Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/VII. LE TOMBEAU DE MÉLÉAGRE

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Slatkine reprints (p. 129-167).





VII

LE TOMBEAU DE MÉLÉAGRE



XCVII


Sans faire de bruit, ô étranger, approche. Car avec les hommes pieux le vieillard * repose, endormi dans le fatal sommeil.


Le fils d’Eukratès, Méléagros qui chanta les douces larmes d’Erôs * et les Muses avec les rieuses Kharites.


Il a grandi à Tyr, fille des dieux, et sur la terre sainte de Gadara ; * et Kôs, aimée des Méropes, a nourri sa vieillesse.


Or, si tu es Syrien : Salam ! Si tu es Phoïnikien : * Aidoni ! Si (tu es) Grec : Khaïré. Toi, dis de même.


XCVIII


L’île de Tyros fut ma nourrice, et la patrie qui m’engendra * Atthis, fondée près de Gadara de Syrie.


D’Eukratès je naquis, compagnon des Muses, Méléagros ; * et je courus d’abord avec les Kharites Ménippées.


Si je suis Syrien, quoi d’étonnant ? Étranger, une seule patrie, le monde, * est notre demeure. Un seul khaos a enfanté tous les mortels.


Âgé de beaucoup d’années, j’ai gravé ceci sur mes tablettes devant mon tombeau, * car celui qui est voisin de la vieillesse est près de Haïdès ;


Mais, à moi qui parle et qui suis vieux, si tu me fais encore* un salut, puisses-tu atteindre toi-même à la vieillesse éloquente.


XCIX


Ma première patrie fut la célèbre ville de Gadara. * Quand je fus devenu homme, Tyr la sacrée m’accueillit.


Et quand j’atteignis la vieillesse, c’est la patrie de Dzeus, Kôs, * qui, moi aussi, m’inscrivit comme citoyen des Méropes et dans mon grand âge me nourrit.


Les Muses m’ayant (choisi) entre un petit nombre, moi le fils d’Eukratès Méléagros * encore enfant, faisaient briller en moi des grâces milésiennes.


C


(Être) ailé, pourquoi portes-tu un épieu ? et pourquoi cette peau de sanglier *. Et toi-même qui es-tu ? de qui es-tu le symbole funéraire ?


Car je ne te nommerai pas Erôs. Quoi donc ? voisin des morts, * (es-tu) le Désir ? Pleurer, le hardi ne sait pas.


Et tu n’es pas non plus Kronos aux pieds rapides ; car au contraire * celui-là est trois fois vieux, et à toi tes membres fleurissent.


Mais certes oui je le pense : celui qui est là sous la terre est un sage *, et toi, l’Ailé, tu es son nom et sa voix.


Tu as l’épieu à deux pointes de la Latonide, pour le rire * et pour le sérieux, et peut-être pour le vers qui chante Erôs.


Oui, certes, tu es l’homonyme de Méléagros fils d’Oïncas, * disent ses attributs de la chasse au sanglier.


Salut, même dans la pourriture, parce que les Muses et l’Erôs, * les Kharites et la Sagesse, ensemble tu as tout mêlé.


CI


Homme, moi Hêrakleitos qui ai seul trouvé la
   sagesse
 Je dis : le patriotisme est supérieur même à la
  sagesse.
Je me suis battu pour mes pères en Asie, étranger
   contre des hommes malveillants,
 À coup d’injures : reconnaissance éclatante pour
  ceux qui m’avaient nourri.
Tu ne t’en va pas ? — Sois moins dur. — Va-t’en.
   Bientôt je te traiterais
 Plus durement. Bon voyage hors de ma patrie
   Ephèse



CII


La Kypris, étant femme, nous jette une flamme
  désireuse des femmes,
 Mais c’est un mâle désir que régit Érôs.
Où pencherai-je ? vers l’enfant ou la mère ? Je dis
  qu’Elle-même
 Kypris déclare : « Il est vainqueur, l’audacieux
  enfant. »



CIII


Kypris me soit pilote, et qu’Érôs veille à la barre,
 Par le bout ayant en main la clef de mon âme.
Le lourd Désir souffle en tempête, et maintenant
 Je nage dans la mer universelle des enfants.



CIV


Si les Désirs t’aiment, Philoklès, et la parfumée
Peïthô ; et, fleurissantes de beauté, les Kharites,
  etc., etc., etc.



CV


Agréable est Diodôros, aux beaux yeux Hêrakleitos,
 Harmonieux Diôn, aux beaux reins Oudiadès.
Or, puisses-tu toucher cette belle peau ; et l’autre,
  Philokléis,
 Le voir, à l’autre parler, à l’autre le reste,
Pour que tu saches combien mon esprit est peu
  envieux. Mais si vers Myïskos
 Avidement tu regardais, puisses-tu ne plus voir
  le bel enfant.



