Œuvres de Camille Desmoulins/Tome II/Le Vieux Cordelier, n° II

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Œuvres de Camille DesmoulinsBibliothèque nationaleII (p. 177-190).

LE VIEUX CORDELIER

No II[1]

Décadi 20 frimaire,
l’an II de la République une et indivisible (10 déc. 1793).

On me reprochait sans cesse mon silence, et peu s’en fallait qu’on ne m’en fît un crime. Mais si c’est mon opinion, et non des flagorneries qu’on me demande, à quoi eût-il servi de parler, pour dire à un si grand nombre de personnes : Vous êtes des insensés ou des contre-révolutionnaires, de me faire ainsi deux ennemis irréconciliables, l’amour-propre piqué, et la perfidie dévoilée, et de les déchaîner contre moi en pure perte, et sans profit pour la République ; car les insensés ne m’auraient pas cru, et je n’aurais pas changé les traîtres ? La vérité a son point de maturité, et elle était encore trop verte. Cependant je suis honteux d’être si long-temps poltron. Le silence de la circonspection peut commander aux autres citoyens, ses devoirs le défendent à un représentant. Soldat rangé en bataille, avec mes collègues, autour de la tribune, pour dire, sans crainte, ce que je crois de plus utile au Peuple français, me taire serait déserter. Aussi bien ce que j’ai fait, ce que j’ai écrit, depuis cinq ans, pour la Révolution ; mon amour inné pour le gouvernement républicain, seule constitution qui convienne à quiconque n’est pas indigne du nom d’homme ; deux frères, les seuls que j’avais, tués en combattant pour la liberté, l’un au siége de Maëstricht, et l’autre dans la Vendée, et ce dernier coupé en morceaux, par la haine que les royalistes et les prêtres portent à mon nom ; tant de titres à la confiance des patriotes, écartent de moi tout soupçon ; et quand je vais visiter les plaies de l’État, je ne crains point que l’on confonde avec le stylet de l’assassin la sonde du chirurgien.

Dès le premier mois de notre session, il y a plus d’un an, j’avais bien reconnu quel serait désormais le plus grand danger, disons mieux, le seul danger de la République, et je m’exprimais dans un discours distribué à la Convention contre son décret du 27 octobre, rendu sur la motion de Gensonné, qui excluait les membres de toutes les fonctions publiques pendant six ans, piége grossier des girondins ; Il ne reste plus à nos ennemis d’autre ressource que celle dont usa le sénat de Rome, quand, voyant le peu de succès de toutes ses batteries contre les Gracques, il s’avisa, dit Saint-Réal, de cet expédient pour perdre les patriotes : ce fut d’engager un tribun d’enchérir sur tout ce que proposerait Gracchus, et à mesure que celui-ci ferait quelque motion populaire, de tâcher d’en faire une bien plus populaire encore, et de tuer ainsi les principes et le patriotisme par les principes et le patriotisme poussés jusqu’à l’extravagance. Le jacobin Gracchus proposait-il le repeuplement et le partage de deux ou trois villes conquises, le ci-devant feuillant Drusus proposait d’en partager douze. Gracchus mettait-il le pain à 16 sous, Drasus mettait à 8 le maximum. Ce qui lui réussit si bien, que, dans peu, le forum trouvant que Gracchus n’était plus à la hauteur, et que c’était Drusus qui allait au pas, se refroidirent pour leur véritable défenseur qui, une fois dépopularisé, fut assommé d’un coup de chaise par l’aristocrate Scipion Nasica, dans la première insurrection morale.

