Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Élégie (Cruelle, à quel propos prolonges-tu ma peine ?)

La bibliothèque libre.
ELEGIE.

Cruelle, à quel propos prolonges tu ma peine ?
Qui t’a sollicitée à renouer ma chaisne ?
Quel démon ennemy de mes contentemens
Me vient remettre encore en tes enchantemens ?
Mon mal alloit finir, et déjà ma pensée
Ne gardoit plus de toy qu’une image effacée ;
Ma fièvre n’avoit plus que ce frisson léger
Qui du dernier accez achevé le danger ;
Encore un jour ou deux de ton ingratitude,
Et j’allois pour jamais sortir de servitude.
Ce n’estoit plus l’amour qui guidoit mon désir,
Il m’avoit achevé sa peine et son plaisir.
Je songeois aux douceurs que ce printemps présente,
Mes yeux trouvoient desjà la campagne plaisante.
Nous avions fait dessein, mon cher Damon et moy,
D’estre absens quelques jours de Paris et de toy.
Pour faire esvanouyr les restes de la flame
Qui si subitement ont rallumé mon ame.
Tout du premier object ses charmes inhumains
Ont reblessé mon cœur et rattaché mes mains.
Il n’a fallu qu’un mot de ceste voix traistresse.
Que voir encore un coup les yeux de ma maistresse.
Au moins s’il se pouvoit qu’un désir mutuel
Nous eust lié tous deux d’un joug perpétuel.
Que jamais son caprice et jamais ma cholere
N’alterast en nos cœurs le soucy de nous plaire.
Jamais de nos plaisirs n’interrompist le cours.
Je serois bien heureux de l’adorer tousjours.
Lorsqu’à l’extrémité ma passion pressée |
Se voit dans ton accueil tant soit peu caressée.
Et que ta complaisance, ou d’aise et de pitié,
Ne laisse pas long-temps languir mon amitié,

Je sens dans mes esprits se respandre une joye
Qui passe tous les biens que la fortune envoyé.
Si Dieu me faisoit roy je serois moins content,
L’empire du soleil ne me plairoit pas tant ;
Au sortir des plaisirs que ta beauté me donne,
Je foulerois aux pieds l’esclat d’une couronne,
Et, dans les vanitez où tu me viens ravir.
Je tiendrois glorieux un roy de me servir.
Sans toi pour m’enrichir nature est infertile,
Et pour me resjouyr Paris mesme inutile.
Toy seul es le trésor et l’object précieux
Où veillent sans repos mon esprit et mes yeux,
Et, selon que ton œil me rebute ou me flatte,
Dans le mien ou la joye ou la fureur esclatte.
Quand mes désirs, pressez du feu qui les poursuit,
Cherchent dans tes faveurs une amoureuse nuict,
Si peu que ton humeur refuse à mon envie.
Tu fais pis mille fois que m’arracher la vie.
Souviens toi, je te prie, à quel point de douleur
Me fit venir l’excez de mon dernier malheur ;
Combien que mon respect avecques des contraintes
Se voulut efforcer de retenir mes plaintes.
Tu sçais dans quels tourmens j’attendis le soleil.
Et par quels accidens je rompis ton sommeil.
Panché dessus les bords d’un gouffre inévitable,
Tu me vis supporter un mal insupportable.
Un mal où mon destin te faisoit consentir,
Quoy qu’il t’en preparast un peu de repentir.
Dans le ressentiment de ce cruel outrage,
Ma raison par despit esveilla mon courage.
Je fis lors un dessein de séparer de moy
Ceste part de mon cœur qui vit avecques toy,
De ne songer jamais à retrouver la trace
Par où desjà souvent j’avois cherché ta grâce.
Damon estoit tousjours auprès de mon esprit,

Pour l’assister au cas que son mal le reprit.
Je rappellois desjà le jeu, la bonne chère.
Ma douleur tous les jours devenoit plus légère.
Je dormis la moitié de la seconde nuict ;
L’absence travailloit avec beaucoup de fruict ;
Desjà d’autres beautez avec assez de charmes
Diverlissoient ma peine et tarissoient mes larmes ;
Leur naturel, facile à mon affection,
Avoit mis ton esclave à leur dévotion,
Et, comme une amitié par une autre s’efface.
Chez moy d’autres objects avoient gaigné ta place,
Lors que ta repentance, ou plustost ton orgueil,
Irrité que mes maux estoient dans le cercueil.
Me ramena tes yeux, qui chez moy retrouvèrent
La mesme intelligence alors qu’il arrivèrent ;
Tes regards n’eurent pas examiné les miens
Que je me retrouvay dans mes premiers liens ;
Ma raison se dédit : mes sens, à ton entrée.
Sentent qu’un nouveau mal les blesse et les recrée,
Et, du mesme moment qu’ils ont cogneu leurs fers.
Ils n’ont peu s’empescher qu’ils ne s’y soient offerts.
Caliste, s’il est vray que ton cœur soit sensible
Au feu qui me consume, et qui t’est bien visible ;
S’il est vray que tes yeux, lors qu’ils me vont blesser.
Ont de la confidence avecques ton penser.
Que ma possession te donne un peu de gloire,
Que jamais mon object ait flatté ta mémoire.
Ainsi que tes regards, ta voix et ton beau teint
Ont leur pourtraict fidelle en mon cœur bien empreint,
Considère souvent quel plaisir, quelle peine.
Me fait, comme tu veux, ton amour ou ta haine ;
Pardonne à ma fureur une importunité
Qu’elle ne te fait point avec impunité :
Car je veux que le Ciel m’accable du tonnerre
Si tousjours ma raison ne luy fait point la guerre,

Et je croy que le temps m’assistera si bien
Qu’en fin j’accorderay ton désir et le mien.