Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 02/Dix-neuvième leçon

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 2, 1873p. 273-314).


L’ART CHRÉTIEN


DIX-NEUVIÈME LEÇON




Messieurs,


Nous devions achever l’histoire des lettres chrétiennes au cinquième siècle par la poésie, et quand nous avons cherché cette inspiration poétique qui semblait devoir sortir si vive et si abondante des grands spectacles du christianisme, nous ne l’avons pas trouvée facilement. Elle n’était pas dans ces nombreuses compositions épiques et didactiques où plusieurs écrivains s’efforcent, avec plus d’exactitude que de verve, d’exprimer les récits de l’Écriture sainte ou les difficultés du dogme, en les pliant aux mètres de Virgile et d’Ovide. Il est vrai que nous avons reconnu le rayon poétique sur le front de deux hommes, saint Paulin et Prudence, différents de génie et de destinée : Paulin renonçant aux honneurs, à la fortune, au monde entier, pour aller consumer ses jours au tombeau de saint Félix de Nôle, mais ne renonçant pas à ces vers si doux qui coulaient naturellement comme des larmes, et servaient comme elles à répandre le trop plein de son âme ; Prudence mettant la fin de ses jours au service de la foi, et s’employant à défendre ses doctrines et sa gloire. Nous avons vu la force et la grâce s’accordant, pour tresser ses vers, comme autant de couronnes qu’il vient suspendre, dit-il lui-même, au milieu des fraîches guirlandes dont les fidèles entourent le tombeau des saints. Assurément la poésie est là, mais elle n’y est pas tout entière, elle n’y est pas surtout telle qu’on doit l’attendre après trois siècles de persécution, après Constantin et le concile de Nicée, au temps des Pères, au temps où fleurissent, comme des plantes du désert, ces héroïques anachorètes. Si là nous n’avons pas trouvé complétement la poésie, il faut qu’elle soit ailleurs, il faut qu’il y ait quelque part une source abondante d’où-elle jaillisse, d’où elle déborde et se répande sur les siècles qui suivront.

La source commune de toute la poésie chrétienne, c’est le symbolisme. Le symbolisme est à la fois une loi de la nature et une loi de l’esprit humain. C’est une loi de la nature : après tout, qu’est-ce que la création, si ce n’est un langage magnifique qui nous entretient nuit et jour ? Les cieux racontent leur auteur ; les êtres créés ne parlent pas seulement de celui qui les a faits, mais ils nous entretiennent les uns des autres, et les plus petits, les plus obscurs, nous font l’histoire des plus lumineux et des plus éclatants. Cet oiseau de passage qui revient, qu’est-ce, sinon le signe du printemps qu’il ramène avec lui et des astres qui ont marché des mois entiers ? Et ce chétif roseau qui jette son ombre sur le sable, ne sert-il pas à marquer l’élévation du soleil sur l’horizon ? C’est ainsi que tous tes êtres se rendent témoignage, se provoquent, s’interpellent d’un bout à l’autre de l’immensité, et ce sont ces continuels rapprochements, ces innombrables symboles, ces harmonies, qui font la poésie du monde que nous habitons. Ainsi Dieu parle pardes signes, et l’homme, à son tour, quand il parle a Dieu, épuise toute la série des signes dont son intelligence dispose. Quel autre langage pourrait parler l’intelligence humaine que celui qu’elle a reçu, dans lequel elle a été formée ? Et voilà pourquoi, lorsque, à son tour, l’homme veut parler à Dieu, c’est peu de la prière, il lui faut le chant, il lui faut les cérémonies sacrées qui expriment aussi, à leur manière, par leur développement et par les chœurs qu’elles mènent, par leurs repos et par leurs marches, les mouvements de l’âme, ses élancements pour arriver à l’infini, et son impuissance qui la force à s’arrêter en chemin. Il faut aussi un sacrifice qui sera le symbole de l’adoration et de l’impuissance humaine en présence de la puissance divine. Ainsi apparaît, comme un magnifique et permanent témoignage, le temple posé sur la face de la terre, afin de marquer que là il y a eu des intelligences qui voulurent, à leur manière, attester leurs efforts pour atteindre au Créateur. Ainsi toute la nature instruit l’homme par symboles, et c’est, par symboles que l’homme répond à l’Auteur de la nature.

Il en est de même du christianisme : Dieu aussi, dans l’Écriture sainte, ne parlait qu’un langage symbolique. Tout l’Ancien Testament est plein de réalités ; il a sa valeur historique, sans doute ; mais, en même temps, toutes ces réalités sont des figures, tous ces patriarches, tous ces prophètes, représentent celui qui doit venir. Joseph et Moïse ne sont que les précurseurs et en même temps les signes de celui qui accomplira un jour la loi, et en qui toute figure trouvera sa réalité. Le Nouveau Testament, à son tour, ne nous entretient que par paraboles, et le Christ lui-même, employant ce langage familier de la vie des champs, de la vie la plus naturelle et la plus douce à l’homme, nous dira un jour : « Je suis la vigne, » et un autre jour : « Je suis le bon pasteur. » Il en sera de même dans tout le développement ultérieur du Nouveau Testament : saint Paul interprétera l’Écriture par voie d’allusions et d’allégories : deux montagnes lui représenteront les deux alliances et la mer Rouge, que traversèrent les Hébreux, sera pour lui le symbole du baptême. De même, dans l’Apocalypse, ce livre symbolique par excellence, toutes les figures se produiront avec un sens mystérieux, et, quand saint Jean représente la nouvelle Jérusalem resplendissante d’or et de pierreries, avec des murailles de pierres précieuses et des portes chargées de perles, ce n’est pas cet éclat matériel, cette flatterie des sens, qu’il offre, comme but suprême de leurs efforts, à des chrétiens, à ces hommes qui, tous les jours, mouraient, bravaient le martyre et renonçaient à tous les trésors. Évidemment non ; car, dans le langage de l’Orient, chaque pierre précieuse avait une valeur symbolique, admise, selon des règles, dans toutes les anciennes écoles, et représentant d’une manière mystique certaines vertus vagues de l’âme et certaines forces de l’intelligence humaine ou de la grâce divine.

Ainsi, lorsque les chrétiens durent se faire une langue, je ne m’étonne pas qu’à l’imitation de la Bible, ils se fissent une langue figurée, toute pleine de types et de symboles ; et quand les premiers Pères apostoliques, saint Clément ; saint Barnabé, interprètent les Écritures, l’allégorie surabonde dans leurs œuvres et dans leurs interprétations.

