Œuvres de Pierre Curie/46

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Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 456-490).

RECHERCHES RÉCENTES SUR
LA RADIOACTIVITÉ.


Journal de Chimie physique, t. I, 1903, p. 409.


Depuis la découverte des substances fortement radioactives, les recherches sur la radioactivité ont pris un très grand développement. Je me propose dans cet article de donner un résumé de l’état actuel de nos connaissances relatives à ce sujet, en insistant particulièrement sur les résultats des travaux les plus récents[1].

I. — Substances radioactives.


Rayons de Becquerel. Uranium et thorium. — Nous appellerons radioactives les substances capables d’émettre spontanément et d’une façon continue certains rayons dits rayons de Becquerel. Ces rayons agissent sur les plaques photographiques ; ils rendent les gaz qu’ils traversent conducteurs de l’électricité ; ils sont capables de traverser le papier noir et les métaux. Les rayons de Becquerel ne se réfléchissent pas, ne se réfractent pas, ne se polarisent pas.

C’est M. Becquerel qui a découvert en 1896 que l’uranium et ses composés émettent d’une façon continue ces nouveaux rayons. M. Schmidt et Mme  Curie ont ensuite trouvé à peu près simultanément que les composés du thorium sont aussi radioactifs. L’intensité des radiations émises par les composés du thorium est analogue à celle des radiations émises par les composés d’uranium. La radioactivité est une propriété atomique qui accompagne les atomes d’uranium et de thorium partout où ils se trouvent ; dans un corps composé ou un mélange elle est, en général, d’autant plus grande que la proportion de ces deux métaux y est elle-même plus forte.

Nouvelles substances radioactives. — Mme  Curie a recherché en 1898 si, parmi les corps simples alors connus, il y en avait d’autres doués de propriétés radioactives ; elle n’a pu trouver aucune substance donnant un rayonnement notable, et elle a pu conclure que les propriétés radioactives des corps simples sont au moins 100 fois plus faibles que celles de l’uranium et du thorium. Elle a trouvé, au contraire, que certains minéraux contenant de l’uranium (la pechblende, la chalcolite, la carnotite) sont plus actifs que l’uranium métallique ; l’activité de ces minéraux ne pouvait donc être attribuée ni uniquement à l’uranium, ni aux autres corps simples connus. Cette découverte a été fertile en résultats nouveaux. Nous avons établi, Mme  Curie et moi, dans un travail fait en commun, que la pechblende renferme des substances radioactives nouvelles, et nous avons supposé que ces substances contiennent des éléments chimiques nouveaux.

On connaît actuellement avec certitude trois substances nouvelles fortement radioactives : le polonium, qui se trouve dans le bismuth que l’on extrait des minerais d’urane, le radium[2], qui se trouve dans le baryum de même provenance, et l’actinium, qui a été trouvé par M. Debierne dans les terres rares retirées du même minerai. Toutes ces trois substances se trouvent dans les minerais d’urane en quantité infinitésimale, et toutes les trois possèdent une radioactivité environ un million de fois plus grande que celle de l’uranium et du thorium.

Récemment M. Giesel et M. Hoffmann ont signalé la présence dans les minerais d’urane d’une quatrième substance fortement radioactive qui aurait des propriétés chimiques analogues à celles du plomb ; d’après les publications qui ont paru jusqu’ici je n’ai pu me faire une opinion sur la nature de cette substance.

On peut se demander si la radioactivité est une propriété générale de la matière. Cette question ne peut actuellement être considérée comme résolue. Les recherches de Mme  Curie ont prouvé que les diverses substances connues ne possèdent pas de radioactivité atomique qui atteigne le centième de la radioactivité de l’uranium et du thorium. D’autre part, certaines réactions chimiques peuvent donner naissance à la création d’ions conducteurs de l’électricité sans que la substance active présente le caractère de radioactivité atomique. C’est ainsi que le phosphore blanc en s’oxydant rend l’air qui l’entoure conducteur de l’électricité, tandis que le phosphore ronge et les phosphates ne se montrent nullement radioactifs.

Des expériences déjà anciennes (Russel, Colson, Lengyel) montrent que certains corps agissent à la longue sur les plaques photographiques. Il est possible qu’une partie de ces phénomènes soit due à la radioactivité, mais on n’a à ce sujet aucune certitude. Des travaux récents (Mac Lennan et Burton, Strutt, Lester Cooke) conduiraient pourtant à supposer que la radioactivité appartient à toutes les substances à un degré extrêmement faible. L’identité de ces phénomènes très faibles avec les phénomènes de radioactivité atomique ne peut encore être considérée comme certaine.

Radium. — De toutes les substances fortement radioactives, le radium est la seule pour laquelle on ait réussi à prouver qu’elle constitue un élément nouveau. Le radium possède un spectre caractéristique dont la découverte et la première étude sont dues à Demarçay, et qui a été étudié depuis par MM. Runge et Precht et par Sir W. Crookes. Le radium est un élément qui vient se placer dans la série des métaux alcalino-terreux à la suite du baryum ; son poids atomique déterminé par Mme  Curie est égal à 225.

Le radium a été retiré jusqu’à présent d’un résidu de la fabrication qui a pour but d’extraire l’urane de son minerai (la pechblende). Ce résidu contient par tonne 0,2 g à 0,3 g de radium. On commence par extraire de 1 t de résidu 10 kg à 15 kg de sel de baryum radifère, d’où l’on retire ensuite le sel de radium par des cristallisations fractionnées (avec le chlorure ou le bromure), les cristaux qui se déposent dans une solution étant plus riches en radium que le sel qui reste dans la liqueur.

On peut mesurer l’activité radiante d’un sel de radium à diverses époques à partir du moment où l’on a fait cristalliser le sel et où on l’a séché à l’étuve. On constate que l’activité a une certaine valeur initiale, puis elle augmente en fonction du temps, d’abord rapidement, puis de plus en plus lentement ; elle tend asymptotiquement vers une valeur limite qui est environ 5 fois plus forte que l’activité initiale. L’activité reste ensuite invariable pendant des années, si on laisse le sel dans un état invariable.

Polonium. — Le polonium est, au contraire, un corps qui perd lentement sa radioactivité à partir du moment où il a été séparé du minerai d’urane qui le contenait. Après quelques années la radioactivité du polonium a presque complètement disparu. Le polonium se comporte donc comme un corps instable. On n’a pas encore pu démontrer que le polonium est un élément nouveau, distinct du bismuth ordinaire.

On peut concentrer le polonium par fractionnement en précipitant par l’eau le sous-nitrate de bismuth à polonium, en solution acide ; la partie précipitée est la plus active. On peut aussi faire une précipitation partielle d’une solution chlorhydrique très acide par l’hydrogène sulfuré ; le polonium se concentre dans les sulfures précipités. Ces procédés de fractionnement sont pénibles, parce que les produits précipités ne se redissolvent que difficilement. M. Marckwald concentre l’activité en plongeant une baguette de bismuth dans une solution de bismuth à polonium ; une couche de métal extrêmement actif se dépose sur la baguette.

Actinium. — La concentration de l’actinium est encore plus pénible que celle du polonium. Les sels solides renfermant de l’actinium possèdent une radioactivité qui reste complètement invariable dans l’espace de plusieurs années.

II. — Rayonnement des corps radioactifs.


Complexité du rayonnement. — Le radium est le corps radioactif dont le rayonnement a été étudié le plus complètement. On sait aujourd’hui que le radium émet un ensemble de rayons de natures différentes qui peuvent être compris dans trois groupes. Suivant la notation adoptée par M. Rutherford, je désignerai ces trois groupes de rayons par les lettres α, β, γ.

L’action du champ magnétique permet de les distinguer. Dans un champ magnétique intense, les rayons α sont légèrement déviés de leur trajet rectiligne, et la déviation se fait de la même manière que pour les rayons canaux de M. Goldstein dans les tubes à vide ; au contraire les rayons β sont déviés comme les rayons cathodiques, et les rayons γ ne sont pas déviés et se comportent comme les rayons de Rœntgen.

Rayons β. — Les rayons β du radium, analogues aux rayons cathodiques, forment un groupe hétérogène ; ils se distinguent les uns des autres par leur pouvoir pénétrant et par la déviation qu’ils éprouvent dans un champ magnétique.

Certains rayons β sont absorbés par une lame d’aluminium de quelques centièmes de millimètre d’épaisseur, tandis que d’autres traversent en se diffusant plusieurs millimètres de plomb.

