Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 04/Chapitre 9/Barbares

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 4, 1872p. 489-549).


LES ÉCOLES BARBARES.

Les écoles séculières se perpétuent.

Les écoles séculières se perpétuèrent au septième siècle, mais en déclinant. Le paganisme se retirait, et sa défaite discréditait les muses classiques, dont il avait fait son dernier culte. D’ailleurs, la société romaine s’effaçant chaque jour davantage, il fallait bien que l’invasion barbare achevée dans l’État, commencée dans l’Eglise, se fit dans l’enseignement. Il fallait que toute éducation littéraire cessât, ou que l’Occident trouvat d’autres maîtres Les exemples suivants semblent indiquer la perpétuité des écoles laïques dans la seconde moitié du septième siècle. [1].

Commencement des écoles ecclésiastiques.

Dès les premiers temps du christianisme, la foi nouvelle avait ouvert ses écoles aux catacombes et c’est ainsi qu’à Rome, dans les souterrains de Sainte-Agnès, à côté des chapelles garnies de tombeaux, couvertes de peintures symboliques, on trouve dès salles sans autels, sans ornements, sans autres indices de leur destination que la chaire creusée dans le tuf où s’asseyait le maître, et le banc réservé aux disciples. L’enseignement chrétien sort de son obscurité, quand les leçons de Pantaenus, de Clément d’Alexandrie, d’Origène, émeuvent tout l’Orient, et consacrent l’alliance de la doctrine sacrée avec les lettres profanes. L’Italie suivit de loin cet exemple ; et si Cassiodore n’y réussit pas à fonder, de concert avec le pape Agapet, un enseignement théologique rival d’Alexandrie, on y avait pourvu aux premières études du clergé, lorsqu’en 529 le concile de Vaison s’exprimait en ces termes : « Il a a paru bon que, selon la coutume salutaire observée chez les Italiens, les prêtres qui occupent des paroisses reçoivent dans leurs maisons de jeunes lecteurs, et, les élevant comme de bons pères, leur apprennent à étudier les psaumes, à s’attacher aux livres saints, à connaître la loi de Dieu, afin de se préparer ainsi de dignes successeurs, .et par là démériter les récompenses éternelles. » Voilà de courtes paroles, et qui promettent peu : il n’y n’eut jamais de plus fécondes. Le canon de Vaison, reproduit, commenté par le concile de Tours, en 567, par ceux de Tolède, en 624, de Clif, de Liège, et par le concile général de Constantinople en 680, devait fonder l’éducation publique du moyen âge[2].

il s’agit de savoir comment une loi si souvent renouvelée, par conséquent si désobéie, finit par forcer les résistances et par entrer dans les moeurs.

L'école des chantres à Saint-Jean-de-Latran.

En Italie, c’est saint Grégoire le Grand qu’on accuse sans preuves, d’avoir déteste les lettres, brûlé Tite-Live, Cicéron, et toute la bibliothèque Palatine, et qui s’efforça au contraire de faire entrer les lettres dans l’Eglise, « ne souffrant rien de barbare chez ses disciples, voulant qu’autour de lui tout respirât le génie latin, et que sa cour devînt le temple de la science, auquel les sept arts libéraux serviraient de colonnes. » Sans doute on trouve plus d’une fois ce grand homme en révolte contre l’antiquité, peut-être pour en avoir été trop épris, peut-être parce qu’il sentait le vieux sang patricien bouillonner dans ses veines, parce que ces noms d’empire, de sénat, le touchaient malgré lui. Mais il eut de l’antiquité la passion du beau dans les pompes religieuses, dans les chants sacrés ses réformes liturgiques sauvèrent ce qui nous reste de la musique des Grecs

Pour conserver les traditions de cet art savant, saint Grégoire avait fondé une école avec deux résidences, l’une auprès de la Basilique de SaintPierre, l’autre au palais de Latran : on y montra longtemps le lit où le saint pape, tout brisé de vieillesse et d’infirmités, aimait à se reposer en exerçant lui-même ses élèves, et le fouet dont il menaçait les paresseux. Mais la musique, la dernière des sept sciences profanes, exigeait la connaissance de toutes les autres, le chant supposait l’intelligence des textes sacrés en sorte qu’il ne faut pas s’étonner si l’école de saint Grégoire devient le siége d’un enseignement théologique et littéraire qui durait encore au neuvième siècle[3].

Les lettres au Mont-Cassin.

En même temps les études monastiques commençaient au mont Cassin. Il est vrai que. la règle de Saint-Benoît ne s’occupe point des écoles claustrales mais elle en suppose l’existence, puisqu’elle permet de recevoir les enfants conduits au monastère pour y être élevés dans la crainte de Dieu. Une disposition expresse traite de la bibliothèque « Les jours de carême, y est-il dit, on vaquera à la lecture depuis le matin jusqu’à tierce. Dans ces jours-là, tous recevront de la bibliothèque des livres qu’ils liront d’un bout à l’autre car on devra les donner au commencement du carême. Et l’on chargera un ou deux des plus anciens de parcourir le monastère, et de voir s’il n’y a point quelque frère paresseux qui se livre au repos ou à la conversation, au lieu de se donner à la lecture. Le dimanche, tout le monde lira. » En honorant le travail d’esprit, en faisant de la lecture l’œuvre du dimanche et des jours saints, la règle bénédictine pourvoyait d’avance aux besoins de l’enseignement. Ces peuples de moines qu’elle faisait pâlir sur les livres devaient bientôt donner des instituteurs à toute la chrétienté. Le cloître venait à peine de s’ouvrir, que déjà les lettres en prenaient possession. Parmi les premiers disciples de saint Benoît, plusieurs s’illustrèrent par leurs écrits et l’un d’eux, nommé Marcus, avait célébré la fondation du monastère dans un poëme dont on admirait l’élégance. C’était une tradition ancienne que Varron avait habité le mont Cassin, et qu’il y avait ouvert dans son palais un asile aux études philosophiques. Les bénédictins s’honorèrent de ce souvenir, ils ne redoutèrent pas une comparaison si effrayante ; et Pierre Diacre, leur historien, remercie le Christ d’avoir choisi ce lieu savant pour en faire le gymnase de la sagesse éternelle[4].

Mais derrière les murailles de Rome comme sur les hauteurs du mont Cassin, les lettres défiaient les barbares, elles né les atteignaient pas. Il y avait plus de mérite à les propager dans les provinces lombardes, où l’évêque, entouré d’un petit nombre de clercs, défendait seul contre la tyrannie des ducs les faibles restes de la civilisation chrétienne. Au milieu des périls du septième siècle, l’archevêque de Milan, Benedictus Crispus, avait formé des disciples qu’il instruisait dans les sept arts. Au huitième siècle, Gison de Modène recommandait à ses prêtres de tenir l’école et d’instruire les enfants. En même temps on prouve que l’Église de Lucques avait ses écoles sous le portique même de la cathédrale[5] . L’Italie ne laissait pas périr l’enseignement ecclésiastique, dont elle avait donné le premier exemple. C’est en France qu’il faut le suive dans une lutte de trois cents ans contre le désordre des esprits et la violence des mœurs.

Les écoles épiscopales en France.

Le peu de documents qui nous restent de cette époque suffit cependant pour établir l’existence de vingt écoles épiscopales. En Neustrie, Paris, Chartres, Troyes, le Mans, Lisieux, Beauvais ; en Aquitaine, Poitiers, Bourges, Clermont ; en Bourgogne, Arles, Gap, Vienne, Châlons-sur-Saône ; en Austrasie, Utreclit, Maëstricht, Trèves et Yvois au diocèse de Trèves, Cambrai, Metz et Mouson au diocèse de Reims[6].

Dès les premières années du sixième siècle, bien avant que les chaires des grammairiens et des rhéteurs laïques soient abandonnées, on voit les évêques pourvoir à l’instruction du clergé et du peuple. Saint Césaire d’Arles a des disciples qu’il exerce aux premiers éléments des lettres, pendant que ses leçons de théologie ravissent les moines grecs venus pour l’entendre. Saint Remi se plaint des entreprises de l’évêque Fulco de Tongres sur l’école cléricale de Mouson. Saint Didier de Vienne explique à ses disciples les écrits des poëtes, et ne craint pas de profaner, par les louanges de Jupiter, des lèvres consacrées aux louanges du Christ. Cependant saint Germain fait fleurir l’école de Paris. Le poëte Fortunat décrit la riche basilique élevée par Childebert, portée sur des colonnes de marbre, illuminée de vitraux qui retiennent captifs les rayons du soleil. « Au. fond de l’abside, saint Germain siége entouré de ses prêtres et de ses diacres au blanc vêtement ; guidant les deux chœurs qui répètent les chants de David, gouvernant du regard et du geste, d’un côte les vieillards, de l’autre les jeunes gens. » Ces jeunes gens, recrues du sanctuaire, recevaient du pontife les premières leçons des sciences divines et humaines ; c’est l’, aveu de l’évêque Bertramm, le même que Fortunat félicitait de ses vers pompeux, et qui s’honorait de compter parmi les plus chers élèves du bienheureux Germain. On ne peut se défendre de s’arrêter avec respect à ces humbles origines de l’enseignement public dans une ville qui devait voir, au treizième siècle, des milliers d’étudiants se presser aux pieds de ses docteurs[7].

Les écoles monastiques.

En même temps commençaient les écoles monastiques, et nulle part les monastères n’étaient mieux préparés à devenir l’asile des lettres que dans ce pays des Francs, où l’on avait l’exemple des savantes abbaye~ de Lérins et de Saint-Victor. Les saines traditions de l’enseignement s’y propageaient avec celles de la vie cénobitique. Augendus, abbé de Condat, enseigne à ses disciples les deux langues grecque et latine ; et, quand il meurt en 510, Avitus, de Vienne, s’inquiète du danger qui menace une école si célèbre, et conjure le prêtre Viventiol de la soutenir. Un siècle plus tard, au monastère de Saint-Hilaire de Poitiers, on trouve l’enseignement des arts libéraux poussé à ce-point, que le cours des études y dure sept ans : les deux premières années sont consacrées aux exercices qui ouvrent l’intelligence cinq ans de travail la fécondent, et mettent le disciple en état de s’asseoir parmi les maîtres, L’école de Fontenelle, en Normandie, compte jusqu’à trois cents élèves celles de Saint-Médard de Soissons, de Sithiu, d’Issoire, sont louées comme autant de pépinières d’évêques et de moines savants.

La bibliothèque de Ligugé possédait presque tous les Pères grecs et latins. S’il fallait citer tous les monastères où les lettres furent enseignées au septième siècle, on nommerait Jumiéges, Saint-Taurin d’Évreux, Solignac, Saint-Germain d’Auxerre, Moutier-la-Celle au diocèse de Troyes, Mici, Agaune et dans les provinces du nord, plus rebelles à la culture littéraire, Saint-Vincent de Laon, Saint-Valery, Tholey, Grandval. Les monastères de femmes, fermés à toutes les tentations du dehors, s’ouvraient pour recevoir des maîtres illustres et de précieux manuscrits. Saint Césaire d’Arles avait voulu que ses religieuses donnassent chaque jour deux heures à la lecture et que plusieurs s’appliquassent à copier des livres. Des moines irlandais venaient enseigner la musique sacrée aux vierges cloîtrées de Nivelles et, vers 745, deux pieuses Flamandes du monastère de Valenciennes avaient transcrit un psautier, un évangéliaire et plusieurs autres volumes, qu’elles enrichirent d’or et de pierreries[8].

L’enseignement était donné aux laïques.

L’Église enseignait donc, mais elle enseignait pour tous ; et il ne faut pas croire, comme on l’a trop répété, que la science, confinée dans le sanctuaire ou dans le cloître, se refusait aux laïques. L’évêque de Lisieux, Etherius portait à l’éducation de la jeunesse un intérêt si vif, qu’ayant racheté un clerc condamné à mort, mais qui se disait maître de belles-lettres, il le chargea d’enseigner, lui assura, à cet effet, un revenu en vignes, et lui confia tous les enfants de la cité. D’un autre côté, on voit saint Aicadre, élevé au monastère de Poitiers, rentrer ensuite dans le monde, et attendre plusieurs années avant de s’engager au service des autels[9]. Mais la grande école ecclésiastique et séculière des temps mérovingiens, où l’enseignement public paraît dans toute sa pureté et dans toute son étendue, c’est l’école du palais, dont les titres, longtemps oubliés, ont besoin d’être remis en ordre et en lumière.

L'école du palais. — La chapelle.