Vers le même temps, un écrivain chrétien, dont l’histoire est restée inconnue, mais dont le livre a conservé un singulier caractère d’antiquité et de beauté, Hermas, veut instruire les fidèles, et il le fait, à la façon des anciens, par des similitudes. Son livre est divisé en trois parties[1] : les visions, les préceptes et les similitudes. Ses visions lui représentent, par exemple, l’Église sous la figure d’une jeune fille, d’une reine ou d’une mère que l’âge a déjà marquée de son caractère, et à laquelle il a ajouté aussi un signe d’autorité. C’est toujours sous cette figure vivante et sensible que lui apparaissent les institutions, les vocations auxquelles Dieu a donné l’appui de sa volonté. Ainsi encore, lorsque il veut représenter les diverses conditions humaines, il emploie la comparaison suivante. Hermas se promenant un jour dans la campagne vit une vigne et un orme, et il s’arrêta pour les considérer. Le Pasteur lui apparut « Cette vigne, dit-il, porte beaucoup de fruits et l’orme n’en a pas. Mais, si elle n’était appuyée sur lui, la vigne rampante en produirait peu et de moindre valeur. Ainsi, comme elle ne peut avoir du fruit en abondance, et de bonne qualité qu’avec l’orme qui l’appuie, l’orme n’est pas moins fécond que la vigne. Celui qui est dans l’opulence est ordinairement pauvre aux yeux du Seigneur, car ses trésors le détournent de Dieu, et sa prière est faible. Mais s’il donne aux pauvres, le pauvre qui est riche aux yeux du Seigneur, et dont la prière est puissante, le pauvre prie pour lui, et Dieu l’exauce. Ainsi le riche s’appuyant sur le pauvre comme la vigne sur l’orme, ils deviennent tous deux féconds, l’un par l’aumône, l’autre par la prière[2]. »

Vous voyez que ce langage symbolique pénètre ainsi dans les mœurs chrétiennes ; je dis plus : il y devient nécessaire. Après la liberté dont le christianisme jouit jusqu’aux premières persécutions, les chefs de l’Église reconnurent la nécessité d’envelopper les mystères-dans la discipline du secret : ils n’étaient communiqués que peu à peu, et ne devaient pas être livrés et abandonnés immédiatement à la profanation des infidèles. Cette nécessité de tenir les mystères secrets, et cependant de se reconnaître entre chrétiens, devait donner lieu a des signes de ralliement qui ne pussent être intelligibles que pour ceux qui en avaient appris le sens, par conséquent à un système de symboles par lesquels les chrétiens pussent échanger leurs pensées sans les livrer à des esprits sacrilèges. Aussi le nombre des symboles s’augmente à l’infini, et, dès le troisième siècle, il est devenu tel, qu’un Père de l’Église grecque, Meliton de Sardes, écrit un livre intitulé la Clef destiné à donner déjà, à cette époque si reculée, le sens mystérieux de ces symboles, multipliés au point de rendre nécessaire cette interprétation scientifique. Au cinquième siècle, saint Eucher écrira le Livre des formules pour l'intelligence spirituelle des Écritures, Liber formularum spiritualis intelligentiae,dans lequel il donne précisément le sens mystique des nombres, des fleurs, desfigures d’animaux, des plantes, des métaux précieux, qui tous avaient une signification, et dont la valeur et le rapport avaient, préoccupé la philosophie ancienne. Ainsi, comme dans un grand dictionnaire symbolique, seront expliqués les signes employés alors dans le langage théologique, les figures du lion, du cerf, de l’agneau, de la colombe, du palmier, de l’olivier, de la grenade et tant d’autres. C’est, en quelque sorte, le secret des hiéroglyphes chrétiens, mais dévoilé volontairement par, le prêtre dès que le danger des persécutions est passé, dès que la nécessité de la discipline du secret s’est évanouie, et que l’Église peut satisfaire à ce besoin, qui est en elle, de tout communiquer, bien différente en cela des sacerdoces anciens, dont la règle et la discipline étaient de tout cacher et de tout ensevelir.

C’est parce que les religions sont nécessairement symboliques qu’elles deviennent le principe et le berceau des arts tous les arts sont nés l’ombre d’une religion. Et je ne m’en étonne pas ; car, si l’homme, pour dire quoi que ce soit, a besoin d’employer des signes qui, précisément parce qu’ils sont matériels, restent toujours inférieurs à sa pensée, à plus forte raison il doit en être de même quand on entreprend de parler à Dieu, de Dieu, des choses invisibles, de toutes ces conceptions infinies que l’intelligence n’atteint qu’à peine, qu’elle entrevoit un moment, qui passent comme des éclairs qu’elle voudrait fixer, mais qui ont disparu avant qu’elle ait pu comparer son expression imparfaite avec l’idée même qu’elle voulait rendre. C’est pourquoi, quand l’homme essaye de parler de ces choses éternelles, aucun signe ne lui suffit, ne le satisfait ; tous les moyens sont employés et viennent, pour ainsi dire, à la fois sous sa main. Mais tout ce que peuvent et le ciseau, et le pinceau, et les pierres élevées les unes sur les autres jusqu’à des hauteurs inaccessibles et jusque vers le ciel, tout ce que peut produire la parole d’illusion et d’harmonie quand elle est soutenue par le chant, tout est employé par l’homme, et rien n’arrive à contenter les justes exigences de son esprit dès qu’il s’agit de ces grandes et immortelles idées. Cependant, malgré cette impuissance, l’idéal qu’il a poursuivi apparaît, se laisse entrevoir avec une sorte de transparence, et c’est cette transparence de l’idéal à travers les formes dont il est revêtu qui constitue véritablement la poésie ; car la poésie primitive n’est pas seulement dans les. vers, dans la parole rhythmée, mais dans tout effort de la volonté humaine pour saisir l’idéal et le rendre, que ce soit par la couleur, que ce soit par des pierres ou par tous les moyens qui lui ont été donnés de frapper les sens et de. communiquer a l’intelligence d’autrui ce que son intelligence a conçu. Vous comprenez que l’art chrétien aura son berceau au berceau même de la religion chrétienne, c’est-à-dire aux Catacombes. C’est là qu’il faut descendre pour voir les origines de cette poésie que nous avons cherchée-dans les livres. Mais le peuple qui se rassemble là est trop fervent, trop ému, pour qu’un seul ou deux de ces moyens par lesquels l’homme peut traduire sa pensée lui suffisent ; il est d’ailleurs trop pauvre, trop ignorant, il se compose trop des dernières classes de la société romaine pour pouvoir porter bien loin la perfection dans l’emploi des arts : il faudra donc qu’il essaye à la fois de tous les arts, de tous les moyens par lesquels l’idée peut se traduire pour rendre, d’une manière bien imparfaite, les émotions dont la bonne nouvelle du christianisme vient de remplir son cœur.

Il faut se représenter les catacombes comme un labyrinthe de galeries souterraines qui s’étendent à des distances considérables sous les faubourgs et sous la campagne de Rome. On n’a pas compté moins de soixante de ces cimetières chrétiens, et les circonvallations qu’ils forment autour de l’ancienne Rome, a en croire la tradition populaire, ce que répètent les patres de la campagne’, s’étendraient jusqu’à la mer.

