seu consulentem in aliquo consilio

super aliqua propositione facta per dominum Potestatem, aut aliquem alium loco sui. Contra faciens vice qualibet puniatur in sold. LX f. p. et plus et minus ad voluntatem domini Potestatis, inspecta qualitate impedimenti et turbatoris. Item, quod nullus audeat aut presumat surgere in aliquo consilio, aut aliquid dicere aut consulere, nisi in loco tenentis consilium ; et qui contra fecerit in sold. XX f. p. vicequalibet puniatur, et plus ad voluntatem Potestatis, quod locum habeat in arrengando.

Item, quod aliquis non arrenget aut consulat in consilio generali aut congregatione aut aliquo eorum, super aliqua propositione ultra quam IV consiliarii, absque parabola et licentia dicti domini Potestatis, sub pena XX sold. f. p. et plus arbitrio domini Potestatis.

Item, quod nulla persona debeat accedere ad stangam sive bancum domini Potestatis, ipso domino Potestate vel alio loco sui ibi existente causa consilium faciendi, ex quo ad consilium fuerit bis pulsatum, nisi causa alicujus negotii communis florentine accesserit, aut aliquid dicere voluerit pro utilitate communis ; et qui contra fecerit puniatur in sold. V f. p.

Item, quod nullus in aliquo consilio vel congregatione, facto vel facta de mandato domini Potestatis vel alicujus de sua familia, debeat vel presumat dicere aliqua verba injuriosa contra aliquem in ipso concilie vel congregatione existentem. Nec aliquam rixam seu mesclantiam cum aliquo vel aliquibus ibi facere, nec aliquem vel aliquos ibi existentes percutere vel offendere modo aliquo vel ingenie ; et qui contra fecerit puniatur pena dupli quam puniretur si alibi dixisset vel fecisset predicta, vel aliquid predictorum, et plus et minus ad voluntatem domini Potestatis, inspecta qualitate personarum et facti[100]. A mon sens, le statut de Florence, avec l’austérité de son langage, nous apprend plus que l’Oculus pastoralis du rhéteur de Bologne. Aux dispositions sévères et judicieuses qu’on y trouve, on reconnaît bien un pays où l’éloquence gouverne, où il faut contenir les emportements oratoires, où le législateur sait déjà tout le pouvoir et tout le danger de la discussion. On sent qu’on n’a pas affairé a un peuple enfant, mais à des générations mûries par une longue éducation, et l’on ne regrette plus d’avoir péniblement cherché les vestiges des écoles italiennes, si le moment arrive où avec de grands poêtes, on en voit sortir de grands citoyens.

On a dit que la lumière ne s’éteignit point aux plus mauvais temps du moyen âge, mais qu’elle se déplaça ; et que, du septième au onzième siècle, l’astre des lettres, couché sur l’Italie, se levait sur l’Irlande, l’Angleterre et l’Allemagne. Je puis ajouter maintenant que l’Italie eut une de ces nuits lumineuses où les dernières clartés du soir se prolongent jusqu’aux premières blancheurs du matin. D’un côté, le souvenir des écoles impériales se perpétue dans l’enseignement-laïque, qui suberdonne la grammaire et la rhétorique à l’étude des lois, qui entretient chez les Italiens la passion du droit, et qui fonde, pour cette science toute laïque, la puissance université de Bologne. D’un autre côté, la tradition des premiers siècles chrétiens se conserve dans l’enseignement ecclésiastique les lettres y trouvent asile à condition de servir la foi, de développer la vocation théologique des Italiens, et de leur assurer la palme de la philosophie scolastique. Nous avons vu l’instruction descendre du clergé et des corporations savantes jusque dans la multitude. Ce peuple, encore tout pénétré de l’antiquité, n’en peut oublier ni la gloire, ni les fables, ni la langue. On le prêche, on le harangue en latin; les fils des marchands lisent Salluste et Virgile, et dans les conseils de Florence les gens de métiers votent par écrit. C’étaient ces populations qui méritaient, qui commandaient les miracles de l’art naissant. La mythologie avait fait jaillir d’un coup de pied de Pégase la fontaine poétique d’Hippocrène : elle exprimait ainsi l’aimable facilité du génie grec, qui avait pour ainsi dire ses sources à fleur de terre. Celles du génie moderne étaient à d’autres profondeurs et, pour creuser jusqu’à elles, il n’avait pas fallu moins de dix siècles d’efforts ; la Providence a traité les nations chrétiennes d’une manière plus sévère, et à mon sens plus honorable, en voulant que pour elles l’inspiration fût le prix du travail.

