À M. Ménard, président d’Orillac.
Maintenant que du Capricorne
Le temps mélancolique et morne
Tient au feu le monde assiegé,
Noyons nostre ennuy dans le verre,
Sans nous tourmenter de la guerre
Du tiers état et du clergé.
Je sçay, Ménard, que les merveilles
Qui naissent de tes longues veilles
Vivront autant que l’univers ;
Mais que te sert-il que ta gloire
Se lise au temple de Memoire
Quand tu seras mangé des vers ?
Quitte cette inutile peine,
Beuvons plûtost à longue haleine
De ce nectar délicieux,
Qui pour l’excellence precede
Celuy mesme que Ganimede
Verse dans la coupe des Dieux.
C’est luy qui fait que les années
Nous durent moins que des journées ;
C’est luy qui nous fait rajeunir
Et qui bannit de nos pensées
Le regret des choses passées
Et la crainte de l’avenir.
Beuvons, Ménard, à pleine tasse ;
L’âge insensiblement se passe,
Et nous mene à nos derniers jours ;
L’on a beau faire des prieres,
Les ans non plus que les rivieres
Jamais ne rebroussent leur cours.
Le printemps vétu de verdure
Chassera bien-tost la froidure,
La mer a son flux et reflux ;
Mais depuis que nostre jeunesse
Quitte la place à la vieillesse,
Le temps ne la ramene plus.
Les loix de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu’aux taudis couvers de roseaux.
Tous nos jours sont sujets aux Parques ;
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupez des mesmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s’efface,
Ravissent en bien peu d’espace
Ce qu’on a de mieux établi,
Et bien-tost nous meneront boire
Au-delà de la rive noire
Dans les eaux du fleuve d’oubly1.
1. Cette ode et un peu la fin de la précédente offrent quelques reflets de la philosophie d’Horace. Celle-ci surtout semble avoir été particulièrement inspirée par la 4e et la 9e du 1er livre :
Vides ut alta stet nive candidum
Soracte…, etc.