Mais, quand on descend dans ces lieux sans lumière, on est encore plus frappé de leur profondeur que de l’étendue sur laquelle ils se développent. On entre communément par d’anciennes carrières de pouzzolane qui ont servi, sans doute, à la construction des monuments de Rome et qui furent. l’ouvrage des anciens. Mais, au-dessous ou à côté de ces carrières, les chrétiens ont eux-mêmes creusé, dans le tuf granulé, d’autres galeries d’une forme tout à fait différente qui ne pouvaient plus servir à l’extraction de la pierre, mais au seul but qu’ils se proposaient. Toutes ces galeries descendent à deux, trois, quatre étages, au-dessous de la surface du sol, c’est-à-dire à quatre-vingts, à cent pieds et plus encore ; elles serpentent en détours infinis, tantôt montent, tantôt descendent, comme. pour fuir les pas des persécuteurs qui y sont engagés, qui pressent la foule des fidèles et qu’on entend déjà venir. À droite et à gauche, les parois de la muraille sont percées de niches oblongues, horizontales, comme les rayons d’une bibliothèque, car je ne trouve pas de comparaison plus juste : chaque rayon forme une sépulture qui sert, suivant sa profondeur, pour un ou plusieurs corps. Une fois la sépulture remplie, on fermait le rayon avec des blocs de marbre, des briques, avec tout ce que le hasard mettait sous la main de ces ouvriers persécutés. De distance en distance, ces longs corridors s’ouvrent sur des chapelles où pouvaient se célébrer les mystères, et sur des salles dans lesquelles l’enseignement se donnait aux catéchumènes et où s’accomplissaient les expiations des pénitents.

J’ai besoin de vous fournir immédiatement la preuve que ces grands ouvrages sont bien des premiers siècles chrétiens, des siècles persécutés. Nous en avons le témoignage dans Prudence et dans saint Jérôme, qui tous deux y étaient, allés, plus d’une fois, vénérer les sépultures des martyrs, et qui en parlent avec autant d’épouvante que d’admiration. Saint Jérôme, jeune étudiant à Rome, avec toute l’ardeur de son âme, descendait chaque dimanche dans ces entrailles de la terre, et nous dit qu’alors revenait sans cesse à son esprit la parole du Prophète : « Descendunt ad infernum viventes »,et ce vers de Virgile

Horror ubique animos, simul ipsa silentia terrent,

mêlant ainsi tes grandes traditions sacrées aux traditions profanes, image de la double éducation de Jérôme et de ses contemporains[3]. En effet, on aperçoit d’abord dans les catacombes l’ouvrage de la terreur et de la nécessité. Mais, si l’on prend garde, c’est un ouvrage bien éloquent, et si les monuments, si l’architecture même n’a pas d’autre but que d’instruire les hommes et de les émouvoir, jamais aucune construction au monde n’a donné de si grandes et si terribles leçons. En effet, lorsque vous avez pénétré dans ces profondeurs de la terre, vous apprenez par force ce qui est la grande leçon de la vie, à vous détacher-de ce qui est visible, à vous détacher même de ce par quoi tout est visible, c’est-à-dire de la lumière. Le cimetière enveloppe tout, comme la mort enveloppe la vie, et ces oratoires mêmes ouverts adroite et à gauche, par intervalles, sont comme autant de jours ouverts sur l’immortalité, pour consoler un peu l’homme de la nuit dans laquelle il vit ici-bas. Ainsi tout ce que l’architecture doit faire plus tard, elle le fait déjà ; elle instruit, elle émeut, elle pénètre.

Essayez quelque jour, dans vos pèlerinages de jeunes gens, de descendre dans ces vastes souterrains, et, quand vous en remonterez, vous me direz si vous n’y avez pas trouvé des émotions qu’aucune des grandes constructions antiques, aucun des restes ni du Colisée, ni du Parthénon, ni de ces autres édifices qui se croyaient bâtis pour l’immortalité, n’auraient, jamais pu produire dans votre âme.

Ce n’est pas tout : ces oratoires et ces tombeaux sont couverts de peintures souvent sans doute très grossières. Parmi les chrétiens des premiers siècles, parmi ces plébéiens, ces pauvres, que le christianisme avait, préférés à tous, il y avait peu de grands artistes. Les Appelles et les Parrhasius de ce temps restaient au service de Néron et décoraient pour lui la Maison Dorée. C’étaient des artistes de rebut, des misérables qui descendaient là cependant je ne sais quoi de plus qu’humain se trahit au milieu de toutes les faiblesses et de toute l’impuissance d’un art dégradé. En remontant surtout aux catacombes qui paraissent avoir été creusées dans les siècles les plus anciens, on reconnaît la tradition fidèle et très-bien observée des arts de l’antiquité. On trouve des peintures desquelles on peut dire, sans exagération, qu’elles ont quelque chose de la beauté antique et qu’elles ne témoignent pas encore de cette décadence de l’art romain qui ne se prononce d’une manière bien déclarée qu’au second siècle. Ainsi les peintures elles-mêmes rendent témoignage de l’antiquité des murs sur lesquels elles ont été tracées et des croyances qu’elles expriment. En effet, il était impossible que l’art chrétien naissant ne reproduisit pas, a beaucoup d’égards, les traditions de l’art dans l’antiquité. Les païens avaient aussi des sépultures peintes, souterraines même, comme les Scipions, qui avaient coutume d’ensevelir à la façon des chrétiens les morts de leur famille. Dans les tombeaux des Scipions, des Nasons, et ailleurs, on a trouvé aussi des peintures, des images agréables semées sur les murs pour consoler la tristesse de la mort par exemple, des fleurs, des animaux, des victoires, des génies. Quoi d’étonnant si les humbles fossoyeurs, les fossores, comme on les appelait, qui les premiers commencèrent à décorer les sépultures des chrétiens et les oratoires, reproduisirent à beaucoup d’égards les procédés, les images, les sujets des artistes anciens ? Ainsi les mêmes figures allégoriques et souvent des figures qui sembleraient ne devoir appartenir qu’au paganisme, comme des victoires, des génies ailés, décorent plusieurs tombeaux chrétiens, et dans trois peintures du cimetière de Saint-Callixte, on trouve la figure d’Orphée représentée à la manière des anciens. Mais la science de l’Église, qui veillait derrière l’ignorance et la simplicité de ces pauvres ouvriers, avait soin d’éclairer le symbole, de le purifier, de l’élargir, de lui donner une signification nouvelle. Elle faisait pour l’art ce qu’elle avait fait pour la langue : il avait bien fallu qu’elle adoptât la langue ancienne, mais elle l’avait fait en donnant aux termes anciens un sens nouveau qui devait fournir une nouvelle fécondité à la parole. Orphée figurait parmi ces types chrétiens : mais, selon saint Clément d’Alexandrie, il y figurait comme l’image du Christ, qui, lui aussi, attire les cœurs, ébranle jusqu’aux rochers les plus froids du désert et les bêtes les plus féroces des forêts, comme il a figuré plus tard dans l’art, chrétien de tous les siècles, jusqu’à Caldéron, qui a composé un de ses plus admirables Autos sacramentales sous le titre du Divin Orphée. De même, lorsque les peintures des catacombes représentent, à la clef de voûte de leurs oratoires, l’image du bon Pasteur, les archéologues, avec beaucoup de raison, disent : Cette image du bon Pasteur est imitée des anciens.

