Œuvres de Albert Glatigny/Méduse

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 144-146).


Méduse.


Vos cheveux, épanchant leurs ondes magnifiques,
Baignent languissamment votre épaule et vos seins,
Et votre corps, plus blanc que les lis séraphiques,
Repose calme et fier sur les soyeux coussins.

Le souffle harmonieux de vos lèvres hautaines
Seul trahit l’existence en vous, et je croirais
Que le ciseau savant des enchanteurs d’Athènes
Dans un marbre sans tache a sculpté vos attraits,

Sans l’ondulation à peine perceptible
Que cette fraîche haleine imprime à votre corps.
Ô morbidesse exquise ! ô charme irrésistible !
De l’immobilité mystérieux accords !

Moi, j’ai placé l’amour de mon cœur et ma joie
Dans le spectacle auguste et saint de la splendeur
Des formes où la ligne altière se déploie,
Dans sa force, dans son calme, dans sa grandeur.



Et j’ai pâli souvent devant le front superbe
D’un vieux marbre doré par les feux de l’été,
Devant un torse aussi dont les mousses et l’herbe
Voilaient aux furieux la blanche austérité.

Mon âme, trop longtemps dans ce monde captive,
Fuyait vers le pays où chante le Mélès,
Parmi les oliviers, près de la mer plaintive,
Respirant l’air qu’avait respiré Périclès.

Rêve de marbre ! Ô songe éblouissant ! poème
De grâce inaltérable et de grave beauté !
Tout ce qui me fait vivre heureux, tout ce que j’aime,
La grande pourpre et l’or par elle reflété !

C’est là tout ce qu’en vous je trouve, ô créature
Impérieuse et noble ! aux gestes nonchalants,
Moins femme que statue, ô vous sur la nature
Posant avec froideur vos pieds souples et blancs !

Car je hais à la mort ces amours turbulentes,
Pleines de cris, de pleurs et de lâches effrois,
Qui germent sur le cœur, pareilles à ces plantes
Qui des rochers marins salissent les parois.

Leurs vains bruits troubleraient la sage symétrie
Du rêve harmonieux où tout est ordonné,
Du rêve dont j’ai fait la seconde patrie
Plus chère mille fois que celle où je suis né.



Vos yeux toujours baignés de hautaines lumières
Ne s’abaisseront pas sur moi ; je sais aussi
Qu’on ne verra jamais sur ses bases altières
Votre inflexible orgueil par mes chants adouci.

Que m’importe cela, pourvu que je vous voie !
Artiste, tout me doit laisser insoucieux ;
Le rhythme est mon désir, la cadence est ma joie,
Et je ne sus aimer jamais que par les yeux ;

Et je veux que mon cœur lui-même se durcisse
À l’éternel contact des pierres, pour, plus tard,
Promenant le ciseau sur son bloc ferme et lisse,
Rectifier sa forme, ouvrage du hasard.