Œuvres complètes de Saint-Just/Tome 1/V. Rapport sur l’affaire des biens communaux

La bibliothèque libre.
Rapport fait sur l'affaire des biens, Texte établi par Charles Vellay, Eugène Fasquelle, éditeur (L’Élite de la Révolution)Tome premier (p. 225-229).


V

RAPPORT SUR L’AFFAIRE DES BIENS COMMUNAUX


Des contestations s’étaient élevées entre la municipalité de Blérancourt et le châtelain, M. de Grenet, au sujet de certains droits de propriété. Saint-Just, auquel son titre de licencié ès lois donnait autorité en pareille matière, fut choisi pour représenter la municipalité dans les pourparlers qui s’engagèrent. Les archives communales de Blérancourt contiennent, à la date du 17 octobre 1790, le rapport suivant de Saint-Just sur cette affaire :


Messieurs,

Le Conseil général de la commune m’a prié de vous rendre compte de mes démarches auprès de M. de Grenet pour la rentrée de vos paturaux et m’a surtout chargé de vous exprimer avec quelle droiture M. de Grenet en a agi envers lui. C’est une erreur de la part de ceux qui vous ont fait signer un arrêté de maison en maison que d’avoir cherché à vous persuader que vous deviez être présents à une conférence de deux mandataires, car, outre le tumulte qui agite ordinairement une assemblée confuse, c’eut été gêner la discussion.

La municipalité chargée de surveiller vos intérêts a fait toutes les démarches nécessaires auprès de M. de Grenet. L’administration fixa le premier pourparler au quinze octobre. M. de Grenet avisait le Conseil, par une lettre du deux octobre, que son mandataire arriverait le quatorze et que le Conseil eut à en choisir un en même temps.

Ce choix tomba sur moi : on me dira que je l’ai provoqué. Oui, sans doute, et je provoquerai sans vanité toutes les occasions de vous être utile tant en public qu’en particulier.

Le Conseil général, qui avait traité avec M. de Grenet, s’assembla dimanche dernier pour la rédaction de mon pouvoir.

Il porte Art. 1er, que je témoignerai à mon collaborateur le respect et la confiance de la communauté envers M. de Grenet et son arbitre ;

L’art. 2e porte qu’aussitôt après la première conférence, après la discussion des droits respectifs et être convenu des préliminaires d’une transaction, la communauté sera convoquée à la diligence du bureau et que je rendrai compte des opérations dans l’assemblée générale, dont le vœu sera consulté. Ce vœu sera ensuite manifesté à M. de Grenet, et quand les intérêts et les volontés de part et d’autre seront déterminés, mon pouvoir cesse. Alors, M. de Grenet stipulant, d’un côté, par l’organe de son mandataire, et la communauté en personne stipulant, assistée à cet effet d’un commissaire qui viendra du district, passeront une transaction positive et absolue.

J’ai représenté mon pouvoir à MM. les administrateurs pendant mon séjour à Coucy ; ils l’ont confirmé ad hoc.

Ces réflexions étaient nécessaires pour vous convaincre de la droiture de votre Conseil général ; en effet quel intérêt particulier peut l’animer, puisque l’intérêt est commun entre vous ?

Je passe à l’ordre des discussions dont il s’est agi dans la conférence de vendredi, quinze du présent mois.

On a d’abord fait lecture des titres qui établissent vos droits. Vous possédez :

1° 46 arpents 65 verges d’usages et pâtures grasses, séants proche le bois des Pentiers.

2° 1 arpent 25 verges appelé le marais Harquinot.

3° 65 verges, appelé le marais Pierres.

4° 5 arpents 35 verges, appelé le marais Saint-Pierre.

5° 3 arpents 85 verges, appelé le marais de la Croizille.

6° 63 verges, lieu d. la Rouillie.

7° 7 verges à fol.

8° 1 arpent 62 verges au Gleloy.

9° 8 arpents et demi à Cavecy.

10° 44 arpents de Riez en diverses parcelles, lieu d. le Riez de Notre-Dame-des-Vignes, dans laquelle quantité est compris le marais du Muzet, terroir de Bresson.

11° 11 arpents 30 verges au lieu d. Trois-Fontaines.

