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Œuvres de Lucile de Chateaubriand/À Mlle de Beaumont, 2 septembre 1803

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Texte établi par Louis Thomas Élément soumis aux droits d’auteur. Cliquer pour en savoir plus.Société des trentes, Albert Messein (p. 88-91).


À Madame de Beaumont


Ce 2 septembre (1803).

Ce que vous me mandez, madame, de votre santé, m’alarme et m’attriste ; cependant je me rassure en pensant à votre jeunesse, en songeant que, quoique vous soyez fort délicate, vous êtes pleine de vie.

Je suis désolée que vous soyez dans un pays qui vous déplaît. Je voudrais vous voir environnée d’objets propres à vous distraire et à vous ranimer. J’espère qu’avec le retour de votre santé, vous vous réconcilierez avec l’Auvergne : il n’est guère de lieu qui ne puisse offrir quelque beauté à des yeux tels que les vôtres. J’habite maintenant Rennes : je me trouve assez bien de mon isolement. Je change, comme vous voyez, madame, souvent de demeure ; j’ai bien la mine d’être déplacée sur la terre : effectivement, ce n’est pas d’aujourd’hui que je me regarde comme une de ses productions superflues. Je crois, madame, vous avoir parlé de mes chagrins et de mes agitations. À présent, il n’est plus question de tout cela, je jouis d’une paix intérieure qu’il n’est plus au pouvoir de personne de m’enlever. Quoique parvenue à mon âge, ayant, par circonstance et par goût, mené presque toujours une vie solitaire, je ne connaissais, madame, nullement le monde : j’ai fait enfin cette maussade connaissance. Heureusement la réflexion est venue à mon secours. Je me suis demandé qu’avait donc ce monde de si formidable et où résidait sa valeur, lui qui ne peut jamais être, dans le mal comme dans le bien, qu’un objet de pitié ! N’est-il pas vrai, madame, que le jugement de l’homme est aussi borné que le reste de son être, aussi mobile et d’une incrédulité égale à son ignorance ? Toutes ces bonnes ou mauvaises raisons m’ont fait jeter avec aisance, derrière moi, la robe bizarre dont je m’étais revêtue : je me suis trouvée pleine de sincérité et de force ; on ne peut plus me troubler. Je travaille de tout mon pouvoir à ressaisir ma vie, à la mettre tout entière sous ma dépendance.

Croyez aussi, madame, que je ne suis point trop à plaindre, puisque mon frère, la meilleure partie de moi-même, est dans une situation agréable, qu’il me reste des yeux pour admirer les merveilles de la nature, Dieu pour appui, et pour asile un cœur plein de paix et de doux souvenirs. Si vous avez la bonté, madame, de continuer à m’écrire, cela me sera un grand surcroît de bonheur.


Au vicomte de Chateaubriand.


Rennes, 4 octobre 1803.

J’avais commencé l’autre jour une lettre pour toi ; je viens de la chercher inutilement ; je t’y parlais de madame de Beaumont, et je me plaignais de son silence à mon égard. Mon ami, quelle triste et étrange vie je mène depuis quelques mois ! Aussi ces paroles du prophète me reviennent sans cesse à l’esprit : Le Seigneur vous couronnera de maux et vous jettera comme une balle. Mais laissons mes peines et parlons de tes inquiétudes. Je ne puis me les persuader fondées : je vois toujours madame de Beaumont pleine de vie et de jeunesse, et presque