Œuvres de Albert Glatigny/Prologue d’une comédie bouffonne

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 209-210).


Prologue
D’une Comédie bouffonne.


À Constant Coquelin.


Pendant que loin de nous l’ange Mélancolie
Rêve en interrogeant l’azur des cieux profonds,
Nous avons essayé de prendre à l’Italie
Ses types ingénus sous leurs masques bouffons.

Ils viennent. Aimez-les. C’est Colombine, l’âme
De la farce classique, aux regards éclatants,
Qui mêle à ses cheveux d’or céleste et de flamme
Les plumes de l’oiseau d’amour, couleur de temps !

Arlequin, le héros fantasque de Bergame,
Qui passe et disparaît comme un vivant éclair,
Et fait, sur son habit, chanter toute une gamme
De paillettes d’acier qui frissonnent dans l’air.

C’est le Docteur, bourré de sentences latines,
Le Pédant, que Molière a réclamé pour sien,
Et qui mêle sa basse aux notes argentines
Des jeunes amoureux sous le soleil ancien ;

Et c’est Pierrot, enfin ! le spectre blanc qui laisse
Les destins, à leur gré, gouverner l’univers,
Et fort tranquillement s’assied avec mollesse
Au rebord des chemins sous les feuillages verts.

Ils vont où les conduit leur libre fantaisie,
Sages voyant la vie à travers leur humour,
Suivant la route en fleurs qu’un Dieu leur a choisie,
Insoucieux de tout, hormis du seul amour !

Ne vous étonnez pas de leurs façons galantes :
Fatalistes ainsi que des Orientaux,
Ils ont laissé le soin aux brises nonchalantes
De disposer les plis flottants de leurs manteaux.

Leur gaîté primitive a des accents farouches,
Le mot cru, rimant juste, est chez eux triomphant ;
Pourtant, rien n’a flétri le rose de leur bouche,
Et leur rire sincère est un rire d’enfant.

Voici qu’ils vont conter leur chanson amoureuse,
Accueillez-les ; soyez cléments, et laissez-leur
Poursuivre dans les airs leur course aventureuse
Avec le rossignol et le merle siffleur.

Songez qu’ils ont gardé leur jeunesse éternelle
À travers trois cents ans lumineux traversés,
Et que la muse encor les couvre de son aile. —
Messieurs les violons, maintenant, commencez !