La chapelle du palais fut le berceau de l’école. Quand les Francs firent leur entrée dans la Gaule et dans l’Église, ils n’y trouvèrent pas de nom plus vénéré que celui de saint Martin, dont l’apostolat venait de porter le dernier coup au paganisme. La basilique de Tours, où reposaient ses restes, devint le sanctuaire national mais les rois, ne pouvant déplacer le tombeau du saint, voulurent au moins que sa chape, portée à leur suite, fût un signe de bénédiction dans leur palais, de victoire sur le champ de bataille et la chape de saint Martin, gardée dans une châsse portative comme l’arche d’alliance des Hébreux, donna le nom de chapelle à l’oratoire qui la reçut. Le lieu consacré par un dépôt si auguste devait retentir nuit et jour de chants religieux. Les Mérovingiens, ces hommes si violents, aimaient, comme Saül à laisser calmer leur colère au bruit des instruments et des voix. Clovis se faisait envoyer d’Italie un joueur de luth ; Thierri avait retenu auprès de lui le jeune clerc Gallus, dont la voix le ravissait et Gontran interrompait un festin solennel, en priant les évêques assis à sa table de lui chanter le graduel de la messe. Quand les rois avaient tant de passion pour la musique sacrée, on ne s’étonne plus si les jeunes clercs, attachés au service du palais, furent exercés avec soin ; si la chapelle devint une école de chant ecclésiastique, et si elle finit, comme l’école de Saint-Jean de Latran, par embrasser toutes les études qui complétaient l’éducation du clergé. Voilà pourquoi le titre de chef de la chapelle n’est conféré qu’à des hommes savants, souvent à des étrangers ; comme Betharius, ce Romain que la faveur des rois alla chercher à Chartres, où il avait porté les traditions savantes de l’Italie. Il fallait de tels maîtres à des disciples destinées aux plus hautes dignités de l’Église, et dès lors on comprend le décret de Clotaire II, qui réserve au prince le droit de choisir des évêques parmi les clercs.de sa chapelle, « à cause de leur mérite et de leur science[10] . »

Les jeunes nobles recommandés au roi.

Mais cet enseignement religieux, ce noviciat d’évêques n’était pas si sévère, qu’il repoussât la jeunesse laïque attirée au palais par une coutume déjà vieille chez les Germains. Dès le temps. de Tacite, les chefs se faisaient gloire de recevoir dans leur cortége les fils des nobles. Plus tard, on voit les rois, les grands, entourés de jeunes gens que leurs pères avaient recommandés, c’est le terme légal qui désignait la condition de ces enfants élevés sous les yeux de leur protecteur, destinés à devenir ses leudes , ses compagnons d’armes et ses convives. Le palais des fils de Clovis se peuplait ainsi des rejetons des plus illustres familles franques et gallo-romaines, otages de la fidélité de leurs parents, ornement des fêtes royales, candidats privilégiés à tous les grands offices de la cour. Il fallait bien qu’ils y trouvassent une éducation mesurée à la grandeur de leur destinée. C’était peu de savoir brandir la framée, dompter un cheval et forcer une bête fauve, deux exercices où les Francs n’avaient pas d’égaux. Depuis que les rois parlaient latin, faisaient des vers, s’inspiraient des lois romaines pour la rédaction de leurs capitulaires et la perception de leurs impôts, ils aimaient à s’entourer d’hommes lettrés, ils réservaient leur confiance à ceux qui savaient agiter une question ou plaider une cause avec l’abondance éclatante des anciens orateurs gaulois ; et saint Évroult, saint Didier de Cahors, saint Germer, saint Bonnet, saint Hermeland, méritèrent, par leurs progrès dans les lettres, la faveur qui les appela aux charges de conseiller, de trésorier et d’échanson. Les jeunes compagnons du prince, les nourrissons du palais, comme on les appelait, durent arriver à la fortune par le même chemin et s’il convenait de les initier aux lettres divines et humaines, l’école que nous avons vue se former à l’ombre de la chapelle leur donnait des maîtres[11]

L’enseignement du palais était ecclésiastique et laïque.

Tout s’accorde en effet à prouver l’existence de l’école du palais pendant la période mérovingienne, avec un enseignement qui préparait ses disciples, selon leur vocation, à tous les devoirs de la vie religieuse ou de la vie publique. Au sixième siècle, l’Aquitain Aredius est recommandé au très-excellent roi Théodebert pour recevoir l’éducation du palais, et finit par devenir le fondateur de l’abbaye de Saint-Yrier. Le Franc Gogo fait l’admiration de la cour par son courage à braver un buffle, à le frapper entre les deux cornes, autant que par son éloquence, qui ravit les applaudissements de l’école. Au septième siècle, la famille de saint Lambert le confie à l’évêque d’Utrecht, « pour l’initier aux doctrines saintes et aux règles monastiques parmi les élèves du palais. » En même temps, saint Wandrille, admis auprès du roi Dagobert, est formé « à tous les exercices militaires, à toutes les études qui conviennent aux nobles, et à toutes les connaissances profanes. » Au huitième siècle, au moment où Charles Martel donne les évêchés et les abbayes à ses compagnons d’armes, où il semble qu’il n’y ait place au palais d’Austrasie que pour les gens de guerre, on y voit le jeune Chrodegang s’attacher aux lettres avec tant de succès, qu’il parlait la langue latine comme la sienne, et qu’on vantait l’élégance de ses discours. Cependant il n’aspirait encore qu’aux honneurs temporels, et remplit les fonctions de référendaire avant que la vocation divine l’appelât à l’évêché de Metz. Sous Pépin le Bref, l’école du palais nourrit aussi Adalhard et Wala, tous deux de race royale, appelés aux premières dignités de l’Eglise et de l’État, et saint Benoît d’Aniane, le réformateur des institutions monastiques. Ce sont les compagnons d’études de Charlemagne, et ce nom nous avertit que l’école arrivée jusque là, ne peut plus périr.[12] On voudrait maintenant pénétrer dans l’asile que la politique des rois ouvrait ainsi à l’élite de la jeunesse franque, assister aux leçons des maîtres et savoir jusqu’à quel point elles continuaient la tradition romaine. Si l’insuffisance des témoignages ne permet pas d’étudier de près la vie intellectuelle qui anima la cour de Dagobert, on en peut juger par deux hommes capables de représenter tout ce que le septième siècle, un temps si mauvais, pouvait conserver de lumière dans les esprits et de politesse dans les mœurs.

Saint Didier de Cahors..

Le premier est Didier de Cahors, disciple des écoles d’Aquitaine, mais appelé de bonne heure au palais, où il porta toute l’élévation d’une intelligence encore émue de la lecture des poëtes, des orateurs, et des jurisconsultes. Les conseils de sa mère Herchenfréda le suivaient au milieu des périls de la cour et cette femme barbare trouvait des paroles dignes de sainte Monique pour exhorter par lettres « son fils très-doux et très-aimant» à garder la crainte de Dieu, la fidélité au roi, la charité pour ses égaux, et la haine de tout mal. Il avait lié avec les plus intelligents et les meilleurs de ses compagnons un commerce dont on suit les traces dans sa correspondance, et qui n’est pas sans charme. Élevé successivement au gouvernement de Marseille et à l’évêché de Cahors, Didier n’oublia jamais ces premières joies de l’amitié, où les lettres avaient mêlé leur douceur. Il recevait des vers de Sulpice de Bourges, il rappelait à saint Ouen la tendre affection qui les avait tous deux unis à saint Éloi ; il écrivait à Abbon « Que de fois je voudrais si le temps me souriait un peu, aller renouer avec vous de chers entretiens Et, de même que jadis, sous les livrées du siècle et dans la compagnie du prince, nous aimions à nous communiquer nos pensées en échangeant nos tablettes, libres maintenant de toute vanité, nous méditerions ensemble les doux préceptes du Christ » Ces habitudes d’esprit, ce goût du beau, convenaient surtout à un homme du Midi, de race gallo-romaine, qui ne se déut jamais d’un reste d’admiration pour l’antiquité, qui rebâtit les murs et les portes de sa ville épiscopale,. non pas à la manière barbare, mais, selon la remarque de son biographe, avec des pierres larges et polies, selon la coutume des anciens. Il avait aussi élevé beaucoup d’églises et de monastères, et particulièrement un oratoire d’une architecture si merveilleuse, « qu’en entrant dans ce beau lieu on ne pouvait se défendre de tomber en prières, et de se croire en possession du paradis. [13]

Saint Ouen.

Un caractère bien différent éclate dans la personne et les écrits de saint Ouen, de cet ami commun. de saint Didier et de saint Eloi, qui avait coulé avec eux les plus beaux jours de sa jeunesse au palais de Neustrie. Il fallait assurément qu’il y eût trouvé des maîtres capables de l’initier à la langue latine et à la théologie chrétienne, puisqu’il passa sans difficulté et sans études, de la charge de référendaire, au siège archiépiscopal de Rouen. Toutefois on reconnaît l’homme du Nord, le noble Franc, le Germain dompté ; mais plus touché de l’austérité sainte du christianisme que des vanités d’une civilisation vieillie, lorsque, se proposant d’écrire la vie de saint Éloi, il s’excuse de la rudesse de son langage, non plus avec l’humilité de Grégoire de Tours, mais en publiant son mépris pour les vains artifices de l’école, et en foulant aux pieds, pour ainsi dire, toute l’antiquité. « Car, dit-il, son récit pouvait être plus brillant mais il lui plaît de le tempérer de telle sorte que, sans offenser les maîtres par trop de grossièreté, il ne fatigue point les simples en poursuivant les vaines fumées des grammairiens. » Il veut que l’écrivain religieux s’adresse, non pas au petit nombre d’oisifs qui suivent les philosophes, mais au genre humain tout entier. Il déclare haïssable celui qui parle en sophiste, et demande où est l’utilité de ces docteurs, plus occupés de détruire que d’édifier. Et, dans la chaleur de cette invective contre l’éloquence qui finit par le rendre éloquent, il cite au tribunal du Christ tous les poëtes, tous les orateurs, les historiens, les philosophes du paganisme, et les défie de rien apprendre à des chrétiens[14].

Pourquoi saint Ouen se déclare contre les anciens.

Sans doute, il est dur d’entendre ce barbare injurier Virgile, Tite-Live et Cicéron ; mais il faut se rappeler la dureté des temps, la lutte désespérée qui s’engageait entre les traditions romaines restaurées par la politique des Mérovingiens, et le génie germanique, encore tout vivant dans les mœurs, dans les passions du peuple franc. Les évêques commençaient à comprendre que les efforts de la royauté pour restaurer la société ancienne n’aboutiraient qu’à sa ruine. Voilà pourquoi ils se détachaient de cette antiquité qui avait souvent fait l’admiration et les délices de leurs prédécesseurs ; ils s’en défiaient comme d’une lumière incapable de conduire les nations au milieu des périls nouveaux où la Providence les avait poussées. La violence des événements ne laissait plus de loisir aux études spéculatives, à ce culte du beau qui fait oublier l’utile. Les esprits sérieux ne pouvaient chercher dans les lettres qu’un moyen d’agir, non de briller ; d’enlever les convictions, non les applaudissements non de servir au plaisir des hommes, mais de les rappeler à leurs devoirs. Le septième siècle, si décrié, écrivit peut-être autant que le sixième mais il écrivit surtout des sermons et des légendes, c’est-à-dire des ouvrages corrects, destinés à l’édification des ignorants. On n’y trouve plus que de faibles restes de science et de poésie, et les historiens y marquent le moment où la littérature finit. [15]

Commencement d'une littérature nouvelle.

Cependant la véhémence même avec laquelle saint Ouen attaque l’autorité des anciens montre assez qu’ils ont conservé des partisans. On ne combat pas avec cette passion une cause perdue et, lorsque le pieux évêque accable de ses dédains les gens d’écoles, les grammairiens et les sophistes, il proteste au nom du bon sens chrétien contre les vaines controverses, contre l’enseignement mystérieux et la langue philosophique des professeurs de Toulouse. Il n’appartenait pas aux disciples de Virgilius Maro, à des hommes qui poussaient la terreur des barbares jusqu’à se faire tout un idiome nouveau pour n’être point compris, il n’appartenait pas à ces cœurs faibles de garder l’héritage de l’esprit humain. Il fallait des âmes mieux trempées, des motifs plus impérieux, qui fissent. de la conservation des lettres, non plus une satisfaction de vanité, mais une affaire de conscience. C’est précisément parce que l’étude a cessé d’être un jeu d’esprit pour devenir un devoir d’état, parce que la poursuite du bien fait oublier la recherche du beau:c’est dans ce triomphe de’la pensée sur la forme que je vois, non la fin, mais le commencement d’une littérature véritable. Il est vrai que tous les genres littéraires connus des anciens disparaissent, que tous les moules que l’art classique avait modelés se brisent ; mais l’inspiration qui les animait ne s’évanouira pas, elle saura trouver ailleurs des organes et des types nouveaux. Je m’en assure en lisant le prologue d’une Vie de saint Maximin, abbé de Mici, écrit par un moine anonyme du septième siècle, où je retrouve toute la sévérité, et, si l’on veut, toute l’intolérance de saint Ouen ; mais aussi toute la verve d’un homme qui n’est pas disposé à laisser dormir l’esprit humain, et qui, en réprouvant les philosophes au nom de la philosophie.

Prologue de la vie de S. Maximin

« On sait que, parmi les hommes des siècles anciens, plusieurs sectes ont fait profession de sagesse. Mais, entre tous, ceux-là ont paru atteindre le comble de la sagesse, qui ont pénétré dans ce trivium où est contenue la connaissance des choses divines et humaines, je veux dire la physique, l’éthique et la logique, ou pour parler avec les Latins, la science naturelle, morale et rationnelle. Mais c’est la parole de l’Écriture, que les sages de ce monde, n’ayant point connu la sagesse de Dieu, ont péri par leur folie. Car ces esprits bien doués, qui participaient à la raison divine, et qui, par la vivacité de leur intelligence, avaient connu le Créateur, ne l’ont point glorifié comme tel. Ceux-là ne manquent point encore de sectateurs, qui se croient grands en paroles, qui se vantent d’approfondir les vérités découvertes par leurs devanciers, mais qui se montrent enlacés dans les mêmes erreurs.

