Œuvres de Albert Glatigny/Le Départ

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 166-169).

Le Départ.

À Joseph Kuntz.



Espoirs ! ruines écroulées !
Le bonheur avare s’enfuit.
Voici ses heures désolées
Qui tintent dans la grande nuit.

Le vieux château sur les ténèbres
Détache son bloc sombre et dur.
Un nid rempli d’oiseaux funèbres
Hurle dans les fentes du mur.


Dans la solitude qui pleure,
Nul écho de rire ou de chants ;
Mais sur le seuil de la demeure
Les sphinx ouvrent leurs yeux méchants,

Et, dans cette ruine immense
Qui penche sur ses noirs piliers,
Le Deuil austère et la Démence
Passent, l’un à l’autre liés.

Salut, ô mes vieux camarades !
C’est vous dont la voix m’appelait
Dans ces menteuses mascarades
Où l’éclat de rire râlait !

Voilà qu’il faut se mettre en route,
Aujourd’hui plutôt que demain.
Soit ! Nous emmènerons le Doute
Pour nous divertir en chemin.

Certes, la voie est bien déserte,
Le chemin n’est pas des plus gais :
Pas un seul brin de mousse verte
Propice a nos pas fatigués !

Il faut avancer dans la boue
Lentement et péniblement ;
L’averse en passant nous bafoue,
L’hiver nous raille méchamment.


Même notre bâton se casse,
Et nos vêtements en lambeaux
Semblent montrer notre carcasse
Au bec sinistre des corbeaux.

Là, pas d’auberge bienveillante,
Balançant sa branche de houx.
ma pauvre âme ! sois vaillante,
Car le sort est cruel pour nous !

À chaque ascension perdue
Vers le bonheur, nous retombons
Brisés sur cette route ardue,
Vouée au pas des vagabonds !

Il faut marcher, souffrir sans trêve,
Épuiser l’amère liqueur ;
L’amour même nous est un glaive
Qui se rompra dans notre cœur ;

Et les yeux de la bien-aimée,
Pour d’autres bons et consolants,
De ta blessure mal fermée
Feront jaillir des pleurs sanglants.

Évite tout ce que l’on aime ;
Fuis jusqu’à la fleur, reste seul,
Et, dans ton navrement suprême,
Drape-toi comme en un linceul.


Va sans répit, ô misérable !
Par les ennuis du Sahara.
Ta plaie est la plaie incurable
Que nul baume ne guérira.

Enivre-toi de la souffrance
Comme d’autres des printemps verts :
Le cadavre de l’Espérance
Derrière toi se mange aux vers.

Et voici la bonne Folie
Ouvrant sa porte à deux battants,
Afin que ta douleur oublie
Et s’endorme quelques instants !