Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Le Cocu battu et content

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 30-34).


III. — LE COCU, BATTU ET CONTENT.
Nouvelle tirée de Bocace[1].


 
N’a pas long-temps de Rome revenoit
Certain Cadet, qui n’y profita guere,
Et volontiers en chemin sejournoit,
Quand par hazard le Galand rencontroit
Bon vin, bon giste, et belle chambriere.
Avint qu’un jour, en un Bourg arresté,
Il vid passer une Dame jolie,
Leste, pimpante, et d’un Page suivie,
et la voyant il en fut enchanté.

La convoita, comme bien sçavoit faire.
Prou de pardons il avoit rapportés ;
De vertu peu ; chose assez ordinaire.
La Dame estoit de gracieux maintien,
De doux regard, jeune, fringante et belle,
Somme qu’enfin il ne luy manquoit rien,
Fors que d’avoir un Amy digne d’elle.
Tant se la mit le drosle en la cervelle,
Que dans sa peau peu ny point ne duroit :
Et s’informant comment on l’appelloit :
C’est, luy dit-on, la Dame du Village ;
Messire Bon l’a prise en mariage,
Quoyqu’il n’ait plus que quatre cheveux gris :
Mais, comme il est des premiers au païs,
Son bien supplée au défaut de son âge.
Nostre Cadet tout ce détail apprit,
Dont il conceut esperance certaine.
Voicy comment le Pelerin s’y prit.
Il renvoya dans la Ville prochaine
Tous ses Valets ; puis s’en fut au chasteau ;
Dit qu’il estoit un jeune jouvenceau
Qui cherchoit maistre, et qui sçavoit tout faire.
Messire Bon, fort content de l’affaire,
Pour Fauconnier le loüa bien et beau
(Non toutesfois sans l’avis de sa femme).
Le Fauconnier plût tres-fort à la Dame ;
Et n’estant homme en tel pourchas nouveau,
Guere ne mit à declarer sa flâme.
Ce fut beaucoup ; car le Vieillard estoit
Fou de sa femme, et fort peu la quittoit,
Sinon les jours qu’il alloit à la chasse.
Son Fauconnier, qui pour lors le suivoit[2],
Eust demeuré volontiers en sa place.
La jeune dame en estoit bien d’accord ;
Ils n’attendoient que le temps de mieux faire.

Quand je diray qu’il leur en tardoit fort,
Nul n’osera soustenir le contraire.
Amour enfin, qui prit à cœur l’affaire,
Leur inspira la ruse que voicy.
La Dame dit un soir à son mary :
Qui croyez-vous le plus remply de zele
De tous vos gens ? Ce propos entendu,
Messire Bon luy dit : J’ay toûjours creu
Le Fauconnier garçon sage et fidelle ;
Et c’est à luy que plus je me fierois.
Vous auriez tort, repartit cette Belle ;
C’est un méchant : il me tint l’autre fois
Propos d’amour, dont je fus si surprise,
Que je pensay tomber tout de mon haut ;
Car qui croiroit une telle entreprise ?
Dedans l’esprit il me vint aussi-tost
De l’étrangler, de luy manger la veuë :
Il tint à peu ; je n’en fus retenuë
Que pour n’oser un tel cas publier :
Mesme, à dessein qu’il ne le pust nier,
Je fis semblant d’y vouloir condescendre ;
Et cette nuit, sous un certain poirier,
Dans le jardin je luy dis de m’attendre.
Mon mary, dis-je, est toûjours avec moy,
Plus par amour que doutant de ma foy ;
Je ne me puis dépestrer de cet homme,
Sinon la nuit pendant son premier somme :
D’auprés de luy taschant de me lever,
Dans le jardin je vous iray trouver.
Voila l’estat où j’ay laissé l’affaire.
Messire Bon se mit fort en colere.
Sa femme dit : Mon mary, mon Epoux,
Jusqu’à tantost cachez vostre courroux ;
Dans le jardin attrapez-le vous-mesme ;
Vous le pourrez trouver fort aisément,
Le poirier est à main gauche en entrant.
Mais il vous faut user de stratagème :
Prenez ma juppe, et contre-faites-vous ;

Vous entendrez son insolence extrême :
Lors d’un baston donnez-luy tant de coups,
Que le Galant demeure sur la place.
Je suis d’avis que le friponneau fasse
Tel compliment à des femmes d’honneur.
L’Espoux retint cette leçon par cœur.
Onc il ne fut une plus forte dupe
Que ce vieillard, bon-homme au demeurant.
Le temps venu d’attraper le Galant,
Messire Bon se couvrit d’une juppe,
S’encorneta, courut incontinent[3]
Dans le jardin, où ne trouva personne :
Garde n’avoit ; car tandis qu’il frissonne,
Claque des dents, et meurt quasi de froid,
Le Pelerin, qui le tout observoit,
Va voir la Dame ; avec elle se donne
Tout le bon temps qu’on a, comme je croy,
Lors qu’amour seul estant de la partie,
Entre deux draps on tient femme jolie ;
Femme jolie, et qui n’est point à soy.
Quand le Galant, un assez bon espace,
Avec la Dame eust esté dans ce lieu,
Force luy fut d’abandonner la place :
Ce ne fut pas sans le vin de l’adieu.
Dans le jardin il court en diligence.
Messire Bon, remply d’impatience,
A tous momens sa paresse maudit.
Le Pelerin, d’aussi loin qu’il le vid,
Feignit de croire appercevoir la Dame,
Et luy cria : Quoy donc, méchante femme !
A ton mary tu brassois un tel tour !
Est-ce le fruit de son parfait amour !
Dieu soit témoin que pour toy j’en ay honte :
Et de venir ne tenois quasi conte,

Ne te croyant le cœur si perverti
Que de vouloir tromper un tel mary.
Or bien, je vois qu’il te faut un amy ;
Trouvé ne l’as en moy, je t’en asseure.
Si j’ay tiré ce rendez-vous de toy,
C’est seulement pour éprouver ta foy ;
Et ne t’attends de m’induire à luxure :
Grand pecheur suis ; mais j’ay là, Dieu mercy,
De ton honneur encor quelque soucy.
A Monseigneur ferois-je un tel outrage ?
Pour toy, tu viens avec un front de Page :
Mais, foy de Dieu, ce bras te chastiera ;
Et Monseigneur puis aprés le sçaura.
Pendant ces mots l’Epoux pleuroit de joye,
Et, tout ravy disoit entre ses dents :
Loué soit Dieu, dont la bonté m’envoye
Femme et valet si chastes, si prudens.
Ce ne fut tout ; car à grands coups de gaule
Le Pelerin vous luy froisse une épaule ;
De horions laidement l’accoustra ;
Jusqu’au logis ainsi le convoya.
Messire Bon eust voulu que le zele
De son valet n’eust esté jusques-là ;
Mais, le voyant si sage et si fidelle,
Le bon-hommeau des coups se consola.
Dedans le lit sa femme il retrouva ;
Luy conta tout, en luy disant : Mamie,
Quand nous pourrions vivre cent ans encor,
Ny vous ny moy n’aurions de nostre vie
Un tel valet ; c’est sans doute un tresor.
Dans nostre Bourg je veux qu’il prenne femme :
A l’avenir traitez-le ainsi que moy.
Pas n’y faudray, luy repartit la Dame ;
Et de cecy ie vous donne ma foy.

  1. Decameron, giornata VII, novella VII.
  2. Edition originale :
    Le Fauconnier…
  3. Edition originale et 1re édition de la 1re partie, publiée en 1665 :
    S’encorneta, s’en fut incontinent.