La Civilisation au cinquième siècle, fut publiée en 1855, environ dix-huit mois après la mort d’Ozanam. L’annéc suivante, l’Académie française décerna à cet ouvrage le prix Bordin. Il a semblé qu’en achevant la lecture de ces deux volumes on ne lirait pas sans intérêt le jugement qu’en a porté un maître illustre, le critique le plus autorisé de notre temps, M. Villemain, dans le rapport qu’il lut à l’Académie française dans la séance du 28 août 1856.

  1. Ep. Cleri Romani ad imperatores, epistola Agathonis papae ad ann. 680. Muratori, Antiquitat. Italic. t, III, p 807. Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, t. V. lib.2 et 3; Giesebrecht; de Litterarum studiis apud Italos primis medii aevi saeculis. Berolini, 1845.
  2. Voyez ci après l’Hymnarium vaticanum et surtout l’hymne de saint Flavien.
  3. Fortunati Carmina, lib. VI, 8.

    Aut Maro Trajano lectus in urbe foro.

    Idem III, 20

    Vix modo tam nitido pomposa cultu
    Audit Trajano Roma verenda foro.
    Quod si tale decus récitasses aure senatus,
    Stravissent plantis aurea fila tuis.

  4. Acta S. Betharii (auctore cooetaneo) apud Bolland., II Augusti vita S. Gregorii, auctore Johanne diacono « < Disciplinis vero liberalibus, hoc est grammatica, rhetorica, dialectica, ita a puero est institutus, ut quamvis ea tempore florerent adhuc Romœ studia littèrarum, tamen nulli in urbe ipsa secundus esse putaretur ». » S. Gregorii Epist. ad Leandrum: « Barbarismi confusionem non devito, situs motusque et praepositionum casus servare contemno, quia vehementer indignum existimo ut verba cœlestis oraculi restringam sub regulis Donati.  »
  5. Beda, Vite Wiremuthensium abbatum. Concilium Lateranense anni 680. Graphia aureae urbis Romae. «Quando autem omnium dominator Capitolium Saturni et Jovis conscendere voluerit, in mutatorio Julii Caesaris purpuram albam accipiat, et omnibus genribus musicorum vallatus, hebraice, graece et latine fausta acclamantibus, Capitolium aureum conscendat. »
  6. Anastasius Bibliothec., in Adriano.
  7. Vita S. Athanasii Neapolit.episc. : apud Muratori, Scrip II, ,pars 2, 1045 : « (Sergius ejus pater) litteris tam gratis quam latinis favorabiliter eruditus, ita ut si casu librum graecis exaratum clementis in manibus sumeret, latine hunc inoffense cursim legeret. Gregorius ejus filius militum magister, in graeca latinaque lingua peritissimus .
  8. Fabri, Le sagre memorie di Ravenna antica. Ciampini, Vetera monumenta .Fortunat, Vita S. Martini,prolog.

    Parvula grammaticae lambens refluamina guttae,
    Rhetoricœ exiguum praelibans gurgitis haustum,
    Cote ex juridica cui vix rubigo recessit.

  9. Rescriptum Honorii Scholastici contra epistolas exhortatorias Senecae, apud Mabillon, Analecta, t.I, 364, 365.
  10. Agnellus, lib. Pontif. apud Muratori,. Script., II, p. 1, 151, etc
  11. Fantuzzi, Monum. Rav., I, 215, anno 984 «Heredes quondam Johannis de Leo magister. » Id., 229, anno 1002 « Filii quondam Johannis magister.» Id., II, 60, anno 1023 « Petrus Scholasticus» . Id., 1, 69, anno 1036 « Arardus Scholasticus » .
  12. Radulphus Glaber, apud D. Bouquet, X, 23. « Ipso quoque tempore non impar apud Ravennam expertum est malum. Quidam igitur Vilgardus dictus, studio artis grammaticae magis assiduus quam frequens, sicut Italis semper mos fuit artes negligere ceteras, illam sectari, is cum scientia sui artis cœpisset inflatus superbia stultior apparere, quadam nocte assumpsere daemones poetarum species Virgilii et Horatii atque Juvenalis, apparentesque illi, fallaces retulerunt grates... coepit multa turgide docere fidei contraria, dictaque poetarum per omnia credenda esse asserebat, » etc.
  13. Paul. Diacon., Historia Langobar. I VI, c. 7. Epitaphium Pauli Diaconi apud Mabillon, Appendix ad volum. II. Annal. Benedictin. N°35/

    Divino instinctu, regalis protinus aula
    Ob decus et lumen patriae te sumpsit alendum.
    Omnia Sophiae cepisti culmina sacrae,
    Rege movente pio Ratchis, penetrare decenter.

    J’ai traité de l’École du palais chez les rois mérovingiens dans mon livre de la Civilisation chrétienne chez les Francs, p. 500.