Supposons que l’on ait réalisé un faisceau rectiligne de rayons de Becquerel au moyen d’une parcelle de sel de radium et d’un écran percé d’un trou. Si l’on fait naître un champ magnétique uniforme normal à la direction du faisceau, les rayons β s’incurvent et décrivent des trajectoires circulaires dans un plan normal à la direction du champ magnétique. Les rayons des circonférences décrites varient dans des limites étendues. M. Becquerel a montré que les rayons les plus pénétrants sont ceux qui sont le moins déviés et qui, par conséquent, décrivent des circonférences dont le rayon de courbure est le plus grand. En recevant le faisceau des rayons β dévié par le champ magnétique sur une plaque photographique, on obtient sur celle-ci une impression qui constitue un véritable spectre dans lequel les divers rayons β manifestent leur action séparément.

On peut supposer que les rayons β sont constitués par des projectiles (électrons), chargés d’électricité négative et lancés à partir du radium avec une grande vitesse. Soit alors m la masse d’un projectile, e sa charge, v sa vitesse initiale, ρ le rayon de courbure de la trajectoire, l’intensité du champ magnétique (supposé normal à la direction de la vitesse initiale), μ la perméabilité magnétique du milieu. On aura la relation facile à établir

(1) .

Les rayons β sont aussi déviés dans un champ électrique. Supposons que l’on ait réalisé un faisceau rectiligne de ces rayons. Si l’on crée un champ électrique uniforme normal à la direction initiale du faisceau, les rayons sont déviés en sens inverse de la direction du champ, et décrivent des trajectoires paraboliques. On peut réaliser l’expérience en faisant passer le faisceau de rayons entre deux plateaux métalliques parallèles, entre lesquels on établit une différence de potentiel. La déviation est faible avec les moyens dont on dispose, et il convient d’opérer dans le vide. L’air est, en effet, rendu conducteur par les rayons ; si donc on opère dans l’air, l’isolement est imparfait, et il est difficile de maintenir entre les plateaux une différence de potentiel constante et élevée. Les rayons β les plus pénétrants sont les moins déviés.

L’action du champ électrique est en accord avec l’hypothèse balistique précédemment énoncée. Plaçons-nous dans cette hypothèse, et supposons qu’un champ électrique uniforme d’intensité h et de largeur agisse sur le projectile chargé, dont la vitesse initiale est normale au champ. La déviation y de l’extrémité de la trajectoire à la sortie du champ est donnée par la formule (2) en admettant que la déviation soit faible.

(2)

Des équations (1) et (2) on peut tirer d’une part la vitesse v des projectiles, d’autre part le rapport de la charge électrique à la masse correspondante.

Les expériences de M. Becquerel ont montré que pour les rayons β les plus intenses le rapport est voisin de unités électromagnétiques, et v a une valeur de . Ces valeurs sont du même ordre de grandeur que pour les rayons cathodiques.

M. Kaufmann a fait des expériences précises sur le même sujet. Ce physicien a soumis un faisceau très étroit de rayons du radium à l’action simultanée d’un champ magnétique et d’un champ électrique, les deux champs étant uniformes et ayant une même direction normale à la direction primitive du faisceau. Le faisceau est reçu sur une plaque photographique placée normalement à sa direction primitive. En l’absence des deux champs l’impression sur la plaque est une petite tache circulaire que nous assimilerons à un point. Quand le champ magnétique agit seul, les divers rayons β qui sont inégalement déviés, mais restent dans un plan normal au champ, produisent sur la plaque une impression en forme de ligne droite. Quand le champ électrique agit seul, les divers rayons β sont inégalement déviés dans un même plan passant par le champ et produisent sur la plaque une impression rectiligne normale à celle obtenue précédemment. Quand les deux champs agissent simultanément, l’impression sur la plaque est une courbe. Chaque point de la courbe correspond à une espèce différente de rayons β. En prenant comme axes coordonnés sur la plaque photographique les lignes droites obtenues quand chacun des champs agit seul, les coordonnées de chaque point de la courbe représentent les déviations électrique et magnétique relatives à une même espèce de rayons.

Voici les nombres obtenus pour v et par M. Kaufmann, dont les mesures sont relatives surtout aux rayons les plus pénétrants du radium. J’indique, à titre de comparaison, les valeurs obtenues par M. Simon pour les rayons cathodiques :

en unités
électromagnétiques.
    .
  { pour les rayons cathodiques (Simon)
pour les rayons du radium (Kaufmann)
1,17    » 2,48    »
0,97    » 2,59    »
0,77    » 2,72    »
0,63    » 2,83    »

On voit que certains rayons β ont une vitesse voisine de celle de la lumière. On comprend que des projectiles animés d’une telle vitesse peuvent, s’ils sont très petits, avoir un pouvoir pénétrant très grand vis-à-vis de la matière.

Le rapport semble être le même pour les rayons β du radium les moins pénétrants et pour les rayons cathodiques. Mais ce rapport va en diminuant à mesure que la vitesse des rayons augmente. MM. J.-J. Thomson et Townsend pensent que les électrons chargés en mouvement possèdent une charge qui est la même pour chacun d’eux et qui est égale à celle transportée par un atome d’hydrogène dans l’électrolyse d’une solution. S’il en est ainsi, il faut admettre que la masse des projectiles augmente en même temps que leur vitesse, quand celle-ci se rapproche de celle de la lumière.

Dans le cas de l’électrolyse le rapport est égal à 9650, tandis que ce même rapport est égal à pour les rayons cathodiques et pour les rayons β peu pénétrants. Si l’on admet que la charge e est la même dans les deux cas, on en déduit que la masse d’un électron est environ 2000 fois plus petite que celle d’un atome d’hydrogène.

Des considérations théoriques conduisent à concevoir que l’inertie de la particule est précisément due à son état de charge en mouvement, la vitesse d’une charge électrique en mouvement ne pouvant être modifiée sans dépense d’énergie. Autrement dit, la masse de la particule chargée est, au moins en partie, une masse apparente ou masse électromagnétique. M. Abraham a donné une formule permettant de calculer la masse électromagnétique d’une particule chargée en fonction de sa vitesse. D’après cette formule, la masse due aux réactions électromagnétiques est constante pour des vitesses faibles, cette masse augmente avec la vitesse et tend vers l’infini pour des vitesses qui tendent vers celle de la lumière. Les expériences de M. Kaufmann sont en accord avec cette théorie et conduisent de plus à admettre que la masse d’un électron est entièrement de nature électromagnétique. Ces résultats ont une grande importance théorique ; ils permettent de prévoir la possibilité d’établir les bases de la mécanique sur la dynamique de petits centres matériels chargés en état de mouvement.

Rayons α. — Les rayons α du radium sont très peu pénétrants ; une lame d’aluminium de quelques centièmes de millimètre d’épaisseur les absorbe presque complètement. Ils sont aussi absorbés par l’air, et ne peuvent pénétrer dans l’air à la pression atmosphérique à une distance supérieure à 10 cm. Les rayons α forment la partie la plus importante du rayonnement du radium, si l’on convient de mesurer le rayonnement par la grandeur de l’ionisation qu’il produit dans l’air.

Les rayons α sont très peu déviés par les champs électriques et magnétiques les plus intenses, et on les a d’abord considérés comme étant des rayons non déviables sous cette action. Cependant, indépendamment de l’action du champ magnétique, les lois de l’absorption des rayons α par des écrans superposés permettaient déjà d’en faire un groupe à part et de les distinguer nettement des rayons de Rœntgen. En traversant des écrans successifs, les rayons α deviennent en effet de moins en moins pénétrants, tandis que dans les mêmes conditions le pouvoir pénétrant des rayons de Rœntgen va en augmentant. Il semble que l’on puisse assimiler un rayon α à un projectile dont l’énergie diminue à la traversée de chaque écran. Un écran donné absorbe aussi beaucoup plus fortement les rayons α quand il est placé loin du radium, que quand il est placé tout contre le radium.

M. Strutt a fait la supposition que les rayons α sont analogues aux rayons canaux des tubes à vide. M. Rutherford a réussi à mettre en évidence l’action du champ magnétique sur les rayons α du radium et à faire une première mesure de la déviation. M. Becquerel a confirmé les résultats obtenus par M. Rutherford et a donné une nouvelle mesure du phénomène. M. des Coudres a fait une mesure de la déviation électrique et de la déviation magnétique des rayons α en opérant dans le vide.

