Œuvres de Lagrange/Pièces diverses/Éclaircissement d’une difficulté singulière qui se rencontre dans le calcul de l’attraction des sphéroïdes très peu différents de la sphère

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ÉCLAIRCISSEMENT

D’UNE DIFFICULTÉ SINGULIÈRE

QUI SE RENCONTRE

DANS LE CALCUL DE L’ATTRACTION DES SPHÉROÏDES
TRÈS-PEU DIFFÉRENTS DE LA SPHÈRE.


(Journal de l’École Polytechnique, XVe Cahier, t. VIII, 1809.)


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D’Alembert est le premier qui ait donné le calcul de l’attraction des sphéroïdes non elliptiques, mais peu différents de la sphère, dans le second et le troisième volume de ses Recherches sur le système du Monde. M. Laplace a traité ensuite cette matière d’une manière nouvelle et plus générale qu’on ne l’avait fait, dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de 1782, et dans le second volume de sa Mécanique céleste. Sa théorie est fondée sur un beau théorème très-remarquable par sa simplicité autant que par sa généralité ; mais ce théorème donne lieu à une difficulté singulière, qui paraît n’avoir encore été remarquée par personne, et qui mérite d’être examinée.

1. Soient, comme dans les Mémoires de 1782 (page 134) et dans la Mécanique céleste (tome II), la distance du point attiré au point pris pour centre du sphéroïde, l’angle que le rayon fait avec un axe fixe passant par le centre, l’angle que le plan passant par cet axe et par le rayon fait avec le plan invariable passant par le même axe ; soit, de plus, la distance d’une molécule du sphéroïde au centre, et soient ce que deviennent les angles relativement à cette molécule ; la distance de la molécule au point attiré sera en faisant, pour abréger,

la masse de la molécule sera et, si l’on désigne par la somme des molécules divisées par leurs distances au point attiré, on aura

l’intégrale relative à devant être prise depuis jusqu’à la valeur de à la surface du sphéroïde, l’intégrale relative à devant être prise depuis jusqu’à et celle qui est relative à ou à depuis jusqu’à La valeur de étant ainsi déterminée, on aura pour les trois attractions du sphéroïde dans le sens du rayon et perpendiculairement à ce rayon dans le plan de et et dans un plan perpendiculaire à celui-ci.

2. Supposons maintenant que le sphéroïde soit très-peu différent d’une sphère dont le rayon soit égal à on aura étant une fonction très-petite de sinus et cosinus de et dont on négligera le carré et les puissances supérieures ; il est clair que la valeur de sera égale à sa valeur relativement à la sphère, plus à la valeur relative à l’excès du sphéroïde sur la sphère. On sait, et il est facile de prouver que la première est égale à la masse de la sphère divisée par la distance elle est ainsi exprimée par en nommant l’angle de Quant à la seconde, comme nous ne tenons compte que des premières dimensions de il est aisé de voir qu’on l’aura en mettant, dans l’expression précédente de à la place de et à celle de Ainsi, en nommant cette seconde partie on aura

où il n’y a plus que deux intégrations à faire, l’une relative à l’autre relative à ou à

Je différentie maintenant, comme M. Laplace, par rapport à j’ai

or

Lorsque le point attiré est à la surface du sphéroïde, on a en désignant par ce que devient lorsque et deviennent et mais, comme nous négligeons dans les quantités du second ordre, il suffit de faire On aura ainsi

donc

équation qui doit avoir lieu à la surface du sphéroïde.

Donc on aura aussi à cette surface

où il faut faire ce qui donnera

M. Laplace trouve parce qu’il suppose que la sphère touche le sphéroïde, auquel cas

3. Considérons l’équation qui est indépendante de la valeur de dans et supposons d’abord constant ; on aura

Il est facile d’avoir l’intégrale de car, en transportant l’axe ou le pôle des angles dans la ligne ce qui est permis, puisque cette ligne est fixe par rapport aux mêmes angles, on a ce qui donne et réduit la différentielle dont il s’agit à

laquelle doit être intégrée depuis jusqu’à et depuis jusqu’à La première intégration donne

la seconde donne d’abord

et, complétant,

Ainsi l’on a

et de là

et, faisant

mais ces valeurs ne satisfont pas à l’équation

car elles donnent

4. Nommons pour abréger, le radical

en sorte que l’on ait comme n’est contenue que dans on aura

en faisant après la différentiation. Or

faisant on a

donc équation identique.

Si l’on réduit, comme l’a fait M. Laplace, le radical en une série descendante par rapport à on aura

d’où résulte

et, faisant

série dans laquelle tous les termes doivent se détruire d’eux-inémes ; ce qu’on trouve, en effet, après la substitution des valeurs, de en fonction de

On n’a pas besoin, pour s’en convaincre, d’effectuer ces substitutions ; car, puisque on aura

et, différentiant par rapport à

donc, multipliant par

de sorte qu’on aura identiquement

par conséquent, en faisant la série sera nécessairement nulle.

