Œuvres de Albert Glatigny/Catherine

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 202-206).

Catherine.


À Jules Cleretie.


I


La petite servante à la mine éveillée
Qui vient faire nos lits,
Et dont on aime à voir la figure émaillée
De roses et de lis ;
Celle qui rit si bien, avec des dents si blanches,
Et met si crânement
Ses pauvres petits poings tout mignons sur ses hanches
Au souple mouvement

Catherine aux yeux bleus, Catherine la blonde,
Celle à qui nous frappons
Quelquefois sur la joue étincelante et ronde,
Ce printemps en jupons ;

Catherine pleurait tantôt à fendre l’âme,
Et, de ses jolis doigts
Essuyant ses doux yeux, elle me dit : « Madame
N’est pas bonne parfois ! »

On l’avait, paraît-il, sur le matin, surprise
Se laissant embrasser !
Madame était entrée en une fureur grise,
Et la voulait chasser.

« Et, comme on doit mourir un jour, je vous le jure,
Le mal n’était pas grand ! »
Et, malgré son chagrin, la rose créature
Souriait en pleurant.

Ah ! qu’elle était jolie avec son air timide,
Disant : « J’ai le cœur gros ! »
Pendant qu’elle passait sur sa paupière humide
Un mouchoir à carreaux.

Ses bras fermes sortaient des manches retroussées ;
Son fichu de travers
Laissait voir ses deux seins aux formes accusées
À moitié découverts.

Dans ses cheveux hardis tombés, des brins de paille
Les crespelaient encor :
On eût dit, à la voir, un oiseau qui tressaille
Et va prendre l’essor.

Sa chair mouillée avait, au travers de ses larmes,
Ces parfums séduisants
De force et de santé qui donnent tant de charmes
Aux filles de seize ans !

« Hélas ! monsieur, hélas ! qu’est-ce que je vais faire ?
Mon oncle est furieux ! »
Moi, je lui promettais d’arranger cette affairé
Si grave pour le mieux :

« Ne faisons pas l’enfant, petite Catherine,
Allons ! de la vigueur ! »
Et j’embrassais ses yeux, pendant que sa poitrine
S’appuyait sur mon cœur.

II


Je la retrouverai, ma jeune paysanne,
Oui, mais exerçant l’art
Libéral et surtout rente de courtisane,
Dans un an au plus tard.

Le velours noblement couvrira sa poitrine ;
Elle aura des bijoux,
Et son portrait sera derrière la vitrine
De Susse et de Giroux.

Elle fera pâmer, par l’ampleur de sa danse,
Mabille et l’Opéra ;
Elle dira des mots que, dans l’Indépendance,
Mané répétera.

Elle fera sortir de terre devant elle
Des princes et des lords,
Et dans un océan somptueux de dentelle
Elle noiera son corps.

Sa joue aura perdu ses bonnes couleurs crues,
Et ses cheveux mouvants,
Poudrés d’or, auront fait d’importantes recrues
Chez des coiffeurs savants.

Elle ne mettra plus ses poignets sur ses hanches,
Si ce n’est pour danser ;
Ses bras auront blanchi lorsque par d’autres manches
On les verra passer.

On ne lui dira plus qu’en tremblant : « Je vous aime ! »
Et mille soupirants
Viendront à ses genoux, et peut-être moi-même
Serai-je dans leurs rangs !

Peut-être lui dirai-je : « Adorable inhumaine,
Voyez ma passion ! »
Et je la nommerai, dans mes vers : Célimène,
Avec conviction.

III


En attendant ces jours de gloire, reste encore
Telle que je te vois,
Ô cher petit Rubens plein d’un rire sonore
Qui semble être ta voix !

J’ai promis d’obtenir avant demain ta grâce,
Et tu l’auras ce soir :
Ainsi ne pleure plus et viens que je t’embrasse ;
On ne peut pas nous voir !