Œuvres de Albert Glatigny/Le château romantique

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 212-216).
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Le Château Romantique.


À Théodore de Banville.


Dans le vieux château romantique,
La garnison, nombreuse encor,
Aux cris des teneurs de boutique
Répond par des appels de cor.

La porte est solide et de chêne,
Les ais par le fer sont liés ;
C’est en vain qu’au bout de leur chaîne
Se balancent les lourds béliers.

Notre orgueilleuse citadelle
Ne craint surprise ni hasard,
Et défend, gardienne fidèle,
Le vierge pays de Ronsard.

Dans les fossés pleins d’eau courante,
Les créneaux se mirent joyeux ;
Le drapeau de mil huit cent trente
Flotte librement dans les cieux.

Et le visiteur, dès qu’il entre
Dans le donjon aux murs épais.
Voit, dans la grande cour du centre,
Les soldats s’exercer en paix.

Pas une pierre n’est tombée,
Et nul brin d’herbe, nul gramen
Au ventre de la tour bombée
N’a pu se frayer un chemin.

Les strophes des Orientales
Résonnent sous leurs hauts arceaux ;
La lyre mêlée aux crotales
Rhythme la chanson des oiseaux.

Dans les jardins du beau domaine.
Laissant fuir ses cheveux au vent,
Le doux Cœlio se promène
Avec Albertus, en rêvant.

Une ode amoureuse à chaque heure
S’épanouit, charmante a voir,
Ouvrant dans la forte demeure
Son aile au souffle de l’espoir.

Hugo, dans la tour la plus haute,
Siège, auguste, puissant, entier ;
Les autres veillent côte a côte
Près du capitaine Gautier.

Prêt a lui présenter sa lance
Suspendue aux murs de la nef,
Un page se tient en silence,
Front découvert, devant un chef.

C’est ainsi qu’il voit apparaître
Le passé grave et familier,
Attendant le jour où son maître
Voudra bien l’armer chevalier.

Entré, cette saison dernière,
Dans le grand château, j’ai suivi
Fidèlement votre bannière,
Cher maître, et je vous ai servi.

Quand vous tentiez une aventure,
J’étais là, regardant les coups,
Et je n’ai nulle forfaiture
À me reprocher près de vous.

Vous m’avez dit : « Sois sans envie.
Suis tes aînés, admire-les. »
Votre vie a guidé ma vie,
Partout où vous alliez, j’allais !

Souvent je restais dans la plaine
Quand vous gravissiez d’un pied sûr
Le mont rapide à perdre haleine,
Qui plonge dans le vaste azur.

Noyé dans l’obscure mêlée,
J’avais l’œil sur votre pennon.
Vous en haut, moi dans la vallée,
J’ai fait respecter votre nom.

Je vous ai suivi dans la voie
Où vont les cœurs crucifiés,
Et mon cœur tressaillait de joie
Chaque fois que vous triomphiez !

Mais dans l’antique forteresse,
Dont le blanc rayon du matin
À la nouvelle aube caresse
Le front redoutable et hautain,

Nous sommes plusieurs, tous fidèles,
Ayant la même loyauté,
Emplissant nos âmes jumelles
D’un même amour pour la Beauté.

Plus tard, nous serons a la taille
Des armures de nos aïeux,
Et nous courrons a la bataille
Libres, confiants et joyeux.

Ah ! que cette aurore se lève,
Et vienne échauffer notre sang ;
Nos bras impatients du glaive
S’agitent dans l’air frémissant.

l’épée au vent ! sous la cuirasse !
Le grand combat n’est pas fini.
Hardi ! les fils de haute race,
Comme aux beaux jours de Hernani !

Vienne la blessure écarlate
Teindre nos habits poussiéreux ;
Nos cœurs, que l’audace dilate,
Trouvent leurs corps étroits pour eux !