5. La fonction de est donc toujours identiquement nulle ; donc l’intégrale de cette fonction, multipliée par étant supposée nulle, lorsque et devrait être toujours nulle par les principes du Calcul intégral, suivant lesquels l’intégrale est regardée comme la somme de toutes les valeurs successives de la différentielle. Ainsi l’on devrait avoir toujours l’équation que nous avons trouvée d’abord ; cependant nous venons de voir que, dans le cas le plus simple, où est constant, on a

ce qui est un paradoxe dans le Calcul intégral.

6. Pour en trouver l’explication, je vais reprendre l’analyse qui a donné l’équation et je ferai d’abord le calcul sans rien négliger. Puisque et que la quantité n’est contenue que dans l’expression de il n’y a nul doute qu’en différentiant par rapport à on n’ait

Or

donc

donc on aura

On voit ici, en effet, qu’en faisant le second terme de l’équation disparaît, et qu’on a rigoureusement, quel que soit l’équation

Donc, puisque d’un autre côté la valeur de n’est pas toujours

nulle, il faut que le terme multiplié par ne disparaisse pas toujours en faisant

7. Pour aller du plus simple au plus composé, nous commencerons par examiner le cas où est une quantité constante. Dans ce cas, on n’a qu’à chercher l’intégrale de et, pour cela, nous pouvons supposer, comme dans le no 3, l’angle nul, ce qui donne et de sorte que la différentielle dont il s’agit deviendra

Intégrant d’abord par rapport à on a

intégrant ensuite par rapport à on a

et, complétant depuis jusqu’à on aura l’intégrale complète

Ainsi la valeur complète de lorsque est constant, est quelle que soit la valeur de Substituant cette valeur dans l’équation du numéro précédent, on aura

Si maintenant on fait elle devient

comme on l’a trouvée dans le no 3, les quantités et étant ici les mêmes.

8. Considérons maintenant le cas général dans lequel est supposé une fonction de sinus et de cosinus des angles et on aura à intégrer la quantité et, pour cela, nous transporterons aussi, comme dans le no 3, l’axe ou le pôle des angles variables qui déterminent la position de chaque molécule sur la sphère, dans la ligne menée du centre au point attiré. Nommons et ce que deviennent alors les angles et on aura également pour l’élément et pour la valeur de de sorte que la différentielle dont il s’agit deviendra qu’il faudra intégrer depuis jusqu’à et depuis jusqu’à

Mais, comme est supposé fonction de sinus et cosinus des angles et qui ont leur pôle dans un axe fixe indépendant de la position du point attiré ou de la ligne il faudra substituer dans à la place des sinus et cosinus de et leurs valeurs en sinus et cosinus de et Pour cela, il n’y a qu’à considérer le triangle sphérique qui a les angles et pour ses trois côtés, et dans lequel est l’angle opposé au côté et est l’angle opposé au côté et les formules connues de la Trigonométrie sphérique donneront

Ainsi la formule sera intégrable toutes les fois que sera une fonction rationnelle et entière de parce que l’intégrale relative à fera disparaître toutes les puissances impaires du sinus. C’est ainsi que d’Alembert a calculé l’attraction des sphéroïdes peu différents de la sphère ; mais pour notre objet il suffit d’avoir réduit l’intégration de la formule à celle de la formule

9. Commençons par l’intégration relative à la différentielle intégrée par parties, donne

Or

donc

de sorte que l’intégrale dont il s’agit deviendra

Comme l’intégration doit s’étendre depuis jusqu’à et qu’à la première de ces limites devient si l’on nomme ce que devient à la seconde limite, la valeur complète du terme hors du signe sera

Or, et répondant à et à cause de auxquels cas et deviennent et il est visible que ces quantités seront indépendantes de ainsi l’intégration relative à depuis jusqu’à exécutée sur le même terme, donnera

On pourra donc substituer dans l’équation en duno 6, à la place de la quantité

ce qui la changera en celle-ci

dans laquelle il faut faire maintenant ce qui la réduit à celle-ci

comme dans les cas où est constant.

Il est bon de remarquer qu’une nouvelle intégration par parties, exécutée sur la différentielle n’ajouterait rien à l’équation que nous venons de trouver ; car, l’intégrale de étant

il n’en peut résulter aucun terme où le facteur qui devient nul lorsque soit détruit par la division.

10. Maintenant, puisque (2), on aura

faisant pour avoir l’attraction sur un point à la surface du sphéroïde, on aura

en négligeant les Mais nous venons de trouver

ainsi l’on a, aux quantités du second ordre près,

comme M. Laplace l’a trouvé. Au reste, il est bien remarquable que le terme dû à l’action de la sphère sur un point élevé au-dessus

de sa surface de la quantité et par lequel l’équation que nous avions trouvée (2) différait de celle de M. Laplace, se trouve précisément détruit par la valeur de l’intégrale de la différentielle

dans laquelle le facteur est toujours identiquement nul.


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