  14. Epitaphium Arrichis apud Pertz, mon German. Script.,

    Quod logos et physis, moderans quod ethica pangit,
    Omnia condiderat mentis in arce suae.

    Romuald est loué en ces termes :

    Grammatica pollens, mundana lege togatus.

    Epistola Pauli Diaconi Adilpergae apud Champollion- Figeac Prolegomena ad Amatum, XXIV « Cum ad imitationem excellentissimi comparis...ipsa quoque subtili ingenio sagacissimo studio prudentium arcana rimeris, ita ut philosophorum aurata eloquia poetarumque gemmea tibi dicta in promptu sint ; historiis etiam seu commentis tam divinis inhaereas quam mundanis.»

  15. Anonymus Salernitanus cap122.Apud.Pertz, III,534.
  16. Charte des archives de la cathédrale de Lucques :
    757. Signummanus Tendualdi magistri, testis.
    Ann. 798. (Donation d’une terre.) « Caput uno tenet in via publica, et alio caput tene in terra Benedicti magistri. »
    Les maîtres nommés dans ces deux chartes n’ayant pas la qualité de clercs, on peut les tenir pour laïques. Je remarque dans la seconde les formes déjà italiennes de ce latin barbare uno, alio,tene.
    Ann. 825. Ex dictato supradicti Gausperti magister meus scripsi.
    Ann. 755. Anspertus pictor.
    Ann. 807. Ilpinghi homo magistro aurefice, etc
  17. Ratherius, Opera 419 « De ordinandis pro certo scitote quod a nobis nullo modo promovebuntur, nisi aut.in civitate nostra, aut in aliquo monasterio, vel apud quemlibet sapientem, conversati fuerint et litteris aliquantulum eruditi. »
  18. Ratherius, Opera 59 « Multi enim lucri ambitu tegenda silentio vendunt loquendo ». Mabillon Annales ordinis S. Benedicti, IV, 726. Adémar y fait parler ainsi Benoît de Cluse, dont il combat les prétentions : « Ego sum nepos abbatis de Clusa. Ipse me duxit per multa loca in Longobardia et Francia, propter grammaticam. Ipsi jam constat sapientia mea duo millia solidis quos dedit magistris meis. Novem annis jam steti ad grammaticam. In Francia est sapientia, sed parum; nam in Longobardia, ubi ego plus didici, est fons sapientiœ.  »
  19. Alphani carmina, apud Ughelli, Italia sacra, t.X. Ad Godfrit., episcop. Aversan.

    Aversam, studiis philosophos tuis
    Tu tantum reliquos vincis, ut optimis
    __Dispar non sis Athenis.

    Idem, ad Guillermus grammaticum :

    Cui tot Aversae studiis adauctum
    Oppidum census dedit atque dulcis
    __Culmen honoris

  20. Petrus Damiani de Perfectione monachorum, in capite : de monachis qui grammaticam discere gestiunt : « Quomodo liceat theatralia grammaticorum gymnasia insolenter irrumpere, et velut inter nundinales strepitus vana cum secularibus verba conferre ? »
  21. Wippo, Panegyric Henrici III :

    Tunc fac edictum per terram Teutonicorum,
    Quilibet ut dives sibi natos instruit omnes
    Litterulis, legemque suam persuadeat illis.
    Hoc servant Itali post prima crepundia cuncti,
    Et sudare scholis mandatur tota juventus.

    Dans tout ce qui précède, j’ai beaucoup emprunté au savant travail de M. Giesebrecht De litterarum studiis apud Italos.