Il résulte de ces recherches que les rayons α se comportent comme des projectiles animés d’une grande vitesse et chargés d’électricité positive. La déviation dans un champ magnétique et dans un champ électrique se fait en sens inverse de celle qui aurait lieu pour les rayons cathodiques.

Les rayons α forment un groupe qui semble homogène, ils sont tous déviés de la même façon par le champ magnétique et ne donnent pas alors un spectre étalé comme les rayons β. Les formules (1) et (2) de la page 46 sont encore applicables. D’après les mesures de des Coudres faites dans le vide, on trouve :

.

On voit que la vitesse des projectiles est 20 fois plus faible que celle de la lumière. Si l’on admet que la charge d’un projectile est la même que celle d’un atome d’hydrogène dans l’électrolyse, on trouve que sa masse est de l’ordre de grandeur de celle d’un atome d’hydrogène (le rapport est égal à 9650, pour l’hydrogène dans l’électrolyse). On conçoit que ces projectiles, plus gros que les électrons et animés d’une vitesse moindre que celle des électrons, aient aussi un pouvoir de pénétration bien moindre.

D’après les expériences de M. Becquerel, la courbure de la trajectoire des rayons α qui se propagent dans un champ magnétique uniforme n’est pas constante, lorsque la propagation a lieu dans l’air à la pression atmosphérique. Tout d’abord cette courbure est la même que celle obtenue dans le vide, mais elle devient de moins en moins grande à mesure que le rayon s’éloigne de la source. On peut expliquer ce phénomène en admettant que de nouvelles particules viennent se fixer sur les projectiles qui constituent les rayons, pendant que ceux-ci accomplissent leur trajet dans l’air. Cette hypothèse rendrait compte du fait que le pouvoir absorbant d’un écran pour les rayons a augmente, quand on éloigne l’écran de la source radiante.

Les rayons α sont ceux qui sont actifs dans la très belle expérience réalisée dans le spinthariscope de M. Crookes. Dans cet appareil, un fragment très petit d’un sel de radium (une fraction de milligramme) est maintenu par un fil métallique à une faible distance (0,5 mm) d’un écran au sulfure de zinc phosphorescent. En examinant dans l’obscurité avec une loupe la face de l’écran qui est tournée vers le radium, on aperçoit des points lumineux parsemés sur l’écran et faisant songer à un ciel étoilé ; ces points lumineux apparaissent et disparaissent continuellement. Dans la théorie balistique, on peut imaginer que chaque point lumineux qui apparaît et disparaît résulte du choc d’un projectile. On aurait affaire pour la première fois à un phénomène permettant de distinguer l’action individuelle d’un atome.

Rayons γ. — Les rayons γ du radium sont entièrement comparables aux rayons de Rœntgen. Ils ne semblent former qu’une bien faible partie du rayonnement total. Il existe des rayons γ ayant un pouvoir de pénétration extraordinaire, et ces rayons se diffusent très peu en traversant la plupart des corps.

Diffusion des rayons du radium. — Soit un faisceau de rayons de Becquerel issu du radium et délimité par des fentes taillées dans des écrans en plomb. Si le faisceau rencontre un écran mince, les rayons α sont absorbés, les rayons β sont diffusés dans tous les sens, les rayons γ traversent partiellement l’écran à l’état de faisceau bien défini aux bords nets ; les rayons γ peuvent ainsi traverser un prisme de verre épais sans que le faisceau cesse d’être rectiligne et bien limité. On s’est demandé si les rayons β sont toujours complètement diffusés en traversant un écran solide. Les expériences de M. Becquerel montrent qu’un faisceau de rayons β peut se propager à l’état bien défini dans la paraffine. M. Becquerel se sert de l’action des rayons β sur les plaques photographiques pour étudier sur une plaque la trace du trajet des rayons β dispersés par le champ magnétique. On voit sur les clichés que les rayons les plus pénétrants traversent sans se diffuser notablement 7 mm ou 8 mm de paraffine, tandis que les rayons les moins pénétrants sont complètement diffusés après un trajet de 2 mm. Le champ magnétique dévie les rayons β dans la paraffine comme dans l’air.

Conductibilité des liquides diélectriques sous l’action des rayons du radium. — Les liquides diélectriques deviennent légèrement conducteurs sous l’action des rayons du radium. On peut constater ce phénomène avec l’éther de pétrole, l’huile de vaseline, la benzine, l’amylène, le sulfure de carbone, l’air liquide.

Rayonnement des autres corps radioactifs. — Le polonium n’émet que des rayons très peu pénétrants qui semblent identiques avec les rayons α du radium. Ils possèdent à peu près le même pouvoir pénétrant et sont déviés de la même façon par le champ magnétique ; enfin, avec les rayons α du polonium, on peut faire l’expérience du spinthariscope. Le polonium fournit donc une source de rayons α exempts des autres espèces de rayons, ce qui est précieux dans certaines études. Mais la source s’épuise, et au bout de quelques années le polonium séparé du minerai qui le contenait a perdu son activité.

Le thorium, l’uranium, l’actinium semblent émettre des rayons α et β ; on a pu vérifier la déviabilité des rayons β.

Charge électrique des rayons du radium. — D’après la théorie balistique, les rayons α doivent transporter des charges électriques positives et les rayons β des charges électriques négatives. Nous avons montré, Mme  Curie et moi, que, conformément à cette théorie, les rayons β du radium chargent négativement les corps qui les absorbent. Pour le montrer, on utilise une plaque de plomb en relation avec un électromètre. La plaque de plomb est entièrement recouverte d’une couche de paraffine qui est elle-même entourée d’une enveloppe d’aluminium mince reliée à la terre. Le radium, situé dans une petite cuve à l’extérieur, envoie ses rayons sur la plaque de plomb ainsi protégée. Les rayons α sont arrêtés par l’enveloppe extérieure d’aluminium ; une partie des rayons β traverse l’aluminium et la paraffine et se trouve absorbée par le plomb qui se charge négativement. La paraffine est nécessaire pour obtenir un isolement suffisant de la lame de plomb, qui ne pourrait se charger si elle était entourée d’air rendu conducteur par les rayons de Becquerel.

Nous avons aussi montré qu’un sel de radium se charge positivement lorsqu’il est enveloppé d’une couche isolante et qu’il émet à l’extérieur des rayons β, tandis que les rayons α ne peuvent s’échapper.

Une ampoule de verre scellée et contenant un sel de radium se charge spontanément d’électricité comme une bouteille de Leyde. Si au bout d’un temps suffisant on fait avec un couteau à verre un trait sur les parois de l’ampoule, il part une étincelle qui perce le verre en un point où la paroi a été amincie sous le couteau ; en même temps, l’opérateur éprouve une petite secousse dans les doigts par suite du passage de la décharge.

Phosphorescence des corps par l’action des rayons de Becquerel. Lumière émise par les sels de radium. Coloration des corps par l’action des rayons. — Le rayonnement du radium provoque la phosphorescence d’un grand nombre de corps : sels alcalins et alcalino-terreux, sulfate d’uranyle et de potassium, matières organiques, coton, papier, sulfate de cinchonine, peau, verre, quartz, etc. Les corps les plus sensibles sont le platinocyanure de baryum, la willémite (silicate de zinc), le sulfure de zinc de Sidot, le diamant. Avec les rayons β pénétrants, la willémite et le platinocyanure sont les corps les plus sensibles, tandis qu’avec les rayons α on a avantage à employer le sulfure de zinc phosphorescent.

Les substances phosphorescentes sont altérées par l’action prolongée des rayons du radium ; elles deviennent alors moins excitables et sont moins lumineuses sous l’action des rayons. En même temps ces corps changent de teinte et se colorent. Le verre se colore en violet, en noir ou en brun ; les sels alcalins se colorent en jaune, en vert ou en bleu ; le quartz transparent devient du quartz enfumé ; la topaze incolore devient jaune orangé, etc. Le verre coloré par le radium est thermoluminescent ; en le chauffant vers 500° on le voit émettre de la lumière ; en même temps, il se décolore et revient à son état primitif ; il est alors susceptible d’être coloré à nouveau par l’action des rayons du radium.