« Pour nous, qui nous gardons de ces égarements, nous avons une physique véritable dans le récit historique des Écritures, une logique véritable dans les contemplations de la foi, de l’espérance et de la charité, une éthique véritable dans la pratique des préceptes divins. C’est la philosophie que Dieu aima : il en voulut donner le premier type en la personne de Salomon, qui, dans ses trois livres, nous offre de cette philosophie un triple exemple, faisant connaître la nature dans l’Écclésiaste, réglant les mœurs dans les Proverbes, et, par le Cantique des cantiques, nous apprenant à chercher sous les voiles de l’allégorie les secret des choses divines…

« Voulant donc instruire notre siècle et le lieu où nous vivons, le Tout-Puissant a choisi parmi les petits un homme qui ne fût point enflé de la sagesse mondaine, mais brillant de l’éclat des vertus, et il a fait de Maximin un modèle de sagesse ; car, pendant que les disciples de la philosophie païenne portent aux nues leurs maîtres, louant dans Pythagore la connaissance de la nature, dans Socrate la pureté des mœurs, dans Platon la science des choses divines, il serait indigne de la foi chrétienne de laisser celui qui fut notre philosophe dans les ténèbres de l’oubli[16]. »

Toutefois la doctrine commune de l’Église ne fut jamais de répudier la tradition des lettres classiques. A chaque époque, on trouve en présence deux écoles : l’une qui rabaisse l'antiquité, comme Hermias dans ses invectives contre les philosophes du dehors ; l’autre qui la relève, comme Clément d’Alexandrie et saint Basile. La dernière a pour elle le plus grand nombre et les plus grands noms. Saint Jérôme et saint Augustin ne peuvent se défendre de citer Virgile ; peu à peu la quatrième églogue fait absoudre le poëte des amours de Didon, et lui donne rang à la suite des Sibylles et parmi les précurseurs du christianisme. Nous connaissons la pratique de l’Église de Toulouse pour les livres des païens, qu’elle mettait à part, mais qu’elle ne brûlait pas. Si, au septième siècle, la poésie et la science des anciens ne sont pas sans périls pour la Gaule encore travaillée par les souvenirs du paganisme latin, elles ne peuvent rien de malfaisant sur des Irlandais, sur des Anglo-Saxons, à qui elles ne rappellent ni les dieux de leurs pays, ni les moeurs violentes de leurs pères. Et l’Église, qui n’ouvrait que d’une main timide ces pages séduisantes aux enfants des vieilles cités latines, les livrera sans scrupule à ces derniers venus des barbares.

Les lettres en Irlande.

La légende de saint Patrice rapporte qu’après trente ans de prédication, ayant désiré voir le fruit de ses travaux, il fut ravi en esprit, et se crut transporté au sommet d’une montagne d’où l’Irlande lui apparut tout en feu. Ce feu, qu’il avait allumé, était celui de la science autant que de la foi. Disciple de l’abbaye de Marmoutiers, au commencement du cinquième siècle, quand les monastères de la Gaule nourrissaient tant d’hommes savants, Patrice n’avait pas oublié de si grands exemples. En même temps qu’il fondait des églises, il en assurait la perpétuité en ouvrant des écoles : il avait confié celle de Sletty à un barde converti, appelé Fiech ; celled’Armagh, à son disciple Benignus, probablement Gaulois comme lui. Son esprit devait lui survivre dans les grandes colonies monastiques de Clonard, de Lismore, de Bangor. Quelque part que la religion érigeât ses autels, les lettres dressèrent leur chaire à côté. Cette hardiesse chrétienne des Irlandais, qui n’eut jamais peur de trop savoir, se montre bien dans l’histoire de saint Luan, le fondateur de Clonfert. Le jeune Luan gardait ses troupeaux, quand saint Comgali, le demandant à son père, l’emmena au cloître de Bangor, lui fit tracer un alphabet sur l’ardoise, et commença à l’instruire. Or il arriva qu’un jour Comgall vit son disciple aux pieds d’un ange qui lui enseignait les lettres et l’encourageait à l’étude. Et, ayant attendu que l’ange l’eût quitté, il le prit à part, et lui dit « Mon fils, tu as demandé au Seigneur une grâce périlleuse. Car beaucoup ont été trompés par leur science et par leur passion pour les arts libéraux, qui ont fait leur perte. » Luan répondit « Si j’avais la science de Dieu, je n’offenserais jamais Dieu car ceux-là lui désobéissent qui ne le connaissent pas. » Alors Comg. ill, rassuré, le quitta en disant « Mon fils, tu es ferme dans la foi, et la science véritable te mettra dans le droit chemin du ciel[17]. »

Les bibliothèques.

L’histoire de saint Luan est celle de toute l’Irlande. Ce peuple de pâtres, resté pendant tant de siècles hors du commerce intellectuel du monde, veut savoir tout ce qu’il a ignoré. Il se jette avec emportement dans toutes les études, qui commencent à devenir trop vastes pour les sociétés dégénérées du continent. Les livresse multiplient comme les rois ont leurs bardes et leurs généalogistes, chaque monastère a ses scribes, qui propagent les textes. sacrés et profanes. Si quelque dispute religieuse s’élève, on y produit non-seulement les traités des Pères latins, de saint Cyprien, de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Grégoire, mais aussi les écrits des Pères grecs, et, par exemple, les lettres de saint Cyrille. Deux récits légendaires font voir quel respect religieux s’attachait à l’humble travail des copistes. On montrait à Kildare un livre enrichi de peintures, et la tradition voulait qu’un ange fût venu chaque nuit conduire la main de l’écrivain qui les avait tracées. On racontait aussi de saint Colomba, qu’averti de sa mort la veille du jour où Dieu le rappela, il avait passé plusieurs heures à copier un psautier, jusqu’à ce qu’arrivé à la fin d’une page où le trente-troisième psaume s’achevait, il s’arrêta, et légua à l’un de ses disciples le soin d’écrire le reste[18].

Les écoles.

Si c’était une œuvre méritoire et qui ouvrait le ciel, de transcrire les livres d’autrui, c’était une mission toute divine., d’enseigner, d’ouvrir les âmes à la vérité et le même zèle qui enrichissait les bibliothèques des cloîtres irlandais faisait la prospérité de leurs écoles. On y professait la théologie tout entière, telle qu’elle était sortie des grandes controverses de l’arianisme et du pélagianisme ; et les novices du septième siècle étudiaient l’Écriture sainte comme Pierre Lombard et saint Thomas devaient l’interpréter, en y distinguant les quatre sens, littéral, allégorique, moral et anagogique. On peut même dire qu’ils devancèrent la scolastique, en appliquant la subtilité de la logique grecque à la discussion des dogmes chrétiens. C’est le témoignage de saint Benoît d’Aniane, qui cite le dilemme favori des Théologiens d’Irlande sur le mystère de la Trinité ou l’interlocuteur admettait trois substances divines, et il était convaincu d’adorer trois dieux ; ou il les niait, et on prétendait lui prouver qu’il supprimait les trois personnes. Cette passion des disputes religieuses n’arrachait pas les esprits aux sciences profanes. Les sept arts libéraux, l’Encyclopédie de Martianus Capella formaient le cours de l’enseignement. Nulle part les noces de Mercure et de la Philologie ne furent célébrées avec plus d’enthousiasme que sur les bords glacés de cette île, où jamais les muses païennes n’avaient posé les pieds. Il n’y a pas d’anachorète si austère qui ne soit loué dans sa légende d’avoir aimé les lettres. Saint Colomban avait pâli dans l’étude de la grammaire, de la rhétorique, de la géométrie ; saint Fintan excellait dans la dialectique. Enfin, l’honneur national était intéressé à pousser à la dernière perfection les deux arts qui couronnaient tous les autres, la musique et l’astronomie. D’un côté, les Irlandais se trouvaient engagés avec les Bretons dans la question du comput pascal, et cette discussion épineuse supposait la connaissance des principaux cycles astronomiques. Saint Cummian n’en cite pas moins de dix dans la lettre où, justifiant l’usage de Rome, il porte la lumière d’une saine critique à travers le labyrinthe des calendriers anciens. D’un autre côté, rien n’égalait la renommée des bardes d’Érin, et l’habileté de ses joueurs de harpe. Quand les Anglais descendirent pour la première fois, au onzième siècle, sur cette terre où ils devaient porter l’esclavage, leurs archers s’arrêtaient ravis aux accords que les chanteurs du pays tiraient de leurs instruments. On admirait les combinaisons savantes de leur jeu, et la rapidité avec laquelle leur main promenée sur les cordes en faisait jaillir des torrents d’harmonie. L’Église ne devait pas leur ôter des joies si pures:elle les sanctifiait au contraire en mettant la harpe de David dans le sanctuaire, et les psaumes sur les lèvres des prêtres, qui ne se taisaient ni le jour ni la nuit. Les Irlandais excellèrent dans le chant eccfésiastique et c’était parmi eux que les princesses des Francs faisaient chercher des maîtres pour exercer les vierges de leurs monastères à chanter dignement les louanges de Dieu[19] .

Des études déjà si étendues pour des barbares ne suffisaient pourtant pas à l’essor de leurs imaginations. La littérature latine leur laissait apercevoir derrière elle l’antiquité grecque, comme une région plus vaste et plus merveilleuse, où ils brûlaient de s’aventurer. Non qu’il faille répéter que la science et la foi leur vinrent.$de l’Orient trop de témoignages s’accordent à leur faire tirer de Rome toutes leurs lumières. Mais, quand les longues navigations effrayaient si peu quand l’Athénien Egidius venait chercher la solitude dans les Gaules, et le Syrien Eusèbe acheter l’évêché de Paris ; lorsqu’enfin il y avait à Orléans assez de marchands orientaux pour figurer en corps à l’entrée solennelle du roi Gontran, on n’est point surpris de trouver des Grecs en Irlande, et à Trim au comté de Meath, une église connue sous le nom d’église des Grecs. D’ailleurs, les traditions des Irlandais les montrent dans des rapports étroits avec l’Espagne, par conséquent avec la Gaule méridionale, dont plusieurs villes gardèrent longtemps l’idiome et les mœurs de la Grèce. C’était plus qu’il ne fallait pour populariser la langue grecque, ses philosophes et ses poètes, chez les disciples de saint Patrice et de saint Comgall. De là les hellénismes dont ils sèment leurs écrits de là cette passion qui poussera plus tard Scot Érigène, à la suite des métaphysiciens alexandrins, jusqu’aux limites du panthéisme ; de là enfin ces réminiscences d’Homère, qui se confondent avec les traditions nationales.C’est ainsi que le comté d’Ulster se nomme de la sorte, parce qu’Ulysse en toucha les rivages (Ulyssis terra). Ainsi encore, quand saint Brendan s’enfonce, sur les mers de l’Ouest, à la découverte de la terre promise des saints, dans cette fabuleuse navigation de sept ans, il rencontre plus d’une aventure qui rappelle les épisodes de l’Odyssée. Comment oublier, en effet, l’île des Cyclopes, Polyphème, et la pierre lancée sur le vaisseau d’Ulysse ? comment ne pas reconnaître tous les traits de la fable grecque dans cette peinture de l’île des Forgerons, que Brendan et ses compagnons découvrent sur la route ? « Ils virent une île vilaine et très-përilleuse, sans arbres et sans herbe, couverte d’écume de fer, et pleine d’officines de forges. Ils ouïrent le son des soufflets soufflants, ainsi que des tenailles et des maillets contre le fer et les enclumes. Et de l’île sortit un habitant, comme pour parfaire quelque œuvre. Il était hérissé et tout brûlé, de couleur noire. Comme il vit les serviteurs de Dieu passer près du bord, il retourna en son officine. L’homme de Dieu cependant disait à ses frères : « Mes fils, tendez plus haut vos voiles, naviguez tôt, et fuyons cette île. » Quand il eut ainsi dit, revint l’homme d’auparavant au rivage devers eux ; il portait une tenaille dans ses mains, et une masse toute vermeille d’écume de fer, d’extrême grosseur ; laquelle il jeta hâtivement sur les serviteurs de Dieu, et elle ne leur nuisit point, car elle les trépassa comme de l’espace d’un stade, où elle plongea dans la mer et la fumée de la mer monta comme la fumée d’un fourneau[20].

Les moines et les bardes.

