Œuvres de Louise Labé, édition Boy, 1887/II/12

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Texte établi par Charles Boy, Alphonse Lemerre, éditeur (p. 121-125).


III.

LA FAMILLE DE BOURGES.



Le père de Clémence de Bourges, noble homme Claude de Bourges, seigneur de Myons, visiteur des gabelles du sel, général des finances du Piémont, alias de Bourgogne, semble être le descendant d’un « magistri Petri Burgensis » qu’on trouve marié, en 1405, à une Marguerite, fille d’un riche boulanger, « Odetus Durandi paneterius, » déjà établi à Lyon en 1353.

De son mariage avec Françoise de Mornay, Claude de Bourges avait eu, entre autres enfants : Clémence, à qui la Belle Cordière dédia ses œuvres, et Louise, mariée à un gentilhomme du Dauphiné, Gaspard de Saillans.

« Clémence de Bourges, la perle des demoiselles lyonnoises, nous dit Du Verdier, employa sa jeunesse à l’exercice de la poésie et de la musique, et eut l’esprit accompagné de tant de beautés, que le feu sieur Du Peyrat, gentilhomme doué de toutes les bonnes parties qu’on sauroit souhaiter, lui donna son cœur et se voua entièrement à son service. Cette vertueuse couple d’amans étoient près de monter au sommet de leur heureux désir et contentement, par l’étroit et saint lien du mariage dont ils alloient joindre leurs corps et esprits, quand le destin s’y opposant fit qu’icelui sieur Du Peyrat fut tué aux premières guerres civiles, à Beaurepaire en Dauphiné, combattant pour le service du roi et la défense de la Religion Catholique ; aux nouvelles de laquelle mort, l’éplorée Clémence se serra le cœur de regret et de douleur extrême qu’elle eut d’une telle perte, de sorte que peu de jours après elle décéda de cette vie. »

Claude de Rubys qui semble avoir été le protégé de la maison de Bourges, lui a aussi consacré une page. Après avoir fait mention de la mort de Claude Bellièvre, survenue « le sammedy, 2 d’octobre de la présente année 1557, » il dit : « Au même temps, mourut aussi cette perle vraiment orientale entre les demoiselles de Lyon, Clémence de Bourges, fille de noble Claude de Bourges, seigneur de Myons et général de Piedmond, et de demoiselle Françoise de Mornay. Elle fut renommée pour une des plus accomplies en toutes sortes de vertus qui fut de longtemps à Lyon et douée de tant de perfections qu’elles la rendoient admirable. Elle était conformément à son nom accompagnée de clémence et de bien dire avec une voix angélique, la musique et le jeu de tous les instruments lui étoient familiers, et sur le jeu de l’épinette auquel elle fit quelquefois honte aux organistes du Roi, jouant en présence de leurs Majestés. Elle fut portée en terre, découverte avec le chapeau de fleurs en la tête, témoin de sa pudicité virginale. Ces grands poètes Maurice Scève et Claude de Taillemont ne faillirent de lui faire de doctes tombeaux que l’injure du temps nous a fait perdre. Je lui fis (encore que jeune escolier) cette épitaphe, non comme poëte, namque ego me illorum dederim quibus esse poetas excerpam numero, comme dit Horace, mais pour le devoir auquel m’obligeoit l’amitié que nous avions contractée par la nourriture que nous avions prise ensemble en nos jeune ans. »

Rubys, qui écrivait après 1600, ne se rappelle plus la date de la mort de Clémence ; mais elle est fixée à peu près par celle de la mort de son fiancé, Jean II du Peyrat, que l’on rapporte au 30 septembre 1562. On ignore la date de sa naissance, et je ne sais sur quoi se fondent MM. de Ruolz et Monfalcon pour dire qu’elle avait à peine seize ans quand elle mourut. S’il en était ainsi, Louise Labé, qui lui dédia ses œuvres, en 1555, se serait mise sous la protection d’une enfant de moins de neuf ans, et le P. Colonia, qui la fait jouer de l’épinette devant le Roi et la Reine (en 1548, semble-t-il), nous présenterait un virtuose de deux ans. Il vaut mieux dire que nous ne savons rien de précis et nous garder de hasarder quelques chiffres.

La sœur de Clémence, Louise de Bourges, épousa, vers 1564, Gaspard de Saillans, qui était alors âgé d’environ 55 ans, et qui avait été déjà marié, en premières noces, à Catherine de la Colombière et, en secondes noces, à Romane de Charreton, veuve d’un docteur ès lois.

Saillans a écrit, entre autres ouvrages, un volume intitulé : Premier livre de Gaspard de Saillans, gentilhomme citoyen de Valence, en Dauphiné : Le contenu duquel et des deux autres qui s’ensuivront se trouvera cy derrière. À Lyon Jacques de la Planche. 1569. Breghot du Lut, dans ses Nouveaux Mélanges (p. 51.), dit, après avoir remarqué que l’ouvrage n’existait plus dans la bibliothèque de M. Adamoli : « La perte de ce volume est très digne de regret, et il paraît difficile de la réparer. Nous n’en connaissons d’exemplaire nulle part. » Un bibliophile d’Aix en Provence, M. le marquis de Lagoy, a bien voulu laisser consulter pour moi l’exemplaire que contient sa magnifique bibliothèque ; mais le résultat de cet examen n’a pas répondu aux espérances qu’avaient fait naître l’appréciation de Breghot et la note du catalogue Adamoli. Le livre de Saillans est presque tout entier consacré à « l’entreprise de son mariage » et à tout ce qui suivit. Comme étude de mœurs, il est fort curieux à parcourir : ce mari, qui publie sa correspondance avec sa femme, — correspondance où des plaisanteries les plus gauloises alternent avec des invocations à la bonté divine, des réflexions de la morale la plus austère avec des détails d’intérieur les plus intimes et les plus complaisamment exposés, — ne laisse pas que de nous produire un singulier effet. À travers les récits insipides et les phrases bavardes qui abondent, on peut cependant voir se dégager de cet ouvrage la vivante expression d’une société disparue et dont la vie n’était pas sans charme.

Gaspard de Saillans, dont la famille venait seulement d’être anoblie, parle beaucoup des maisons et des châteaux des parents de sa femme, mais il ne dit pas un mot de la Cordière, morte seulement depuis trois ans. Les armes des de Bourges étaient : De gueules au lion d’argent et au chevron d’azur sur le tout. On les voit à la voûte de l’église Saint-Nizier de Lyon.