J’étais tellement convaincu que ce n’est que de ce côté qu’on pourrait entamer les patriotes et la République, qu’un jour me trouvant au comité de défense générale, au milieu de tous les docteurs brissotins et girondins, au moment de la plus grande déflagration de leur colère contre Marat, et feignant de croire à leur amour pour la liberté : « Vous direz tout ce qu’il vous plaira, interrompis-je ; Marat, contre qui vous demandez un décret d’accusation, est peut-être le seul homme qui puisse sauver la République, d’un côté dont personne ne se doute, et qui est cependant la seule brèche praticable pour la contre-révolution. » À ce mot de brèche praticable pour la contre-révolution, vous eussiez vu Guadet, Brissot, Gensonné, qui d’ailleurs affectaient beaucoup de mépris pour mes opinions politiques, montrer, en croisant les bras tous à la fois, qu’ils renonçaient à la parole qu’auparavant ils s’étaient disputée, pour apprendre quel était ce côté faible de la place où Marat était notre seul retranchement, et me dire avec empressement de m’expliquer. Il était une heure ou deux. Le comité de défense générale était garni, en ce moment, d’un assez grand nombre de députés, et je ne doute pas qu’il ne se trouve de mes collègues qui se rappellent très bien cette conversation.

« Il n’y a qu’à rire de vos efforts, leur dis-je, contre la Montagne, tant que vous nous attaquerez par le marais et le côté droit. On ne peut nous prendre que par les hauteurs, et en s’emparant du sommet comme d’une redoute, c’est-à-dire en captant les suffrages d’une multitude imprudente, inconstante, par des motions plus populaires encore que celles des vieux cordeliers, en suscitant des patriotes plus chauds que nous, et de plus grands prophètes que Marat. Pitt commence à s’en douter, et je le soupçonne de nous avoir envoyé à la barre ces deux députations qui vinrent dernièrement avec des pétitions, telles que nous-mêmes, de la cime de la Montagne, paraissions tous des modérés, en comparaison. Ces pétitions, l’une, je crois, des boulangers, et l’autre de je ne me souviens pas quelle section, avaient d’abord été extrêmement applaudies des tribunes. Heureusement nous avons Marat qui, par sa vie souterraine et ses travaux infatigables, est regardé comme le maximum du patriotisme, et a cette possession d’état si bien établie, qu’il semblera toujours au peuple, qu’au delà de ce que propose Marat, il ne peut y avoir que délire et extravagances, et qu’au delà de ses motions il faut écrire comme les géographes de l’antiquité, à l’extrémité de leurs cartes : Là, il n’y a plus de cités, plus d’habitations ; il n’y a que des déserts et des sauvages, des glaces ou des volcans. Aussi, dans ces deux occasions, Marat, qui ne manque point de génie en politique, et qui a vu d’abord où tendaient ces pétitions, s’est-il empressé de les combattre ; et il n’a eu besoin que de quelques mots, et presque d’un signe de tête, pour faire retirer aux tribunes leurs applaudissements. Voilà, concluais-je, le service immense que lui seul, peut-être, est en mesure de rendre à la République. Il empêchera toujours que la contre-révolution ne se fasse en bonnets rouges, et c’est la seule manière possible de la faire. »

Aussi, depuis la mort de ce patriote éclairé et à grand caractère, que j’osais appeler, il y a trois ans, le divin Marat, c’est la seule marche que tiennent les ennemis de la République ; et j’en atteste soixante de mes collègues ! Combien de fois j’ai gémi, dans leur sein, des funestes succès de cette marche ! Combien de fois, depuis trois mois, je les ai entretenus, en particulier, de mes frayeurs qu’ils traitaient de ridicules, quoique depuis la Révolution sept à huit volumes déposent en ma faveur que si je n’ai pas toujours bien connu les personnes, j’ai toujours bien jugé les événements ! Enfin, Robespierre, dans un premier discours dont la Convention a décrété l’envoi à toute l’Europe, a soulevé le voile. Il convenait à son courage et à sa popularité d’y glisser adroitement, comme il a fait, le grand mot, le mot salutaire, que Pitt a changé de batteries ; qu’il a entrepris de faire, par l’exagération, ce qu’il n’avait pu faire par le modérantisme, et qu’il y avait des hommes, patriotiquement contre-révolutionnaires, qui travaillaient à former, comme Roland, l’esprit public et à pousser l’opinion en sens contraire, mais à un autre extrême, également fatal à la liberté. Depuis, dans deux discours non moins éloquents, aux jacobins, il s’est prononcé, avec plus de véhémence encore, contre les intrigants qui, par des louanges perfides et exclusives, se flattaient de le détacher de tous ses vieux compagnons d’armes, et du bataillon sacré des cordeliers, avec lequel il avait tant de fois battu l’armée royale. À la honte des prêtres, il a défendu le Dieu qu’ils abandonnaient lâchement. En rendant justice à ceux qui, comme le curé Meslier, abjuraient leur métier par philosophie, il a mis à leur place ces hypocrites de religion qui, s’étant faits prêtres pour faire bonne chère, ne rougissaient pas de publier eux-mêmes leur ignominie, en s’accusant d’avoir été si longtemps de vils charlatans, et venaient nous dire à la barre :