Les anciens avaient plus d’une fois représenté, même dans les sépultures et ailleurs, les jeux des bergers, et, parmi ces images gracieuses où se complaisaient la peinture et la sculpture antiques, aucune n’était plus agréable que celle d’un jeune pasteur chargeant un chevreau sur ses épaules. Les chrétiens ont pris à côté d’eux, dans des sépultures, l’image de ce berger avec sa chlamyde et tous les détails de son costume, ont mis sur ses épaules le chevreau traditionnel, infidèles en cela au texte évangélique, qui parle de brebis mais l’artiste ignorant a, la plupart du temps, copié le chevreau sur l’image ancienne sans s’inquiéter de la conformité au texte de l’Évangile. Voilà ce qu’ont dit tous les archéologues ; mais cette interprétation est un peu exagérée, et je vais vous faire voir comment une critique plus profonde et plus éclairée peut, tout à coup, illuminer un point mal compris et faire apparaître toute la profondeur, toute la beauté d’un symbole.

En effet, au moment où les chrétiens creusaient les catacombes de Saint-Callixte à Rome, à la fin du deuxième siècle, il s’agitait dans l’Église une des questions les plus terribles qu’elle ait remuées : à savoir si le pardon promis au pécheur ne lui était promis que pour une ou pour plusieurs fois, si le pécheur relaps pouvait être admis à la pénitence. Une secte considérable, les montanistes, ayant à sa tête un des plus illustres déserteurs de l’orthodoxie, Tertullien, soutenait que le pardon s’étend à celui qui a péché une fois, mais non à celui qui retombe que le bon pasteur rapporte bien sur ses épaules la brebis égarée, mais non le bouc, le chevreau qui, au jour du jugement, sera mis à la gauche du juge, tandis qu’à sa droite on verra seulement la brebis. Et, comme les chrétiens lui objectaient la parabole du bon pasteur, il répondait avec amertume que le bon pasteur s’était mis en quête de la brebis, mais que nulle part on ne voyait qu’il eût couru après le bouc. Et, dans son livre de Pudicitia, il reprochait à l’évêque de Rome d’aller à la poursuite des boucs, au lieu de ne courir qu’après les brebis égarées. C’est alors que l’Église, dans sa mansuétude, fit cette réponse à la fois aimable et sublime à ces hommes impitoyables qui ne voulaient pas de pardon à la faiblesse retombée, en faisant peindre dans les catacombes le bon pasteur, non plus seulement avec une brebis sur ses épaules, mais avec un bouc, avec cette figure du pécheur, qui semblait, condamné à jamais, et que le bon pasteur, cependant, rapporte en triomphe sur ses épaules.

Voilà comment, où l’on n’avait vu qu’une erreur d’un ouvrier, copiste malhabile des anciens, se découvre un mystère charmant de grâce et de miséricorde.

Autour de cette image du bon pasteur, qui forme ordinairement la clef de voûte des catacombes, se dessinent quatre compartiments, séparés les uns des autres par des arceaux de fleurs. Dans ces compartiments sont ordinairement peints quatre sujets pieux : deux de l’Ancien Testament et deux du Nouveau, opposés les uns aux autres pour se servir de confrontation et de parallèle. Ces sujets ne varient guère on évalue à une vingtaine ceux qui sont représentés le plus habituellement, et on a dit. Ceci tient à l’extrême pauvreté de génie des artistes de ce temps ; ils ne pouvaient guère sortir d’un petit nombre de modèles donnés. Cependant ces sujets, si l’on y prend garde, ne sont pas toujours identiques, ils sont traités avec une, certaine liberté ; il n’y a pas de type absolu. Quelques images, celles, par exemple, de la chute originelle, varient singulièrement suivant les ouvriers et suivant les époques, et on s’aperçoit que le nombre, des sujets est restreint précisément, parce qu’il ne s’agit que d’exprimer un certain nombre de dogmes, parce que tous ces sujets sont symboliques et ont un sens au delà de celui qu’ils expriment. C’est ainsi que le serpent, entre nos deux premiers parents, exprime le péché, et que l’eau sortait du rocher nous représente le baptême ; c’est ainsi que Moïse, faisant tomber la manne du ciel, est le symbole de l’eucharistie, tandis que le paralytique guéri et emportant son grabat sur le dos est le symbole de la pénitence ; c’est ainsi que Lazare exprime l’idée de la résurrection ; que les trois enfants dans la fournaise, Jonas jeté à la mer, Daniel dans la fosse aux lions, sont le symbole du martyre, sous ces trois formes principales, du martyre par le feu, par l’eau, par les bêtes. Mais remarquez qu’il s’agit toujours de martyrs triomphants, couronnés de Dieu, et jamais, excepté saint Hippolyte, de martyrs contemporains. Plusieurs siècles après seulement, les chrétiens ont tracé dans les catacombes quelques images des martyrs mais jamais les chrétiens des persécutions, ces hommes déclarés par Tacite l’horreur et l’opprobre du genre humain, n’ont voulu peindre ce qu’ils avaient souffert, ce qu’ils avaient vu souffrir à leurs pères, à leurs enfants, à leurs épouses. Selon moi, ceci est admirable : tandis que l’art païen s’enfonçait dans le réalisme le plus odieux et le plus grossier, et que, pour réveiller les sens de ces hommes blasés, il fallait leur brûler un esclave à la fin de la tragédie d’Hercule au mont Œta, et outrager une femme sur la scène lorsqu’on jouait je ne sais quelle pièce d’Euripide ; pendant que ce réalisme grossier s’emparait des théâtres romains, dans cette ville triomphante et maîtresse du monde, voici des hommes détestés, pauvres, impuissants, cachés sous la terre, dans un lieu où ils peuvent, à la rigueur, entendre les trépignements de la foule qui crie « Les chrétiens aux lions » eh bien, ces hommes n’auront à nous donner que le type du martyre dans l’antiquité, jamais de celui qu’ils ont souffert, que les images de la résurrection, que des symboles gracieux, aimables et touchants, nous laissant à la fois le plus bel exemple et de l’art qui n’aime pas le matérialisme, et de la charité qui pardonne et oublie.

Les Catacombes n’avaient pas donné seulement asile à l’architecture et à la peinture : la sculpture, sans doute, devait y tenir moins de place, car cet art était l’art païen par excellence. Les images des dieux étaient plus rarement en tableaux qu’en statues voilà pourquoi la sculpture ne devait pas jouir d’une faveur aussi grande que la peinture. Sans doute, dès les premiers temps, on la voit employée pour aider la parole dans le travail des inscriptions car les tombeaux devaient en porter. Souvent un sigle, un hiéroglyphe, un symbole, légèrement tracés à la pointe seulement du ciseau, disaient plus que plusieurs lignes sorties de la main du poëte le plus savant, qui aurait cherché à y exprimer toute la douleur des vivants ou toute la foi des morts. Ainsi, déjà chez les anciens, une fleur sur un tombeau exprime admirablement la fragilité de la vie humaine ; un vaisseau à la voile, la rapidité de nos jours. Les chrétiens adoptèrent tous ces signes avec cet excellent esprit et ce bon sens admirable du christianisme naissant qui prenait de l’antiquité tout ce qui était beau, tout ce qui était bon, comme nous l’a montré déjà l’histoire des lettres et de la philosophie chrétiennes. Tout en adoptant ces signes, il en ajoutait de nouveaux et consolait la mort à sa manière en mettant sur les tombeaux la colombe avec le rameau, signe d’espérance et d’immortalité, l’arche de Noé au lieu de la barque vulgaire, l’arche qui recueille les hommes pour les sauver et leur faire traverser l’abîme ; enfin le poisson, signe mystique du Christ, parce que le mot grec ἴχθυς (poisson) réunissait les cinq initiales des noms par lesquels on désignait le Christ[4].