12 Un droit de pâturage avec plusieurs, au Marais Saint-Martin et Riez des fressures et ceux du Sr Albin.

13° 1 arpent à la longue Faux.

14° 2 arpents et demi d’usage au champ de la Herse.

15° La moitié de trois quartiers au lieu d. Planque.

16° Le Marais du Château.

17° Le Marais du Rogard.

18° Le Marais Tombiau sis aux Barbiers.

Soit, au total, environ 136 arpents.

Il ne reste plus qu’à faire arpenter les différentes pièces, à en séparer les limites des propriétés de M. de Grenet par un bornage, et c’est ce qui doit avoir lieu aussitôt après l’assemblée primaire qui se tiendra mercredi.

M. de Grenet a proposé à la communauté prestation annuelle pour jouir du droit de planter sur vos communes. La question a été ajournée après la transaction sur le fond, parce qu’en toutes choses il faut poser le principe.

M. de Grenet s’est proposé pour acheter vos plantations actuelles. La question a été ajournée pour le même motif. Il s’est agi de l’acquisition de la Halle, soit en compensation, soit en échange, et ce n’est point encore ici le moment de prononcer là-dessus.

Je me résume, et j’ai l’honneur de vous observer, Messieurs, qu’il n’est question en ce moment que d’arpenter et borner les communes d’après les titres ; ensuite vous vous occuperez des détails. Les questions incidentes mûriront pendant la solution du fond, et vous aurez le loisir de vous décider sur les véritables intérêts.

Il me reste à faire une dernière réflexion, et la voici : quelques-uns sont effrayés de la rentrée de vos communes parce qu’ils en tiennent à cens quelques parties, et s’imaginent avec raison qu’ils en seront dépossédés ; mais il est libre à la communauté de les prendre en considération et de ménager les engagements sur la foi desquels ils reposaient.

L’opération serait malheureuse s’il en résultait une disgrâce de quelques-uns, et même d’un seul. L’intérêt public n’est que la réunion et l’harmonie des intérêts particuliers. Personne n’aura sans doute à se plaindre, et ceux que leurs préjugés ou des craintes particulières, et quelques insinuations, éloignaient hier du sentiment général, regretteront peut-être d’en avoir été détournés.

Pour moi, qui n’attache à l’emploi dont je suis chargé d’autre importance que celle de vous être bon à quelque chose, qui ne cherche point les honneurs, mais le bien et l’oubli ensuite, j’achèverai l’ouvrage qui m’est confié, trop payé sans doute par le plaisir de l’avoir fait.

Vous n’avez, Messieurs, à vous occuper aujourd’hui que du soin de faire parvenir à M. de Grenet vos sentiments de reconnaissance et d’attachement, et qu’à prier le conseil de la commune d’obtenir incessamment de l’administration sun autorisation pour l’arpentage qui doit commencer vendredi prochain.

Vous déciderez ensuite, dans une autre assemblée, sur les propositions de M. de Grenet ; elles méritent d’être considérées, puisqu’elles sont un pur effet de la bonté de son cœur. Il faut, après, envisager ce qui peut être le plus intéressant pour l’intérèt commun ; car enfin ces communes sont le bien de tous, le patrimoine commun auquel tout le monde doit participer également. Ce serait injustement que quelques-uns prétendraient s’en attribuer le profit, et ce serait encore plus vainement, puisque les administrations surveillent l’emploi des deniers publics et qu’il n’est pas possible au plus mal intentionné d’en altérer l’application. Le produit sera constaté par un acte public, la communauté présente, et les comptes seront publiquement rendus. Ceci était nécessaire pour répondre à quelques personnes qui s’attachent depuis longtemps à troubler l’ordre et font circuler dans le public que l’un a touché mille francs, l’autre soixante livres, du prix des communes. Je suis chargé d’interpeller dans cette assemblée les auteurs de cette calomnie et de les sommer de rendre leur accusation publique, faute de quoi je prie l’assemblée de les regarder comme des imposteurs qui ne veulent que le et qu’il n’est plus permis d’écouter. Comme depuis quelque temps quelques personnes sont en titre de travestir mes actions, je demande, Messieurs, que le compte que je viens de vous rendre soit consigné au procès-verbal de cette assemblée. qui doit passer à l’administration, et qu’il soit constaté que je n’ai rien dit de plus.