Œuvres de Pierre Curie/52

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Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 512-516).

SUR LA RADIOACTIVITÉ DES GAZ QUI PROVIENNENT DE L’EAU DES SOURCES THERMALES.

En commun avec A. LABORDE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXLII, p. 1462,
séance du 25 juin 1906.


Dans une publication antérieure[1] nous avions indiqué quelques sources naturelles d’où se dégageaient spontanément des gaz radioactifs ; et nous avions classé ces sources d’après leur radioactivité, qui avait été déterminée quantitativement.

Nous avons étudié de nouvelles sources thermales, et, pour quelques-unes de celles dont les gaz dégagés spontanément se sont montrés le plus radioactifs, nous avons recherché la radioactivité de l’eau recueillie au griffon de la source.

La radioactivité des gaz a été déterminée par la méthode de mesure électrique décrite antérieurement[2].

Pour extraire des eaux l’émanation radioactive qu’elles renfermaient en dissolution, nous avons fait bouillir ces eaux dans un ballon de 5 l muni d’un réfrigérant ascendant, de telle façon que les gaz chassés par ébullition pussent être recueillis sur le mercure ; quand l’eau étudiée était fortement chargée d’acide carbonique, nous empêchions ce gaz de se dégager en plaçant de la potasse dans le ballon.

Nous avons laissé bouillir ainsi les eaux pendant 1 heure environ, et, à plusieurs reprises au cours d’une opération, nous avons fait passer dans le ballon un courant d’air non radioactif qui avait pour but d’entraîner par barbotage les dernières traces d’émanation qui pouvaient subsister dans le liquide ou dans l’espace libre des tubes de dégagement. Les gaz ainsi recueillis ont été introduits dans un condensateur cylindrique à anneau de garde et leur radioactivité a été mesurée par la méthode du quartz piézoélectrique.

Nous avons pu dresser ainsi un Tableau dans lequel figurent les résultats des anciennes et des nouvelles déterminations. Comme précédemment, nous avons indiqué dans ce Tableau les valeurs du courant (i.10³ en unités électrostatiques) que l’on obtient dans un condensateur cylindrique déterminé, 4 jours après que le gaz étudié a été recueilli à la source ; nous avons également fait figurer dans ce Tableau des nombres qui définissent la quantité d’émanation contenue dans les gaz ou dans les eaux étudiés : cette quantité d’émanation est facile à connaître quand le condensateur cylindrique utilisé a été étalonné une fois pour toutes avec de l’émanation du radium[3].

Cet étalonnage a été effectué récemment dans de très bonnes conditions par Mme  Curie, au cours d’un travail qui n’est pas encore publié : les résultats obtenus par Mme  Curie nous ont conduits à modifier les nombres fournis à ce sujet dans notre première Communication, car ces nombres avaient été déterminés à la suite d’expériences faites avec des solutions de bromure de radium dont le titrage était, à notre insu, entaché d’erreur.

D’après Mme  Curie, 1 g de bromure de radium pur dégage en 1 heure une quantité d’émanation capable de provoquer, dans un condensateur cylindrique de 450 cm³ (longueur de condensateur : 12,65 cm ; diamètre du cylindre extérieur : 6,8 cm ; diamètre de la tige intérieure : 0,28 cm), un courant de saturation maximum (3 heures après l’introduction de l’émanation dans le condensateur) de 1,21.104 unités électrostatiques. Ces mesures ont été faites à 15° C. et à la pression atmosphérique normale.

À l’aide de ces données, nous avons pu calculer que, dans nos appareils, un courant de saturation de 1 unité électrostatique est produit par la quantité d’émanation que dégage 1 mg de bromure de radium pur en 4,95 minutes, ce courant étant mesuré quand l’émanation a atteint son état d’équilibre de régime avec la radioactivité induite qu’elle crée.

Dans le Tableau ci-après nous avons fait figurer :

À la colonne 1 : la date de l’extraction (mois et année) ;

À la colonne 2 : le courant de saturation i.10³ produit par 450 cm³ de gaz dans un condensateur cylindrique de 450 cm³, 4 jours après l’extraction, à 15° C. et à la pression atmosphérique normale ;

À la colonne 3 : le nombre n de minutes pendant lequel il faudrait laisser séjourner 1 mg de bromure de radium pur dans 10 l d’air pour obtenir le même courant dans notre appareil qu’avec les gaz étudiés ;

À la colonne 4 : le courant i.10³ produit dans notre appareil par l’émanation extraite de 10 l d’eau âgée de 4 jours ;

À la colonne 5 : la quantité d’émanation présente dans 10 l d’eau âgée de 4 jours, cette quantité d’émanation étant exprimée comme dans le cas de la colonne 3 par le temps n1, pendant lequel 1 mg de bromure de radium pur produirait cette émanation.