Ce signe convenu entre les chrétiens leur avait servi de ralliement, de moyen de se reconnaître entre eux, et d’autre part, le poisson exprimait le chrétien trempé dans les eaux du baptême. Ainsi une sépulture, dont on a recueilli l’inscription, ne portait pas un vers, pas un mot en prose, qui servît à désigner le mort ; on n’y voyait qu’un poisson et les cinq pains de la multiplication : eh bien, cette inscription disait beaucoup, elle disait : Ici repose un homme baptisé (le poisson), et cet homme baptisé a goûté du pain miraculeux de l’Eucharistie. C’était là un énergique et admirable langage La parole venait aussi lui aider, quelquefois avec une simplicité qui avait sa grâce, comme dans cette inscription si simple : Τόπος Φιλήμονος. D’autres fois c’était un mot plein de tendresse et de douceur sur le tombeau d’un enfant : Florentius felix agnellus Dei. D’autres fois, la terreur des jugements de Dieu s’exprime par une exclamation terrible, comme dans l’inscription du père de Benirosus : Domine, ne quando adumbratur spiritus veneris.

Enfin l’inscription en vers éclate et se répand sur les tombeaux, et déjà la poésie véritable, celle qui emploie le rhythme, met son empreinte sur les pierres des catacombes. Voici quelques vers d’une grande barbarie, mais étonnants par le souvenir classique qu’ils éternisent ; il s’agit d’un enfant de quatre ans :

Hic jacet infelix proprio Cicercula nomen,

Innocens qui vix semper in pace quiescat,
Cui cum bis binos natura ut compleret annos,

Abstulit atra dies et funere mersit acerbo.

Assurément, à la fin de ces vers barbares et chrétiens, on ne s’attendait pas à trouver un vers de Virgile. Mais, à part ces souvenirs de l’antiquité qui arrivent ainsi par lambeaux, tout ici est populaire, tout doit être grossier. Il ne faut donc pas s’étonner de la multitude de fautes d’orthographe et de grammaire, ni de ce grand nombre de mots latins écrits en lettres grecques, ni de tous ces solécismes et de tous ces barbarismes dont ces inscriptions sont pleines. C’est précisément leur gloire, la gloire de ce peuple ignorant, grossier et pauvre, qui devait cependant triompher de la nation riche, puissante, qui était sur sa tête, et qui habitait les palais dorés au-dessous desquels il creusait ces sépultures. Certainement les rhéteurs romains auxquels on aurait porté ces pierres chrétiennes avec ces vers auraient haussé les épaules et demande comment ces misérables Galiléens, qui écrivaient si mal, pouvaient songer a réformer le genre humain. C’était cependant du fond de ces cimetières, de la poésie de ces tombeaux, que devait sortir tout l’art nouveau destiné à changer la face intellectuelle du monde.

Il me resterait à vous montrer la destinée de l’art chrétien à l’époque précise où nous nous sommes placés, c’est-à-dire après les catacombes ; mais il fallait auparavant vous faire connaître où il avait ses racines. C’est qu’en effet, quand l’art chrétien sort des catacombes, quand l’ère des persécutions est finie pour lui, on le voit se développer avec plus de liberté, de variété, et ses branches se détachent, quoique cependant toujours nourries de la même sève et chargées des mêmes fleurs.

La sculpture est encore surveillée, contenue ; on doit se défier du statuaire à une époque où l’on a tant de peine à le défendre des périls et de la séduction qu’exercent sur lui les vieux simulacres de Jupiter. Cependant gardons-nous de croire que la sculpture ait été proscrite dans ces premiers siècles du christianisme. Nous trouvons, même du temps des persécutions, une statue de saint Hippolyte, d’une authenticité incontestée, qui remonte au troisième siècle et qui est encore aujourd’hui dans la salle de la bibliothèque du Vatican. Il y a aussi des statues de saint Pierre et du bon Pasteur, qui datent des premiers âges chrétiens. Mais c’est surtout dans les bas-reliefs, dans la décoration des sarcophages, que a sculpture prend son essor et trouve sa liberté. Elle y reproduit, en général, les mêmes sujets des deux Testaments, que nous avons remarqués dans les Catacombes, son but est de rendre aussi par des symboles, par des figures, les principaux mystères du christianisme. Cependant elle y ajoute quelques sujets nouveaux, comme l’ont montré d’admirables études, non encore achevées, sur les sarcophages chrétiens des quatrième et cinquième siècles. On en trouve un grand nombre au Vatican, mais il faudrait leur comparer ceux de Ravenne et ceux dont nous avons encore à Arles une admirable collection :Rome, Ravenne et Arles, trois grandes villes impériales au cinquième siècle ; Arles, pendant quelque temps la capitale des Gaules, succédant à Trèves dans cette dignité. Dans chacune de ces trois villes se forme, pour ainsi dire, une école différente de statuaire chrétienne : toutes ont des règles communes, mais chacune aussi a son originalité propre. Les mêmes sujets ne sont pas également en faveur partout à Arles par exemple, on trouve traité jusqu’à trois fois, dans les sarcophages de saint Trophime, le passage de la mer Rouge. A la largeur, à l’étendue, au mouvement, on y reconnaît l’habitude d’un ciseau très-exercé et une imitation des plus belles batailles représentées sur les bas-reliefs des anciens. À Arles encore, on a trouvé des sujets historiques qui ne se rencontrent nulle part ailleurs ainsi deux guerriers, agenouillés devant le Christ, comme Constantin devant le labarum c’est-à-dire reconnaissance de, la vérité religieuse par le pouvoir temporel, soumission à la vérité de celui qui porte le glaive ; image expressive et simple de ce qui se produit à cette époque où, en effet, le pouvoir temporel s’agenouillait devant, cette vérité souvent persécutée. Il me suffit d’avoir signalé la présence de ces trois grandes écoles de sculpture, qui eurent des disciples dans les autres grandes villes de l’Italie et de la Gaule, car à Vérone, à Milan et sur les bords du Rhin, on rencontre des sarcophages chrétiens qui n’ont pas le même mérite, mais qui n’en témoignent pas moins d’un état de l’art digne d’être étudié. Il ne faut donc pas se hâter, comme on l'a trop fait, de juger la sculpture de ces temps par l’arc de triomphe de Constantin, élevé à Rome, et de dire que, comme on n’y trouve que quatre ou cinq bas-reliefs de mérite enlevés à des monuments antérieurs, c’est là une preuve de l’impuissance des artistes contemporains, incapables de produire par eux-mêmes quelque chose de digne des regards ; ils ont placé sur la frise les figures les plus disproportionnées qu’on puisse imaginer ; et c’est sur cette frise qu’on juge de toute la sculpture du quatrième et du cinquième siècle. Mais est-il donc un temps où les artistes de cour ne puissent, à la faveur d’un-caprice de prince, faire parvenir dès œuvres malheureuses, grossières, à la place que devait occuper les ouvrages des hommes d’un véritable mérite ? Est-ce que tous les temps n’ont pas les mêmes inégalités dans le talent ? Est-ce que le temple de Phigalie, dont les sculptures sont si rudes, n’est pas précisément contemporain du Parthénon, où se déroulent les admirables compositions de Phidias ! Mais côté de ces compositions triviales, qui déshonorent le monument qui les porte, nous avons des sarcophages d’une incontestable beauté, et, parmi ceux de Ravenne, il en est plusieurs qui attestent une grande pureté de ciseau.