C’est le mérite des Irlandais d’avoir su populariser l’antiquité, d’avoir, pour ainsi dire, entrelacé le rameau d’or d’Homère dans la couronne légendaire de leurs saints. Leur poésie religieuse s’inspire de tous les souvenirs, et leurs moines, si passionnés pour les lettres classiques, ne peuvent se détacher des chants de leurs bardes. Et pourquoi s’en détacheraient-ils, puisque saint Patrice trouva parmi les bardes ses deux plus fidèles disciples, puisque Ossian même ne résista pas à la prédication du.saint, et finit par se convertir ? Ainsi l’assurait un vieux récit, selon lequel Ossian, chargé d’années, fatigué de voir Patrice parcourir la contrée avec son cortége psalmodiant, l’aborde un jour, et lui propose de lui conter les actions des anciens rois. Patrice rappelle d’abord le vieillard à de plus sérieuses pensées. Mais enfin, touché de ses larmes, il se rend, et se laisse répéter jusqu’au bout l’histoire de Finn et d’Osgur[21]. Les moines faisaient de même eux aussi se laissaient redire les fables de leurs aïeux: ils en portaient quelquefois les traits dans ces légendes comme celles de saint Brendan et de saint Patrice, que l’Église n’a pas adoptées, mais qui devaient faire le tour de l’Europe.

Les Irlandais imitent les grammairiens de Toulouse.-Hisperica famina.

Mais, en même temps que l’école irlandaise a toute une poésie populaire dans ses légendes, elle cherche à se créer une littérature savante, réservée au petit nombre des initiés, imitée de ces écoles d’Aquitaine dont tout l’effort était de cacher la science pour la sauver. En effet, quand on suit les pèlerins d’Irlande sur le continent, on ne peut méconnaître les préférences qui les rapprochent des Aquitains, soit qu’ils trouvent parmi eux leurs plus zélés disciples et les compagnons de leurs travaux, soit qu’ils aillent, comme saint Fridolin, visiter les sanctuaires de cette province, aussi féconde en saints qu’en grammairiens et en rhéteurs. C’est ainsi que la langue mystérieuse du docteur de Toulouse put traverser la mer et pénétrer dans le cloître de Bangor. Parmi les chants composés pour ce monastère, plusieurs hymnes présentent déjà les caractères d’un art savant qui cherche les difficultés et les ténèbres. Les mots grecs s’y mêlent aux latins, et le poëme en l’honneur de saint Comgall pousse le goût de l’allitération jusqu’à ce point que les dix vers de la première strophe commencent par un A, et les dix vers de la quatrième par un D. Vers le même temps, l’Anglo-Saxon Aldhelm félicite un ami revenu des écoles d’Irlande, et lui écrit dans le langage des adeptes. Enfin, les douze latinités de Virgile l’Asiatique reparaissent chez l’auteur inconnu, mais assurément irlandais, d’un écrit intitulé « Paroles de l’Occident » (Hisperica famina). On y prend sur le fait l’écolier barbare qui se proposa de produire un modèle achevé du genre, et qui crut se montrer grand comme les dieux des anciens, en marchant comme eux entouré de nuages. Il commence par un hommage à ses maîtres « Le vin nouveau de la science, s’écrie-t-il, réveille mon cœur dans la caverne qu’il habite. Mes poumons secouent leur tristesse ; mais je contiens dans les artères de ma poitrine la tempête de ma joie, quand je vois les insignes gardiens de la philosophie qui offrent aux gosiers altérés l’onde pure d’un langage élégant, et qui manient sans crainte les vipères du syllogisme. » Après ce beau début, il invite au combat les athlètes de la palestre littéraire déjà trois lutteurs sont tombés sous ses coups, et il n’a peur de personne, car il connaît, dit-il, les douze idiomes qui divisent la langue d’Ausonie. C’est l’exorde d’une sorte de poëme en prose, où l’auteur décrit le cours ordinaire du jour, les spectacles de la mer et du ciel, enfin les scènes principales de la vie humaine. Au milieu de ce labyrinthe de périphrases, de métaphores, d’obscurités volontaires, l’homme du Nord se trahit cependant plus d’une fois par la nouveauté des images et par la sauvage vérité des mœurs. On surprend bien la barbarie toute nue dans le récit de ces chasses qui forcent le sanglier au fond de son repaire, de ces festins gigantesques qui font plier les tables sous le poids des viandes arrosées d'huile d’Irlande, pendant que les convives s’abreuvent, à larges coupes, de bière et de lait. On reconnaît aussi l’habitant des derniers rivages du monde, accoutumé à contempler des mers sans fin, quand il représente les grandes lames de l’Océan, la marée expirant sur les écueils, les monstres des eaux qui se poursuivent et s’entre-dévorent dans l’abîme, et quand, pour exprimer tout ce qu’il y a d’attrayant et de terrible dans cette vue de l’immensité « Si tous les habitants de l’univers, dit il, pouvaient venir au bord de la mer en considérer les profondeurs, un vertige soudain les précipiterait dans ce cloître de la mort. » Mais toutes les habitudes de la vie savante reparaissent, et tous les raffinements de la grammaire et déjà rhétorique sont mis en œuvre, quand il faut peindre l’école, le réveil du maître et la foule des disciples qui l’entourent : « Considérez la colonie philosophique, voyez de près les princes des lettres. Les uns félicitent le maître qui a goûté un salutaire sommeil dans le cloître de sa poitrine, et qui le goûterait encore, si l’ardeur du rouge Phébus ne fût venue arracher ses paupières aux charmes du repos.-Pourquoi, lui crient les écoliers, viens tu nous assourdir du tonnerre de ta parole, et troubler de tes discours les cavernes de nos oreilles ? Nous avons passé dans la veille et dans l’étude tout le temps que la nuit a sillonné de sa charrue les plaines du ciel. Cependant, tu livrais tes membres aux douceurs du sommeil : voilà pourquoi maintenant tes leçons nous trouvent endormis. » Il faut mettre un terme à ces citations, qui ne peuvent rendre le texte intelligible qu’à condition d’en retrancher la moitié on ne supporterait pas longtemps une telle lecture, si l’on n’était soutenu par un intérêt historique, par le contraste de tant de recherche avec tant de grossièreté, et par la surprise de retrouver tous ces artifices de langage dont le Virgile du septième siècle nous avait livré le secret. Rien n’y manque, ni les constructions renversées, ni les racines grecques défigurées par une désinence latine, ni les termes forgés de toute pièce, ni aucun des procédés qu’imaginèrent les grammairiens effrayés, pour dérober, comme ils disaient, les perles aux pourceaux[22].

Les Irlandais hors de chez eux.- École de Saint-Gall.

Mais ces pourceaux, ces bêtes farouches, ces barbares, qu’on traitait avec tant de mépris, ne se laissaient pas dérober la perle de la science : les écoles d’Irlande étaient à peine ouvertes, qu’on y vit accourir tout l’Occident. En 536, cinquante moines du continent débarquaient à Cork. Au septième siècle, c’était une coutume reçue chez les Francs, après avoir épuisé l’enseignement ordinaire des églises et des monastères, de passer en Irlande : saint Vandrille avait résolu de visiter ce savant pays, et, un peu plus tard, l’évêque Angilbert y séjourna plusieurs années pour étudier les Écritures[23] . A leur tour, les Irlandais, poussés par la vocation toute puissante qui les arrachait de leurs cellules pour les jeter sur les côtes de Flandre, dans les déserts du Jura, et jusqu’au delà des Alpes, y portèrent les lettres avec l’Évangile. Saint Colomban, ce prêtre si austère retrouvait la grâce, l’enjouement, et toute la mythologie des poëtes profanes, pour adresser de petits vers à un ami. Les trois grandes abbayes qui marquèrent le chemin de son apostolat, Luxeuil ; Bobbio et Saint-Gall, donnèrent la science irlandaise autant de chaires, d’où elle se répandit chez les peuples voisins. Nous savons déjà comment le cloître de Luxeuil fut une pépinière de grands évéques ; les leçons qu’ils reçurent nous sont connues par la biographie de saint Agile, qui, formé aux arts libéraux dans ce monastère, y enseigna l’éloquence et la théologie. Bobbio devint le flambeau de l’Italie septentrionale. Le moine Jonas, qui en fut l’historiographe vers 645, écrivait les vies de saint Colomban et de ses premiers disciples dans une langue élégante, poétique, et ne faisait pas difficulté d’entremêler aux citations des livres saints les réminiscences de Tite-Live et de Virgile. Mais rien ne devait égaler la gloire littéraire de Saint-Gall. Les Irlandais, comme parle un contemporain, ne cessèrent de peupler ce nid d’aigles que leur intrépide compatriote leur avait fait dans la montagne. Des moines de la même nation secondent les efforts d’Othmar, qui, au temps de Charles Martel, relève l’abbaye de sa passagère décadence. La bibliothèque conserva longtemps les livres copiés de leurs mains on y remarquait Virgile et son commentaire, les poésies sacrées de Juvencus et de Sedulius, la métrique de Bède et l’arithmétique de Boëce. Plus tard, un évêque d’Irlande, appelé Marx, et son neveu Moengall, revenant de visiter les saints lieux de Rome, s’arrêtent aux portes de Saint-Gall, congédient leurs serviteurs avec leur chevaux, et, ne gardant que les vases sacrés et les livres, font vœu d’achever leurs jours dans la solitude. Moengall, chargé de l’école du cloître, y porte les habitudes savantes de sa patrie : la langue grecque s’introduit dans l’enseignement les hymnes de Saint-Gall, comme celles de Bangor, se hérissent d’héllénismes ; les discussions grammaticales sont poussées à un degré de subtilité que les docteurs aquitains ne désavoueraient pas. Mais, en même temps, la passion des études saines, et l’inspiration véritable, se font jour chez les disciples de Moengall. C’est Ratpert le poëte, si fidèle à ses livres, qu’il n’usait qu’une paire de chaussures chaque année, et si épris des anciens, qu’il opinait au chapitre en vers de Virgile. C’est le théologien Notker, auteur d’un traité sur les commentateurs de la Bible, qui atteste une lecture immense, et rival d’Horace au jugement des contemporains, pour la beauté de ses chants populaires et de ses séquences. C’est Totilo, musicien, peintre, ciseleur, qui ravissait tous les cœurs quand il exécutait sur la harpe des chants de sa composition. Toutes les églises de la France orientale se disputaient ses ouvrages. Tandis qu’il ciselait une Vierge pour la cathédrale de Metz, on raconte que deux pèlerins lui demandèrent l’aumône et, l’ayant reçue, ils s’adressèrent à un clerc qui les avait introduits : « Est-ce donc sa sœur, lui dirent-ils, cette noble et belle dame qui se tient à ses côtés, lui présentant le compas, et lui montrant ce qu’il doit faire ?  » Or c’était la mère de Dieu qui venait aider son ouvrier. À cette gracieuse légende, je reconnais bien l’imagination des Irlandais, comme je trouve la trace de leur passage dans ce culte de la musique, dont Saint Gall conserva la tradition. L’Irlande avait porté là sa harpe, emblème de son génie, que cette nation opprimée garde encore dans l’écusson de ses armes symbole de la parole chrétienne, qui doit finir par vaincre les barbares de tous les siècles, mais en les charmant[24].

Toutefois saint Colomban et ses compatriotes n’avaient pas reçu la mission d’achever seuls l’éducation des barbares : nous connaissons déjà le peuple qui leur donna d’abord des disciples, et plus tard des rivaux.

Les lettres chez les Anglo-Saxons.-Ecole de Cantorbéry.

Les Anglo-Saxons s’étaient instruits à trois écoles l’Italie, la Gaule et l’Irlande. Vers 656, le roi Sigebert d’Estanglie revenait des Gaules, où il avait cherché un asile contre la haine de son frère Redwald. Rentré en possession du royaume paternel, il y voulut introduire, premièrement le christianisme, et, en second lieu, des écoles à l’exemple de celles qu’il avait admirées chez les Francs. L’archevêque de Cantorbéry, Félix, le soutint dans ce pieux dessein, et lui donna des maîtres selon l’usage en vigueur au pays de Kent. Ainsi, le pays de Kent, évangélisé par des Romains, avait déjà reçu d’eux le bienfait de l’enseignement public, qu’un autre envoyé de Rome devait étendre à toute l’Angleterre. En 668, un Grec de Tarse en Cilicie, nommé Théodore, versé dans les lettres sacrées et profanes, venait d’être élevé par le pape Vitalien au siège de Cantorbéry. Il arriva d’Italie, accompagné du moine Adrien, dont on vantait le savoir. Il parcourut les sept royaumes anglo-saxons, faisant reconnaître son autorité métropolitaine, rétablissant la discipline, et gagnant tous les esprits par l’éloquence de ses discours. Puis, ayant rassemblé dans sa ville archiépiscopale un grand nombre de jeunes cleres, lui-même ; leur enseignait la métrique, l’astronomie, l’arithmétique, la musique et l’Écriture sainte, avec un tel succès, que, trente ans après, plusieurs de ses disciples parlaient encore le grec et le latin aussi facilement que leur langue maternelle. Cependant l’enseignement de Théodore et d’Adrien ne suffisait pas à l’ardeur de la jeunesse anglo-saxonne : il fallait des flottes entières pour conduire en Irlande la multitude de ceux qui allaient y chercher des maîtres, bravant les ennuis et les dangers de l’exil. L’hospitalité des monastères leur donnait du pain, des livres, des leçons ; mais les épidémies les enlevaient par centaines, sans décourager leurs compagnons et leurs successeurs. On raconte que le jeune Egbert, voyant mourir ses condisciples, se prit à pleurer, pria Dieu de lui laisser le temps d’expier ses péchés dans ce monde, et fit vœu, s’il échappait au péril, de passer le reste de sa vie sur la terre étrangère, pour s’instruire et pour enseigner[25].