Les sels de radium sont spontanément lumineux. On peut admettre qu’ils se rendent eux-mêmes phosphorescents par l’action des rayons de Becquerel qu’ils émettent. Le chlorure et le bromure de radium anhydres sont les sels qui donnent la luminosité la plus intense. On peut en obtenir d’assez lumineux pour que la lumière puisse se voir en plein jour. La lumière émise par les sels de radium rappelle comme teinte celle du ver luisant (lampyre). La luminosité des sels de radium diminue avec le temps sans jamais disparaître complètement, et en même temps les sels d’abord incolores se colorent en gris, en jaune ou en violet.

Effets physiologiques des rayons du radium. — Les rayons du radium provoquent diverses actions physiologiques.

Un sel de radium situé dans une boite opaque en carton ou en métal, agit cependant sur l’œil et produit une sensation de lumière. Pour obtenir ce résultat, on peut placer la boîte contenant le radium devant l’œil fermé ou contre la tempe. Dans ces expériences, les milieux de l’œil deviennent lumineux par phosphorescence sous l’influence des rayons du radium, et la lumière que l’on aperçoit a sa source dans l’œil lui-même.

Les rayons du radium agissent sur l’épiderme. Si l’on garde pendant quelques minutes une ampoule contenant du radium sur la peau, on n’éprouve aucune sensation particulière ; mais, 15 à 20 jours après, il se produit sur la peau une rougeur, puis une eschare, dans la région où l’on avait appliqué l’ampoule. Si l’action des rayons a été assez longue, il se forme ensuite une plaie qui peut mettre plusieurs mois à guérir. L’action des rayons du radium sur l’épiderme est analogue à celle produite par les rayons de Rœntgen. On essaye actuellement d’utiliser cette action dans le traitement des lupus et des cancers.

Les rayons du radium agissent encore sur les centres nerveux et déterminent alors des paralysies et la mort (Danysz). Ils semblent aussi agir d’une façon particulièrement intense sur les tissus vivants en voie d’évolution (Bohn).

Emploi du radium dans l’étude de l’électricité atmosphérique. — Les rayons du radium ont été utilisés dans l’étude de l’électricité atmosphérique (Paulsen, Witkowski, Moureaux). Une petite quantité d’un sel de radium fixée à l’extrémité d’une tige métallique constitue une prise de contact pour le potentiel. On évite par ce dispositif très simple l’usage des flammes ou des appareils à gouttes d’eau pour la mesure du potentiel en un point de l’atmosphère.

III. — Chaleur dégagée par les sels de radium.


Les sels de radium dégagent continuellement de la chaleur. Ce dégagement est assez fort pour qu’on puisse le montrer par une expérience grossière, faite à l’aide de deux thermomètres à mercure ordinaires. On utilise deux vases isolateurs thermiques à vide identiques entre eux. Dans l’un de ces vases on place une ampoule de verre contenant 0,7 g de bromure de radium pur ; dans le deuxième vase on place une ampoule de verre qui contient une substance inactive quelconque, par exemple du chlorure de baryum. La température de chaque enceinte est indiquée par un thermomètre dont le réservoir est placé au voisinage immédiat de l’ampoule. L’ouverture des isolateurs est fermée par du coton. Dans ces conditions, le thermomètre qui se trouve dans le même vase que le radium indique constamment une température supérieure de 3° à celle indiquée par l’autre thermomètre.

On peut évaluer la quantité de chaleur dégagée par le radium à l’aide du calorimètre à glace de Bunsen. En plaçant dans le calorimètre une ampoule de verre qui contient le sel de radium, on constate un apport continu de chaleur qui s’arrête dès que l’on éloigne le radium. La mesure faite avec un sel de radium préparé depuis longtemps montre que chaque gramme de radium dégage 80 cal pendant chaque heure. Le radium dégage donc pendant chaque heure une quantité de chaleur suffisante pour fondre son poids de glace. Cependant le sel de radium utilisé semble toujours dans le même état, et du reste aucune réaction chimique ordinaire ne pourrait être invoquée pour expliquer un pareil dégagement continu de chaleur.

On constate encore qu’un sel de radium qui vient d’être préparé dégage une quantité de chaleur relativement faible. La chaleur dégagée en un temps donné augmente ensuite continuellement et tend vers une valeur déterminée qui n’est pas encore tout à fait atteinte au bout d’un mois.

Quand on dissout dans l’eau un sel de radium et que l’on enferme la solution dans un tube scellé, la quantité de chaleur dégagée par la solution est d’abord faible ; elle augmente ensuite et tend à devenir constante au bout d’un mois. Quand l’état limite est atteint, le sel de radium enfermé en tube scellé dégage la même quantité de chaleur à l’état solide et à l’état de dissolution. On peut encore évaluer la chaleur dégagée par le radium à diverses températures en l’utilisant pour faire bouillir un gaz liquéfié et en mesurant le volume du gaz qui se dégage. On peut faire l’expérience avec le chlorure de méthyle (−21°).

L’expérience a été faite aussi par M. le professeur Dewar et par moi avec l’oxygène liquide (à −180°) et l’hydrogène liquide (à −252°). Ce dernier corps convient particulièrement bien pour réaliser l’expérience : Un tube (fig. 1), fermé à la partie inférieure et entouré d’un isolateur à vide de Dewar, contient un peu d’hydrogène liquide  ; un tube de dégagement tt permet de recueillir le gaz dans une éprouvette graduée, remplie d’eau. Le tube et son isolateur plongent tous deux dans un bain d’hydrogène liquide .

fig. 1.
fig. 1.



Dans ces conditions aucun dégagement gazeux ne se produit dans le tube . Lorsque l’on place une ampoule a contenant 0,7 g de bromure de radium dans l’hydrogène du tube , il se fait un dégagement continu de gaz hydrogène, et l’on recueille 73 cm³ de gaz par minute. (Le bromure de radium était préparé depuis 10 jours seulement.)

IV. — Sur la radioactivité induite et les émanations radioactives.


Radioactivité induite. — Le radium, le thorium et l’actinium ont la propriété d’agir à l’extérieur autrement que par les rayons de Becquerel qu’ils émettent. Ils communiquent peu à peu leurs propriétés radioactives aux corps qui se trouvent dans leur voisinage, et ceux-ci émettent à leur tour des rayons de Becquerel. L’activité peut ainsi se transmettre aux gaz, aux liquides et aux solides, et c’est là le phénomène de la radioactivité induite.

La radioactivité induite se propage dans les gaz de proche en proche par une sorte de conduction, elle n’est nullement due à l’action du rayonnement direct des corps qui la provoquent.

Quand on éloigne le corps activé du corps radioactif, la radioactivité induite sur ce corps persiste pendant un certain temps ; elle diminue cependant peu à peu et finit par s’éteindre.

Émanation. — Pour expliquer ces phénomènes, M. Rutherford admet que le radium ou le thorium dégagent constamment un gaz matériel radioactif instable qu’il nomme émanation. L’émanation se répand dans le gaz qui entoure le corps radioactif ; elle se détruit peu à peu en émettant des rayons de Becquerel et en donnant naissance à d’autres corps matériels radioactifs instables qui ne sont pas volatils ; ces nouvelles matières se fixent à la surface des corps solides et les rendent radioactifs.

Sans préciser autant les hypothèses, on peut adopter le nom d’émanation pour désigner l’énergie radioactive sous la forme qu’elle affecte quand elle se répand dans le gaz qui entoure les corps radioactifs ; on peut de plus supposer que cette énergie disparaît en créant l’énergie de radioactivité induite des corps solides.

Radioactivité induite par le radium et émanation du radium. — Lorsque l’on place un sel de radium solide dans une enceinte close remplie d’air, les parois intérieures de l’enceinte et tous les corps solides placés dans l’enceinte deviennent radioactifs. On peut, par exemple, introduire dans l’enceinte une lame solide d’un corps quelconque, l’y laisser un certain temps, puis la retirer et étudier son activité. On constate que l’activité de la lame augmente d’abord avec la durée du séjour dans l’enceinte, mais qu’elle atteint une valeur limite pour un séjour assez prolongé. Lorsque la lame activée est retirée de l’enceinte, elle perd son activité suivant une loi d’allure exponentielle, le rayonnement diminuant de la moitié de sa valeur pendant une période de temps de l’ordre de grandeur d’une demi-heure. D’une manière générale, tous les corps solides dans les mêmes conditions s’activent et se désactivent de la même façon.

Les phénomènes sont beaucoup plus intenses (environ 20 fois) si, au lieu de placer dans l’enceinte le sel de radium solide, on place dans celle-ci la solution du même sel dans un vase ouvert.