  22. Tiraboschi, Storia di Nonantola II, n° 38, p. 54. Diplôme de Milan, 855 «Ego Hildera tus scriptor hujus livelli juris magister. » Goldast, Constit. Imp. 1221 IV, 34. Traité de 964 «Synodum constitutam apluribus viris catholicis episcopis et abbatibus, insuper judicibus et legis doctoribus. » Petrus Damiani ; Epist., lib. VIII. 7, 10. M., Opera, t. Il, p. 18, édition de Rome, 1608. Muratori, Antiquit. I, 969, Florence, 1075 « Ubertus legis doctor ». Id., ibid., p. 448. Bergame, 1079 « Radulfus legis doctor. » Sarti, de Cl. Archig. Bonon. professoribus. t I, p, 1, charte de 1067 «Albertus legis doctor. » Je connais les objections de Savigny, et je n’entends pas que le titre de legis doctor désigne toujours un maître qui enseigne le droit, mais du moins un légiste qui l’a étudié.
  23. Savigny, Histoire du Droit romain ; t. III, ch. 21, § 88 (de la traduction française). Ibid., § 94. Sarti ; pars 1°, p. 149, 167, 233, 401, 410, 411. Pars ~p. 83, 138. Odofredus, ad l. 79 de Verb. obligat. « Bene scitis quod.cum doctores faciunt collectam, doctor non quaerit a scholaribus, sed eligit duos scholares, ut scrutentur voluntates scholarium. Promittunt scholares per illos. Mali scholares nolunt solvere, quia dicunt quod per procuratorem non quaeritur actio domino.» Id., in fine Digest. « Et dico vobis quod in anno sequenti intendo docere ordinarie bene et legaliter... Extraordinarie non credo legere, quia scholares non sunt boni pagatores, quia volunt scire, sed nolunt solvere, juita illud < « Nosse velint omnes, mercedem solvere nemo ». Le vers est de Juvenal, sat. VII, v. 157.
  24. Niebuhr, Rheinisches Museum, t. III p. 7 et 8.
  25. Ces trois derniers mots ne sont qu’une restitution conjecturale.
  26. MS. Vatican, secul, ut videtur, XII, n°.2719, folio 85. Ici,
    comme dans tous les textes qui suivent, j’ai reproduit scrupuleusement
    l’orthographe du manuscrit. J’ai marqué d’un point d’interrogation les leçons douteuses.
  27. Publié par M. Edelestand du Méril, Poésies latines populaires, I, 309.
  28. Ce poëme est tiré du même recueil que le précédent (Vatican n° 2719).
  29. Le copiste a réuni dans ce vers deux hémistiches qui ne se
    suivent ni par le sens ni par la rime.
  30. Cf. Ovidius, Artis amatoriae lib.II.

    Da reditum puero, senis est si gratia vilis
      Si non vis puero parcere, parce seni.
  31. Ovidii Metamorph. VIII :
    Atque ita compositas parvo curvamine flectit.
  32. Ovid., ibid.
    Flavam modo pollice ceram
    Mollibat, lusuque suo mirabile patris
    Impediebat opus.

  33. Terras licet, inquit, et undas
    Obstruat : at cœtum certe patet : ibimus illac.

  34. Ignarus sua se tractare pericla.

  35. Instruit et natum ; Medioque ut limite curras,
    Icare, ait, moneo ne, si demissior ibis,
    Unda gravet pennas ; si celsior, ignis adurat.
    Me duce, carpe viam.

