Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/V. ÉPIGRAMMES DIVERSES
V
ÉPIGRAMMES DIVERSES
LXXXV
L’ODE AU PRINTEMPS
Le venteux hiver hors du ciel disparu, * purpurine sourit dans les fleurs la saison du printemps.
La terre bleue se vêt d’une herbe chlorée * et les plantes bourgeonnantes se coiffent de nouvelles feuilles.
Buvant la rosée tendre de la fécondante Aurore * les prés rient, et s’ouvre la rose.
Il est heureux aussi le pasteur qui sur les monts chante dans sa flûte, * et de ses blancs chevreaux se réjouit le pasteur des chèvres.
Déjà naviguent sur les vastes flots les marins, * au souffle inoffensif de Dzéphyros gonflant leurs voiles comme des seins.
Déjà crient évohé au porteur de grappes Dionysos * ceux qui ont les cheveux couronnés de fleurs, de raisins, et de lierre.
Les travaux industrieux des abeilles filles du taureau * prennent tout leur soin. Sur la ruche posées, elles fabriquent * la beauté blanche et liquide du miel dans la cire trouée.
Partout la race harmonieuse des oiseaux chante : * Les alcyons autour des vagues, les hirondelles autour des toits, * le cygne sur la berge du fleuve, et sous bois le rossignol.
Si les chevelures des plantes sont joyeuses ; si la terre fleurit ; * si joue de sa flûte le pasteur, et se réjouissent les moutons aux belles laines ;
Si les marins naviguent, si Dionysos conduit les chœurs * et chantent les oiseaux, et font le miel les abeilles ;
LXXXVI
NIOBA
Tantalide enfant, Nioba, entends ma voix, messagère de malheur, * reçois de tes douleurs le plus lamentable récit.
Délie le bandeau de ta chevelure. Iô ! c’est pour les flèches lourdes de deuil de Phoïbos * que tu as enfanté une race d’enfants mâles.
Tes enfants ne sont plus à toi ! Mais quoi encore ? Que vois-je ? * Aïe ! aïe ! voici que déborde sur les vierges le meurtre.
Celle-ci aux genoux de sa mère, celle-ci dans son giron * tombe, celle-ci à terre, celle-ci dans ses mamelles.
Une autre s’effraye du trait par devant ; celle-ci à cause des flèches * se blottit. L’œil survivant d’une autre encore vers la lumière regarde.
LXXXVII
ARÈS
Qui m’a, des mortels, aux murs appendu * ces dépouilles, d’une mollesse honteuse pour le Guerrier ?
Ce ne sont point des javelots tordus, ni un casque sans panache, ni un bouclier souillé par le meurtre.
Mais, ainsi brillantes et vierges des chocs du fer, * ce ne sont pas des trophées, mais des dépouilles de danseuses.
LXXXVIII
PAN
Je ne veux plus avec les jeunes chèvres mener ma vie, ni habiter, * moi Pan aux pieds de bouc, les crêtes des montagnes.
Qu’aurai-je de doux, de désirable dans les montagnes ? Il est mort Daphnis, * Daphnis qui fit naître un feu dans ma poitrine.
LXXXIX
Chevrières syrinx, dans les montagnes, ce n’est plus Daphnis * que vous appelez, vous qui faites des grâces à Pan Aïgibatès.
Et toi, lyre, prophétesse de Phoïbos, * tu ne chantes plus le couronné du virginal laurier Hyakinthos.
XC
Les Nymphes, quand Bakkhos sauta hors du feu tout enfant, * le lavèrent à cause de la cendre où il s’était roulé.
XCI
Je prendrai, par toi, Bakkhos, ton audace ! Mène l’orgie ! * commande ! dieu, conduis un cœur mortel.
Engendré dans le feu tu aimes la flamme qui est dans l’Erôs, et m’ayant encore une fois lié, tu me pousses ton suppliant.
XCII
Par la droite du dieu Haïdès ! par le lit noir * (nous jurons) de l’indicible Perséphonè.
Que (nous sommes) vierges vraiment, même sous la terre. Souvent et amèrement * il a lancé des infamies contre notre virginité.
Arkhilokhos. Il n’a pas fait servir la beauté de ses vers à une belle * œuvre, mais dans une guerre contre des femmes.
XCIII
Stèle, quel symbole est-ce que ce coq aux yeux de gorgone, * debout, portant un sceptre à son aile rouge.
Et dans ses pieds soulevant le rameau de Nikè ? Tout au bord de son * piédestal, prêt à tomber, se penche un osselet.
Est-ce un vainqueur au combat, porteur de sceptre et chef, * que tu caches ? Alors pourquoi cet osselet de jeu ?
En outre, pourquoi si petite est ta tombe ? Elle conviendrait à un homme pauvre, * au chant du coq, la nuit, réveillé.
Je ne le pense pas. Le sceptre le dément. Alors tu caches * un athlète couronné, dont les pieds ont remporté la victoire ?
Je n’y suis pas encore. Quel rapport entre cet homme rapide * et un osselet ? Mais maintenant j’ai découvert la vérité :
La palme ne signifie pas la victoire, mais la patrie orgueilleuse * mère des palmiers, la populeuse Tyr.
Le coq indique qu’il fut un homme éloquent, auprès de Kypris * le premier, et chez les Muses un poète varié.
Le sceptre est l’attribut de la parole. Il est tombé mort * d’ivresse, voilà ce que dit l’osselet prêt à tomber.
XCIV
— A. Dis, à moi qui t’interroge, qui et (fils) de qui tu es ? — B. Philaulos * (fils) d’Eukratès.
— A. De quelle patrie es-tu fier ? — B. De Thrias.
— A. Tu as vécu aimant quel genre de vie ? — B. Ni de la charrue, * ni des navires, mais de la sagesse, ami.
— A. Est-ce par vieillesse ou par maladie que tu as laissé ta vie ? — B. J’ai marché vers Hadès * spontanément, buvant des coupes de Kéôs.
— A. Étais-tu âgé ? — B. Et beaucoup. — A. Que te reçoive donc la terre, * toi qui fus d’accord avec tes sages principes en vivant.