Œuvres de Pierre Curie/29

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Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 358-362).

ÉLECTRISATION NÉGATIVE DES RAYONS SECONDAIRES PRODUITS AU MOYEN DES RAYONS RÖNTGEN.

En commun avec G. SAGNAC.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXX, p. 1013,
séance du 9 avril 1900.


Nous avons recherché si les rayons Röntgen et si les rayons secondaires moins pénétrants qu’ils excitent en frappant les divers corps transportent avec eux des charges électriques. Nous avons trouvé ces charges inappréciables dans le cas des rayons Röntgen. Au contraire, les rayons secondaires issus de la transformation des rayons Röntgen[1] transportent avec eux des charges électriques négatives à la manière des rayons cathodiques, comme le font les rayons du radium[2].

I. Pour étudier les rayons Röntgen, nous employons une enceinte de Faraday en plomb épais de forme cubique ayant 23 cm de côté, reliée à un électromètre à quadrants. Un large faisceau de rayons X y pénètre par une ouverture circulaire de 10 cm de diamètre, placée à 7 cm seulement de la lame focus du tube à rayons Röntgen. L’enceinte de plomb, y compris son ouverture, était complètement enveloppée par une couche continue d’un diélectrique solide (paraffine ou ébonite) recouverte elle-même d’aluminium mince en communication électrique avec la terre. L’enveloppe continue de diélectrique solide est nécessaire pour maintenir l’isolement parfait du cylindre, qui, sans cette précaution, ne demeurerait pas isolé dans l’air ambiant rendu conducteur de l’électricité par l’action des rayons Röntgen.

Les résultats ont été négatifs. Nous pouvons seulement conclure que, si les rayons Röntgen transportent de l’électricité, les courants qu’ils pouvaient produire dans nos expériences étaient inférieurs à 10-12 ampère.

II. Pour étudier les rayons secondaires des métaux, il fallait éviter que ces rayons, souvent très peu pénétrants, ne fussent absorbés au voisinage immédiat du métal qui les émet. Nous avons

fig. 1
fig. 1



été amenés à placer les métaux dans l’air raréfié et à opérer à des pressions de plus en plus faibles, jusqu’au vide de Crookes (0,001 mm de mercure) afin de rendre à l’air ses propriétés isolantes, malgré l’action des rayons Röntgen et des rayons secondaires qui le traversent.

Une feuille métallique mince (fig. 1), reliée à l’électromètre et au quartz piézoélectrique, est maintenue isolée au milieu et à 3 mm seulement des parois d’une boite métallique plate , qu’on peut mettre en relation avec la terre. La face inférieure de cette boîte est formée, comme la face supérieure , d’une plaque épaisse d’un autre métal , mais percée de fenêtres f que recouvre une mince feuille du métal . À 6 cm au-dessous de la face , se trouve la lame focus l, source des rayons Röntgen. Le système producteur de ces rayons (tube focus , bobine Ruhmkorff et interrupteur électrolytique de Wehnelt) est enfermé dans une grande caisse de plomb épais dont la paroi est mise à la terre. Les rayons Röntgen sortent de la caisse par une ouverture circulaire de 10 cm de diamètre recouverte seulement d’une mince feuille d’aluminium aa. On peut faire le vide de Crookes dans la boite étanche reliée à la trompe à mercure.

Quand on opère à la pression atmosphérique, la conductibilité de l’air sous l’influence des rayons est considérable. Lorsque le métal de la feuille intérieure est différent du métal des fenêtres f et des faces internes de la boite , le système (|) fonctionne comme une pile dont la force électromotrice fait dévier l’électromètre. On peut, par la méthode d’opposition du quartz piézoélectrique de M. P. Curie, mesurer le courant électrique nécessaire pour maintenir l’électromètre au potentiel zéro ; ou bien on peut, sans agir sur le quartz, ramener l’électromètre à demeurer au zéro en intercalant en , entre la boîte et la terre, une force électromotrice convenable prise en dérivation sur le circuit d’un daniell.

Dans ces conditions, si l’on fait le vide dans l’appareil, l’équilibre de l’électromètre se maintient d’abord avec la même force électromotrice de compensation, tant que la pression ne s’est pas abaissée jusqu’à l’ordre de grandeur du millimètre (seulement le courant qui prend naissance en l’absence de devient de plus en plus faible). Pour des pressions inférieures, la force électromotrice de compensation est modifiée. Elle dépasse bientôt celle d’un daniell, augmente constamment et semble croître au delà de toute limite à mesure qu’on se rapproche du vide de Crookes. Si l’on rétablit en la force électromotrice primitive qui compensait le phénomène à la pression atmosphérique, on peut, à l’aide du quartz, mesurer le courant nécessaire pour maintenir l’électromètre au zéro. Ce courant, qui apparaît aux pressions de l’ordre du millimètre, augmente d’abord légèrement avec la raréfaction de l’atmosphère, puis devient sensiblement constant pour le vide de Crookes.