Citoyens, j’ai menti soixante ans pour mon ventre.

Quand on a trompé si longtemps les hommes, on abjure. Fort bien. Mais on cache sa honte ; on ne vient pas s’en parer, et on demande pardon à Dieu et à la Nation.

Il a mis à leur place ces hypocrites de patriotisme, qui, aristocrates dans l’Assemblée constituante, et évêques connus par leur fanatisme, tout à coup éclairés par la raison, montaient les premiers à l’assaut de l’église Saint-Roch, et par des farces indécentes et indignes de la majesté de la Convention, s’efforçaient de heurter tous les préjugés, et de nous présenter à l’Europe comme un peuple d’athées, qui, sans constitution comme sans principes, abandonnés à l’impulsion du patriote du jour et du jacobin à la mode, proscrivaient et persécutaient tous les cultes, dans le même temps qu’ils en juraient la liberté. À la tête de ces hommes, qui, plus patriotes que Robespierre, plus philosophes que Voltaire, se moquaient de cette maxime si vraie,

Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer,

on distinguait Anacharsis Cloots, l’orateur du genre humain. Cloots est Prussien ; il est cousin germain de ce Proly, tant dénoncé. Il a travaillé à la Gazette universelle où il a fait la guerre aux patriotes, je crois, dans le temps du Champ de Mars. C’est Guadet et Vergniaud qui ont été ses parrains, et l’ont fait naturaliser citoyen français, par décret de l’Assemblée législative. Par reconnaissance, il a voté, dans les journaux, la régence au vertueux Roland. Après ce vote fameux, comment peut-il prendre tous les jours effrontément place à la cime de la Montagne ? Le patriote Cloots, dans la grande question de la guerre, a offert 12 mille francs à la barre, en don patriotique, pour les frais de l’ouverture de la campagne, afin de faire prévaloir l’opinion de Brissot qui, comme Cloots, voulait faire la guerre au genre humain, et le municipaliser. Quoiqu’il ait des entrailles de père pour tous les hommes, Cloots semble en avoir moins pour les nègres ; car, dans le temps, il combattait pour Barnave contre Brissot, dans l’affaire des colonies ; ce qui montre une flexibilité de principes, et une prédilection pour les blancs, peu digne de l’ambassadeur du genre humain. En revanche, on ne peut donner trop d’éloges à son zèle infatigable à prêcher la République une et indivisible des quatre parties du monde, à sa ferveur de missionnaire jacobin, à vouloir guillotiner les tyrans de la Chine et du Monomotapa. Il n’a jamais manqué de dater ses lettres, depuis cinq ans, de Paris, chef-lieu du globe ; et ce n’est pas sa faute, si les rois de Danemark, de Suède gardent la neutralité, et ne s’indignent pas que Paris se dise orgueilleusement la métropole de Stockholm et de Copenhague. Eh bien ! c’est ce bon montagnard qui, l’autre jour, après souper, dans un accès de dévotion à la raison, et de ce qu’il appelle son zèle pour la maison du seigneur genre humain, courut, à onze heures du soir, éveiller, dans son premier somme, l’évêque Gobel, pour lui offrir ce qu’il appelait une couronne civique, et l’engager à se déprêtriser solennellement le lendemain à la barre de la Convention. Ce qui fut fait, et voilà comme notre Prussien Cloots donnait à la France ce signal de subversion et l’exemple de courir sus à tous les sacristains.