  36. ….Dedit oscula nato
    Non iterum repetenda suo.
  37. Le copiste omet ici plusieurs vers.
  38. Bibliothèque de l’ancienne abbaye de Saint Gall, n° 865. Ce manuscrit in-8o sur parchemin, et d’une écriture qui remonte au douzième siècle, contient la Thébaïde de Stace. A la fin se trouve la complainte d’Œdipe ; les trois premiers vers sont accompagnés d’une notation musicale.
  39. Sic. Il est probable qu’au second vers il faut remplacer tenebris par latebris.
  40. Francesco da Barberino del reggimento e Costume delle donne, parte V. — Villani, lib VII, cap. 89.
  41. C’est ce, qui résulte des dernières fouilles entreprises aux catacombes de Sainte-Agnes. J’ai visité ces deux salles, dont on trouvera la description dans le savant livre du père Marchi.
  42. Bottari, Pitture t. Il, tab. 65 et 71. Mamachi, Antiquit. christ., III, 81. Raout-Rochette, Tableau des Catacombes, p. 131.
  43. Concilium Vasionense, Il, c. 1. « Placuit ut omnes presbyteri qui sunt in parochiis constituti, secundum consuetudinem quam per totam Italiam salubriter teneri cognovimus, juniores lectores secum in domo ubi ipsi habitare videntur, recipiant»
  44. Johannes Diaconus, Vita S. GregoriiII,. cap. 6. Anastasius Bibliothecar., in Sergio I  ; idem in Sergio II « Eum scholae cantorum ad erudiendum tradidit(Leo III) communibus litteris. » On ne comprend pas qu’un esprit aussi élevé que M. Giesebrecht se soit laissé entrainer aux vieilles calomnies du protestantisme contre S. Grégoire le Grand, quand elles n' ont d’autre appui que le témoignage tardif de Jean de Salisbury, contredit par Jean Diacre, qui le précède de deux siècles ; quand surtout la correspondance tout entière de S. Grégoire atteste que la civilisation n’a jamais eu de plus grand serviteur.
  45. Ordo Romanus ap Mabillon, Museum italicum, t.II. Rasponi, de Bibliotheca Lateranensi. Le jour de Pâques, après vêpres, le pape venait se placer sous le portique de Saint-Venance, attenant à la basilique de Latran. Les échansons lui versaient le vin d’honneur ainsi qu’à son clergé, pendant que les chantres entonnaient une antienne grecque commençant par ces mots : Πάσχα ἱερὸν ἡμῖν σὴμερον ἀναδέδεικται et finissant par ceux-ci: τον Ῥώμης πάππαν , Χριστε, φύλαξον.
  46. Pour tout ce qui concerne la chapelle et l’école. des rois francs, qu’on me permette de renvoyer à mon livre de la Civilisation chrétienne chez les Francs. ainsi qu’à l’Histoire de S. Léger, par le R. P. Pitra. Cf..Epistola Pauli pape ad Pippinum regem, 13 et 30. Anastas. Adrian. Chronichon Engolismense, ad ann. 787 ; Eckhardus, de Casibus S. Galli : « Mittuntur secundum regis petitionem Petrus et Romanus, et cantuum et liberalium artium paginis eruditi. »
  47. S. Benedicti Crispi Mediolanensis archiepiscopi poematium medium apud Mai, Auctor. class., t. V, p. 391 praefatio ad Maurum mantuensem praepositum. Quia te, fili carissime Maure, pene ab ipsis cunabulis educavi, et septiformis facundiae liberalitate dotavi.
    Archives de Lucques
    Diplôme de 748. Signa manus Deusdede VV. presb. magistro schole, testis.
    — de 767. Propter pontificalem ejusdem Ecclesie ubi est schola.
    — de 809. Ego Lampertus magistru (sic) schole cantorum manu mea subscripsi .
    — de 746. Gaudentius presbiter magister
  48. Regula S. Benedicti ; Petri Diaconi de Vita et Obitu justorum coenobii Casin. Ap Mai Script. Vetera, tom. VI, p. 246. Vita S. Fulgentii. apud Mabillon, Ann. 0. S. B., t. I, p. 41 ; Vita S Columbani auctore Jona Bobbiensi, ap. Mabillon. Act. SS. 0.S.B. t. II.
  49. Catalogus Bobbiensis X seculi, ap. Muratori, Antiquitat italic. t III dissert 43~. J’y remarque un Démosthènes (librum I Demosthenis) un grand nombre de poëtes latins, et les grammairiens suivants : Sergii de Grammatica ; Adamantii, item Capri et Âcroetii de Orthographia ; Dosithei de Grammatica ; Papirii de Analogia; Flaviani de Consensu nominum et verborum ; Prisciani, Marii, de Centum metris ; Honorati de ratione metrorum libros XX diversorum grammaticorum.
  50. Constitutio Lotharii, ap. Pertz, Monument. Germ. Leg., I, 249 « De doctrine vero, quae ob nimiam incuriam atque ignaviam quorundam praepositorum, cunctis in locis est funditus extincta, placuit, ut sicut a nobis constitutum est, ita ab omnibus observetur, videlicet ut ab his qui nostra dispositione ad docendos alios perloca denominata sunt constituti, maximum detur studium, qualiter sibi commissi scholastici proficiant.

    « … Primum in Papia conveniant ad Dungalum de Mediolano, de Brixia, de Laude, de Bergamo, de Novaria, de Vércellis, de Tertona, de Aquis, de Janua, de Aste, de Cuma. In Eporegia ipse episcopus hoc per se faciat. In Taurinis comeniant de Vintimilio, de Albingano, de Vadis, de Alba. In Cremona discant de Regio, de Placentia, de Parmu, de Mutina. In Florentia de Tuscia resipiscant. In Firmo de Spoletinis civitatibus conveniant. In Verona de Mantua, de Triento. In Vicentia de Patavis, de Tarvisio, de Feltris, de Ceneda, de Asylo. Reliquae civitates Forum Julii ad scholam conveniant »

    M. Giesebrecht veut que cette constitution ne touche en rien à l’enseignement littéraire, et il en donne cette unique raison, que je trouve faible et contestable, qu’à cette époque le mot doctrina ne désigne que l’enseignement ecclésiastique. Mais cette supposition ne s’accorde pas avec le génie des réformes carlovingiennes, qui n’ont pas d’autre pensée que de restaurer la théologie par les lettres.
  51. Mansi, Concil., XIV, 1008, Constit. Eugenii papae II : De quibusdam locis ad nos refertur non magistros neque curam inveniri pro studio litterarum. Idcirco in universis episcopiis subjectisque plebibus, et aliis locis, in quibus nécessitas occurrerit, omnino cura et diligentia adhibeatur, ut magistri et doctores constituantur, qui studia litterarum liberaliumque artium habentes, dogmata assidue doceant, quia in his maxime divina manifestantur atque declarantur mandata. »
  52. Mansi, XIV, 1014.Constit. Leonis papae IV « Et si liberalium artium praeceptores in plebibus, ut assolet, rare inveniuntur, tamen divina : Scripturae magistri et institutores ecclesiastici officii nullatenus desint ».
  53. Ratherius, Op. 419. Atto Vercellensis , capit. 61 « Presbyteri etiam per villas et vicos scholas habeant, et si quilibet fidelium suos parvulos ad discendas litteras eis committere vult, eos suscipere et docere non renuant. » Ces paroles sont empruntées à une ordonnance épiscopale de Théodulphe,évêque d’Orléans.
  54. Landulfus senior, lib. II, c. 35, apud Muratori, Scriptores, IV,92 « Scholae diversarum artium ubi urbani et extranei clerici philosophia ; doctrinis studiose imbuebantur erant dua ; ex longa temporum ordinatione archiepiscoporum antecedentium stipendiis ».Idem, lib. III, cap. 21 et 23 «Andréas sacerdos in divinis et humanis, graecis et latinis sermonibus virilis. Ambrosius Biffius in latinis litteris et graecis eruditus atque ideo Bifarius dictus »
  55. Affo, Storia di Parma I app., n°89, 92. II, p. 2, 303,338. 1032. Homodei, presbyter ; magister scholarum. 1080. Ingo acolitus et magister scholarum. Donizo, ap. Muratori, V, 334 :

