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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 1/A Monseigneur le Duc de Bourgogne

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A MONSEIGNEUR


LE DUC DE BOURGOGNE[1].




Monseigneur,



Je ne puis emploïer pour mes Fables de Protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis, et ce jugement si solide que vous faites paroître dans toutes choses au delà d’un âge où à peine les autres Princes sont-ils touchez de ce qui les environne avec le plus d’éclat ; tout cela joint au devoir de vous obeïr et à la passion de vous plaire, m’a obligé de vous présenter un Ouvrage dont l’Original a esté l’admiration de tous les siecles, aussi-bien que celle de tous les Sages. Vous m’avez même ordonné de continuër ; et si vous me permettez de le dire, il y a des sujets dont je vous suis redevable, et où vous avez jetté des graces qui ont esté admirées de tout le monde. Nous n’avons plus besoin de consulter ni Apollon, ni les Muses, ni aucune des Divinitez du Parnasse. Elles se rencontrent toutes dans les presens que vous a faits la Nature, et dans cette science de bien juger des Ouvrages de l’esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connoître toutes les regles qui y conviennent. Les Fables d’Esope sont une ample matière pour ces talens. Elles embrassent toutes sortes d’évenemens et de caractères. Ces mensonges sont proprement une maniere d’Histoire, où on ne flate personne. Ce ne sont pas choses de peu d’importance que ces sujets. Les Animaux sont les Précepteurs des Hommes dans mon Ouvrage. Je ne m’étendrai pas davantage là-dessus ; vous voïez mieux que moi le profit qu’on en peut tirer. Si Vous vous connoissez maintenant en Orateurs et en Poëtes, Vous vous connoîtrez encore mieux quelque jour en bons Politiques et en bons Generaux d’Armée ; et Vous vous tromperez aussi peu au choix des Personnes qu’au merite des Actions. Je ne suis pas d’un âge à esperer d’en être témoin. Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affoiblie. Quand vous souhaiterez quelque Fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrois bien que vous y pussiez trouver des loüanges dignes du Monarque qui fait maintenant le destin de tant de Peuples et de Nations, et qui rend toutes les parties du Monde attentives à ses Conquêtes, à ses Victoires, et à la Paix qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toute la modération que peuvent souhaiter nos Ennemis. Je me le figure comme un Conquerant qui veut mettre des bornes à sa Gloire et à sa Puissance, et de qui on pourvoit dire à meilleur titre qu’on ne l’a dit d’Alexandre ; Qu’il va tenir les Etats de l’Univers, en obligeant les Ministres de tant de Princes de s’assembler, pour terminer une guerre qui ne peut être que ruineuse à leurs Maîtres. Ce sont des sujets au-dessus de nos paroles : Je les laisse à de meilleures Plumes que la mienne ; et suis avec un profond respect,



Monseigneur,




Vôtre tres-humble, tres-obéïssant,
et tres-fidele Serviteur,




De la Fontaine.

  1. L’édition originale du volume de 1694, qui contient le dernier livre des fables, ne porte point la mention cinquiesme partie ; elle ne se trouve que dans la réimpression. L’achevé d’imprimer est du premier jour de septembre 1693.
    Ce volume contient vingt-neuf fables, mais Philémon et Baucis (voyez notre édition, tome II, p. 435), la Matrone d’Ephèse (Tome II, p. 557), Belphégor, sans son prologue (Tome II, p. 343), et les Filles de Minée (Tome II, p. 445), portent les numéros xxv-xxviii, ce qui réduit en réalité les fables à vingt-cinq.
    Elles étaient pour la plupart déjà connues.
    Trois fables avaient paru dans le Mercure galant : la Ire du recueil en décembre 1690, la IIIe en mars 1691, la IVe en février 1691.
    Les fables XIV-XXIV faisaient partie du premier volume du recueil intitulé : Ouvrages de prose et de poësie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, à Paris, chez Claude Barbin, 1685, 2 vol. in-12.
    La fable XXV avait déjà été imprimée dans le Recueil de vers choisis, publié par Bouhours, en 1693.
    Plusieurs des fables contenues dans ce volume de 1694 ont reparu en 1696 dans les Œuvres postumes ; nous donnons les variantes que présente ce texte.