La nature et la pression du gaz contenu dans l’enceinte n’ont pas d’influence sur les phénomènes observés.

L’activité induite dans une enceinte est proportionnelle à la quantité de radium qui s’y trouve.

Lorsque l’enceinte contenant le radium communique par un tube avec une deuxième enceinte, les corps solides contenus dans celle-ci s’activent également au bout d’un temps suffisant. La transmission de la propriété activante peut même se faire d’une enceinte à une autre par un tube capillaire.

Lorsque le gaz qui a été activé par le séjour dans une enceinte renfermant du radium est transporté dans une autre enceinte, il conserve pendant un temps assez long la propriété de rendre radioactifs les corps solides amenés en contact avec lui. Le gaz ainsi soustrait à l’action du radium perd cependant peu à peu sa propriété activante ; celle-ci disparaît en fonction du temps suivant une loi exponentielle ; elle diminue de la moitié de sa valeur pendant chaque période de 4 jours.

Pour interpréter ce phénomène, on peut admettre que le radium donne lieu à un débit continu et constant d’émanation radioactive ; cette émanation se répand dans l’air d’une enceinte et agit sur les corps solides en les activant. Lorsque l’air est transporté dans une autre enceinte, l’émanation est entraînée avec lui ; elle se détruit ensuite

fig. 2.
fig. 2.



spontanément avec une vitesse telle que la quantité d’émanation répandue dans le gaz diminue de moitié pendant chaque période de 4 jours.

Dans une enceinte renfermant du radium il s’établit un état d’équilibre quand la quantité d’émanation dans l’enceinte est telle que la perte d’émanation résultant de sa destruction spontanée compense exactement l’apport continu d’émanation ayant sa source dans le radium.

On peut faire l’expérience suivante : Le récipient de verre rempli d’air (fig. 2) communique par la partie rétrécie avec l’ampoule qui renferme une solution de radium . Au bout d’un certain temps l’émanation s’est répandue en , et les parois intérieures de ce récipient sont activées. On sépare le récipient du radium en fermant en à la lampe. On peut ensuite étudier le rayonnement extérieur du récipient en le transportant dans le cylindre intérieur d’un condensateur cylindrique (fig. 3). Ce cylindre intérieur est en aluminium : on le porte à un potentiel de 500 volts. Le cylindre extérieur du condensateur est en cuivre ;

fig. 3.
fig. 3.



il est en relation avec un électromètre et un quartz piézoélectrique. On mesure à l’aide du quartz le courant qui traverse le condensateur. Ce courant est provoqué par les rayons de Becquerel qui s’échappent du tube , traversent le cylindre d’aluminium et rendent conducteur l’air entre les deux cylindres. L’appareil est entouré d’une enveloppe métallique protectrice , reliée à la terre.

On constate que le rayonnement du tube diminue avec le temps suivant une loi exponentielle rigoureuse de la forme

,

étant la valeur du rayonnement à l’origine du temps, la valeur du rayonnement à l’instant t et a un coefficient constant (a = 2,01.10-6, en prenant comme unité de temps la seconde). Le rayonnement baisse de la moitié de sa valeur en 4 jours environ.

Dans une deuxième expérience on peut activer le tube comme précédemment et faire ensuite le vide à l’intérieur, de manière à extraire l’air chargé d’émanation qui se trouve dans le tube. Dans ces conditions le rayonnement du récipient diminue beaucoup plus rapidement, ce rayonnement devient deux fois plus faible en un temps de l’ordre de grandeur d’une demi-heure. Cette loi de désactivation est la même que celle suivant laquelle les corps activés perdent leur activité quand ils sont exposés à l’air libre. Le résultat est encore le même si, après avoir fait le vide dans le récipient , on y laisse rentrer de l’air inactif.

On est donc conduit à conclure que dans la première expérience l’activité du récipient est entretenue par l’air chargé d’émanation contenu dans ce récipient, et que la loi de diminution du rayonnement dans cette expérience représente aussi bien la loi de la disparition spontanée de l’émanation.

Lorsque l’on fait le vide dans le récipient qui renferme de l’air chargé d’émanation, et que l’on mesure le rayonnement de ce récipient immédiatement avant et après l’extraction de l’air, on constate que ce rayonnement n’a pas changé au moment où l’on a retiré l’air actif. Le rayonnement Becquerel de l’air chargé d’émanation ne produit donc pas d’action dans cette expérience. Ce rayonnement existe probablement, mais il est formé de rayons très peu pénétrants, incapables de traverser la paroi de verre. On peut faire à ce sujet l’expérience suivante : l’une des extrémités du tube métallique (fig. 4) communique en , au moyen d’un tube de caoutchouc, avec un récipient où se trouve une solution de sel de radium. L’autre extrémité du tube est fermée par un bouchon isolant i ; ce bouchon est traversé par une tige métallique reliée à l’électromètre. Le tube et la tige forment un condensateur cylindrique ; le tube est porté à un potentiel de 500 volts. Le tube métallique , relié à la terre, sert de tube de garde. Quand le tube est suffisamment activé, on le sépare du radium et l’on mesure l’intensité du courant qui traverse le condensateur ; puis on chasse rapidement l’air actif qui remplit le condensateur, on laisse rentrer de l’air inactif et l’on fait immédiatement une nouvelle mesure de l’intensité du courant. On constate que le courant est devenu 6 fois plus faible. Or, pendant la deuxième mesure, le rayonnement des parois activées agit seul pour ioniser l’air du condensateur, tandis que, pendant la première mesure, l’émanation agit également ; on peut donc supposer qu’elle aussi émet un rayonnement.

fig. 4.
fig. 4.



Ce rayonnement est nécessairement très peu pénétrant puisqu’il ne fait pas sentir son action à l’extérieur.

Quand une lame solide qui a été activée par l’émanation se désactive à l’air libre, la loi de désactivation dépend du temps pendant lequel la lame a été laissée au contact de l’émanation. Si l’action de l’émanation a été prolongée (plus de 24 heures, par exemple), la loi de désactivation est donnée par la différence de deux exponentielles. L’intensité du rayonnement peut, en ce cas, être représentée en fonction du temps t par l’équation

.

étant l’intensité du rayonnement à l’origine du temps, c’est-à-dire au moment où l’on soustrait la lame à l’action de l’émanation ; , b et c sont trois coefficients constants


en prenant comme unité de temps la seconde.

Ces résultats ont été représentés (fig. 5, courbe 1) ; le logarithme de a été porté en ordonnées et le temps en abscisses. Une heure et demie après le début de la désactivation, la deuxième exponentielle est devenue négligeable

fig. 5.
fig. 5.



par rapport à la première dans l’expression de , et la courbe représentative est devenue une droite. À partir de ce moment, l’activité diminue de moitié pendant chaque période de 28 minutes.

Si la durée d’action de l’émanation a été moins longue, la loi de variation du rayonnement pendant la désactivation est bien plus complexe. On a représenté (fig. 5) les résultats des expériences pour divers temps d’activation, ces temps étant indiqués sur les courbes correspondantes. On voit, par exemple, que pour un temps d’activation de 5 minutes, l’intensité du rayonnement pendant la désactivation commence par baisser rapidement jusqu’à une valeur minimum ; ensuite le rayonnement augmente, passe par un maximum, et recommence à diminuer ; finalement la loi de désactivation tend vers une loi exponentielle simple qui est la même que la loi limite après activation prolongée. On arrive à expliquer ces phénomènes complexes en admettant que, sur la lame activée, l’énergie radioactive affecte trois états successifs distincts, mais les développements relatifs à ce sujet sont trop longs pour prendre place dans cet article.

L’émanation du radium provoque énergiquement la phosphorescence d’un grand nombre de corps. Les réservoirs de verre contenant l’air chargé d’émanation sont lumineux ; le verre de Thuringe est le plus sensible. Le sulfure de zinc phosphorescent est particulièrement sensible à l’action de l’émanation du radium et donne alors une lumière intense.

Dans une enceinte activante, les corps solides s’activent d’autant plus que l’espace de gaz libre devant eux est plus grand. Quand des plaques parallèles entre elles sont placées dans une enceinte activante à une petite distance les unes des autres, chaque face de l’une des plaques s’active proportionnellement à la distance qui la sépare de la face en regard. Lorsque des tubes de verre de divers diamètres sont remplis d’émanation et communiquent entre eux, les tubes dont le diamètre intérieur est le plus grand sont en même temps ceux dont les parois sont le plus fortement radioactives ; ces tubes sont aussi les plus lumineux. Pour interpréter ces faits on peut admettre que l’air chargé d’émanation agit sur les parois par un rayonnement qui prend naissance en tout point de la masse gazeuse, et que la radioactivité induite sur une paroi est proportionnelle au flux de rayonnement activant reçu par cette paroi.