Si, par exemple, le métal intérieur est du platine, et si le métal des parois internes de la boite est de l’aluminium, il faut maintenir l’aluminium à un potentiel négatif (inférieur en valeur absolue à 1 daniell) pour obtenir la compensation à la pression atmosphérique.

Dans le vide de Crookes, cette force électromotrice n’est plus suffisante, et il faudrait porter l’aluminium à un potentiel négatif supérieur en valeur absolue à 20 volts si l’on voulait obtenir la compensation. Si l’on maintient la force électromotrice qui compensait le phénomène à la pression atmosphérique, on constate que, dans le vide de Crookes, sous l’action des rayons Röntgen, le platine se charge positivement. Le courant de charge, mesuré à l’aide du quartz, est de l’ordre de grandeur de 10-10 ampère, quand on utilise, à travers les fenêtres f recouvertes d’aluminium mince, une surface d’environ 30 cm2 placée à 6 cm de la source l des rayons Röntgen.

Nous avons obtenu des résultats peu différents en employant une autre disposition (fig. 2) qui permet d’obtenir plus aisément

fig. 2.
fig. 2.



le vide de Crookes : la feuille est alors enroulée en cylindre, et la boite plate est remplacée par un second cylindre métallique de même axe que . On fait alors le vide dans le récipient V de verre léger et mince, après y avoir introduit le système , puis fermé le récipient avec le couvercle de verre .

Ces faits pourraient, à la rigueur, s’expliquer par une variation continue de la force électromotrice de contact qui croîtrait dans d’énormes proportions avec le degré de vide. Cette manière de voir est peu vraisemblable. On explique, au contraire, nettement les phénomènes en admettant que les rayons secondaires émis par les métaux en expérience emportent avec eux de l’électricité négative et libèrent dans le métal la quantité complémentaire d’électricité positive. Le platine transformant les rayons Röntgen considérablement plus que l’aluminium, son émission d’électricité négative est de beaucoup plus considérable que l’émission opposée de l’aluminium, et le platine se charge positivement.

On peut renverser le phénomène en mettant l’aluminium en à l’intérieur et le platine mince autour de en ( fig. 1) ou (fig. 2). On constate alors que l’aluminium intérieur , soumis à l’émission secondaire du platine, recueille de l’électricité négative.

Nous avons fait varier la nature des métaux et constaté, en particulier, que le plomb et le platine sont parmi les métaux qui émettent le plus de charges négatives sous l’action des rayons X. Viennent ensuite l’étain et le zinc. Quant à l’aluminium, l’expérience déjà faite avec l’enceinte de Faraday tapissée extérieurement d’aluminium semble montrer que les rayons secondaires assez pénétrants de ce corps sont, comme les rayons Röntgen générateurs, dont ils diffèrent peu, sensiblement dépourvus de charge électrique. Ces résultats concordent ainsi avec ce que l’on sait sur la transformation des rayons Röntgen par les différents corps[3].





  1. G. Sagnac, Transformation des rayons X par les métaux (Comptes rendus du 26 juillet et du 6 décembre 1897 ; loc. cit., 1898, 1899 et 1900).
  2. P. Curie et Mme P. Curie, Sur la charge électrique des rayons déviables du radium (Comptes rendus du 5 mars 1900, p. 647).
  3. G. Sagnac, Sur la transformation des rayons X par les différents corps, (Comptes rendus, loc. cit., 1897, 1898, 1899 et L’Éclairage électrique, t. XIX, p. 201-208 ; 13 mai 1899.)

    M. E. Dorn a annoncé que les rayons secondaires des métaux lourds sont déviés par le champ magnétique, et dans le même sens que les rayons cathodiques (Abhand. d. Naturf. Gesell. zu Halle. Bd. XXII, 1900, p. 40-42).

    L’un de nous avait antérieurement émis l’opinion que les rayons secondaires très absorbables des métaux lourds peuvent renfermer des rayons analogues à ceux de Lenard et déviables comme eux par l’aimant [G. Sagnac, Recherches sur les transformations des rayons Röntgen, Chap. I, 3e paragraphe : Rayons secondaires, rayons X et rayons de Lenard (L’Éclairage électrique du 12 mars 1898)].