Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 1/Dieu/Commentaire

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COMMENTAIRE

DE LA TRENTE-QUATRIÈME MÉDITATION



J’avais connu M. de Lamennais par son Essai sur l’indifférence. Il m’avait connu par quelques vers de moi que lui avait récités M. de Genoude, alors son ami et le mien. L’Essai sur l’indifférence m’avait frappé comme une page de J.-J. Rousseau retrouvée dans le dix-neuvième siècle. Je m’attachais peu aux arguments, qui me paraissaient faibles ; mais l’argumentation me ravissait. Ce style réalisait la grandeur, la vigueur et la couleur que je portais dans mon idéal de jeune homme. J’avais besoin d’épancher mon admiration. Je ne pouvais le faire qu’en m’élevant au sujet le plus haut de la pensée humaine, Dieu. J’écrivis ces vers en retournant seul à cheval de Paris à Chambéry, par de belles et longues journées du mois de mai. Je n’avais ni papier, ni crayon, ni plume. Tout se gravait dans ma mémoire à mesure que tout sortait de mon cœur et de mon imagination. La solitude et le silence des grandes routes à une certaine distance de Paris, l’aspect de la nature et du ciel, la splendeur de la saison, ce sentiment de voluptueux frisson que j’ai toujours éprouvé en quittant le tumulte d’une grande capitale pour me replonger dans l’air muet, profond et limpide des grands horizons, tout semblable, pour mon âme, à ce frisson qui saisit et raffermit les nerfs quand on se plonge pour nager dans les vagues bleues et fraîches de la Méditerranée ; enfin, le pas cadencé de mon cheval, qui berçait ma pensée comme mon corps, tout cela m’aidait à rêver, à contempler, à penser, à chanter. En arrivant le soir au cabaret de village où je m’arrêtais ordinairement pour passer la nuit, et après avoir donné l’avoine, le seau d’eau du puits et étendu la paille de sa litière à mon cheval, que j’aimais mieux encore que mes vers, je demandais une plume et du papier à mon hôtesse, et j’écrivais ce que j’avais composé dans la journée. En arrivant à Ursy, dans les bois de la haute Bourgogne, au château de mon oncle l’abbé de Lamartine, mes vers étaient terminés.