Certes je ne suis pas un cagot, et le champion des prêtres. Tous ont gagné leurs grands revenus, en apportant aux hommes un mal qui comprend tous les autres, celui d’une servitude générale, en prêchant cette maxime de saint Paul : Obéissez aux tyrans ; en répondant comme l’évêque O’Neal à Jacques Ier, qui lui demandait s’il pouvait puiser dans la bourse de ses sujets : « À Dieu ne plaise que vous ne le puissiez ; vous êtes le souffle de nos narines ; » ou comme le Tellier à Louis XIV : Vous êtes trop bon roi ; tous les biens de vos sujets sont les vôtres. On a terminé le chapitre des prêtres et de tous les cultes qui se ressemblent, et sont tous également ridicules, quand on a dit que les Tartares mangent les excréments du grand Lama, comme des friandises sanctifiées. Il n’y a si vile tête d’oignon qui n’ait été révérée à l’égal de Jupiter. Dans le Mogol, il y a encore une vache qui reçoit plus de génuflexions que le bœuf Apis qui a sa crèche garnie de diamants, et son étable voûtée des plus belles pierreries de l’Orient, ce qui doit rendre Voltaire et Rousseau moins fiers de leurs honneurs du Panthéon ; et Marc Polo nous fait voir les habitants du pays de Cardandan adorant chacun le plus vieux de la famille, et se donnant, par ce moyen, la commodité d’avoir un dieu dans la maison et sous la main. Du moins ceux-ci ont nos principes d’égalité, et chacun est dieu à son tour.

Nous n’avons pas le droit de nous moquer de tous ces imbéciles, nous, Européens, qui avons cru si longtemps « que l’on gobait un Dieu, comme on avale une huître, » et notre religion avait ce mal par-dessus les autres, que l’esclavage et le papisme sont deux frères qui se tiennent par la main, qu’ils ne sont jamais entrés dans un pays l’un sans l’autre. Aussi tous les États libres, en tolérant tous les cultes, ont-ils proscrit le papisme seul avec raison, la liberté ne pouvant permettre une religion qui fait de la servitude un de ses dogmes. J’ai donc toujours pensé qu’il fallait retrancher au moins le clergé du corps politique, mais pour cela il suffisait d’abandonner le catholicisme à sa décrépitude, et le laisser finir de sa belle mort qui était prochaine. Il n’y avait qu’à laisser agir la raison et le ridicule sur l’entendement des peuples, et avec Montaigne, regarder les églises comme des petites-maisons d’imbéciles qu’il fallait laisser subsister jusqu’à ce que la raison eût fait assez de progrès, de peur que ces fous ne devinssent des furieux.