Activité induite à évolution lente. — Un corps solide acquiert une radioactivité induite persistante très faible, lorsqu’il est resté pendant un mois au moins au contact de l’émanation du radium. Un corps retiré d’une enceinte activante après un long séjour au contact de l’émanation perd son activité d’abord rapidement suivant les lois que nous avons énoncées. Mais l’activité rayonnante ne disparaît pas complètement ; il reste un rayonnement plusieurs milliers de fois plus faible que celui initial ; ce rayonnement évolue avec une lenteur extrême, il continue à se produire pendant plusieurs années. (Le rayonnement passe par un minimum, il augmente ensuite lentement pendant plusieurs mois, tout en restant toujours extrêmement faible.)

Occlusion de l’émanation du radium par les corps solides. — Tous les corps solides activés au contact de l’émanation du radium ont acquis la propriété d’émettre eux-mêmes en très petite quantité cette émanation. Ils conservent cette propriété pendant 20 minutes seulement à partir du moment où on les a retirés de l’enceinte activante. Cependant, certains corps solides : le celluloïd, le caoutchouc, la paraffine ont la propriété de s’imprégner d’émanation et d’en émettre ensuite en abondance pendant plusieurs heures et même plusieurs jours.

Activité induite des liquides. — Un liquide placé dans une enceinte activée par le radium devient radioactif. On peut ainsi activer de l’eau, des solutions salines, du pétrole, etc. Ces liquides dissolvent une certaine quantité d’émanation. Quand un liquide activé est séparé du radium et enfermé dans une ampoule scellée, il perd lentement son activité suivant la loi de destruction de l’émanation (diminution de moitié en 4 jours). Quand le liquide est placé dans un vase ouvert à l’air, il perd son activité très rapidement, et l’émanation se répand dans l’air ambiant.

Variations d’activité des solutions des sels de radium et des sels de radium solides. — Une solution de sel de radium, exposée à l’air d’une chambre dans un vase ouvert, devient à peu près inactive. Cette solution émet de l’émanation qui se répand dans la pièce et provoque la radioactivité induite des parois. La radioactivité du radium se trouve ainsi extériorisée. Si l’on enferme la solution en tube scellé, son activité augmente peu à peu et tend vers une valeur limite qui n’est guère atteinte qu’au bout d’un mois. On peut admettre que l’émanation produite par le radium s’accumule dans le tube scellé, jusqu’à ce que la vitesse de sa destruction spontanée devienne égale au débit fourni par le radium.

Nous avons vu qu’un sel de radium solide qui vient d’être préparé possède une activité qui augmente avec le temps et devient environ 5 fois plus grande que l’activité initiale. On peut admettre que l’émanation émise par le radium ne peut s’échapper que difficilement du sel solide, qu’elle s’y accumule et se transforme sur place en radioactivité induite. Un équilibre de régime s’établit quand la perte spontanée devient suffisante pour compenser la production.

Lorsque l’on chauffe au rouge un sel de radium solide, toute l’émanation qui y était accumulée s’échappe ; le sel ramené à la température ambiante émet alors beaucoup moins de rayons de Becquerel ; cependant, peu à peu le rayonnement reprend sa valeur primitive qui est atteinte au bout de 1 à 2 mois. Le sel qui a été chauffé au rouge ne possède plus guère la propriété d’émettre de l’émanation à l’extérieur ; mais cette propriété peut lui être rendue en le redissolvant et en le séchant à une température peu élevée.

Diffusion de l’émanation du radium. — Nous avons étudié, M. Danne et moi, la loi de diffusion de l’émanation du radium. Un gros réservoir en verre rempli d’air activé communique avec l’atmosphère par un tube capillaire. On mesure en fonction du temps le rayonnement de Becquerel émis par les parois du réservoir, et l’on en déduit la loi de l’écoulement de l’émanation par le tube capillaire. On trouve que la vitesse de l’écoulement de l’émanation est proportionnelle à la quantité d’émanation qui se trouve dans le réservoir ; elle varie proportionnellement à la section du tube capillaire et en raison inverse de sa longueur. Ces lois sont celles que l’on obtient pour un gaz mélangé à l’air dans les mêmes conditions. Le coefficient de diffusion de l’émanation dans l’air est égal à 0,100 à la température de 10°. Ce coefficient est donc du même ordre de grandeur que celui de la diffusion de l’acide carbonique dans l’air qui est égal à 0,15 à la même température.

Radioactivité induite par le thorium et émanation du thorium. — Le thorium émet une émanation et donne lieu à des phénomènes de radioactivité induite ; ces propriétés ont fait l’objet de nombreuses études de M. Rutherford. L’action du thorium est, d’ailleurs, considérablement moins intense que celle du radium.

L’émanation du thorium disparaît spontanément suivant une loi exponentielle simple, mais la disparition est beaucoup plus rapide que pour l’émanation du radium ; la quantité d’émanation du thorium diminue de moitié en 1 minute et 10 secondes environ, tandis que, dans le cas du radium, la quantité d’émanation diminue de moitié en 4 jours. Cette différence considérable amène une modification profonde dans l’aspect des phénomènes.

Dans une enceinte fermée dont les dimensions ne sont pas trop grandes, l’émanation du radium se répand à peu près uniformément dans toutes les parties de l’enceinte. Mais, dans les mêmes conditions, l’émanation du thorium se trouve accumulée dans le voisinage du thorium, parce qu’elle disparaît spontanément avant d’avoir eu le temps de se diffuser dans l’air à une distance notable.

On peut mesurer l’activité radiante d’une substance en plaçant cette substance sur le plateau inférieur d’un condensateur formé de deux plateaux parallèles horizontaux, et en mesurant la conductibilité que la substance communique à l’air situé entre les plateaux. Si l’on fait cette mesure pour l’oxyde de thorium, on constate que la conductibilité de l’air est fortement diminuée quand on envoie un courant d’air entre les plateaux. L’oxyde de thorium émet, en effet, de l’émanation qui s’accumule au-dessus de la substance et contribue par son rayonnement à ioniser l’air entre les plateaux. Un courant d’air entraîne l’émanation à mesure qu’elle se dégage, et il ne reste alors comme cause ionisante que le rayonnement de Becquerel venant directement du thorium.

Si l’on répète la même expérience avec un sel de radium, on observe que le courant d’air ne produit qu’un effet très faible. Avec l’uranium et le polonium, qui n’émettent pas d’émanation, l’effet du courant d’air est nul. Au contraire, dans le cas de l’actinium, l’action du courant d’air a pour effet de supprimer les de la conductibilité de l’air. On peut conclure que pour le thorium, et surtout pour l’actinium, le rayonnement de l’émanation est très important par rapport au rayonnement de la substance radioactive elle-même.

Quand on veut activer un corps solide à saturation avec l’émanation du thorium, il est nécessaire de faire agir l’émanation pendant un temps assez long, et pour cela il faut la renouveler constamment à la surface du corps que l’on veut activer. On obtient ce résultat en faisant barboter un courant d’air continu dans une solution de sel de thorium, et en envoyant ce courant d’air chargé d’émanation sur le corps à activer. Le corps solide activé par l’émanation du thorium se désactive spontanément suivant une loi exponentielle ; le rayonnement baisse de moitié pendant chaque période de 11 heures. Ainsi, contrairement à ce qui se passe pour les émanations, l’activité induite par le thorium sur les corps solides disparaît bien plus lentement que celle induite par le radium.

Radioactivité induite par l’actinium et émanation de l’actinium. — L’actinium émet une émanation qui donne un rayonnement très intense. Cette émanation disparaît spontanément avec une rapidité extrême, elle diminue de moitié en un temps de l’ordre de grandeur d’une seconde. Dans l’air à la pression atmosphérique l’émanation émise par l’actinium ne peut se propager à plus de 7 mm ou 8 mm de distance de la substance active ; elle n’active donc que les corps solides placés tout près de la source. Au contraire, dans une enceinte vide d’air, la diffusion est rapide, et un corps placé à 10 cm de distance de l’actinium peut encore s’activer. La radioactivité induite par l’actinium sur les corps solides disparaît suivant une loi exponentielle ; elle diminue de moitié en 36 minutes environ.