Ainsi n’en doutons pas : la sculpture n’a pas péri ; elle se défendra ; elle traversera les siècles barbares et difficiles, et, quand vous lui livrerez les chapiteaux de nos piliers, la façade et les portails de nos cathédrales, vous verrez ce qu’elle saura faire.

Après la sculpture, et avec plus de faveur, venait la peinture ; et si quelques-uns se scandalisaient du grand nombre de figures, non-seulement sacrées, mais profanes, dont elle se plaisait à embellir les églises, elle était défendue par les plus grands esprits de ce temps. On ne conçoit en aucune manière comment on a pu dire que l’emploi des images était nouveau dans l’Église, quand tous les Pères des quatrième et cinquième siècles sont remplis de témoignages du culte des images et de l’emploi qu’on en faisait dans la décoration de toutes les basiliques, soit en Orient, soit en Occident, à l’exception d’un certain nombre de provinces, comme la Judée, où l’on craignait d’offenser les susceptibilités des Juifs. Mais, à part cela, tous les témoignages sont unanimes, et nous avons du cinquième siècle des lettres de l’anachorète saint Nil à Olympiodore, préfet du prétoire, pour le louer de l’intention où il était de décorer de peintures la basilique qu’il venait de fonder. Nous avons aussi des lettres en vers, une sorte de poème de saint Paulin, où il explique les ornements dont il a enrichi l’église de Nôle, et s’attache décrire les peintures qu’il a fait tracer sur les portiques[5] .

Voilà donc la preuve et, en même temps, la justification de l’emploi de la peinture dans les basiliques chrétiennes. Aussi la peinture se perpétuera même dans les temps qui paraissent les plus mauvais. J’en donne pour exemple les innombrables Vierges byzantines qu’on trouve dans toute l’Italie, ces peintures très-anciennes et souvent très-effacées, mais que l’on reconnaît encore près de Rome, à Saint-Urbain della Cafarella, dans l’ancienne église souterraine de Saint-Pierre, à Sainte-Cécile, aux quatre Saints Couronnés, à Saint-Laurent, où il y a une suite de peintures du huitième jusqu’au treizième siècle, c’est-à-dire de l’époque où l’on suppose l’art entièrement éteint. Le génie de la peinture ne se montre guère dans ces essais souvent très-grossiers, mais il n’est pas tout à fait éclipsé il reparaît sous une autre forme dans les mosaïques qui commencent à décorer les églises dès le cinquième siècle et se continuent jusqu’au treizième ; car déjà en 424 le pape Célestin orne de mosaïques l’église de Sainte-Sabine. Sixte III fait exécuter en 433 celles qui subsistent encore aujourd’hui, après mille quatre cents ans, à Sainte-Marie-Majeure ainsi cette image de la Croix non ensanglantée, couverte de pierreries, sur un trône avec les saints évangiles, et au-dessous de l’image de la Vierge ; tout autour l’histoire de l’enfance du Christ, et, sur les deux côtés, vingt tableaux tirés de l’Ancien Testament : tout cela date du pape Sixte III. Peu à peu la mosaïque envahit les grandes basiliques romaines, comme Saint-Pierre et Saint-Paul. Dans la capitale du monde chrétien et dans les grandes cités d’Italie, à Milan, à Ravenne, à Vérone, à Venise, partout enfin l’abside des églises se remplira de cette grande et resplendissante image du Christ et de la Jérusalem céleste, qui rayonne, pour ranimer l’espérance des fidèles, au milieu des périls de ces siècles sanglants. La mosaïque remplit toute la période romane, arrive, jusqu’à la période gothique, où elle s’empare bientôt des arcades ogivales des églises bâties en Sicile par les Normands. C’est ainsi qu’à Montréal et à la chapelle palatine de Palerme resplendissent encore les figures traditionnelles du Christ, de la Vierge et des saints, telles que les avaient composées les artistes contemporains de Constantin et de Théodose. La fidélité aux types anciens est tellement opiniâtre, qu’elle s’étend même à ces images empruntées de l’antiquité, et je cite ceci comme un des nœuds qui rattachent le temps dont je m’occupe au moyen âge dont nous nous occuperons bientôt. A Ravenne, par exemple, dans le baptistère, on a représenté le Jourdain à la manière des païens, sous la figure d’un dieu-fleuve, couronné d’algues marines, appuyé sur son urne, dont les flots se répandent et forment l’onde sacrée dans laquelle se plonge le Rédempteur. Cette imitation est si obstinée, qu’elle se reproduit sans cesse : à Venise, par exemple, les quatre évangélistes sont accompagnes des quatre fleuves du paradis terrestre, auxquels ils correspondent dans le langage symbolique de l’Eglise ; les fleuves sont couronnés d’algues marines et appuyés sur leurs urnes. Charlemagne s’en scandalisait, et, dans les livres carolins, il se plaint de ce qu’au milieu des peintures sacrées on représente les fleuves sous des figures païennes. Charlemagne ne put les faire disparaître, et, dans la cathédrale d’Autun, dans l’église de Vezelay, vous pouvez voir les fleuves du paradis terrestre représentés toujours sous la figure des anciens dieux ; appuyés sur leurs urnes penchantes. Mais la peinture et la sculpture ne sont encore que des dépendances de l’architecture, qui, dans les siècles primitifs, est toujours la science maîtresse. Et,en effet, à vrai dire, les bas-reliefs, les fresques, les mosaïques, ne pouvaient être que des dépendances monumentales d’un édifice capable de les soutenir et de les rassembler, d’en former un système qui eût un sens précis, étendu, qui leur donnât le moyen d’instruire véritablement et de toucher les hommes.

Ce n’est ici ni le lieu ni le temps de vous faire l’histoire de l’architecture chrétienne depuis les catacombes, ni de remonter complétement à l’origine première des basiliques. Je dirai cependant, en deux mots, que cette origine me parait double. D’une part, les premières églises ne semblent être autre chose qu’un développement, et, si je pouvais m’exprimer ainsi, qu’une germination des chapelles sépulcrales des catacombes. Ces chapelles sont carrées, ou rondes, ou polygonales, presque toujours terminées par une voûte couronnée d’un dôme. Peu à peu elles se divisent en quatre compartiments. Lorsque ces glorieux membres de l’Église, ces chrétiens persécutés sortent de leur obscurité, s’échappent des catacombes, il semble, pour ainsi dire, que leurs tombeaux, faisant effort et soulevant la terre, s’élèvent au-dessus d’elle et la couronnent : car les premières chapelles, les premiers tombeaux chrétiens, les baptistères qui se construisent sur la face du sol, au lieu d’être cachés dans ses profondeurs, affectent cette forme. Les baptistères sont ronds, les premiers tombeaux chrétiens le sont aussi : je citerai, comme exemple, le baptistère de Saint-Jean-de-Latran à Rome ; à Rome aussi, le tombeau de sainte Constance, bâti par Constantin pour sa sœur et d’autres personnes illustres de sa famille ; je pourrais citer encore la cathédrale de Brescia, qui est une rotonde. En Orient, cette forme triomphera et formera la coupole déjà l’église des Saints-Apôtres, construite par Constantin, n’était qu’une coupole couronnant le milieu d’une croix grecque. Dans Sainte-Sophie la coupole se développe encore davantage, et s’ étendant de tous côtés, absorbera, en quelque sorte, les bras de la croix. Ce sera là le type du caractère byzantin qui demeurera en Orient.