    Scilicet urbs Parma, quae grammatica manet alta ;
    Artes ac septem studiose sunt ibi lectae.

  56. Muratori Antiquit.Italicae III, 726. Necrologium Mutinense VIII Kalendis octobris obnt Johannes presbyter magistro de hoc seculo ad vitam per indictionem IV. » Idem ibid. 811, 815. Traditio plebis, S. Petri in Siculo facta Victor archipresbytero Gisone episcopo Mutinensi circa annum 796 « Ea siquidem ratione ut ministere archipresbyteratus fungi in omnibus non omittat, id est in sartatectis templi reficiendis, in clericis congregandis, in schola habenda et pueris educandis ». Collatio plebis de Rubiano facta Sileberto presbytero a Gottefredo episcopo Mutinensi anno 908 : « Christo ibi deserbire studeat, id est in schola habenda, in pueris educandis, in sartatectis ecclesiae reficiendis.  »
  57. Pecci, Storia de Vescovi di Siena Ann. 1056. Rolandus clericus et prior scholae subscripsi.
  58. Johannes Diaconus, In Vita S Gregorii , II, cap.6 : « Scholam quoque cantorum, quae hactenus eisdem constitutionibus in sancta romana Ecclesia modulatur, constituit.
  59. Vita S. Athanasii neapolit. ep., apud Muratori,Script II, pars2, col. 1045 « Ordinavit autem tectorum et cantorum scholas : nonnullos instituit grammatica imbuendos, alios colligavit ad scribendi officium... Ecclesiam Sancti Januarii renovavit, nobiliumque doctorum effigies in ea depinxit ». Idem, ibid. coll. 1057 «Grammaticam prius in pueritia et postea in pontificatus honore perfectissime didicit. »
  60. Tosti, Storia di Monte Cassino ; Chronicon Johannis Diaconi, apud Muratori, Script. I, pars 2, p. 310.
  61. Tous ces monastères ont des archives, des chroniques, des légendes. Alfano, dans un poëme publié par Ughelli, blâme le jeune Trasmundus, qui allait chercher dispute aux moines savants de Casauria :

    Hic Aristotelis philosophiae
    Versutas haereses, atque Platonis
    Fastus eloquii, mense per annum
    Uno pene studens, arte refutat...
    Deridet studium saepe decenne !
    At quando, libet hoc monte relicto
    Laetus tendit eo tempore veris,
    Causa tam citius multa sciendi.

  62. Collectio conciliorum regia, XXVI. Concilium Romanum anni 1078 « Ut omnes episcopi artes litterarum in suis ecclesiis doceri facerent. »
  63. Il faut voir dans la chronique de Landulfe le Vieux (Muratori, Script. IV) l’histoire de cette révolution, où le peuple de Milan eut contre ses archevêques simoniaques tout l’appui du saint-siege, représenté par Pierre Damien et Hildebrand. Sismondi, par une incroyable préoccupation, n’a vu qu’une querelle de gens d’Église, là où il fallait reconnaître la première émancipation des cités lombardes.
  64. Theodulfi Carmina, lib.IV, 1.


    Et modo Pompeium, modo te, Donate, legebam,
    Et modo Virgilium, te modo, Naso loquax.
    In quorum dictis, quamquam sint frivola multa,
    Plurima sub falso tegmine vera latent.

    .
  65. Vatican, no 3325, parchemin, à la fin d’un manuscrit de Salluste qui semble remonter au douzième siècle.
  66. Gumpoldus, in Vita Vincizlavi ducis, apud Pertz,Monument., IV, 213.
  67. Tiraboschi, Istoria della Letteratura ital. VIII, 15. Voici les vers de Buoncompagno, qui témoignent sans doute d’un goût peu délicat :

    Et Johannes johannizat,
    Et saltando choreizat.
    Modo salta, modo salta,
    Qui celorum petis alta.

