Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5/Imitation d’un livre intitulé les Arrests d’amours
Les gens tenant le Parlement d’amours
Informoient pendant les grands jours,
D’aucuns abus commis en l’Isle de Cythere.
Pardevant eux se plaint un Amant mal-traité,
Disant que de longtemps il s’efforce de plaire
A certaine ingrate beauté.
Qu’il a donné des sérénades,
Des concerts et des promenades :
Item mainte collation,
Maint bal, et mainte Comédie :
A consacré le plus beau de sa vie
A l’objet de sa passion :
S’est tourmenté le corps et l’ame,
Sans pouvoir obliger la Dame
A payer seulement d’un sousris son amour.
Partant conclud que cette belle
Soit condamnée à l’aimer à son tour.
Fut allégué d’autre part à la Cour
Que plus la dame était cruelle,
Plus elle avait d’embonpoint et d’attraits :
Que perdant ses appas amour perdait ses traits :
Qu’il avait intérest au repos de son ame :
Que quand on a le cœur en flame
Le teint n’en est jamais si frais.
Qu’il estoit à propos pour la grandeur du prince,
Qu’elle traitast ainsi toute cette province,
Fist mille soupirants sans faire un bienheureux,
Dormît à son plaisir, conservât tous ses charmes,
Augmentast les tributs de l’empire amoureux,
Que souffrir tels procès était un grand abus :
Et que le cas méritait une amende :
Concluant pour le surplus
Au renvoi de la demande.
Le procureur d’Amours intervint là-dessus,
Et conclut aussi pour la belle.
La Cour, leurs moyens entendus,
La renvoya : permis d’être cruelle ;
Avec dépens ; et tout ce qui s’ensuit.
Cet arrêt fit un peu de bruit
Parmi les gens de la province.
La raison de douter était tous les cadeaux,
Bijoux donnés, et des plus beaux
Qui prend se vend : mais l’intérêt du prince
Souvent plus fort qu’aucunes lois
L’emporta de quatre ou cinq voix.
- ↑ Cet opuscule a paru pour la première fois à la page 72 des Contes et Nouvelles en ?vers de M. de La Fontaine. — A Paris, chez Claude Barbin. ?m. dc. lxv. L’achevé d’imprimer du recueil est du « 10. lanvier 1665 ». Voyez ce que La Fontaine dit de cette pièce dans la préface (tome II, page 4 de la présente édition). L’ouvrage dont il s’agit a ete composé par Martial de Paris, dit d’Auvergne. Voici la description d’une de ses plus anciennes éditions : « Sensuyuent les cinquante et vng arrest damours. (à la fin) Par Michel le noir Libraire… Demourant en la grant rue Sainct iacques a l’enseigne de la rose blanche couronnee. » In-4° gothique de 54 feuillets à 2 colonnes. C’est le seizième arrêt qui semble avoir servi de point de départ à l’imitation de La Fontaine. En voici l’argument : « Vn amoureux se plaint de sa dame, disant luy avoir fait plusieurs dons et presens, et apres les avolr receus, ne luy monstre aucun signe d’amour. »