Mais une autre origine, non moins incontestable, c’est l’emploi que feront les chrétiens des anciennes basiliques romaines. Vous savez qu’il y avait à Athènes un portique, nommé le Portique Royal, qui servait aux audiences de l’archonte-roi. Rome avait imité cette architecture. Dans les portiques où se rendait la justice, elle enferma ce qu’elle appelait une basilique. C’était un grand et vaste palais divisé en trois nefs par deux colonnades formant différents étages. Au fond était le tribunal sur lequel prenaient place le juge et ses assesseurs. Lorsque le christianisme eut grandi, qu’il fut devenu puissant, il ne voulut pas emprunter à l’antiquité ses temples, qui eussent été trop petits, il lui emprunta les basiliques. C’est ainsi que furent construites les églises de Tyr et de Jérusalem dont nous avons la description, Saint-Pierre et Saint-Jean de Latran, bâtis par Constantin Saint-Paul, fondé par Théodose ainsi la basilique de Nôle, dont saint Paulin nous a donné la description. Mais nous ne savons pas assez ce qu’était une église dans ces premiers siècles chrétiens. Ce n’était pas un lieu où l’on allait seulement une demi-heure par semaine pour accomplir à la hâte un devoir de piété. L’Église devait embrasser toutes les parties de la société chrétienne ; il fallait qu’elle en fût l’image, qu’elle représentât l’Église universelle de la terre dans toute sa hiérarchie, depuis l’évêque jusqu’au dernier des pénitents. C’est pourquoi le trône de l’évêque se trouvait dans l’abside, ayant autour de lui les bancs de son clergé ; puis, à droite et à gauche, —et séparés dans les deux nefs du Nord et du Sud, les hommes et les femmes admis à la participation des mystères ; au bas de la grande nef se trouvaient les catéchumènes, une partie des pénitents ; puis, dans l’atrium, dans le vestibule, dans la cour entourée de colonnes qui séparait l’église de la rue, stationnaient les pénitents des degrés inférieurs et une autre partie des catéchumènes. D’après des divisions marquées d’avance, on occupait dans le vaisseau sacré une place comparable à celle que l’on occupait dans les desseins providentiels.

De plus, il fallait que l’Église instruisît les hommes, qu’elle les attirât, qu’ils en sortissent enseignés, touchés, et qu’ils eussent envie d’y revenir comme dans un lieu où ils avaient trouvé la vérité, le bien, la beauté. Voilà pourquoi l’Église était toute couverte de peintures symboliques et de ces leçons qu’on écrivait en vers au-dessous tous les murs parlaient, comme dans les belles fresques que nous avons vu peindre à Saint-Germain-des-Prés, et il n’était pas une pierre qui n’eût quelque chose à enseigner aux hommes. Ainsi, avec cet ensemble d’ architecture , de peintures, d’inscriptions, quelquefois multipliées au point qu’à Saint-Marc de Venise il y a tout un poëme de deux cent cinquante vers sur les murs, l’église contenait une théologie, une discipline, un poëme sacré. Voila comment se concevait la basilique des premiers siècles chrétiens, et, ainsi répétée, reproduite, elle est devenue le système dominant de l’Occident.

’Néanmoins, l’Orient et l’Occident ne sont pas sans rapports, et, pendant toute la période qui sépare Constantin de Charlemagne, ces deux parties rivales et souvent jalousées de l’Église n’ont pas rompu. De là bien des échanges et des communications la coupole byzantine fait invasion en Occident et se superpose dans l’Italie septentrionale au type habituel des basiliques romaines. Ce style, qu’on a appelé roman, lombard, improprement byzantin, se continue sur les bords du Rhin, et il y en a des types admirables à Spire, à Worms, à Mayence, à Cologne. Ces belles églises des dixième et onzième siècles nous confondent par leur grandeur et leur solennité :-C’est toujours la basilique romaine avec son vaisseau divisé en trois nefs, mais la coupole couronne le centre de la croix et souvent l’abside.

Enfin vient l’époque gothique, qui a moins à faire qu’on ne pourrait le croire car déjà l’architecture romano-byzantine avait poussé bien loin et élevé bien plus haut que les contemporains de Constantin et de Théodose n’avaient osé le faire, toutes les parties du vaisseau sacré, surtout dans ces grandes constructions des bords du Rhin, avec leur richesse infinie de détails, leurs clochers qui, de toutes parts montent au ciel et leurs pyramides qui semblent défier ce que l’antiquité avait raconté des géants. —L’architecture gothique fera un dernier effort comme un mort ressuscitant qui, dans sa sépulture, s’efforcerait de soulever la dalle de son tombeau et finirait par la briser, de même l’architecture gothique, à force de soulever l’arcade byzantine, la brisa par le milieu, et l’ogive fut trouvée. Et avec elle jaillit ce système d’architecture dont les merveilles ne sont peut-être pas assez connues et pas assez admirées, car enfin Reims et Chartres sont à deux pas, et on semble l’ignorer ; puis on va au Parthénon, et on dit qu’on n’a jamais rien vu de pareil, tandis que des merveilles autrement grandes, autrement variées, autrement immortelles, nous environnent. Cette architecture gothique n’est cependant encore que le développement de la basilique chrétienne, telle que le cinquième siècle l’avait faite, et, si on y regarde de près, on aperçoit toujours la même division, toujours l’idée de la nef (navis) du vaisseau. Seulement, cette nef, ce vaisseau, ressemble à l’arche de Noé dont parle l’Écriture. Mais l’arche du treizième siècle a tellement développé la croix, qu’il faut la soutenir par des contre-forts que les anciens n’avaient pas connus : il les faut innombrables pour en dissimuler la pesanteur : on les multiplie, on les allége, on les diminue, de sorte qu’ils ne paraissent plus qu’autant de cordages tendus pour retenir sur la terre cette nef du ciel qui semblerait devoir s’éloigner et disparaître.

Telle est l’origine de l’architecture gothique, qui a marqué aussi l’origine de la Renaissance. Nous verrons cependant que la Renaissance préféra la forme ronde, la coupole, qu’avaient aimée les Byzantins. La nouvelle église de Saint-Pierre, qu’elle bâtira sur les ruines de l’ancienne, sera encore un grand effort pour élever dans les airs, plus haut que jamais, la même coupole qui dominait, déjà Sainte-Sophie, Saint-Vital de Ravenne et Saint-Marc de Venise.