CVI


A rayonné une douce beauté ! Voici qu’il jette
  des flammes de ses yeux.
 Est-ce qu’Érôs lui a enseigné à combattre avec
  la foudre ?
Salut à celui qui apporte le rayon des Désirs aux
  mortels, Myïskos.
Puisses-tu éclairer sur la terre pour moi une
  lumière amie.



CVII


Pourquoi pleures-tu, trompeur d’âmes ? Pourquoi,
  les arcs et les flèches,
 Jetés, laisses-tu pendre tes deux ailes de plumes ?
Toi aussi, Myïskos l’invincible te brûle les yeux.
 Combien durement par la souffrance tu apprends
  à connaître ce que tu as fait le premier.



CVIII


Silencieux, Hêrakleitos avait dans les yeux cette
  parole :
 « Même de Dzeus je brûlerai le feu lanceur de
  foudre. »
Oui certes ; et Diodôros, en sa poitrine, dit ces
  choses :
 « Même une pierre je fondrai sur mon corps
  réchauffée. »
 Malheureux qui reçut du premier par les yeux
 L’éclair, et du second le doux feu allumé par les
  désirs.



CIX


Déjà la douce aurore. Devant la porte et sans
  sommeil
 Damis exhale ce qui lui reste de souffle,
Malheureux, car il a vu Hêrakleitos. Il se tient sous
  les rayons
 De ces yeux, jeté comme de la cire sur du charbon.
Mais éveille-toi, Damis infortuné. Moi aussi, d’Érôs.
 J’ai la blessure, et sur tes larmes je pleure.



CX


Il était beau, Hêrakleitos, quand il était.
  Aujourd’hui, après la jeunesse
 Sa peau déclare la guerre à ceux qui montent
  par derrière.
Mais, Polyxénidè, ne crie pas victoire pour cela,
 Il y a aussi dans les dunes une naissante Némésis.



CXI


Le délicat Diodôros vers l’es jeunes gens jetant des
  flammes
 Est pris par les yeux hardis de Timarios.
Le doucement mauvais Erôs lui ayant jeté une
  flèche, le nouveau [blessé]
 Avec étonnement j’ai vu. Flambe le feu au feu
  allumé.



CXII


Si Érôs n’avait ni arc, ni aile, ni carquois
 Ni les pointes enflammées des désirs,
— Que l’Ailé lui-même en témoigne — jamais tu
  ne connaîtrais
À la beauté, lequel est Dzôilos et lequel Erôs.



CXIII


Si Erôs avait une khlamyde, et pas d’ailes, et sur
  le dos
 Ni arc ni carquois, mais un petase,
Certes, par le mol éphèbe je le jure, Antiokhos
 Serait Erôs, et Erôs par contre Antiokhos.



CXIV


Kypris nie avoir enfanté Erôs depuis qu’elle a vu
 Cet autre Himetos parmi les jeunes gens :
  Antiokhos.
Or, jeunes gens, aimez le nouveau Pothos, car
  l’enfant
 On l’a trouvé plus beau, cet Erôs, qu’Erôs.



CXV


Sur la route marchant vers midi j’ai vu Alexis,
 À l’époque où les cheveux des champs sont tondus
  avec les moissons,
Et deux rayons m’ont embrasé, celui d’Erôs
 Hors des yeux de l’enfant, et celui de Hélios.
Mais ceux-ci, la nuit les assoupira ; tandis que ceux-
  là, dans les songes
 L’image de la beauté davantage les embrasera.
Lui qui délivre les peines des autres, le sommeil, à
  moi ne me donne que de la peine ;
Vivante flamme, il évoque en mon âme la beauté.



CXVI


Dans un doux rêve nocturne, etc.



CXVII


La peine a commencé à toucher mon cœur ; comme
  il était irrésolu
 Ce soir, le chaud Erôs l’a chatouillé
Et a dit en souriant : « Tu auras encore une fois
  le doux rêve,
 Ô malheureux en amour, toi qui violemment
  t’enflamme, et doucement. »
Et alors, le jeune homme fleuri parmi les jeunes
  gens, Diophantos,
 Je l’ai vu, et ni fuir, ni rester je ne pouvais.



CXVIII


Je te supplie, Erôs, que l’insomnie, etc.



CXIX


À toi la déesse maîtresse des désirs m’a donné, à
  toi, Théokléis,
 Le mollement chaussé Erôs m’a étendu nu
Étranger à l’étranger, m’ayant vaincu par d’imbrisables
  liens.
 Je désire que m’arrive l’immuable amitié.
Mais toi tu méprises celui qui t’aime ; et [rien] ne te
  charme,
 Ni le temps, ni l’union d’une commune chasteté.
Sois propice, maître, sois propice, car le Daïmôn t’a
  fait dieu.
En toi est de ma vie l’issue et la mort.



