Œuvres de Albert Glatigny/Promenades sentimentales

La bibliothèque libre.
Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 109-113).

Promenades sentimentales.


I


La dernière étoile est éteinte ;
Le feuillage, rideau mouvant,
Frissonne joyeux dans la teinte
Vive du beau soleil levant



Presque jaunis et verts encore
Les blés ondulent doucement ;
Viens saluer la grande aurore
Épanouie au firmament.

Vois : à travers les découpures
Des branches qui s’aiment, le ciel
Laisse entrevoir des couleurs pures
Comme ton œil tendre et cruel.

Viens, enfant, que l’amour nous mène !
Joue avec ton ombrelle aux doigts,
Allons comme l’autre semaine
Respirer la fraîcheur des bois.

L’ombre de ton chapeau de paille
Noyait ton visage si doux ;
Nous entendions chanter la caille
Et l’alouette autour de nous.

Tes petits pieds dans la rosée
Devisaient avec les muguets ;
D’une lueur blanche arrosée,
Tu souriais, j’extravaguais.

Sous un berceau de clématite,
L’œil tendu vers mes yeux amis,
Ramassée et toute petite,
Comme un oiseau tu t’endormis.

II



Viens par les forêts ombreuses ?
Les rameaux entre-croisés
Sur nos têtes amoureuses
Nous invitent aux baisers.

Ne crains pas, l’herbe est si douce !
Pour tes chers pieds de satin :
Nous marcherons sur la mousse
Humide encor du matin.

Sais-tu bien, ô ma jeune âme !
Que c’est fête pour les bois,
Lorsque d’une même flamme
Deux cœurs brûlent à la fois ?

À voir une fine taille
Passer en mantelet blanc,
Le chêne même tressaille,
Et l’orme devient galant.

Ils ont mille fadeurs prêtes
Pour les belles comme toi,
Et dans leurs branches discrètes
L’oiseau chante sans effroi.



Sur le brin d’herbe qui plie,
Attiré par tes beaux yeux,
L’insecte ébloui s’oublie
Afin de t’admirer mieux.

La grotte en riant t’accueille,
Le vent, ce coureur jaloux,
Interrogeant chaque feuille,
Demande : La voyez-vous ?

T’apercevant si jolie,
Tout murmure des aveux,
Et la forêt est emplie
Du parfum de tes cheveux !


III.


Mais nous avançons sans même
Voir ces bons arbres si doux !
Nous savons bien qu’on nous aime
Cependant autour de nous,

Que l’air, les feuilles dormantes,
Le gazon et le fraisier
Disent des choses charmantes
Et qu’il faut remercier !



Mais notre bonheur avare
Nous retient dans sa langueur
Et veut que rien ne sépare
Tes deux seins frais de mon cœur.

Un ange ailé nous coudoie,
Et mon baiser amoureux
Vole, abeille ivre de joie,
De ta lèvre à tes yeux bleus.

Mais d’où vient donc que tes rires
N’éveillent plus les échos ?
D’où vient donc que tu soupires
Et que voici tes yeux clos ?…