Concentration de la radioactivité induite sur les corps chargés négativement. — M. Rutherford a montré qu’un corps exposé à l’action de l’émanation du thorium s’active plus fortement, quand il est porté à un potentiel électrique négatif, que quand il est au même potentiel que les corps environnants ; au contraire il s’active moins, s’il est porté à un potentiel électrique positif. Le même phénomène se produit pour l’activation par le radium et l’actinium. La nature de ce curieux phénomène ne me paraît pas encore bien établie.

Condensation des émanations du radium et du thorium. — MM. Rutherford et Soddy ont découvert que les émanations du radium et du thorium se condensent à la température de l’air liquide. Un courant d’air chargé d’émanation perd ses propriétés radioactives en traversant un serpentin plongé dans l’air liquide. Les émanations restent condensées dans le serpentin ; elles se retrouvent à l’état gazeux quand on réchauffe celui-ci. L’émanation du radium se condense à −150°, celle du thorium se condense à une température comprise entre −100° et −150°. On peut faire l’expérience suivante : Deux réservoirs de verre, l’un gros, l’autre petit, communiquent ensemble ; ils sont remplis de gaz activé par le radium. On plonge le petit réservoir dans l’air liquide. Le gros réservoir devient alors rapidement inactif, pendant que toute l’activité va se concentrer dans le petit réservoir. Si l’on supprime alors la communication entre les deux réservoirs et que l’on retire le petit réservoir de l’air liquide, on voit que le grand réservoir n’est pas lumineux, tandis que le petit est plus lumineux qu’au début de l’expérience. L’expérience est très brillante si l’on a eu soin d’enduire les parois internes des réservoirs avec du sulfure de zinc phosphorescent.

Quand on chauffe au rouge un fil de platine activé par le thorium ou le radium, ce fil perd la plus grande partie de son activité. Mlle  Fanny Cook Gates a montré que cette radioactivité se transporte sur les corps solides froids placés dans le voisinage du fil ; elle distille en quelque sorte à une température assez élevée, en passant par la forme intermédiaire d’une émanation gazeuse. La radioactivité induite des corps solides serait donc analogue à une émanation condensée.

Activité induite par le séjour des corps à l’état dissous dans une solution radioactive. Uranium X. Thorium X. — Certains corps sont activés temporairement quand ils ont séjourné dans une même dissolution avec des corps radioactifs. M. Giesel et Mme  Curie ont ainsi préparé du bismuth actif en dissolvant un sel de bismuth dans une solution de sel de radium. M. Debierne a activé de même un sel de baryum dans une solution d’un sel d’actinium ; le sel de baryum ainsi activé présentait certaines analogies avec les sels de radium et se fractionnait de la même façon ; par cristallisation du chlorure l’activité se concentrait dans le sel qui s’était déposé.

On parvient aussi par divers procédés à diviser l’activité de l’uranium au moyen de précipitations chimiques (Grookes, Soddy, Rutherford et Grier, Debierne, Becquerel). On ajoute, par exemple, du chlorure de baryum à une solution d’azotate d’uranyle, et l’on précipite le baryum à l’état de sulfate en ajoutant un peu d’acide sulfurique. Le sulfate de baryum précipité, séparé et séché est radioactif ; il a entraîné une partie de l’activité de l’uranium, car le sel d’urane retiré de la solution évaporée à sec se montre moins actif qu’avant d’avoir subi cette opération. Mais, au bout de quelques mois, le sulfate de baryum a perdu sa radioactivité, tandis que le sel d’urane a repris ses propriétés primitives. On peut admettre que le sel de baryum s’était activé au contact de l’uranium, ou encore qu’il a entraîné sous une forme spéciale une partie de l’activité de celui-ci (uranium X de Crookes).

MM. Rutherford et Soddy ont montré que, si l’on précipite le nitrate de thorium par l’ammoniaque, l’oxyde de thorium précipité est moins actif que l’oxyde de thorium ordinaire. En revanche, la liqueur d’où il a été précipité est radioactive, et, en l’évaporant à sec, on obtient un résidu très petit, mais 2500 fois plus actif que la thorine (ils appellent thorium X le corps radioactif de ce résidu). Au bout de quelques semaines, le résidu a perdu son activité, le thorium X a disparu, et la thorine précipitée a, au contraire, repris son activité normale. De plus, tant que le thorium X existe, il émet en abondance l’émanation du thorium.

MM. Rutherford et Soddy admettent que l’uranium X et le thorium X sont des produits intermédiaires de la désagrégation de l’uranium et du thorium. Le thorium, par exemple, produirait d’une façon continue le thorium X, qui se désagrégerait en donnant l’émanation du thorium, laquelle se transformerait à son tour en activité induite.

Conductibilité de l’air atmosphérique. Émanation et radioactivité induite à La surface du sol. — MM. Elster et Geitel d’une part, M. Wilson d’autre part, ont montré que l’air atmosphérique conduit toujours légèrement l’électricité ; cet air est toujours légèrement ionisé. Cette ionisation semble due à des causes multiples. D’après les travaux de MM. Elster et Geitel, l’air atmosphérique renferme toujours en très petite proportion une émanation analogue à celle émise par les corps radioactifs. Des fils métalliques tendus dans l’air et maintenus à un potentiel négatif élevé s’activent sous l’influence de cette émanation. Au sommet des montagnes l’air atmosphérique contient plus d’émanation que dans la plaine ou au bord de la mer. L’air des caves et cavernes est particulièrement chargé d’émanation. On obtient encore de l’air très riche en émanation, en aspirant, au moyen d’un tube enfoncé dans le sol, l’air qui y est contenu. L’air extrait de certaines eaux minérales renferme de l’émanation, tandis que l’air contenu dans l’eau de la mer et des rivières en est à peu près exempt.

La conductibilité de l’air atmosphérique est encore probablement due en partie à des radiations très pénétrantes qui traversent l’espace et dont l’origine est inconnue. Enfin il est probable que tous les corps sont légèrement radioactifs, et que ceux qui sont à la surface du sol agissent pour rendre l’air qui les entoure conducteur de l’électricité.

Constantes de temps qui caractérisent la disparition des émanations et des radioactivités induites. — Nous avons vu que les émanations radioactives et les radioactivités induites des corps solides disparaissent spontanément et que la loi de leur disparition est, en général, une loi exponentielle simple. L’intensité du rayonnement est donnée en fonction du temps t par une formule de la forme

,

étant l’intensité initiale du rayonnement, a une constante. Cette loi exponentielle est complètement définie par la connaissance d’une constante de temps qui sera, par exemple, l’inverse de a dans la formule précédente. On pourra encore prendre comme constante le temps nécessaire pour que l’intensité du rayonnement diminue de moitié.

Il est fort remarquable que ces constantes de temps semblent rester invariables dans les circonstances les plus variées. C’est ainsi que l’émanation du radium diminue de moitié pendant chaque période de 4 jours, quelles que soient les conditions de l’expérience et quelle que soit la température entre −180° et +450° ; la vitesse de disparition est la même que l’émanation soit à l’état gazeux (température ambiante) ou à l’état condensé (à −180°). Les propriétés de l’émanation du radium nous fournissent donc un étalon de temps invariable et indépendant de toute convention sur les unités.

Les constantes de temps de la radioactivité permettent de caractériser d’une façon précise la nature des diverses énergies radioactives.

Voici les temps nécessaires pour que l’activité tombe à la moitié de sa valeur :

Pour l’émanation du radium....   4 jours.
--»------»---- du thorium... 1 minute 10 secondes.
--»------»---- de l’actinium.. quelques secondes.
Pour la radioactivité induite par
--le radium
1 heure (au début de la désactivation).
28 minutes (pour les temps supérieurs à 2 heures après le début de la désactivation).
Pour la radioactivité induite par
--le thorium
11 heures.
Pour la radioactivité induite par
--l’actinium
36 minutes.

Ainsi MM. J.-J. Thomson et Adam ont trouvé récemment que l’émanation de l’eau de certaines sources disparaît en diminuant de moitié pendant chaque période de 4 jours, et que cette émanation provoque une activité induite des corps solides qui disparaît de moitié en 40 minutes environ. On est donc en droit de supposer que l’émanation contenue dans ces eaux est due au radium.