Aussi ce qui m’inquiète, c’est de ne pas m’apercevoir assez des progrès de la raison humaine parmi nous. Ce qui m’inquiète, c’est que nos médecins politiques eux-mêmes ne comptent pas assez sur la raison des Français, pour croire qu’elle puisse être dégagée de tout culte. Il faut à l’esprit humain malade, pour le bercer, le lit, plein de songes, de la superstition ; et à voir les processions, les fêtes qu’on institue, les autels et les saints sépulcres qui se lèvent, il me semble qu’on ne fait que changer de lit le malade ; seulement on lui retire l’oreiller de l’espérance d’une autre vie. Comment le savant Cloots a-t-il pu ignorer qu’il faut que la raison et la philosophie soient devenues plus communes encore, plus populaires qu’elles ne le sont dans les départements, pour que les malheureux, les vieillards, les femmes puissent renoncer à leurs vieux autels, et à l’espérance qui les y attache ? Comment peut-il ignorer que la politique a besoin de ce ressort ; que Trajan n’eut tant de peines de subjuguer les Daces, que parce que, disent les historiens, à l’intrépidité des barbares ils joignaient une persuasion plus intime de l’existence du palais d’Odin, où ils recevraient, à table, le prix de leur valeur. Comment peut-il ignorer que la liberté elle-même ne saurait se passer de cette idée d’un Dieu rémunérateur, et qu’aux Thermopyles, le célèbre Léonidas exhortait ses trois cents Spartiates, en leur promettant le brouet noir, la salade et le fromage chez Pluton apud inferos cœnaturi ! Comment peut-il ignorer que la terreur de l’armée victorieuse de Gabinius ne fut pas assez forte pour contenir le peuple d’Alexandrie, qui faillit exterminer ses légions, à la vue d’un chat tué par un soldat romain ! Et dans le fameux soulèvement des paysans de Suède contre Gustave Ericson, toute leur pétition se réduisait à ce point : « Qu’on nous rende nos cloches. » Ces exemples prouvent avec quelle circonspection on doit toucher au culte. Pour moi, je l’ai dit, le jour même où je vis Gobel venir à la barre avec sa double croix, qu’on portait en triomphe devant le philosophe Anaxagoras[2], si ce n’était pas un crime de lèse-Montagne de soupçonner un président des jacobins et un procureur de la Commune, tels que Cloots et Chaumette, je serais tenté de croire, qu’à la nouvelle de Barrère du 21 septembre, « la Vendée n’existe plus, » le roi de Prusse s’est écrié douloureusement : « Tous nos efforts échoueront donc contre la République, puisque le noyau de la Vendée est détruit, » et que l’adroit Lucchesini, pour le consoler, lui aura dit : « Héros invincible, j’imagine une ressource ; laissez-moi faire. Je paierai quelques prêtres pour se dire charlatans ; j’enflammerai le patriotisme des autres, pour faire une pareille déclaration. Il y a, à Paris, deux fameux patriotes qui seront très propres, par leurs talents, leur exagération, et leur système religieux bien connu, à nous seconder, et à recevoir nos impressions. Il n’est question que de faire agir nos amis, en France, auprès des deux grands philosophes, Anacharsis et Anaxagoras, de mettre en mouvement leur bile, et d’éblouir leur civisme par la riche conquête des sacristies. » J’espère que Chaumette ne se plaindra pas de ce numéro, et le marquis de Lucchesini ne peut parler de lui en termes plus honorables. « Anacharsis et Anaxagoras croiront pousser à la roue de la raison, tandis que ce sera à celle de la contre-révolution ; et bientôt, au lieu de laisser mourir en France, de vieillesse et d’inanition, le papisme, prêt à rendre le dernier soupir sans procurer à nos ennemis aucun avantage, puisque le trésor des sacristies ne pouvait échapper à Cambon, par la persécution et l’intolérance contre ceux qui voudraient messer et être messes, je vous réponds de faire passer force recrues constitutionnelles à Lescure et à la Roche-Jacquelin. »

  1. C’est le 5 qu’avait paru le premier numéro du Vieux Cordelier. Les terribles n’en furent pas contents ; Robespierre n’en fut pas satisfait non plus, et il demeura convenu, entre Camille et lui, qu’avant de faire tirer sa feuille, le journaliste en soumettrait les épreuves à ce censeur paterne et infaillible.

    Aussi le deuxième numéro se ressent-il de l’influence du correcteur. C’est Robespierre, je n’en doute pas, qui inspira cette diatribe, violente, fanatique, contre Chaumette et Clootz. Le jour où Camille porta la main sur Chaumette et sur Clootz, il fit plus qu’une étourderie d’écolier soufflé par son « cher camarade » Robespierre, plus qu’une faute d’État ; il commît une faute de cœur, un fratricide. L’histoire a-t-elle le droit d’être plus sévère encore ? Camille aurait-il eu peur ? Attaqué depuis longtemps aurait-il voulu donner des gages à ceux qui l’avaient lancé et relancé quelques jours auparavant ? Aurait-il cherché son salut dans une lâcheté cruelle ? Je n’ose le présumer. Mais il me sera bien permis de regretter sa victime, de déplorer la mort d’Anacharsis Clootz. C’est un des crimes de la Terreur. Après cela, s’il était permis de trouver jolie la phrase qui égorge, ce pamphlet est admirable. C’est toujours la même verve ; jamais manche de poignard ne fut mieux sculpté, ciselé avec plus de goût, ni lame mieux affilée et plus artistement damasquinée. Mais c’est toujours un couteau.

    (Marc Dufraisse, la Libre Recherche, 1857).
  2. Chaumette.