Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Thisbé, pour le pourtraict de Pyrame

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THISBÉ POUR LE POURTRAICT DE PYRAME, AU PEINTRE.


Fay-moy, de grâce, une peinture,
Si tu fis jamais rien de beau,
Toy qui des traicts de ton pinceau
Surpasses l’art et la nature,
Mais sans prendre plus de loisir
Que mon impatient désir
Ne peut accorder à mon ame,
Au moins apporte-moy demain
Le portraict de l’œil de Pyrame
Ou celuy de sa belle main.
N’eusse-tu tracé que l’ombrage
De son front ou de ses cheveux,
Ne fais point tant languir mes vœux
En l’attente de ton ouvrage.
Apporte moy dès aujourd’huy
Quelque petit semblant de luy ;
Peintre, n’as-tu rien fait encore ?
Tu recherches trop de façon :

Pour le pourtraict de Pyrame.
Il ne faut que peindre l’Aurore
Sous l’habit d’un jeune garçon.
Cognois-tu les lis et les roses ?
En sçay-tu faire les pourtraicts ?
En un mot, sçay-tu tous les traicts
De toutes les plus belles choses ?
As-tu veu ces tableaux hardis
Qui, sur les autels de jadis,
Ont porté le pinceau d’Appelle ?
Sçache que tu m offenceras
De ne prendre au plus beau modelle
Un portraict que tu luy feras.
Suy tous les plus fameux exemples
Des peintres morts ou des vivans !
Voy tout ce que les plus sçavans
Ont fait pour embellir nos temples ;
Voy le teint, les yeux et les mains
Dont l’artifice des humains
A voulu figurer les anges ;
Leur plus superbe monument
Doit quitter toutes ses louanges
A l’image de mon amant.
Si tu voulois peindre Hyacinthe
Pour le faire voir au soleil,
Ou d’un plus superbe appareil,
Vaincre le Tasse en son Aminthe,
Tu peindrois Pyrame ou l’Amour,
Ou ce premier esclat du jour,
Lors que sans ride et sans nuage,
Dans le ciel, comme en un tableau,
Il fait luire son beau visage
Tout freschement tiré de l’eau.
Sois, je te prie, un peu barbare ;
Pour bien faire, ouvre— moy le sein.
Tu dois là prendre le dessein

D’une occupation si rare.
Pleust au Ciel qu’il te fust permis
De le voir comme amour l’a mis
Au plus profond de mes pensées !
Car c’est où ses perfections
Paroissent vivement tracées,
Aussi bien que mes passions.
Mais pardonne à ma jalousie :
S’il se peut sans t’injurier,
Laisse-toy derechef prier
De le peindre à ma fantaisie.
Ne demande point à le voir,
Car, pour bien faire ton devoir
Et ne me faire point d’injure,
Tu le peindras comme les Dieux,
De qui tu fais bien la figure
Sans qu’ils soient presens à tes yeux.