Adhelm.-Latinité philosophique.

Une nation bien douée, toute pénétrée du souffle poétique qui lui inspirait des chants capables de rivaliser avec les plus beaux fragments de l’Edda, ne pouvait subir inutilement une culture si opiniâtre et si profonde. Le septième siècle n’est pas fini, et déjà, parmi les disciples d’Adrien, paraît Adhelm qui égale ses maîtres en savoir, et les dépasse en hardiesse. Aldhelm a encore tous les traits du génie anglo-saxon. Issu de la maison royale de Wessex, il conserve la fougue du sang barbare, l’amour de son pays, le culte des traditions nationales. Dans sa jeunesse, il excellait à composer des hymnes en langue vulgaire, à la manière des chanteurs ambulants ; et, se tenant sur la porte au sortir de l’église, il attroupait la multitude pour l’instruire. Mais il a aussi la docilité de sa nation. Devenu successivement maître de l’école monastique de Malmsbury, abbé, évéque de Sherburn, il ne devait point mourir sans avoir visité Rome et, séduit par les muses latines, il nourrissait l’ambition de les introduire et de les fixer dans sa froide patrie. C’est l’objet de son traité de versification, l’un des plus complets qui nous soient parvenus, où il recueille jusqu’aux plus minutieux détails de la prosodie classique. En même temps que le précepte, il donne l’exemple dans son poëme de la Virginité. Les beaux vers n’y manquent point, et la muse chrétienne y trouve des cris éloquents lorsqu’il s’agit de célébrer la chute du paganisme et les dieux impuissants à sauver leurs autels. Mais toutes les habitudes de la poésie du Nord s’y font jour, l’allitération, la témérité des métaphores, le luxe des périphrases. Aldhelm excelle aux jeux d’esprit ; les acrostiches font son triomphe, et l’obscurité de ses énigmes peut défier tous les Œdipes du Nord. Cependant, au moment où l'on croit avoir affaire à la barbarie toute seule, ce sont les raffinements de la décadence qu’on retrouve, et les mots grecs dont le poëte charge ses vers montrent déjà le disciple de ces écoles où l’on faisait profession d’écrire pour le petit nombre des initiés[26] (1). Il achève de se découvrir dans une lettre adressée à son ami Eadfrid, qui vient d’étudier en Irlande, et qu’il félicite de manière à faire voir que l’Angleterre n’a rien à envier aux savants maîtres de l’île voisine. L’épître, écrite en style philosophique, comme on disait, semée d’hellénismes, débute par une phrase dont le mérite échappe à la traduction : les quinze premiers mots commencent par un P. « Avant tout, et selon l’honneur qui est dû aux princes et à ceux qui gouvernent, Aldhcim célèbre d’abord le Créateur de l’univers, lui dédiant ses poëmes et ses discours. » Il lui rend grâces d’avoir ramené Eadfrid de la brumeuse Irlande, où ce savantjeune homme passa trois fois deux ans, suspendu aux mamelles de la Philosophie. « Car, dit-il, telle est la renommée des Irlandais ; et l’opinion qu’on a de leur science s’est répandue a ce point, qu’on voit passer et repasser sans cesse ceux qui vont visiter ce pays, ou en reviennent. Pareils à des essaims d’abeilles qui composent leur nectar, et qui, au moment où l’ombre de la nuit se retire, vont se poser sur les fleurs des tilleuls, pour revenir à la ruche chargées de leur fardeau jaunissant ; ainsi la foule des lecteurs avides va recueillir, non-seulement les six arts de la grammaire et de la géométrie, sans compter la science physique, mais aussi les quatre sens de l’Écriture, avec l’interprétation allégorique et tropologique de ses oracles. » Il s’étonne de ce concours d’écoliers qui mettent en mer des flottes entières « comme si, sur cette terre verte et féconde d’Angleterre, les maîtres grecs et romains nous manquaient pour expliquer, à ceux qui veulent savoir, les obscures questions de l’Écriture divine. Car, bien que le ciel d’Irlande ait de brillantes étoiles, la Bretagne, aux extrémités de l’Occident, a son soleil aussi en la personne de Théodore, honoré des bandelettes de l’épiscopat, nourri dès l’enfance de la fleur de la philosophie ; et sa lune bienfaisante, en la personne d’Adrien, doué de tous les agréments d’une urbanité inexprimable. Il faut voir comment le bienheureux pontife Théodore, entouré d’une troupe de disciples irlandais, tel qu’un sanglier furieux enveloppé d’une meute de chiens qui montrent les dents, les repousse comme à coups de boutoir, par son habileté dans la grammaire et par la pluie serrée de ses syllogismes[27]. » Il finit en priant son ami de ne pas croire que, pour louer ses compatriotes, il ait voulu dénigrer les savants irlandais. Mais il lui jette un dernier défi dans une phrase inintelligible, et ces mots obscurs répandent précisément une lumière inattendue sur l’histoire littéraire des Anglo-Saxons. J’y reconnais une citation de Glengus, contemporain du faux Virgile, de même que, parmi les écrivains nommés dans la métrique d’Aldhelm, je retrouve quelques-uns des maîtres qui faisaient autorité chez les grammairiens aquitains. Ainsi la doctrine secrète des écoles de Toulouse avait passé deux fois la mer. Les Irlandais la communiquaient aux Anglo-Saxons ; elle plaisait à ces esprits mal dégagés des brouillards du Nord. Édelwald, disciple favori d’Aldhelm, ne croit pouvoir mieux témoigner de sa docilité qu’en remerciant, dans cette langue des initiés, le maître qui lui ouvrit les plus secrètes profondeurs de l’étude, et lui dévoila des mystères réservés au petit nombre. Saint Boniface mêmene se défiait pas de cette faiblesse ; et, lorsque, dans les premières années de son apostolat, il écrit à ses amis d’Angleterre, l’ancien maître de grammaire se fait reconnaître aux hellénismes dont il croit enrichir son style. Des exemples si beaux ne laisseront pas dormir en repos les générations suivantes, et, les élèves surpassant leurs maîtres, nous trouverons des poëmes écrits en trois langues entremêlées grec, latin et anglo-saxon[28].

Bède.

Mais, sous ces misérables enveloppes dont on avait couvert la science comme une momie au tombeau, la chaleur se ranime, et les premiers signes d’une nouvelle vie se font reconnaître au moment où paraît le vénérable Bède. Lorsque Aldhelm mourut en 709, Bède était en âge de lui succéder. Consacré à Dieu dès l’enfance, il avait grandi dans le cloître de Jarrow, succursale de l’abbaye de Wearmouth, sous la conduite de Benoît Biscop, de ce voyageur infatigable qui fit cinq fois le pèlerinage de Rome, et en revint avec un nombre infini de livres, des images pour décorer les églises de son pays, et des chantres pour y introduire la liturgie de saint Grégoire. Toute l’antiquité ecclésiastique respirait dans cette savante abbaye, dans cette église revêtue de peintures symboliques, à la manière des basiliques romaines. C’est là que Bède ensevelit sa vie, « trouvant, dit-il, une grande douceur à ne jamais cesser d’apprendre, d’enseigner et d’écrire. » Sans sortir de sa cellule, il avait parcouru le cercle entier des connaissances de son temps comment aurait-il ignoré les travaux des grammairiens aquitains ? Il cite en effet le faux Horace, et emprunte un passage au faux Virgile. Mais, avec la supériorité du bon sens, qui est le maître des études comme des affaires, il avait dédaigné les subtiles distinctions des douze latinités, et, écartant la foule de ces modernes parés de noms classiques, c’était aux anciens qu’il avait demandé des leçons. Il avait appris des Pères de l’Église à porter la lumière dans les obscurités de la Bible, dont il composa un commentaire complet. En même temps, il ne se contentait pas d’écrire des traités d’Orthographe, de Métrique, de Comput, où il faisait preuve d’une lecture immense et d’une excellente critique ; il sortait des limites ordinaires de l’enseignement, il dépassait les anciens, et portait dans la science une nouveauté de vues qui est déjà d’un moderne. C’est ainsi que son traité de la Nature des choses, en résumant la cosmographie de Pline et de Ptolémée, écarte les rêveries des astrologues, et que ses conjectures sur la cause des marées semblent devancer Newton. C’est ainsi que, dans ses deux livres des Figures et des Tropes de l’Écriture sainte, il trace l’ébauche d’une rhétorique sacrée, et retrouve chez les prophètes tous ces ornements du langage dont les Grecs s’étaient dits les inventeurs. Mais c’est surtout le caractère de son Histoire ecclésiastique de la nation anglaise. En ne promettant que l’histoire de l’Église, il fait celle des rois et des peuples. Au scrupule qu’il porte dans le choix des témoignages et des documents, il ne semble chercher que la vérité et cependant il trouve la poésie dans ces récits naïfs, où respire tout le génie d’une nation jeune, guerrière et chrétienne. Cet écrivain fécond était aussi un maître infatigable. Au fond de sa solitude de Jarrow, on le voit entouré de disciples il les instruisait avec tant de persévérance, que les douleurs de sa dernière maladie n’interrompirent pas ses leçons de chaque jour. Je ne sais rien.de plus attachant, ni qui fasse mieux revivre les mœurs littéraires des cloîtres anglo-saxons, que les derniers moments de Bède racontés par son élève Cuthbert ?

« Dans ces jours-là, Bède commença deux ouvrages une traduction de l’Évangile selon saint Jean dans notre langue, pour l’utilité de l’Église de Dieu, et quelques extraits d’Isidore, évêque de Séville ; « car, disait-il, je ne veux pas que mes enfants lisent des erreurs, ni qu’après ma mort ils se livrent à des travaux sans fruits. » Le troisième jour avant l’Ascension, il se trouva beaucoup plus mal. Il continua néanmoins de dicter gaiement, et quelquefois il ajoutait : « Hâtez-vous d’apprendre, car je ne sais combien de temps je resterai avec vous, ni si mon Créateur ne m’appellera pas bientôt. » Le jour de la fête, aux premières lueurs du matin, il ordonna qu’on se hâtât d’écrire ce qu’on avait commencé, et nous travaillâmes jusqu’à l’heure de tierce. Depuis tierce, nous fûmes avec les autres religieux, comme l’exigeait la solennité. Mais un d’entre nous resta auprès de lui, et lui dit alors : « Il manque un chapitre au livre que vous avez dicté ; et il me semble difficile de vous faire parier davantage. » Bède répondit « Je le puis encore ; prends ta plume, taille-la, et écris promptement. » Et l’autre obéit. A l’heure de none, il envoya chercher les prêtres du monastère, et leur distribua quelques objets du prix, de l’encens, des épices, qu’il avait dans sa cassette, et il leur fit ses adieux, suppliant chacun d’eux de prier pour lui. Il passa ainsi le dernier jour jusqu’au soir. Et le disciple dont j’ai parlé lui dit encore: « Mon maître bien-aimé, il reste un verset qui n’est point écrit. Écris-le donc promptement, » répondit-il. Et le jeune homme ayant fini en quelques minutes, s’écria: « Tout est consommé. » Et lui: «Tu l’as dit, répliqua-t-il, tout est consommé. Prends ma tête dans tes mains, et tourne-moi car j’ai beaucoup de consolation à me tourner vers le lieu saint où je priais » Et, ainsi posé sur le pavé de sa cellule, il se mit à dire: Gloria Patri, avec ce qui suit ; et, comme il achevait, il rendit le dernier soupir[29]. »


L’enseignement des Anglo-Saxons hors de chez eux. Fulde.