  68. Ces vers sont cités par Moore (History of Ireland, I, 311, édition de Paris), qui rapporte le pèlerinage de Donatus et son élévation
    au siége épiscopal. La Vie, inédite que je publie s’accorde
    parfaitement avec le récit très-court d’Ammirato (Vescovi di Fiesole).
  69. La rime revient avec la même régularité dans la prière du saint pour un enfant enlevé par des loups
    « O Pater et Nate — Spiritus et Alme, — Nostri succurre meroris — et miserere nobis. — Tu qui per crucis vexillum exclusisti, mortem vetiti ligni, — et hoc demonstrasti signum — in redemptione captivorum dignum, — ut crucifigentes corpora, – animas erigerent ad ethera : — ne patiaris tibi assignatos Christo — devorari ab hoste sevissimo, — ne quem confirmavi chrismate sanctissimo — permittas gluttiri a lupo rapacissimo. »
  70. Il faut lire sans doute numero, au lieu de pariter.
  71. Ce distique est aussi reproduit dans l’Histoire d’Irlande, de Th. Moore (loco citato), mais d’après un texte moins correct.
  72. Brunetti, archivio diplomatico toscano N°68 et suiv., Archives du Vatican, copie authentique dressée en 1282 , d'un diplôme de Béranger daté des nones d'août 996 : Presentibus... magistro Landolfo de Seravalle physico
  73. Hugues de Flavigny Chronic. ad anno 984 Orderic Vital ad Ann. 1059 Tiraboschi, Storia della Letteratura italiana, VI, lib 4 cap 6
  74. Concilium Romanum , anni 1139,canon 9. Concilium Turonense, anni 1163, canon 8.
  75. Fragmentum libelli contra Senensem episcopum.Apud Muratori, Antiquit. Italic., III, 889.
  76. Placitum Ticinense, apud Muratori, Antiquit. Italic. II, 933 « Ibi eorum venerunt presentia Guidutfus, abba monasterii Sancti Christi, confessoris Ambrosii… et Boniprandus, judex regis… Vero sicut vos, Guidulfus abba et Boniprandus advocatus dixistis.  » Ughelli, t. l, p. 354.Placitum Ticinense « ad haec adversariorum causidicus petiit edi actionem : ecclesiæ causidicus de rchus invasis proponit actiones. »
  77. Milonis Crispini,Vita Lefranci, cap. 5. « Ab annis puerilibus eruditus est in scholis liberalium artium et legum secularium, ad suae morem patriae. Adolescens orator veteranos adversantes in actionibus causarum frequenter revicit, torrente facundiae accurate dicendi. In ipsa aetate sententias depromere sapuit, quas gratanter jurisperiti aut judices vel praetores civitatis acceptabant ».
  78. Extrait d’une ode que je publie avec les poésies inédites d’Alfano.
  79. Pétri Damiani Epist., lib. VIII, 7 et 9.
  80. Florence 1066, Hildibrandus, patronus causarum.
    Ibid. 1066, Hildibrandus, causidicus.
    Ibid. 1097, Placidus, advocatus.
    Ibid . 1099, Fralmus, causidicus sacri palatii.
    Pistoia 1095, Placidus, causidicus.
    Pisé 1067, Sigismundus, causidicus.
    Chiusi 1072, Johannes, causidicus. J’ai relevé ces témoignages aux archives diplomatiques de Florence mais ils se retrouvent tous ou presque tous dans le recueil de Brunetti. Il est vrai que M. de Savigny veut que le titre de causidicus désigne, non pas celui qui plaide une cause, mais celui qui la juge, le scabinus de la législation carlovingienne. Mais les exemples de Romuald et de Lanfranc prouvent que la profession d’avocat avait, au onzième siècle, tout son lustre et toute sa popularité ; et, dans le plaid de Teramo, les causidicides deux parties ne paraissent que pour plaider. Du reste, je ne nie point que ces noms divers de jurisdoctor, d'advocatus, de causidicus, de judex ne s’emploient souvent l’un pour l’autre, et ne désignent une classe de jurisconsultes qui forme dans plusieurs villes le collège des échevins
  81. Hist. Patr.Monument I, N°47. Cf Hegel,Gechichte des StÄedteverfassung von Italien. Archives du chapitre de-Florence’, année 783 : « Leo judex et missus domini imperatoris, Hildeprandus judex domini imperatoris interfuit, Teutpertus item, Petrus item, Sigefredus item, Petrus item, Donatus item.
    . Ego Johannes notarius interfui. Ego Florentius notarius ibi fui. : Ego Petrus item. Ego Roselmus item. Ego Hugo notarius domini imperatoris ibi fui.
    Galvaneus Flamma, Manipulus FLorum; cap 326: « Judices sive jurisperiti CC, notarii ccc, iidem imperiales DC, medici CC . »
  82. Lami, Lezioni di antichita tosc. Prefaz. « Ego Henricus, unus ex Florentina advocationé causidicus. »
  83. Villani, lib.VII, cap. 13.
  84. Muratori ,Antiquit. T1, dissert. XII, 687, 688. « Quun presentatur domno Papae ille qui judex est examinandus, examinatur prius a cardinalibus, qualiter se in tegum doctrina intelligat, et si légitime natus fuerit et laudabiliter conversatus. Qui si idoneus repertus fuerit, homagium et fidelitatem secundum consuctudinem Romanorum domno Papœ humilitor exhibet. etc., de scriniario eodem modo fit, etc.. »
  85. Tiraboschi, Storia della Letteratura ital. , t VI, lib. 4, cap. 3.
  86. Panegyricus anonymus Berengarii. Pertz, Script IV, 191
  87. Pecci, Storia di vescovi di Siena; Chronicon Casaurense, apud Muratori Script. II, pars 2, col.1013.
  88. Albertin. Mussatus, libri III de Obsidione Paduœ : Ad notariorum Padavinorum palatinam societatem. «Illud quodcumque sit metrum non altum, non tragœdum, sed molle et vulgi intellectioni propinquum sonet eloquium, quo altius edoctis nostra stylo altiori deserviret historia, essetque metricum hoc demissum sub camoena leniore notariis et quibusque clericulis blandimentum. »
  89. Dante,Convito, II, 13; Villani, lib. VIII, 36; Vasari, Vita di Cimabue.
  90. Otton de Freysingen, de Gestis Friderici I, lib. Il, cap. 13 : «  Verum tamen barbaricae deposito feritatis rancore. Terrae aerisve proprietate aliquid romanae mansuetudims et sagacitatis trahentes. latini sermonis elegantiam, morumque retinent urbanitatem. In civitatum quoque dispositione reipublicae conservatione antiquorum adhuc Romanorum imitantur solertiam. »
  91. Muratori, Antiquit., III, 709.
  92. Gaufrid Malaterra, Proemium ad chronicon : « Si autem de incultiori poetria fuerit , ipsa-principis jussio ad hoc hortala a est, ut plano sermone et facili ad intelligendum, quo omnibus facilius quidquid diceretur patesceret, exararem, exararem ». Voici un chant de Gantrid sur la naissance de Simon, second fils de Roger, quelque temps après la mort de son fils aînté Jordan :