CXX


Buveurs de vin, recevez hors de la mer celui qui
  ensemble la mer
 Et les pirates ayant fui, sur la terre est perdu.
À peine, en effet, hors de la nef avais-je un pied sur
  terre.
 Que me chasse et m’entraîne le violent Erôs
Là où j’avais vu l’enfant aller et venir.
 Spontanément et malgré moi j’y porte les pas
  en hâte
Et je suis ivre, non pas de vin dans l’âme, mais par
  le feu rempli.
 Mais pour un ami, étrangers, venez à son secours,
Venez au secours, ô étrangers, et par Erôs
  hospitalier
Recevez celui qui se meurt et qui supplie pour
  l’amitié.



CXXI


Bois, malheureux amant, et que ta flamme
  philopède
 Soit apaisée par le donneur d’oubli Bromios.
Bois, et vidant toute une coupe de vin
 Chasse de ton cœur l’odieuse peine.



CXXII


Ô traîtres de l’âme, chiens d’enfants, toujours par
  la glu
 De Kypris les yeux et les regards enduits,
Vous avez pris l’autre Erôs [oui, comme] le loup
  l’agneau, comme la corneille
 Le scorpion, comme la cendre le feu qui brûle
  par dessous.
Faites ce que vous voulez. Que sert de verser
  d’humides
 Larmes ? vers le suppliant vous désertez vite.
Vous brûlez pour la beauté, vous êtes enfumés et
  brûlés par dessous
 Car le plus haut cuisinier de l’âme est Erôs.



CXXIII


Malheureux amants, à qui la philopédie
 Est connue, vous qui avez goûté ce miel amer,
De l’eau fraîche, je vous supplie, fraîche, vite, à
  peine fondue
 De la neige, versez-la-moi autour du cœur,
Car j’ai osé regarder Dionysios. Mais, ô mes
  compagnons d’esclavage,
 Avant qu’il ait atteint mes entrailles, le feu qui
  est en moi, éteignez-le.



CXXIV


Crieur d’aurore, mauvais messager aux malheureux
  amants, maintenant trois fois maudit,
 Dans la nuit tu pousses des cris perçants,
Arrigé sur le lit, pendant le peu de nuit
 Qu’il me reste à aimer l’enfant, et tu ris heureux
  sur mes peines.
C’est là ta reconnaissance à ton nourrisseur ? Par
  la vaste aurore
 Tu chanteras la dernière de tes mauvaises
  chansons.



CXXV


En marbre parien a été sculpté Erôs
 Par Praxitélès, qui avait moulé le fils dv Kypris.
Maintenant le beau des dieux, Erôs, vivante statue
 Se prenant pour modèle a modelé Praxitélès.
De sorte que l’un chez les morts, l’autre au ciel,
  règnent sur les charmes
 Et que sur terre ensemble ils règnent sur les
  désirs des heureux.
Ville fortunée des Méropes, qui nourris l’enfant divin,
 Le nouvel Erôs, le maître des jeunes hommes.



CXXVI


Il est doux qu’au vin pur soit mêlée l’humeur des
  abeilles,
 Il est doux d’aimer des enfants quand on est
  beau soi-même,
Comme le mollement chevelu Kléoboulos, aimé par
  Alexis.
 Pour les mortels c’est le miel-au-vin de Kypris.



CXXVII


Le blanchement fleuri Kléoboulos, contre la peau
  brune
 De Sôpolis, sont tous deux de Kypris les
  porteurs de fleurs.
C’est pour cela que le désir des enfants me
  poursuit, car les Erôs
 M’ont tressé de blanc, disent-ils, et de noir.



CXXVIII


Si quelque chose m’arrive, Kléoboulos (car presque
  tout mon feu pour les enfants
 Gît rejeté, et les restes en cendres)
Je t’en prie, remplis de Vin, avant de l’enterrer,
 Une urne, où cette inscription : « Don d’Erôs à
  Hadès. »



CXXIX


Quand je vois Thérôn, je vois tout. Quand je vois
  tout
 Et lui pas, au contraire je ne vois rien.



CXXX


Tu as dit, par Kypris, ce que pas un dieu,
  audacieux,
 N’aurait osé : Thérôn ne te paraît pas beau.
Il ne te paraît pas beau, Thérôn, mais tu es seul à
  le nier
 Et tu n’as pas peur du feu foudroyant de Dzeus.
Car regarde l’autrefois harmonieux qu’expose
 Comme exemple d’une bouche trop hardie, la
  triste Némésis.



CXXXI


Pour moi, Thérôn n’est plus beau, ni celui qui
  était de feu
 Autrefois, et maintenant tison : Apollodotos.
J’aime l’amour féminin. Que la pression aux trous
  velus
 Des lascifs, soit à cure aux pasteurs qui saillent
  les chèvres.



CXXXII


Je n’ai plus la manie des éphèbes au cœur ;
  pourquoi serait-ce doux, Erôs,
 D’aimer des hommes, si n’ayant rien donné je
  voulais prendre ?
La main appelle la main ; une belle maîtresse
  attend
 De tout homme des amours viriles.