L’enseignement de Bède ne mourut pas avec lui. Ce maître judicieux convenait, à un peuple doué surtout du sens pratique. Il fut pour l’Angleterre ce qu’avaient été pour l’Italie et l’Espagne Cassiodore et Isidore de Séville ; il recueillit avec discernement l’héritage de la science, et le transmit avec autorité. Ses leçons devaient exercer un prosélytisme facile, non-seulement dans l’Église, qui le rangea parmi ses docteurs, mais dans la société laïque, lorsque les fils des nobles partageaient les études des clercs, lorsque les rois n’arrivaient au trône qu’après avoir sué sang et eau, comme les moines, dans les arides chemins du Trivium et du Quadrivium. Aldhelm avait dédié sa métrique au roi de Northumberland. En lui rappelant les longues années où tous deux étudiaient ensemble sous la conduite du même évoque, il lui faisait un devoir de lire d’un bout à l’autre ce volumineux traité de versification latine, déclarant qu’ayant pris la peine de pétrir le pain, il trouverait mauvais que

ancien condisciple refusât de le manger. Bède adressait son Histoire ecclésiastiquedes Anglais au roi Ceolwulf, pour la lire, la méditer, et la répandre parmi les peuples de son obéissance. Mais ses écrits allèrent plus loin ils passèrent sur le continent, et les missionnaires anglo-saxons, exilés dans les forêts de la Hesse et de la Thuringe, se faisaient envoyer les livres de Bède pour la consolation de leur pèlerinage. En effet, ces pieux étrangers, qui avaient renoncé à la paix de leurs couvents, qui avaient brisé toutes les attaches dé la nature pour aller vivre parmi les barbares, ne s’étaient jamais détachés des plaisirs de l’esprit. Saint Boniface, au milieu de ses fatigues, trouvait le temps de corriger les vers de ses disciples, et de composer son poëme des Vertus. En fondant l’abbaye de Fulde au cœur de la Germanie, il voulait que la science y eût place au foyer et dans la lettre où, pressentant sa fin prochaine, il demandait la protection de Fulrad, abbé de Saint-Denis, pour ses missionnaires perdus sur la frontière des païens, il lui recommandait aussi ses moines, voués à l’étude dès l’enfance. Les colonies anglosaxonnes se multiplièrent elles poursuivirent au huitième siècle la mission commencée au septième par les pèlerins Irlandais elles continuèrent la tradition des lettres et l’éducation des Francs. Au bout de cent ans, Fulde était l'école, non de la Germanie seulement, mais de tout l’empire carlovingien. On y professait, comme à Saint-Gal, toutes les sciences, tous les arts, toutes les industries qui font l’ornement de la civilisation. Pendant que les défrichements, poussés avec vigueur, éclaircissaient la forêt vierge, et que les belles fermes de l’abbaye réduisaient en pratique les règles de l’agriculture romaine, il y avait des fonds affectés à tous les ouvrages de pierre, de bois et de métal ; et le trésorier veillait à ce que les ateliers. de sculpture, de ciselure, d’orfèvrerie, ne fussent jamais vides. Une inscription en vers, tracée sur la porte de la salle où travaillaient les copistes, les exhortait à multiplier les livres, en prenant garde de s’attacher à des textes corrects, et de ne pas les altérer par des interpolations frivoles. L’enseignement littéraire avait pris cet essor vigoureux, cette subtilité philosophique, cette passion de la controverse, qu’on n’attend guère qu’au douzième siècle. Le moine Probus professait pour Virgile et Cicéron un culte si religieux, qu’on l’accusait, en riant, de les ranger au nombre des saint. On étudiait l’introduction de Porphyre aux Catégories d’Aristote avec tant d’acharnement, qu’on disputait si les genres et les espèces dont traitait le philosophe étaient des noms ou des choses ; et les controverses de Fulde remuaient déjà le problème qui devait mettre aux prises, pendant trois cents ans, les réalistes et les nominaux. Sans doute l’école anglo-saxonne ne se défit pas tout d’un coup des habitudes qu’Aldhelm et ses contemporains avaient héritées des rhéteurs d’Aquitaine. Ainsi les religieux de Fulde échangèrent leurs noms germaniques contre des noms latins plus doux à leurs oreilles ; et comme Willibrod s’était appelé Clémens, et WInfried Boniface, trois moines du neuvième siècle, Hatto, Brunn et Rechi, se font nommer Bonosus, Candidus et Modestus. Ainsi encore Rhabanus Maurus pousse aux derniers raffinements l’art des acrostiches dans son livre des Louanges de la Croix. Cependant cet écrivain laborieux, qui traita de toutes choses, peut être considéré comme la maître de l’Allemagne. En même temps que lui, Fulde nourrissait Loup de Ferrières, qui appartient à la France, dont la vie se passe à débattre des questions de grammaire et de prosodie, à faire venir des livres d’Angleterre et d’Italie, et qu’on prendrait à la lecture de ses écrits pour un bel esprit de la renaissance, venu six siècles trop tôt, si nous ne commencions à soupçonner qu’il n’y eut jamais de renaissance pour les lettres, qui ne moururent jamais[30].

Ce qu’il faut penser des siècles barbares.

Toutefois, en nous engageant dans les recherches dont la nouveauté nous attirait, mais dont nous connaissions le péril, nous n’avons jamais voulu nier la barbarie du sixième, du septième, du huitième siècle. Tout ce que les historiens rapportent de cet âge violent, des crimes qui l’ensanglantèrent, des désordres qui menacèrent le monde d’une nuit éternelle, il faut le croire bien plus, il y faut ajouter. Jamais leurs récits ne purent atteindre tout ce qu’il y eut de tyrannies ignorées, de spoliations impunies, de ruines sans vengeurs, d’un bout à l’autre de ces riches provinces de l’empire, livrées à des peuples qui mettaient le droit dans la force. Mais, si l’on doit croire les historiens, quand ils affirment, parce qu’on trouve en eux des témoins graves et compétents, il est permis de douter quand ils nient, et quand ils déclarent que les lettres ne sont plus. Il est permis de douter, parce qu’un témoignage négatif ne prouve point ; parce que ces hommes sincères, mais mal servis, purent beaucoup ignorer ; parce qu’enfin il y a des juges sévères ~qu’il ne faut jamais prendre au mot lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes et de leur temps. En présence de tant de déchirements et de tant de crimes, Grégoire de Tours, Frédégaire et ses continuateurs, avaient autre chose à faire que d’étudier une à une les humbles écoles de la Gaule, de l’Irlande et de l’Angleterre excusons-les, lorsque les nuages étaient si sombres, d’avoir désespéré de la lumière, et d’avoir pris la tempête pour la nuit.

  1. Vita S. Hermenlandi (mort en 720) « Litterarum eruditoribus sui profectus gratia imbuendus... traditus fuit, quibus prae cunctis coevis sodalibus ad plenum eruditus... Ita ut in scholis probitate animi sacratus, praefugens puer admirabilis omnibus haberetur. »
    Vita S. Landeberti (mort vers 708) « A prima cetate tradidit eum (pater) ad viros sapientes et storicos ».
    Vita S. Boniti (mort en 709). Nous avons cité le passage qui atteste l’existence de l’école de Clermont.
  2. Les savantes recherches du père Marchi et les fouilles qu’il dirigeait depuis huit ans aux catacombes de Sainte-Agnès ont fixé l’époque, la destination, les règles de ces ouvrages souterrains incomplètement expliqués par les travaux de Bosio, de d’Agincourt, de Boldetti, et que M.Raoul-Rochette, dans un livre excellent, avait recommandes à toute l’attention des archéologues. Concilium Vaisionense II, c I « Placuit ut omnes presbyteri, qui sunt in parochiis constituti secundum consuetudinem, quam per totam Italiam satis salubriter teneri cognovimus, juniores lectores. secum in domo ubi ipsi habitare videntur, recipiant, x etc. » Concil. Turonense II, ch. XII; Concil. Toletanum, II, 1; Cleveshovense, II, 7; Concil. Constantinop. general, VI, canon 5.
  3. Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, t. V, lib. II, cap. II, a réfute péremptoirement les accusations portées par Brucker contre la mémoire de S. Grégoire le Grand. Les plus graves et les plus anciennes ne reposent que sur le témoignage de Jean de Salisbury au douzième siècle, et sur une allégation d’un édit de Louis XI. Il est plus juste de s’en rapporter au biographe de S. Grégoire, Jean Diacre, qui du moins écrivait à Rome, et deux cents ans avant Jean de Salisbury.
    Johann. Diacon., in vita Grégorii cap. II « Disciplinis vero liberalibus, hoc est grammatica, rhetorica, dialectica, ita a puero est institutus, ut quamvis eo tempore florerent adhuc Ronm studia litterarum, tamen nulli in hac urbe secundus putaretur. » Id., ibid., 12, 15 « Nullus pontifici famulantium a minime usque ad maximum barbarum quolibet in sermone vel habitu prœ se ferebat. Sed togata Quiritum more seu trabeata latinitas secum Latium in ipso latiali paltio singluriter obtinebat. Refloruerant ibi diversarum artium studia, » etc.
    Quant aux mathematici que S. Grégoire bannit de Rome, c’est le nom sous lequel toute l’antiquité désignait les astrologues, et Grégoire ne fit que renouveler contre eux les mesures des empereurs. Johann. Diac., Il, cap. vi « Scholam quoque cantorum, qua : hactenus eisdem constitutionibus in sancta Romana Ecclesia modulatur constituit ; eique cum nonnullis prœdiis duo habitacula, scilicet alterum sub Lateranensii patriarchii domibus fabricavit, ubi usque hodie tectus ejus in quo recubans modulabatur, et flagellum ipsius quo pueris minabatur, veneratione congrua, cum authentico antiphonario reservatur. » Cf. Anastase Bibtioth., In Sergio I; id. In Sergio II:« Eum scholae cantorum ad erudiendum tradidit (Léo III) communibus litteris.
  4. Regula S. Benedicti : « In Quadragesima : diebus a mane usque ad tertiam lectioni vacent. In quibus diebus accipient omnes singuli codices de bibliotheca, quos per ordinem ex integro legant.» Petri Diaconi de Ortu et obitu justorum caenobii Casinensis, apud Mai, t. VI Script. V. Nova collectio, p. 246. In vita S Mauri : « Silentio vero ac lectioni ita vacabat, ut pro hoc ipsi etiam sanctissimo Benedicto mirabilis videretur. » Cf. ibid. Vita S.. Placidi, Vita Speciosi, Vita S. Severini episcopi. « Casiniensis arcis sublimitas tanto olim culmine viguit, ut romani celsitudo imperii philosophicis studiis illum in aevum dicaret. Hanc M. T. Varro omnium Romanorum doctissimus incoluit, » etc. Idem, de Viris illustri. Casiniens.: « Marcus, in Scripturis apprime eruditus, de adventu S. Benedicti, situ loci, etc., elegantissimos versus composuit.»
    Cf. Vita S. Fulgentii, citat. ap. Mabillon, An. SS.O. S. B., l, p. 41 : « Sic laborem et lectionem omnibus commendabat, ut laborantes fratres qui lectionis studium non habebant, minus diligeret, nec magno honore dignos judicaret : contra, studiosos, sed laborare non valentes, summopere amaret.»
  5. Tiraboschi a cité après Muratori (Antiquitat. Italic./II, 487) l’acte de Gison, évêque de Modène, conférant à l’archiprêtre Victor la paroisse de S. Pierre in Siculo, en lui enjoignant d’être assidu «in clerici congregandis, schola habenda, et pueris educandis. » Mais Tiraboschi n’a point connu les témoignages suivants S. Benedicti Crispi Mediolanensis Poematium medicum,apud Mai, Auct. class., t. V, p. 391), Praefatio ad Maurum Mantuensem : «Quia te, clarissime Maure, pene ab ipsis cunabulis educavi, et septiformis facundia liberalitate ditavi. »
    Je dois au savant abbé Barzocchini de Lucques quelques indications tirées des diplômes qui enrichissaient les archives de la cathédrale, et qu’une critique éclairée a récemment mis au jour. Diplôme de l’an 737 « Signum manus Tendualdi magistri. »
    Id., 748 « Signa manus Deus dede V. V. presb. magistro sch. testis. »
    Id., 767 « Propter porticalem ejusdem basilicae ubi est schola. »
  6. Les témoignages se trouvent réunis au tome III de l’Histoire littéraire de France, p. 417. Cf. Joly, Traité historique des écoles épiscopales, p. 184 et suiv. Pour Clermont, Vita S. Boniti ; Troyes, Vita S. Frodoberti; Chartres, Vita S. Betharii  ; Utrecht, Vita S.Landeberti  ; Poitiers, Vita S. Leodegarii ; Lisieux, Gregor. Turon., Hist., VI, 36, etc.
  7. Epistola Remigii ad Fulconem ep. apud Duchesne. En ce qui concerne S. Césaire, Vita S. Egidii, Epistola Floriati ad Nicetium : « Ipse mihi latinis elementis imposuit alphabetum. » Epistola S. Gregorii ad Desiderium episcopum (Lib II, 54). Saint Grégoire trouve mauvais que Didier enseigne la grammaire, et que les mêmes lèvres répètent les louanges de Jupiter Quia in uno se ore cum Jovis laudibus, Christi laudes non capiunt. » Ce passage prouve que l’enseignement de la grammaire, tel qu’il se continuait it dans les écoles épiscopales, comprenait la lecture et l’interprétation des poètes. Il n’en faut pas conclure que S. Grégoire se déclarait l’ennemi des lettres car il pouvait penser qu’en présence des désordres qui déshonoraient l'Eglise des Gaules, à la fin du sixième siècle, un évêque avait des devoirs plus pressants que d’expliquer Ovide ou Virgile. Ses paroles n'ont rien qu’on ne voie dans une lettre de S. Grégoire de Nazianze, cet élève si savant et si poli des écoles d’Athènes, à son ami S. Grégoire de Nysse (Gregorii Nazianzeni Epist. 50). Fortunat, Carmin., lib. II, 8 :

    In medio Germanus adcst, antistes honore,
    Qui regit hinc juvenes,subrigit inde senes.

