Œuvres de Albert Glatigny/Les Préfaces de Dumas fils

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 237-240).
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IV

Les Préfaces de Dumas fils.


Quel poète morose,
Est donc ce Dumas fils.
Théodore de Banville, Odes funambulesques.


L’autre jour, sur la route où le soleil abonde,
J’ai rencontré, traînant ses guêtres, Casimir,
Cet acteur chimérique à l’humeur vagabonde,
Long comme un peuplier et fier comme un émir.

Il marchait, en faisant des pas d’un kilomètre,
Effrayant le chemin de fer en son parcours,
Et, comme Eviradnus, en droit de se permettre
De trouver quelquefois les lits d’auberge courts.

Alors, le saisissant au vol par une basque
De son paletot roux, je lui dis : « Cher ami,
Suspends un peu ta course aux ailes de bourrasque,
Et veuille jusqu’à moi te pencher à demi.

Dis-moi, que penses-tu vraiment de la préface
Dont pare Dumas fils son théâtre complet ?
— Eh ! que diable veux-tu que Dumas fils méfiasse,
Répondit Casimir, aujourd’hui, s’il te plaît ?

Le soleil sur nos fronts fait éclater sa joie ;
L’arbre est gai, les oiseaux sont ivres d’air ; l’été,
Superbe et bienfaisant, sur le pré se déploie.
Que me vient faire ici ce poète attristé ?

Il est triste ! pourquoi, Seigneur ? Je le demande !
Quand les roses d’avril ont germé sous ses pas,
Lorsque, tournant vers lui ses regards en amande,
La fortune toujours prit soin de ses repas.

— C’est vrai, fis-je. De quoi se plaint-il ? Tous ses drames
Sont acclamés. Sa vie est tout miel et douceur ;
Il n’a pas d’envieux. Ceux que nous admirâmes
L’admirent. Hamburger l’appelle un grand penseur.

Nul critique hargneux et chagrin ne le nie,
Il a tous les bonheurs voulus et jalousés :
Le sort, pour lui, jamais n’eut la moindre ironie :
Que de gants sans couture à l’applaudir usés !

Il est riche, il est jeune, et pourtant l’amertume
Perce dans chaque mot qu’il prononce ; on dirait,
Quand il foule, en passant, nos trottoirs de bitume,
Un Manfred échappé de sa noire forêt.

Si les heureux du monde ont ainsi la tristesse
Au cœur, et si leurs yeux sont farouches, alors
Que diront donc les gueux, ceux qui n’ont pour hôtesse
Que l’étoile du soir riant de leurs efforts ?

Hélas ! que diront-ils, ces pauvres fils d’Icare
Que tout nouvel élan fait retomber meurtris,
Et qui, des deux rêvés où leur esprit s’égare,
Reviennent parmi nous blêmes, glacés, flétris ? »

Plus pompeux que Maubant quand il fait Théramène,
Casimir s’écria : « Ceux-là, mon fils, riront
À tout ce qui sourit dans la nature humaine,
Au soleil, à l’air pur qui caresse leur front.

Quand soufflera sur eux le vent de la tourmente,
Ils se diront qu’il n’est pas d’éternels hivers ;
Qu’après le glas pesant sonne l’heure clémente ;
Ils aimeront les fleurs, la musique et les vers.

Ils aimeront Margot, le jour où Cidalise
Se détournera deux avec son air moqueur,
Car leur âme est un champ qu’un regard fertilise ;
Car le vide jamais n’a sonné dans leur cœur.

Ils aimeront la lutte et la feront sereine ;
Ils ne maudiront rien, même s’ils sont vaincus,
Et, s’ils doivent rester étendus sur l’arène,
Ils souriront encore à tous les jours vécus.

Et lorsque, par hasard, une claire embellie
Luira dans leur orage, ils en profiteront :
Ils donneront cette heure aimée a la folie ;
Les ennuis, s’il en est, cette heure-là fuiront.

Ils auront, en un mot, la gaîté que dédaigne
Le sultan ennuyé, sceptiquement railleur,
Dont l’orgueil se torture à chaque instant et saigne ;
C’est le lot des oiseaux, ami, c’est le meilleur ! »

La-dessus, Casimir, se drapant dans sa cape,
S’éloigna d’un air digne, ainsi qu’un bon rimeur
Happant les vers au vol et doublant son étape
En trois pas, sans souci de l’humaine clameur.


Panticosa, juillet 1868.