    Patre orbo
    Gravi morbo
    Sic sublato filio,
    Unde doleret
    Quod careret
    Haereditatem gaudio
    Ditat prole
    Quasi flore
    Superna praevisio.

  93. Édelestand du Méril, Poésies populaires latines, t II, p. 239
  94. Doctus francigena, vulgari et voce latina
    Edocuit populos eloquio triplici.

  95. Otto Frisigen., Il, 13 « Inferioris conditionis juvenes vel quoslibet contemptibilium etiam mechanicarum artium opifices, quos caeterae gentes ab honestioribus et liberioribus studiis tanquam pestem propellunt, ad militiae cingulum vel dignitatum gradùs assumere non dedignantur.»
  96. Galvaneus Flamma, Manipulus Florum, p. 326
  97. Dino Compagni, lib. II. « Richiesero adunque il consiglio generae della parte guelfa e delli 72 mestieri d'arti, i quali avean tutti consoli, e imposero loro che ciascuno consigliasse per iscrittura se alla sua arte piacea che messer Carlo de Valos fosse lasciato venire in Firenze come paciaro,  » etc.
  98. Apud Muratori, Antiquitates, IV, 93.
  99. Archivio delle Riformagioni, provvisioni , A, t. I, fol. 12 et 13. On chercherait inutilement ce statut dans les Statuata populi et communis Florentiae, 3 vol.in-4o publiés à Florence (sous la date de Fribourg), en 1787. On n’y trouve qu’une compilation, par ordre de matières, où la rédaction primitive des textes disparaît souvent.
  100. Un autre statut de 1285 (ibid. p. 17) mentionne la manière de voter : « facto et celebrato scrutinio ad pissides et balloctas. LVI ex dictis consiliariis et capitudinibus ponentibus balloctas in pisside albo ubi scriptum est sic ; illi vero quibus predicta displicuerunt, ponentes balloctas in pisside rubeo in.quo scriptum est NON, fuerunt solummodo V. »