Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Le tombeau de Theophile

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LE TOMBEAU DE THEOPHILE.

Par Monsieur Descudery.


Malgré l’avarice et l’orgueil,
Qui vont s’opposant à ta gloire,
Dans le temple de la Memoire
Je te veux bastir un cercueil ;
Ce tombeau que je te prepare,
Sans estre de marbre de Pare,
Durera bien d’autre façon ;
Il verra finir la nature,
Monstrant par son architecture
Qu’Apollon est maistre masson.

Sans me servir d’aucun metal,
Foullant aux pieds l’or et la nacre,
La fine lacque et l’azur d’Acre,
Qui touchent les yeux du brutal,
Je te consacre un mausolée
D’une beauté plus signallée
Que tous ceux qu’on nous a descrit,
Et dont les raretez sont telles
Qu’on les doit juger immortelles,
Puis qu’on ne les voit qu’en esprit.

Les cedres exempts du trespas,
Que le temps ne met point en poudre,
Et les verds lauriers, dont la foudre
En grondant ne s’aproche pas,

Serviront à faire les niches,
Frises, chapiteaux et corniches,
Les colomnes d’ordres divers ;
Mais dans ce pompeux edifice,
Pour monstrer un rare artifice,
Je ne dois monstrer que tes vers.

Je veux y mettre ce vallon
Où tu possedois les neuf Muses,
Et les y paindre aussi confuses
Comme pour la mort d’Apollon :
Là ce Dieu, dont tu fus la cure,
Semblera quereller Mercure
Et le morguer avec mespris,
Luy reprochant que par envie
Sa verge t’osta de la vie,
De peur de perdre un plus beau prix.

J’y veux paindre Parnace encor,
Hipocrene en son onde molle,
Et, dessus ce cheval qui volle,
La Renommée avec son cor,
Qui, monstrant le globe du monde,
Infiny dans sa forme ronde,
Dira que de mesme aujourd’huy
Ton renom, que j’immortalise
Dans ces vers que je veux qu’on lise,
N’aura de fin non plus que luy.

Après, d’un artiste burin,
Enchainez et la teste basse,
J’y mettray Filin[1], de Garasse,
Et le guaillard pere Guerin,
Dont les trois diverses follies
Aux plus noires melancholies
Derideront le front hideux ;

Et certes je commence à craindre
Qu’un passant, au lieu de te plaindre,
Ne s’amuse à se mocquer d’eux.

Dessus ces fantasques tableaux
Je mettray ces riches peintures,
Dont parmy les races futures
Tous les traicts seront trouvez beaux :
Socrate en la fin de sa vie,
Ta belle Maison de Sylvie,
Thisbé, Pirame en son malheur,
Dont la pitoyable advanture
Estonna si fort la nature
Qu’un fruit en changea de couleur.

Du plus hardy traict de nostre art,
Dessus ce monument superbe
Sera le portraict de Malherbe,
Et plus haut celuy de Ronsard,
Qui, s’ostant chacun la couronne
Dont leur docte chef s’environne,
Diront, par cette humilité,
Qu’on ne peut refuser hommage
À la grandeur de ton ouvrage
Sans un excez de vanité.

Bref, enfin ma main te promet,
Sous la faveur d’un bon augure,
D’y placer encor ta figure,
Que je gardois pour le sommet :
Là, d’un air aussi doux que grave,
Mon dessein veut que je la grave
Toute droicte, eslevant les yeux,
Pour dire aux ames insensées
Que tu ne prenois tes pensées
En aucun lieu que dans les cieux.

Ô Dieu, le triste souvenir
De ta mort, cher amy, me tue,

Et fait qu’au bas de ta statue
J’escris ces six vers pour finir :
Cy gist un homme incomparable,
Que le sort rendit miserable ;
Passant, son los ne périra :
Car son œuvre n’a que reprendre ;
Son nom, si tu le veux aprendre,
Tout l’univers te le dira.


  1. Filin est mis là pour Voisin.