    Rapprochez de ce texte le testament de l'’éveque Bertramm rapporté par Duboulay, Hist. universit. t.I, 35 « Ille (Germanus) me dulcissime enutrivit, et in sua sancta oratione ad sacerdotii honorem perduxit. »

  8. Histoire littéraire de France, t. III, p. 428 et suiv. Joly, Traités historiques des écoles épiscopales, etc. Mabillon, A. SS. 0. S. B., t. 1, p. 25 ; ibid., p. 480. Vita S. Aicadri (mort en 687), ap. Mabillon, A. SS. 0. S. B.,II, 954 « Post ablactationem pueri, summa cum diligentia tradiderunt (parentes) illum ad erudiendum cuidam viro sapientia famosissimo, nomine Ansfrido, praedictae civitatis ex monasterio S. Hilarii cœnobitae ... Erat itaque infans decennatis, quando resedit in scholari primo geniculo. Dein biennio discens ea quae a magistro petierat, florere jam cœpit. et post, de virtute in virtutem transiens, quinquennio transacto, visum illi fuit magistrum fore, et inter primorës conscholasticos residere. » On étudiait aussi à l’école de Poitiers les principes du droit canonique. Vita S. Aicadri « Quia idem vir Aicadrus liberalibns studiis adplene erat eruditus, canones etiam non ignorabat. »
  9. Gregor. Turon., VI, 56 « Igitur, postquam (elerieus) vitae donatus est, profert se litterarum esse doctorem. promittens sacerdoti, quod, si ei pueros denegaret, perfectos eos in litteris redderet. Gavisus auditu, sacerdos pueros civitatis colligit, ipsique delegat ad docendum, » etc. Cf. Vita S. Aicadri, ubi supra. L’écrivain de la vision de S. Baronius se déclare l’élève de Francard, abbé de Lourey, qu’il appelle « nutritor et doctor filiarum nobilium.»
  10. C’est au père Pitra, bénédictin (Histoire de S. Léger, chapitres II et III), qu’appartient le mérite d’avoir prouvé l’existence de l’école du palais sous les rois mérovingiens, déjà indiquée par les savants auteurs de l’Histoire littéraire, t. III. Le seul travail qui me restait à faire était de porter une méthode peut-être plus rigoureuse dans le choix et l’ordonnance des preuves déjà produites, et de produire des preuves nouvelles. Sur l’origine de la chapelle et l’étymologie du nom, Walafrid Strabo, de Rebus ecclesiasticis. Monachus Sangallensis, 11, 17. Du Cange, Glossar.’. Dupeyrat, Antiquités de la chapelle du roi. En ce qui touche la passion des rois mérovingiens pour la musique, voyez Cassiodore, Variarum, II, 41. Gregor. Turon., Vitae patrum VI Idem , Hist. Lib.VIII, 3. Acta S.Betharii. Bolland., 11 august. Clothacharii Edictum, apud Pertz, t. I, Legum, p. 14 « Vel certe si de palatio eligitur, per meritum personae : et doctrinae ordinetur. »
  11. Tacite, Germania, XIII « Insignis nobilitas, aut magna patrum merita, principis dignationem etiam adolescentulis assignant : cœteris robustioribus ac jampridem » probatis aggregantur, haec rubor inter comites adspici. Sur la coutume de la Recommandation il faut consulter un savant mémoire de M. Naudet, Mém. de l’Acad. des Inscriptions, t VIII, p. 420. Eginhard, de Vita Caroli M. 22 : « Exercebatur assidue equitando ac venando, quod illi gentilium quia vix ulla in terris natio invenitur, que in hac arte Francis possit aequari. » Vita S. Désiderii Cadurcensis, Vita S. Ebrulfi, ubi supra, Vita S. Chlodulfi Mabillon, A SS O.S.B. Sec. II, p. 1043. Vita S Geremari, ibid., p. 475 : « Hunc siquidem genitores velut unicum filium tenere diligentes, tradiderunt scholis erudiendum. Audivit famam sanctitatis ejus atque prudentiae rex Dagobertus, mittensque nuntios, accersivit eum in palatio suo. Et videns eum elegantem et doctum in verbis et sapientem in consiliis, praefecit eum consiliis suis. » Vita S. Boniti, loco citato eum.
  12. VI° siècle Gregor. Turon., Vitae patrum « Interea praecellèntissimo régi Theode berto commendatur (Aredius), ut eum instrueret eruditi »; Fortunat, Carmin. VI, 4 : Ad Gogonem

    Sive palatina residet modo laetus in a ula,
    Cui schola congrediens plaudit amore sequax.


    VII° siècle Vita S. Landeberti, Trajectensis episcopi (auctore, ut videtur, seculi octavi), apud Mabillon, A. SS. O. S. B., sec. III, 69 :« Protimus pater ejus commendavit eum supradicto antistiti, divinis dogmalibus et monasticis disciplinis in aula regia erudiendum ». Vita S Wandregesili (auctore coaevo), Mabillon, sec. II, p. 554 « Quumque adolescentiae polleret aetas in annis, sub praefato rege Dagoberto, militaribus gestis ac aulicis disciplinis, quippe ut nobi- lissimus, nobiliter educatus est et crescentibus sanctae vitae moribus, cunctisque mundanarum rerum disciplinis imbutus, a prœfato rege comes constituitur palatii. »

    Cf Vita S. Faronis, Mabillon, sec.II, p. 612 « A primaevo flore tenera ; juventutis intra autem regis Theodeberti nobiliter cum doctrina christiana nutriendo iactavit.»


    VIII° siècle. Paul Diac. de episcop. Metensib., in Chrodegango « In palatio majoris Caroli ab ipso enutritus, ejusdemque referendarius exstitit fuit autem omnino clarissimus, omnique nobilitate coruscus, forma decorus, eloquio facundissimus, tam patrio quam latino sermone imbutus.»
    Vita Wallae (auctore Ratperto), ap. Mabillon, sec. IV, p. 464 « Fuit Arsenius (Wala) a puero, inter tirocinia palatii, liberalibus mancipatus studiis »
    Vita Adalhardi (auctore ejus discipulo), Mabillon, sec. IV, p. 710 « Qui, cum esset regali prosapia, Pippini magni regis nepos, Caroli consobrinus Augusti, inter palatii tirocinia, omni mundi prudentia eruditus, una cum terrarum principe magistris adhibitus. »
    Vita S. Benedicti Anianensis, Mabillon, sec IV, p. 194 ( auctore Smaragdo) « Pater pueriles gerentem annos praefatum filium suum, in aula gloriosi Pippini regis, reginœ tradidit inter scholares erudiendum. »
    On remarquera que je me borne à des témoignages contemporains, ou du moins antérieurs à une époque où les études étaient devenues si générales, qu’un légendaire se serait fait un devoir de conduire son saint à l’école.

  13. Vita S. Desiderii, ap. D. Bouquet, III, 527. Herchenfredae epistola, ap,Gallia christiana t. II, p. 461. Les auteurs de l’Histoire littéraire de France avaient déjà remarqué cette correspondance dont le P. Pitra fait bien sentir le charme(Hist. de S. Léger, p. 51).Epistola Sulpicii Bituricensis ad Desiderium apud Duchesne, p. 882. On n’avait pas remarqué que cette lettre finissait par des hexamètres probablement mutilés ; on les a imprimés sans distinction de vers et comme un fragment de prose; il faut les restituer ainsi :

    « Auctorem coeli praesumimus postulare. »
    Ut vestram jubeat praetendere vitam
    Cursibus annorum dignetur tempore longo,
    Cujus nunc locuples servatur nomine mundus,
    Et diu ( ?) firmantur nutantia culmina rerum
    Vel dilapsa magis...solidata resurgent

    Desiderius Dadoni, ap. Duchesne. p. 878. Idem, Abboni, p. 879 « Optarem frequenter, si possibilitas arrideret, vestris interesse colloquiis, ut, sicut nos sub seculi habitu, in contubernio sorenissimi Frotharii (Clotharii II ?) principis, mutuis solebamus revelare tabellis, ita jam nunc illa ad plenum, deposita vanitate, dulcia liceret Christi ruminare praecepta. » Vita S. Desiderii  :«  Quadris ac dedolatis lapidibus’ non nostro quidem gallicano more, sed sicut antiquorum murorum ambitus magnis quadrisque saxis exstrui solet fundamentis. » « Quo loco, dum mens desiderantis ita ingrediens refovetur, ac si partem paradisi se occupasse gratulatur.  »

  14. Vita S.Audoeni. Audoeni Vita S. Eligii, ap. d’Achery, Spicilegium, prologus : « Ita stylum placet corrigere, ut nec simplicibus quibusque grammaticorum sectando fumos displiceat, nec scholasticos etiam nimia rusticitate offendat. Nam et ecclesiasticum dogma etiam si habeat eloquii venustatem, ita eam dissimulare debet et fugere, ut non otiosis philosophorum sectatoribus, sed universo loquatur hominum generi. Qui sophistice loquitur odibilis est. Quid enim legentibus nobis diversa grammaticorum argumenta proficiunt, quum videantur subvertere potius quam aedificare ? »
  15. M. Guizot(Histoire de la civilisation, t. II, 1) a reconnu ce caractère de la littérature ecclésiastique du septième siècle.
  16. Vita S. Maximini abbatis s Micianensis, Mabillon, A. SS. O.S.B., 1, 581 Mabillon croit cet écrit du commencement du septième siècle, sauf les dernières pages, qui laissent soupçonner quelques interpolations. Prologus « Plures fuisse sectas quae sapientiam profiterentur inter eos quos prisca secula pepererunt, manifestum est ;sed inter omnes illi judicati sunt summam sapientiae~ attigisse, qui trivium illud terrere conati sunt in quo requiritur
    Divinarum humanarumque peritia rerum ;
    quod constat in physica et ethica et logica, » etc. C’est encore au P. Pitra (Histoire de S. Léger, p. 65) que je dois l’indication de ce beau passage.
  17. Pour la vision de S. Patrice, Vita S. Patricii (auctore Joscelino), cap. XVII. En ce qui touche les premières écoles, Moore, History of Ireland chp XI, XII. Vita S. Moluae sive Luani, apud Fleming, Collectanea sacra. Je remarque aussi ces derniers avis de S. Luan à ses disciples : « Charissimi fratres, bene colite terramet ben elaborate, ut habeatis sufficientiam cibi et potus et vestitus. Ubi enim sufficientia erit apud servos Domini, ibi stabilitas erit ; et ubi stabilitas, ibi religio. » Cf. Vita S. Mochoemogi, apud Fleming, ibid. « Ita in moribus honestis scientiaquo litterarum nutrivit cum. » vita S. Comgalli, ibid., Et litteras apud quemdam clericum qui habitabat in villa, in rure didicit.»
  18. 0’Connor, Rerum hibernic. script., Epistola nuncupatoria, p. 12. On peut juger des bibliothèques d’Irlande par le nombre des textes que cite Cummian dans une lettre écrite vers 650, apud Usher, Veterum epistolarum hibernicarum sylloge, p. 17. Sur le livre de Kildare, Giraldus Cambronsis, Typographia Hiberniaedist II, 48, 49. Vita S. Columba (auctore Adamnano), apud Basnage, Thesaurus monumentorum Canisii t. I, p. 668 et suiv.
  19. (~ Sur l’enseignement de la théologie en Irlande Epist. Aldhelmi ad Eadfridum apud Usher, Sylloge, p. 27 :« Quin imo allegoricae potiora atque tropologicae disputationis bipartita bis oracula.» Cf. S. Thomas,Summa theologiaep1q1 Benedict. Ananiensis Epist. « Apud modernos scholasticos, maxime apud Scotos, est syllogismus delusionis, ut dicunt, Trinitatem, sicut personarum, ita esse substantiarum. »-Sur la culture des sept arts libéraux dans les monastères irlandais, O’Connor,Rerum hibernic. script. p. 198.-Vita S. Columbani (auctore Jona Bobbiensi): « Desudaverat in grammatica, rhetorica, geometrica, vel divinarum Scripturarum serie. » - Vita S. Columbae :« Fintanus studiis dialecticalis sophias deditus. Epistola Adhelmi  : « artes grammaticas atque geometricas bis ternas, omissa physicae artis machina... siticulose sumentes carpunt. »-Epistola Cummiani passim Sur les joueurs de harpe irlandais, Giraldus Cambrensis, Typographia diss. III, cap II.
  20. Usher (Veterum epistolarum hibernicarum sylloge, note XVI) atteste l’existence de l’église de Trim, « quæ græcae ecclesisae no- men adhuc retinet. » La Légende latine de S. Brandaine, publiée par Achille Jubinal. Cf. Odyssée, IX, v. 539.
  21. Brooke, Reliques of Irish poetryp. 73. Voyez le poëme intitulé la Chasse merveilleuse ; Ossian y porte son nom irlandais d’Oisin.
  22. Antiphonarium, Bangorense, apud Muratori, Anecdota latina, t. IV. Cet antiphonaire, trouvé au monastère de Bobbio, peut remonter au septième siècle. S. Colomban, fondateur de Bobbio, avait fait profession a BangorHymn. S. Comgalli:

    Audite pantes ta erga,
    Allati ad angelica
    Athletae Dei abdita
    A juventute florida etc..

    Dans l’hymne des apôtres, je remarque ce vers

    'Ille qui proto vires adimens chao

    L’hymne des matines a de beaux passages ; mais j’y trouve encore un hellénisme :

    Dignos nos fac, rex Agie.

    Hisperica famina edidit Aug. Mai, Classici auctores, t V. p. '479.