Le thorium ordinaire extrait des sables monazités est faiblement radioactif. Le thorium extrait de la pechblende est fortement radioactif (thorium à actinium de Debierne). La radioactivité dans les deux cas n’est pas due à la présence de la même substance radioactive, car les constantes de temps de l’émanation et de la radioactivité induite sont différentes.

Certains corps radioactifs comme l’actinium n’ont jamais pu être séparés à l’état de corps purs, et il y a même lieu de supposer que les substances très actives étudiées n’en renferment que des traces. Les réactions chimiques des corps ne peuvent être reconnues avec certitude lorsque ces corps se trouvent seulement à l’état dilué, mélangés à d’autres substances. Il se fait alors des entraînements dans les précipitations, et l’action des réactifs n’est pas la même que celle que l’on obtiendrait avec des corps purs. Les réactions chimiques ne peuvent donc plus servir à caractériser le corps radioactif ; celui-ci sera au contraire caractérisé en toute circonstance par la constante de temps de l’émanation qu’il émet et par celle de la radioactivité induite qu’il provoque sur les corps solides.

Nature de l’émanation. — Suivant M. Rutherford, l’émanation d’un corps radioactif est un gaz matériel radioactif qui s’échappe de ce corps. En effet, à bien des points de vue, l’émanation du radium se comporte comme un gaz.

Quand on met en communication deux réservoirs en verre dont l’un contient de l’émanation tandis que l’autre n’en contient pas, l’émanation se diffuse dans le deuxième réservoir et, quand l’équilibre est établi, on constate que l’émanation s’est partagée entre les deux réservoirs dans le rapport des volumes. On peut encore porter un des deux réservoirs à 350°, pendant que l’autre reste à la température ambiante, et l’on constate que dans ce cas encore l’émanation se partage entre les deux réservoirs comme le ferait un gaz parfait obéissant aux lois de Mariotte et de Gay-Lussac.

Nous avons vu aussi que l’émanation du radium se diffuse dans l’air suivant la loi de diffusion des gaz, et avec un coefficient de diffusion comparable à celui de l’acide carbonique. Enfin, les émanations du radium et du thorium se condensent à basse température comme des gaz liquéfiables.

Toutefois il convient de rappeler que l’on n’a pu observer jusqu’ici aucune pression due à l’émanation, et l’on n’a pas davantage constaté par une pesée la présence d’un gaz matériel. Toutes nos connaissances relatives aux propriétés de l’émanation résultent de mesures de radioactivité. On n’a pas encore non plus constaté avec certitude la production d’un spectre caractéristique dû à l’émanation.

L’émanation ne saurait d’ailleurs être considérée comme un gaz matériel ordinaire, puisqu’elle disparaît spontanément d’un tube scellé qui la contient, et que la vitesse de disparition est absolument indépendante des conditions de l’expérience, en particulier de la température.

Il est fort curieux que les nombreuses tentatives faites dans des conditions très variées, pour obtenir des réactions chimiques avec les émanations, sont restées infructueuses. Pour expliquer ce fait, M. Rutherford admet que les émanations sont des gaz de la famille de l’argon.

Voici encore quelques faits difficiles à interpréter : L’émanation du radium se condense à −100°. Or à −153° on peut, d’après Rutherford, faire passer un courant d’air continu sur l’émanation liquéfiée sans l’entraîner. Cependant la quantité d’émanation condensée doit être bien faible et, s’il existait la moindre tension de vapeur à −153°, l’émanation ne tarderait pas à se vaporiser dans un courant d’air. De plus, la température de condensation par refroidissement devrait être fonction de la quantité d’émanation contenue dans un volume d’air donné, ce qui n’a pas été signalé.

Nous avons trouvé, M. Debierne et moi, que l’émanation passe avec une facilité extrême à travers les trous ou les fissures les plus ténues des corps solides, alors que dans les mêmes conditions les gaz matériels ordinaires ne peuvent circuler qu’avec une très grande lenteur.

M. Rutherford suppose que le radium se détruit spontanément, et que l’émanation est un des produits de sa désagrégation. Nous avons observé, M. Debierne et moi, qu’un sel de radium solide active assez rapidement, par l’émanation qu’il dégage, les parois d’un réservoir rempli d’air qui le renferme. Au contraire, si l’on a fait un vide très parfait dans le réservoir, l’activation ne se produit qu’avec une lenteur extrême ; elle réapparaît d’ailleurs rapidement dès qu’on a laissé rentrer un gaz. Cependant l’émanation se propage bien plus rapidement dans un gaz à très basse pression que dans le même gaz à la pression atmosphérique. On est donc conduit à admettre que dans le vide l’émanation éprouve une difficulté particulière à s’échapper du radium.

Dégagement de gaz par les sels de radium. Production d’hélium. — M. Giesel a remarqué que les solutions de bromure de radium dégagent constamment des gaz. Ces gaz sont formés principalement d’hydrogène et d’oxygène, la proportion relative étant la même que pour l’eau ; ils peuvent donc provenir de la décomposition de l’eau de la solution. Mais MM. Ramsay et Soddy ont de plus reconnu dans ces gaz la présence constante d’une petite quantité d’hélium qu’ils ont pu caractériser par son spectre obtenu au moyen d’un tube de Geissler. Les raies de l’hélium étaient aussi accompagnées de trois raies inconnues.

Un sel solide de radium dégage aussi constamment des gaz capables de produire une pression dans un tube fermé. On peut attribuer à ces dégagements gazeux deux accidents qui se sont produits dans mes expériences. Une ampoule de verre mince scellée, presque complètement remplie de bromure de radium bien sec, a fait explosion sous l’effet d’un faible échauffement. Une explosion s’est produite aussi avec du chlorure de radium sec que j’ai soumis dans le vide à un échauffement assez rapide à 300° ; dans ce cas ce sont les fragments du sel solide remplis de gaz occlus qui semblent avoir fait explosion.

Au moment où l’on dissout dans l’eau un sel solide de radium préparé depuis longtemps, on constate un abondant dégagement de gaz.

La production spontanée d’hélium dans un tube scellé qui renferme du radium est évidemment un fait nouveau d’une importance fondamentale. MM. Ramsay et Soddy ont de plus accumulé de l’émanation de radium et l’ont enfermée avec de l’oxygène sous basse pression dans un tube de Geissler. Ils ont obtenu des raies nouvelles qu’ils attribuent à l’émanation, et ils ont constaté de plus que le spectre de l’hélium, primitivement absent, a pris peu à peu naissance dans leur tube. L’hélium pourrait, d’après cela, être l’un des produits de la désagrégation du radium.

À l’appui des résultats qui précèdent on peut rappeler quelques remarques que nous avions faites, Mme  Curie et moi, dès le début de nos recherches. Nous avions été très frappés par le fait de la présence simultanée dans certains minéraux de l’uranium, du radium et de l’hélium. Nous avons pris 50 kg de chlorure de baryum du commerce, provenant de minerais ne renfermant pas d’urane, et nous avons soumis ce chlorure à une cristallisation fractionnée, pour voir s’il renfermait des traces de chlorure de radium. Après un fractionnement prolongé, la portion de tête du fractionnement, réduite à quelques grammes, ne se montrait nullement radioactive. Le baryum ne contient donc du radium que quand il provient de minerais d’urane. Ce sont encore les mêmes minerais qui contiennent de l’hélium. On peut penser qu’il y a une relation de cause à effet dans la présence simultanée de ces trois substances.

Ce résumé rapide des recherches sur la radioactivité suffit pour montrer l’importance du mouvement scientifique qui a été provoqué par l’étude de ce phénomène. Les résultats obtenus sont de nature à modifier les idées que l’on pouvait avoir sur l’invariabilité de l’atome, sur la conservation de la matière et la conservation de l’énergie, sur la nature de la masse des corps et de l’énergie répandue dans l’espace. Les questions les plus fondamentales de la Science sont donc remises en discussion. En dehors de l’intérêt théorique dont ils sont l’objet, les phénomènes de radioactivité donnent de nouveaux moyens d’action au physicien, au chimiste, au physiologiste et au médecin.





  1. Pour détails plus complets sur les travaux antérieurs à mai 1903, voir la thèse de Mme  Curie (Paris, Gauthier-Villars, juin 1903). Ce travail paraîtra dans les Annales de Chimie et de Physique en 1903 et 1904.
  2. Découvert par M. et Mme  Curie et M. Bémont.