Seulement, la chapelle sera plus grande et plus vaste qu’on ne l’avait jamais vue, elle montera plus haut qu’elle n’était jamais montée, parce qu’il y a au-dessous un tombeau générateur, un de ces tombeaux toujours vivants, si je pouvais le dire, un de ces germes qui poussent toujours et ce germe, sous là basilique obscure qui le dissimulait, travaillait sans relâche à ébranler ces murs trop étroits pour lui. Au-dessus est suspendu ce dôme, le plus élevé qui fut jamais, presque aussi haut que la plus grande pyramide d’Égypte, qui n’est après tout qu’un chef-d’œuvre de matérialisme, une masse de pierres entassées, tandis que sous les voûtes de Saint-Pierre circulent à grands flots la lumière et la vie. Ces pierres spiritualisées, portées en l’air par la foi, dominent les montagnes voisines. Vous êtes parti des premières marches de Saint-Pierre, et votre vue était bornée ; vous montez, des escaliers innombrables ; au-dessus de l’Église et de la coupole, vous trouvez enfin la plate-forme, et là les collines s’aplanissent, disparaissent, et, par-dessus, vous découvrez la mer, que jamais les triomphateurs romains n’avaient aperçue du haut du Capitole.


EXTRAIT DES NOTES DE LA LEÇON
I
LE PASTEUR D’HERMAS.

1o Les visions. En ce temps-là, c’est-à-dire sous le pontificat de Clément, vivait à Rome un homme simple et pieux : on l’appelait Hermas. L’Église lui apparaît successivement sous des traits divers. — Un jour il la voit sous les traits d’une femme assise. Six jeunes hommes bâtissent une tour carrée sur les eaux, avec des pierres carrées et luisantes, apportées les unes de la terre, les autres du fond de l’eau. Il y avait des pierres rejetées et qui ne pouvaient servir. Les unes restaient au pied de la tour, les autres roulaient dans le chemin. « Cette tour, dit l’Église, c’est moi. Elle est bâtie par les anges, sur les eaux du baptême ; les âmes des martyrs, formées des eaux de la douleur celles des néophytes, des terres de l’incrédulité. » Pénitence. Sept femmes soutiennent la tour. La foi, la mortification, la simplicité, l’innocence, la modestie, la discipline et la charité.

Les préceptes Hermas venait de prier, il était assis sur son lit. Un homme vénérable, en habit de pasteur, avec un manteau blanc, la panetière et un bâton, entra et le salua. Il reconnut un ange : Écris, dit-il, mes préceptes et mes similitudes. »

Croyez en un seul Dieu, créateur, conservateur et maître de toutes choses. Ne dites de mal de personne, donnez à tout pauvre indistinctement. Ceux qui reçoivent rendront compte de ce qui leur est donné ; fuyez le mensonge, ; mentir, c’ est, nier le Seigneur. Soyez chastes, , l’adultère est égal dans l’homme et dans la femme. Ne soyez point inquiets. Quand l’inquiétude aperçoit un homme.ou une femme au cœur vide et chancelant, elle se jette dans ce cœur, qui se remplit d’amertume. L’égalité d’âme, au contraire, est puissante et forte. L’inquiétude et l’esprit sain ne peuvent demeurer dans le même vase. Il faut craindre Dieu, il ne faut pas craindre le démon : Dieu seul est fort. Qu’est-ce qu’une goutte d’eau ? et pourtant elle creuse le rocher où elle tombe. Ce qui part de la terre a peu de puissance, mais la moindre chose en a beaucoup si elle vient du ciel. Ces commandements sont faciles, mais tu ne les garderas point si tu te persuades que tu ne peux pas les garder.

II
DESCRIPTION DE,LA BASILIQUE DE NÔLE. LETTRE DE S. PAULIN A SÉVÉRUS.

« Partie postérieure. L’église n’est .pas tournée à l’Orient selon la coutume, mais du côté du tombeau de saint Félix. Par les arcs de la façade, la lumière entre à grands flots dans le vestibule, et sous -les portes à deux battants qui ouvrent la basilique. Trois portes, Trinité. Les portes font face au tombeau du martyr, qui peut contempler le peuple débordant entre les murs trop étroits du parvis. Lambris de solives entrelacées, pavé de marbres. Deux rangs de colonnes ont remplacé les piliers. Les lampes se balancent au bout de leurs chaînes d’airain, et une brise légère en fait vaciller les mouvantes lueurs. Trois nefs. Deux chapelles latérales de chaque côté. Des deux côtés de l’abside, le trésor des vases sacrés et celui des livres saints. Derrière le baptistère, le sanctuaire est séparé par un mur percé de portes. Sous l’autel, les reliques de la croix et des martyrs. Dans les nefs sont peints l’Ancien et le Nouveau Testament. Au fond de l’abside, peinture de la tribune le mystère de la Trinité. Le Christ sous la figure de l’Agneau. La croix entourée d’un nimbe glorieux, tout autour des colombes représentant les apôtres. La pourpre et la palme. Le rocher, symbole de l’Église, et les quatre fleuves, symboles des quatre évangélistes[6]. »

PEINTURES DE LA BASILIQUE DE NÔLE. S. FÉLIX A L’ÉVÊQUE NICÉTUS.

« Maintenant je veux que vous considériez la longue suite de peintures qui couvrent les murailles, dût votre tête renversée se fatiguer à contempler les images suspendues aux arcades. La peinture fidèle a réuni tout ce que célébrèrent les cinq livres du vieux Moïse. : les triomphes de Josué et la courte histoire de Ruth, courte mais féconde. Ruth suit sa sainte mère. Orpha l’abandonne. Combien de destinées se divisent comme celles de ces deux sœurs~ On demandera peut-être pourquoi, suivant une coutume encore rare, nous avons peuplé d’images vivantes ces pieuses demeures ? J’en expliquerai les causes. Voyez venir des campagnes cette foule grossière Réchauffés par la foi, ils ont quitté leurs lointaines demeures. Ils ont méprisé les frimas et les neiges, veillant de longues’nuits, dissipant le sommeil par la joie, et les ténèbres. par la clarté de leurs torches. Mais plût à Dieu qu’ils ne mêlassent point à leur paisible allégresse la profanation de leurs banquets ! Dignes d’indulgence pourtant, parce que leur ignorante simplicité pense que les saints se réjouissent à l’odeur du vin répandu sur leurs tombeaux. C’est pour tromper leurs ennuis que nous avons estimé utile de remplir la maison sainte de ces pieuses images expliquées par des inscriptions. Tandis qu’ils se montrent les unes et se font lire les autres, les heures de l’attente et de la faim s’écoulent. Le temps des festins s’échappe, et les coupes vidées sont moins nombreuses. La leçon de l’exemple pénètre dans la mémoire avec les représentations sacrées, chacune porte avec elle son enseignement et sa prière[7]. »

  1. Voir les notes à la fin de la leçon, I.
  2. Hermas, Pastor, l. III : Similitudo secunda.
  3. S. Hieronymus, in Ezechielem, c.40.
  4. Ἰησοῦς Χριςτός, Θεοῦ υἱός, σωτὴρ.
  5. Voir les notes à la fin de la leçon, II.
  6. S. Paulini Ep. XII, Ad Severum .
  7. S. Paulini Natalis IX, De Adventu Nicetae episcopi e Dacia qui ad natalem S. Felicis occurerat.