    Le savant éditeur, p. XLVIII de son introduction prouuve qu'il faut y reeconnaître l'ouvrage d’un Irlandais : « Ampla pectoralem suscitat vernia cavernam : Mœstum extrico pulmonee tonstrum, sed gaudifluam pectoreis arto procellam arteriis, cum insignes sophiae speculator arcatores, qui egregiam urbani tenoris propinant faucibus lympham, vipereosquelitteraturae plasmant syllogismos. 5. bis senos exploro vechros qui ausonicam lacerant palatham. 7 Pantes solitum elaborant orgium. 8. « Sophicam stemicate coloniam, ac litterales speculamini apices. Nonnulli cerimonicant arcatori trophea, si salubrem pectureo carpserit soporem claustro, ni rutilante Phœbei orientis ardore somniosum evellerit palliebris oblectamentum, tritamque aptaverit lumbis stragulam, lectoralem cudere industriam. Ut quid nos tonitruosos ermonum obruis clangore, et internas loqueloso tuniore perturbas aurium cavernas ? Totum namque nocturni ligonis lectriceis censuimus stadium excubiis ; vos soporea oblectastis pernas tabe : ob hoc nunc somnolentus nos stigat tactus.  »

  23. Mabillon, Annales SS. 0. S. B. Vita S. Wandragesili ap. Mabillon A. SS. 0. 5. B., sec. Il, 526. Bède, Hist. eccles., lib. III, cap. VII.
  24. Weidmann, Geschichte der Stift-Bibliothek von S. Gallen. On avait fait ces vers sur l’affluence des Irlandais à Saint-Gall :

    Scottigenae pro se (?) nidificant velut ipse.
    Tanquam Germani vivunt ibi compatriani.

    Sur les livres irlandais de la bibliothèque de Saint-Gall, voyez les anciens catalogues publiés par Weidman. Métzler, De viri illustribus monasterii S. Galli. Eckehard, Casus S. Galli, ap. Pertz, t. II. Et plusieurs poëmes des moines de Saint-Gall, apud Basnage, Thesaurus, t II, pars 5, p. 190 et suiv. Je remarque surtout l’ode d’Hartmann à Notker, pour l’encourager à écrire la vie de S. Gall :

    Ultima secli generate meta,
    Vincis antiquos lyricos poetas,
    Pindarum, Flaccum, reliquosque centum,
    Carmine major.
    Quid prodest temet studiis librorum
    Tam brevis vitae morulas dicasse,
    Corpus ae fractum macérasse tantum,
    Si nihil audes ?

  25. En ce qui touche l’épiscopat de Théodore de Cantorbéry, je reproduis littéralement le récit de Bède, Hist. eccles., IV, 1 et 2. Il finit ainsi : « Congregata discipulorum caterva, scientiae salutaris quotidie rumina in rigandis eorum cortlibus emanabant. Ita ut etiam metricœ artis, astronomicae, et arithmeticae ecclesiasticae disciplinam inter sacrorum apicum volumina suis auditoribus contraderent. Indicio est quod hucusque supersunt de eorum discipulis qui latinam graecamque linguam aeque, ut propriam in qua nati sunt, norunt. » Il faut rapprocher de ces paroles le texte que je citerai plus bas des lettres d’Aldhelm. Sur l’affluence des Anglo-Saxons en Irlande, voyez la même lettre d’Aldhelm ci-dessous, et Bède, Hist. eccles., III, 27.
  26. Th. Wright, Biographia Britannica, Ânglo- saxon period, p. 209, et les deux. Vies d’Aldhelm, l’une par Guillaume de Malmsbury, l’autre par le moine Faricius, du douzième siècle. Ces deux témoignages s’accordent à lui faire étudier la langue grecque. W. Malmsb. « Pusio grecis et latinis eruditus litteris. » Faricius « Miro denique modo gratis facundia omnia idiomata sciebat, et quasi Grascus natione scriptis et verbis pronuntiabat. » Aldhelmi De septenario et de re grammatica et metrica ad Acircium regem, apud Mai, Auctores classici, t. V, p. 501. Aldhelm (ibid., p. 597) s’applique ces vers de Virgile

    Primus ego in patriam mecum, modo vita supersit,
    Aonio redicns deducam vertice musas.

    Aldhelmi De laude Virginum liber metricus,Aenigmata, etc. Parmi les mots grecs dont son style est hérissé,’je remarque ceux-ci : salpix, strophosus, orama, cephale.

  27. Je donnerai, de cette lettre d’Aldhelm et de plusieurs autres, des fragments de quelque étendue, afin que, les comparant aux passages cités du Virgile de Toulouse, des Hisperica famina d’Atton de Vernil, on s’assure qu’il ne s’agit point d’un accident littéraire, mais d’une école et d’une tradition.
    Usher, Veterum epistolarum hibernicarum sylloge p. 26.
    Aldhelmus Eadfrido : « Primitus (pantorum procerum prœtorumque pia potissimum, paternoque, praescrtim privilegio) panegyricum poemataque, passim prosatori sub polo promulgantes ; stridula verum symphonia ac melodia, cantilenœque carmine modulatori hymnizemus...
    « Illud aeque almitati Beatitudinis vestrae ex penetralibus praecordii nequaquam promens, dissimulo propalare (ad augmentum, mystisque ut reor tripudium imo ad doxan onomatis Cyrii) magnopero inolevisse, quod prxconio citramodum rumoris Scottico in solo de entium ceu tonitruali quodam boatu fragore nimboso émergenti, auditus nostri quatiuntur...
    « Cur, inquam, Hibernia quo catervatim instinc lectores classibus advecti confluunt, ineffabili quodam privilegio efferatur : ac si istic facundo Britanniœ in cespite didascali Argivi Romanive Quirites reperiri minime queant, qui cœtestis tetrica enodautes bibliotheca : problemata sciolis reservare se sciscitantibus valeant ? Quamvis enim praedictum Hiberniae rus discentium opulans vernansque, ut ita dixerim, pascuosa numerositate lectorum, quemadmodum poli cardines astriferis micantium ornentur vibraminibus siderum : ast tamen climatis Britannia occidui in extremo ferme orbis margine sita, verbi gratia, ceu solis flammigeri et luculento lunae specimine potiatur, id est, Theodoro infuta pontificatus fungente, ab ipso tyrocinio rudimentorum in flore philosophicae artis adulto ; nec non et ejusdem sodalitatis cliente Adriano duntaxat urbanitate enucleata ineffabiliter praedito.
    « … Si vero quippiam, inscitia suppeditante, garrula frontose convincitur pagina prompsisse, ut versidicus ait :
    « Digna fiat fante Glengio gurgo fugax fambulo. »
    Cf. Virgilius Maro, apud Mai, Auct. classici, t. V, p. 22 a In illud Glengi incidam, quod cuidam conflictum fugienti dicere fidenter ausus est Gurgo, inquit, fugax fabulo dignus est. » Aldhelm cite deux fois (De arte metrica, p. 520, 546) le Virgile auteur d’un poëme en vers intitulé Paedagogus, p. 521, l’orateur Andreas, cité par Virgilius Maro, p. 92, et dont on a un petit poëme dans le Corpus poetarum de Pesaro, t. VI, p. 276. Enfin, p. 521, Aldhelm nomme Paul le Persan, qui me parait de la même famille que les Indiens, les Égyptiens et les Cappadociens du faux Virgile : « Junilius instituta regalia quae a Paulo Persa, Syrorum scholis naviter instructa didicerat… scribens.
  28. Voici la lettre d’Édelwald, disciple favori d’Aldhelm, et qu’on a tout lieu de prendre pour un laïque, si l’on en juge par les conseils qu’Aldhelm lui adresse, de ne point s’abandonner sans réserve aux joies des fêtes et des banquets. Apud Bonifacii epistolas, édition de Würdtwein, epist. 149. «... Aestivi igitur temporis cursu, quo immensis feralium passim congressionum expeditionibus haec misera patria lugubriter invidia vastatrice defanatur, tecum legendi studio conversatus demorabar. Tum mihi, licet indigno, tuai Beatitudinis sacrosancta sagacitas. arcana liberalium litterarum studia ; opacis duntaxat mysteriorum secretis, ignarisque mentibus obtrusa, abrepto propere spissie intelligentiae, faucibus avide absumptis, meam ad me patientem hebetudinis maciem largissimae blandae sponsionis epimenia affluenter refocillabat. Trina cantati modulaminis carmina binis generibus digesta subdidimus, quorum primus dactylico heroici poematis hexametro, ac pedestri, ut autumo, regula enucleat, ut in LXX coaequantium versuum formulas... divisum tertium quoque non pedum mensura elucubratum, sed octonis syllabis in unoquoque versu compositis una eademque littera comparibus linearum tramitibus aptata, cursim calamo perarante charaxatum medium. simillimis ibidem versuum et syllabarum lineis confectum». On voit qu’Édelwald avait médité la poétique de son maître, et lui envoyait deux sortes de vers, les uns métriques, les autres syllabiques, formant des acrostiches compliqués, et tous les autres jeux d’esprit qui plaisaient aux Anglo-Saxons. La lettre suivante se trouve dans la correspondance de S. Boniface (Giles, t I, epist. 133 ). Elle est d’un auteur inconnu, mais d’un Anglo-Saxon. On y voit ce qu’embrassait le cours des études dans les écoles d’Angleterre le droit romain, la métrique, avec ses raffinements, le calcul et l’astronomie. « Neque enim parva illorum temporum intervalla in hoc studio -protelanda sunt ei duntaxat, qui solerti sagacitate legendi succensus, legum Romanarum jura medullitus rimabitur, et cuncta jurisconsultorum decreta ex intimis praecordiis scrutabitur, et (quod his multo arctius et perplexius est) centena scilicet metrorum genera pedestri regula discerueret, et admissa cantilena modulamina recto syllabarum tramite lustraret. De ratione vero calculationis quid commemorandum ? Cum tanta supputationis imminens disputatio colla mentis compresserit, ut omnem prœteritum lectionis laborem parvipenderem, cujus me pridem sécréta cubicula nosse credideram, et ut sententiam beati Hieronymi depromam, qui mihi videbar sciolus, rursus cœpi esse discipulus. Porro de zodiaco XII signorum circulo, quas vertigine coeli volvantur, ideo tacendum arbitror, ne res opaca et profunda, si vili explanationis textu promulgata fuerit, infametur et vilescat, praesertim cum astrotogiae artis peritia et difficillima horoscopii computatio, elucubrata doctoris indagatione, egeat. » Comparez à ces lettres celle de Boniface à Nidhard son ami (Giles Bonifacii epist.IV). Il parle de la vanité des biens terrestres. « Et bac de re aurilegi appo ton grammaton agiis frustratis afnicti inservire excubiis et fragilia aranearum incassum cui flatum tenuem, sive pulverem captantia tetendisse retia dignoscuntur quia cata psalmistam, thesaurisant et ignorant cui congregent illa : et dum exactrix invisi Plutonis, Mors videlicet, cruentatis crudeliter frendens dentibus in limina latrat… teterrima subeunt claustra erebia, aeterna luituri supplicia. » Voici quelques vers d’un poëme anglo-saxon polyglotte

    Ac he ealue sceal
    Boethia biddan georne,
    Thurh bis modes gemind
    Micro in cosmo
    Thaet him Drihtten gyfe
    Dinamis en aerthan
    Fortis factor
    Thaet he forth simle

  29. Sur Benoît Biscop, ses voyages et ses fondations, V. Bède, Vita abbatum Wiremuthensium. Idem, Homilia in natal.Benedicti Wright, Biographia, anglo saxon period., p. 185. On ne sait de Bède que le peu qu’il apprend de lui dans ses écrits, surtout dans l'épilogue de son Histoire ecclésiastique, et ce que son disciple Cuthbert a rapporté de sa mort ; mais la croyance populaire y a beaucoup ajoute. Parmi les traditions qui se rattachaient au grand nom de Bède, je remarque la suivante, où l’on voit que la Scinderatio phonorum n’était pas moins en faveur dans les écoles d’Angleterre que dans celle de Toulouse. On disait que Bède avait visité Rome, et que sur une porte il avait lu l’inscription suivante : PPP. SSS. RRR. FFF. ; et un Romain lui ayant demandé: « Que regardes-tu là, bœuf d’Angleterre ? Je lis, répondit-il, ce qui suit : «  Pator patrie perditus. Sapientia secum sublata. Ruet regnum Romae. Ferro, flamma, fame. Cf. Wright, Biographia, p. 270. Nous avons cite plus haut les textes de Bède qui. font allusion au faux Horace et au faux Virgile. Tous ces écrits grammaticaux prouvent qu’il étudia le grec. M. Renan, dans un mémoire encore inédit, mais couronne par l’Académie des inscriptions, a parfaitement prouvé que l’étude du grec se perpétua chez les Anglo-Saxons longtemps après Théodore et Adrien. La lettre de Cuthbert sur la mort de Bède est imprimée à la suite des œuvres de ce dernier.
  30. Brower, Antiquitatum Fuldensium, libri IV. Versus Alcuini pro scriptorio Fuldensi. Lupus Ferrariensis, epist. 6. Vita S Eligi. Rhabanus Maurus, de Laudibus sanctae Crucis. Cousin, Ouvrages inédits d’Abélard introduction. Kunstmann, Rhabanus Maurus.