Nom de la source. Date Gaz. Eaux.
de
l’extraction i.10³. n. i.10³. n1.
  1 2 3 4 5
Badgastein (Autriche) : source
xxGrabenbäcker
4-04 360 39,6 00» 00»
Plombières (Vosges) Source Vauquelin 1-04 047 05,17 00» 00»
Plombières (Vosges) Source Vauquelin 3-05 052 05,72 44,6 0,22
Plombières (00»00) Trou des Capucins 3-04 021 02,31 00» 00»
Plombières (00»00) Trou des Capucins 8-05 00» 00» 94,5 0,46
Plombières (Vosges) Source n° 3 1-04 029 03,19 00» 00»
Plombières (Vosges) Source n° 5 1-04 028 03,08 00» 00»
Caldellas (Portugal) 4-05 017 01,82 00» 00»
Bains-les-Bains (Vosges) 3-04 016 01,76 00» 00»
Nom de la source. Date Gaz. Eaux.
de
l’extraction i.10³. n. i.10³. n1.
  1 2 3 4 5
Aix-les-Bains (Savoie) : source d’Alun[4] 2-05 016 01,76 56 0,27
xxxxxxxxx»xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx» 8-05 013 01,43 31,7 0,15
Dax (Landes) Source du Trou-des-Pauvres 11-04 013,3 01,46 00» 00»
Dax (Landes) Source la Néhe 11-04 002,6 00,28 00» 00»
Ax (Ariège) : source Vignerie 10-05 010,6 01,16 00» 00»
Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) 10-05 010,6 01,16 00» 00»
Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire) : source Le Lymbe 1-05 009,3 01,03 20,12 0,099
Maizières (Saône-et-Loire) 12-04 006,78 00,74 00» 00»
Luxeuil (Haute-Saône) Bain des Dames 2-04 005,70 00,62 00» 00»
Luxeuil (Haute-Saône) Grand Bain 2-04 002,3 00,25 00» 00»
Néris (Allier) 3-04 004,2 00,46 00» 00»
Bagnoles-de-l’Orne 2-04 003,3 00,36 00» 00»
Salins-Moutiers (Savoie) 1-04 003 00,33 00» 00»
Contrexéville (Vosges) : source du Pavillon 2-05 00» 00» 10 0,049
La Boche Posay (Vienne) 3-05 00» 00» 10 0,049

Cauterets (Hautes-Pyrénées) : sources César, des Œufs, Le Bois, La Raillère ; Eaux-Chaudes (Basses-Pyrénées) ; Eaux-Bonnes (Basses-Pyrénées) ; Mont-Dore (Puy-de-Dôme) : sources Bardon, Madeleine ; Lamalou (Hérault) ; Royat (Puy-de-Dôme) ; Ogeu (Puy-de-Dôme) ; Source intermittente (Allier) ; Larderello (Italie) = gaz dont la radioactivité correspond à i.10³ < 3.

Alet (Aude) ; Châtel-Guyon (Puy-de-Dôme) ; Montbrun-les-Bains ; Pougues-Saint-Léger (Nièvre) ; Vichy (Allier) : sources Boussange, Célestins, Lucas, Hôpital, Grande Grille, Chomel ; Forges-les-Eaux (Seine-Inférieure) ; Saint-Honoré-les-Bains (Nièvre) ; Spa (Belgique) = gaz dont la radioactivité correspond à i.10³ < 1.

Vichy (Allier) : sources Chomel, Grande Grille ; Vittel (Vosges) ; Evian (Haute-Savoie) : source Cachat = eaux dont la radioactivité correspond à i1.10³ < 3.

Les nombres qui figurent aux colonnes 4 et 5 se rapportent tous à des eaux qui contiennent de l’émanation du radium au moment de leur extraction, mais qui ne contiennent pas de sel de radium en dissolution ; en effet, nous avons constaté qu’après avoir conservé ces eaux en vase clos pendant plus de 1 mois, nous ne pouvions plus en extraire d’émanation radioactive.

Comme nous avons indiqué la radioactivité des gaz et des eaux 4 jours après leur extraction, on peut admettre qu’au griffon de la source elle aurait été deux fois plus forte.





  1. Comptes rendus, t. CXXXVIII, p. 1150.
  2. Loco citato.
  3. Loco citato.
  4. La radioactivité des sources d’Aix-les-Bains a été observée pour la première fois par M. G.-A. Blanc (Phil. Mag., janvier 1905).